VULNÉRABILITÉ, MOBILITÉ ET SÉGRÉGATION DES FEMMES DANS L’ESPACE PUBLIC
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son domicile au mieux que le soir et le week-end – quand il n’était
pas un marin qui passait plus de temps en mer qu’à terre –, se retrouve
dorénavant à la maison, espace domestique régi par son épouse, où il
a souvent du mal à trouver sa place.
Il existe, en Bretagne, et plus généralement en France, à l’étape
de la retraite, un renversement des positions de chacun des sexes, à
savoir que ce n’est plus la femme qui est un intrus dans l’espace public
masculin, mais bien l’homme qui le devient dans l’espace domestique
féminin. Ainsi, voit-on de nombreux hommes se créer à ce moment un
potager ou un atelier de bricolage annexe à la maison, soit un espace à
soi, le plus souvent à l’extérieur, où ils n’empiètent pas sur le domaine
de leur épouse.
On sait qu’une femme qui quitte son foyer peut devenir une femme
vulnérable, contrainte à des relations sexuelles de fortune pour dormir
au chaud le temps d’une nuit et être oubliée au matin. Ceci est très
bien montré dans le film américain Wanda de 1970, de la réalisatrice
et actrice Barbara Loden. Dans ce film, le personnage principal, divor-
cée de son mari, erre de rencontre en rencontre sans lendemain et de
motel en motel.
La crainte de l’errance explique que nombre de femmes battues ont
du mal à fuir le domicile conjugal, surtout lorsqu’elles ont des enfants,
de peur de connaître une situation de grande précarité. Aux États-Unis,
en 1996, la moitié de celles qui se retrouvaient à la rue étaient des
femmes qui fuyaient la violence conjugale (Passaro, 1996, 62). Compte
tenu d’une situation similaire en France, depuis 2006, la législation, sur
le modèle de la loi espagnole de 2005, oblige les hommes violents à
quitter leur foyer ; ce ne sont plus alors les femmes qui sont contraintes
de partir, la loi les protégeant ainsi des violences conjugales subies
mais aussi des dangers qui les guettent lorsqu’elles se retrouvent sans
domicile.
Alors qu’on ne voyait que des hommes « à la rue » en France, il y a
encore moins de dix ans, les femmes y sont de plus en plus nombreuses
aujourd’hui, du fait de la politique d’appauvrissement d’une grande
partie de la société française. Elles ne sont pas SDF ou « sans domicile
fixe » selon l’expression cache-misère communément utilisée, mais
sans domicile du tout, livrées à la convoitise des hommes dans un
espace public qui leur appartient. Pour survivre dans cet espace mas-
culin, en particulier la nuit, ces femmes adoptent un comportement
contraire aux prostituées qui, elles aussi, occupent ponctuellement la
nuit certaines rues – comme l’indique le nom péjoratif qui leur était
donné « filles des rues ». Au lieu, comme ces dernières, de se féminiser
pour aiguiser le désir masculin, on peut observer qu’elles se masculini-
sent ; elles se coupent et parfois se rasent complètement les cheveux,
s’habillent avec des vêtements androgynes, prennent une manière de