Étude des pratiques de dépistage du cancer chez la personne âgée

Journal Identification = PNV Article Identification = 0540 Date: June 9, 2015 Time: 2:35 pm
Synthèse
Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil 2015 ; 13 (2) : 133-40
Étude des pratiques de dépistage du cancer
chez la personne âgée ayant une démence
Cancer screening practices in elderly with dementia
Guillaume Chapelet1
Gilles Berrut1
Emmanuelle Bourbouloux2
Mario Campone2
Pascal Derkinderen3
Laure de Decker1
1Pôle hospitalo-universitaire de
gérontologie clinique, Centre
hospitalo-universitaire de Nantes,
Nantes, France
<guillaume.chapelet@chu-nantes.fr>
2Service d’oncologie médicale, Institut
de cancérologie de l’Ouest,
Saint-Herblain, France
3Service de neurologie,
Centre-hospitalo-universitaire
de Nantes, Nantes, France
Tir´
es `
a part :
G. Chapelet
Résumé. L’évolution démographique et des pratiques médicales pose la question du dépis-
tage individualisé du cancer chez les personnes âgées. Par ailleurs, il a été montré dans
la littérature un lien épidémiologique protecteur entre démence et cancer, qui pourrait être
biaisé par l’absence de dépistage de cancer chez ces patients. C’est pourquoi, nous avons
réalisé une enquête d’opinion permettant de décrire les pratiques de dépistage du cancer
chez les patients âgés de plus de 75 ans, ayant ou non une démence. Dans cette enquête,
304 médecins généralistes ont été interrogés par mail, sur leurs pratiques de dépistage
du cancer et sur les éléments l’influenc¸ant. Le taux de réponse était de 29,4 %. Sur les
82 médecins ayant répondu, 49 (60 %) disaient poursuivre le dépistage du cancer chez la
personne âgée, 51 (62 %) n’étaient pas favorables au dépistage du cancer en présence
d’une démence, et 63 (77 %) pensaient qu’il manque des recommandations pour enca-
drer le dépistage du cancer chez la personne âgée. Finalement, l’absence de dépistage du
cancer pourrait biaiser le lien épidémiologique entre cancer et démence. De plus, favoriser
l’échange entre médecins généralistes et spécialistes permettrait probablement d’optimiser
le dépistage du cancer chez le sujet âgé, avec ou sans démence.
Mots clés : dépistage du cancer, démence, médecins généralistes
Abstract. Current demographic trends and medical practices raise the question of cancer
screening in the elderly, especially those with dementia. Furthermore, studies have sug-
gested that patient with Alzheimer disease showed a reduced risk of cancer. However,
this link may be biased by the absence of cancer screening. That’s why we conducted a
survey to poll general practitioners’ (GP) opinion on screening cancer in the elderly. In this
study, 304 general practitioners were asked, from May to March 2014, about their cancer
screening practices and on the elements influencing it. Eighty-two physicians responded.
The rate of response was 29.4%. Forty-nine (60%) GP said practicing cancer screening
in the elderly, 60 (64%) thought that screening does not lead to treatment, 51 (62%) GP
were not favorable to cancer screening in patients with dementia, 63 (77%) GP thought
that there is a lack of recommendations to guide cancer screening in the elderly. Finally, this
study shows that cancer screening is less performed in patients with dementia. Further,
promote exchange between general practitioners and specialists, by strengthening Cancer
and Geriatrics networks, could probably increase cancer screening in the elderly, with or
without dementia.
Key words: cancer screening, dementia, general practitioners
En 2008-2010, l’espérance de vie pour une per-
sonne de 75 ans était de 11,45 ans pour les
hommes et de 14,3 ans pour les femmes [1]. Si
les tendances démographiques se maintiennent, la France
comptera 73,6 millions d’habitants au 1er janvier 2060 [2].
Associé au vieillissement de la population, il a été observé
une augmentation de la prévalence du cancer et de la
démence [3]. En France,6à10%despersonnes de plus
de 65 ans souffrent de démence [4]. Sa prévalence a aug-
menté de 25%à48%dans la population de plus de 80
ans [5, 6]. Le diagnostic de cancer serait, quant à lui, 11 fois
plus fréquent après 65 ans [7]. En 2008, en France, selon
les chiffres de l’Institut national du cancer (INCa) [8], près
de un tiers des cancers ont été diagnostiqués chez des per-
sonnes âgées de plus de 75 ans. En Europe, le coût de la
démence et du cancer ont été estimés, respectivement, à
160 milliards d’euros en 2008 [9], et 126 milliards d’euros
en 2009 [10].
Le médecin généraliste est l’un des premiers acteurs
du dépistage et de la prévention du cancer, d’après le plan
cancer 2014-2019 [11]. Les patients âgés de plus de 75 ans,
ne sont pas concernés par les campagnes de dépistage de
masse organisées sur le plan national en France [12, 13].
Ainsi, le dépistage est réalisé individuellement, à l’initiative
du patient, de sa famille, ou du médecin traitant. Sur le plan
international, les modalités de réalisation du dépistage du
doi:10.1684/pnv.2015.0540
Pour citer cet article : Chapelet G, Berrut G, Bourbouloux E, Campone M, Derkinderen P, de Decker L. Étude des pratiques de dépistage du cancer
chez la personne âgée ayant une démence. Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil 2015 ; 13(2) : 133-40 doi:10.1684/pnv.2015.0540 133
Journal Identification = PNV Article Identification = 0540 Date: June 9, 2015 Time: 2:35 pm
G. Chapelet, et al.
cancer, chez le sujet âgé de plus de 75 ans, restaient peu
encadrées au début des années 2000, notamment celles
relatives aux cancers du sein et du côlon qui faisaient, par
contre, l’objet de recommandations nationales et interna-
tionales chez le sujet plus jeune [14]. Depuis le milieu des
années 2000, plusieurs recommandations américaines ont
suggéré que la pratique du dépistage, chez le sujet âgé
de plus de 75 ans, devait être individualisée, en prenant
en compte la santé et l’espérance de vie supposée. Par
exemple, concernant le cancer du sein, l’American college
of obstetricians-gynecologists (Acog), reprenant les résul-
tats d’une méta-analyse [15], a précisé que la poursuite
du dépistage du cancer par mammographie jusqu’à l’âge
de 79 ans entraînerait, d’une part, une limitation des coûts
de santé publique et, d’autre part, un gain d’espérance de
vie pour les patientes dépistées [16]. En 2003, l’American
cancer society (ACS) avait déjà proposé «l’âge-limite »de
79 ans, pour arrêter le dépistage par mammographie, tout
en précisant qu’au-delà de cet âge, la décision de dépister
ou non ne devait pas prendre en compte l’âge «chrono-
logique », mais l’espérance de vie estimée, dépendant de
la sévérité des comorbidités [17]. Enfin, une étude de coût
réalisée en 2005 aux États-Unis, a conclu qu’au-delà de 79
ans, le dépistage du cancer du sein par mammographie,
n’a d’intérêt que chez les patients dans le quartile ayant la
plus grande espérance de vie pour leur âge [18]. Concer-
nant le cancer du côlon, des recommandations récentes,
proposées par l’American college of physicians (ACP), ont
suggéré d’arrêter le dépistage du cancer du côlon chez les
patients âgés de plus de 75 ans, sauf s’ils ont une espé-
rance de vie estimée à plus de 10 ans [19]. Cette limite
d’âge était retrouvée dans la recommandation de l’United
States preventive services task forces (USPSTF), qui préci-
sait par contre, qu’il y avait peu de bénéfice à dépister en
systématique, le cancer du côlon au-delà de 75 ans [20].
Cependant, en fonction du moyen de dépistage utilisé, une
étude récente [21] a suggéré que le dépistage du cancer du
côlon avait un intérêt en termes de coût de santé publique
chez les patients âgés de plus de 75 ans : le dépistage était
justifié jusqu’à l’âge de 77 ans pour la coloscopie totale,
jusqu’à 78 ans pour la recto-sigmoïdoscopie, et jusqu’à 80
ans pour les tests immunochimiques fécaux. Finalement,
certains auteurs ont suggéré que le dépistage des cancers
était bénéfique chez des patients ayant au moins 5 ans
d’espérance de vie [14]. Toutefois, la limite des «5 ans »
n’est pas clairement définie et acceptée par tous. Ainsi
Schwenk [22] a rappelé qu’aux États-Unis, 31 % des plus
de 85 ans bénéficiaient du dépistage du cancer du côlon, et
55 % des plus de 75 ans celui du cancer du sein [23].
Plusieurs études se sont intéressées aux particularités
épidémiologiques, diagnostiques, et thérapeutiques des
patients ayant une démence et un cancer. Premièrement,
les sujets âgés déments avaient plus souvent de diagnostic
de cancer à un stade d’extension inconnu ou avancé [24-26].
De nombreux facteurs pouvaient expliquer ces différences
de modalités de diagnostic et de sévérité de l’atteinte au
diagnostic du cancer chez les patients âgés déments : les
facteurs liés à la présence d’une symptomatologie atypique
entraînant un retard diagnostique [25, 27, 28] ; les facteurs
liés au défaut d’accès aux soins et au suivi médical réguliers
[26, 28] ; les facteurs liés à la présence d’une comorbidité
importante limitant l’espérance de vie du patient et/ou sa
prise en charge [7, 28, 29] ; les facteurs liés au manque
d’information du patient et de son entourage sur les moda-
lités de prise en charge du cancer, entraînant un refus
du patient et/ou de la famille de poursuivre les investiga-
tions ou d’être hospitalisé [28-30] ; les facteurs liés aux
croyances personnelles des médecins ou à leur manque
de formation, en raison de l’absence de recommandation
de dépistage organisé du cancer chez les sujets âgés ayant
des troubles cognitifs [28, 30]. Deuxièmement, les patients
ayant un cancer et une démence ne semblaient pas recevoir
le même traitement que les patients sans trouble cognitif
[24, 25, 27] : ils étaient moins susceptibles de recevoir un
traitement chirurgical, une chimiothérapie ou une radiothé-
rapie. Troisièmement, les patients ayant une démence et
un cancer semblaient avoir un taux de mortalité plus élevé,
en comparaison de ceux n’ayant pas de troubles cognitifs,
notamment concernant le cancer du côlon [25]. Ainsi, la sur-
vie à 6 mois après le diagnostic de cancer était de 33,3 %
chez les patients non déments, et 8,5 % chez les patients
déments [24].
Par ailleurs, il a été montré dans la littérature un lien épi-
démiologique «protecteur »entre cancer et démence [31] :
les patients déments auraient une diminution du risque de
cancer de 0,55 (IC 95% 0,41-0,75). Cependant, ce lien épi-
démiologique «protecteur »pourrait être limité par, d’une
part, un déficit de dépistage et un sous-diagnostic du can-
cer et, d’autre part, par la survie plus limitée des patients
ayant des troubles cognitifs [32].
Compte tenu de l’absence de recommandations de
dépistage du cancer chez le sujet âgé claires et consen-
suelles, en particulier chez les patients ayant une démence,
nous avons réalisé une étude dont l’objectif était de
recueillir l’opinion de médecins généralistes concernant
leurs pratiques de dépistage du cancer chez le sujet
âgé, en s’intéressant particulièrement à ceux ayant une
démence. L’hypothèse principale de cette étude était de
déterminer si les médecins généralistes ont des pra-
tiques communes concernant le dépistage du cancer
chez la personne âgée, en particulier chez le patient
dément.
134 Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 13, n 2, juin 2015
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Dépistage du cancer et démence
Matériel et méthode
Nous avons réalisé une étude d’opinion quantitative,
transversale, anonyme, pendant 3 mois, du 17/03/2014 au
17/06/2014. Le questionnaire comportait 4 parties, réparties
en 11 items, avec un total de 36 questions : 34 questions
fermées avec choix dirigé et 2 questions ouvertes avec
texte libre et à réponse facultative. Le champ étudié par
le questionnaire était celui de la médecine générale, dans
les pratiques de dépistage du cancer chez la personne âgée.
La question principale portait sur les modalités de dépistage
du cancer chez la personne âgée ayant une démence. Les
questions secondaires étaient relatives aux caractéristiques
démographiques du médecin interrogé (âge, sexe, mode
d’exercice et activité), et aux éléments ressentis pouvant,
a priori, influencer positivement ou négativement l’initiation
du dépistage du cancer. Le questionnaire a été envoyé par
mail à des médecins généralistes de Loire-Atlantique et de
Vendée le 17/03/2014. Deux relances ont été effectuées le
16/04/2014 et le 15/05/2014. Les réponses ont toutes été
récupérées par voie électronique. Les médecins exerc¸ant
la médecine d’urgence, la pédiatrie, ou la gériatrie seule
ont été exclus. Les variables quantitatives obtenues ont été
exploitées en pourcentage pour les questions fermées et en
texte libre pour les questions ouvertes.
Résultats
Sur les 304 mails envoyés aux médecins généralistes,
24 (7,9 %) ne sont pas parvenus aux destinataires en raison
d’une adresse incorrecte et 2 médecins ont répondu ne pas
être concernés par le questionnaire, étant soit pédiatre, soit
retraité. Sur les 278 destinataires restants, 82 ont répondu
au questionnaire. Le taux de réponse du questionnaire était
de 29,4 %.
Les caractéristiques des médecins interrogés sont lis-
tées dans le tableau 1 : 40 % des médecins ayant répondu
étaient des femmes, d’âge moyen égal à 50,4 ans (DS +/-
9,8 ans).
Les médecins généralistes sondés disaient avoir moins
recours à un avis spécialisé (oncologue médical, chirurgien,
radiothérapeute) pour les prendre en charge (tableau 2)en
fonction du vieillissement de leurs patients.
Concernant les pratiques de dépistage du cancer chez
le sujet âgé de plus de 75 ans. Quarante-neuf médecins
(60 %) disaient poursuivre le dépistage du cancer chez les
patients âgés de plus de 75 ans, et 63 (77 %) jugeaient le
dépistage utile dans cette population. D’après 63 (77 %)
médecins interrogés, l’absence de recommandation était
un frein au dépistage du cancer chez les sujets âgés. Ce
Tableau 1. Caractéristiques démographiques et formation des médecins interrogés.
Table 1. Demographic characteristics of surveyed physicians.
Caractéristiques Répartition
Age moyen 50 ans (DS +/- 9,8 ans)
Femme 33 (40 %)
Activité professionnelle
Rurale 14 (17 %)
Semi-rurale 30 (37 %)
Urbaine 38 (46 %)
Formation
En gériatrie 15 (18 %)
En cancérologie 4(5%)
Participation à un réseau de prise en charge gériatrique ou de cancérologie 6 (7 %)
Encadrement d’étudiants en médecine (internes, externes) 76 (93 %)
Tableau 2. Avez-vous l’habitude de demander un avis spécialisé à un cancérologue (médical, chirurgien, radiothérapeute), en fonction de
l’âge ?
Table 2. Did you used to seek advice from an oncologist (medical oncologist, surgeon, radiotherapist), considering the age of the patient?
Presque toujours
(90-100 %) Très souvent
(70-90 %) Souvent
(50-70 %) Parfois
(30-50 %) Rarement
(10-30 %) Exceptionnellement
(<10 %)
<75 ans 73 (89 %) 2 (2 %) 1 (1 %) 2 (2 %) 1 (1 %) 3 (4 %)
Entre 75 et 85 ans 54 (66 %) 18 (22 %) 3 (4 %) 3 (4 %) 2 (2 %) 2 (2 %)
>85 ans 41 (50 %) 17 (21 %) 13 (16 %) 5 (6 %) 4 (5 %) 2 (2 %)
Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 13, n 2, juin 2015 135
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G. Chapelet, et al.
Tableau 3. Freins au dépistage du cancer chez le sujet âgé : Item 3.1.
Table 3. Hurdles to cancer screening in aged patient (75 and over).
Oui, tout
à fait Probablement
oui Probablement
non Non, pas
du tout
Pensez-vous que le dépistage doit être pratiqué
chez les patients de plus de 75 ans ? 27 (33 %) 38 (46 %) 15 (18 %) 2 (2 %)
Pratiquez-vous le dépistage du cancer
chez les patients âgés de plus de 85 ans ? 5 (6 %) 15 (18 %) 33 (40 %) 29 (35 %)
Pensez-vous que le nombre de comorbidités
doit être pris en compte pour dépister ? 56 (68 %) 26 (32 %) 0 (0 %) 0 (0 %)
Pensez-vous que l’existence d’un traitement
habituel lourd (nombre de classe médicamenteuse
>4) doit être pris en compte pour dépister ?
20 (24 %) 43 (52 %) 17 (21 %) 2 (2 %)
Votre dépistage est-il influencé par d’éventuelles
craintes de poursuites en l’absence de dépistage
(juridiques, ordre des médecins...) ?
2 (2%) 23 (28%) 25 (31%) 32 (39%)
Trouvez-vous difficile de convaincre le patient
et/ou sa famille de l’intérêt du dépistage ? 7 (9 %) 26 (32 %) 36 (44 %) 13 (16 %)
Pensez-vous que le dépistage débouche sur un traitement
chez les patients ayant un cancer et plus de 75 ans ? 1 (1 %) 21 (26 %) 44 (54 %) 16 (20 %)
frein était aussi mis en évidence par les réponses en texte
libre. En effet, aucun des 11 médecins qui ont répondu à
cet item ne connaissait de recommandations de dépistage
du cancer chez le sujet âgé. En plus de l’absence de recom-
mandation claire qui faciliterait le dépistage du cancer, l’âge
du patient semblait être un facteur influenc¸ant le dépistage
du cancer. En effet, 65 (79 %) médecins pensaient que le
dépistage du cancer était justifié chez le sujet âgé de plus de
75 ans, et 20 (24 %) médecins disaient le pratiquer chez les
sujets âgés de plus de 85 ans (tableau 3). Par ailleurs, 100 %
des médecins interrogés ont répondu que le nombre de
comorbidités doit être pris en compte pour dépister le can-
cer chez le sujet âgé (tableau 3). Ainsi, 51 (62 %) médecins
n’étaient pas favorables au dépistage du cancer chez les
sujets âgés ayant une démence (figure 1). Enfin, 63 (76 %)
médecins pensaient que la présence de plus de 4 classes
thérapeutiques différentes dans le traitement habituel, doit
être pris en compte dans le dépistage, reflétant le niveau
de polypathologies et la présence de comorbidités de leurs
patients (tableau 3).
En plus de l’âge et de la présence de comorbidités,
notre questionnaire proposait d’autres éléments qui pou-
vaient limiter l’instauration du dépistage du cancer chez le
patient âgé (tableau 3). Ainsi, le fait de dépister le cancer
ne paraissait pas être influencé par la peur d’éventuelles
poursuites pour 57 (70 %) médecins, ou par la difficulté à
convaincre la famille et/ou le patient de l’intérêt du dépis-
tage pour 49 (60 %) médecins interrogés. Par ailleurs, une
des limites à la pratique du dépistage du cancer chez le
sujet âgé de plus de 75 ans, était que 60 (74 %) méde-
cins interrogés ne pensent pas que cela déboucherait sur
un traitement.
Nous avons cherché à savoir quels éléments pourraient
influencer positivement le dépistage du cancer (tableau 4).
Ainsi, 81 (99 %) médecins interrogés ont répondu qu’ils
feraient plus de dépistage du cancer s’il était prouvé que
cela améliorait la qualité de vie de leurs patients ; 67 (82 %),
s’il était prouvé que cela augmente leur espérance de vie ;
58 (71 %), si cela était demandé par des campagnes de
prévention et/ou des recommandations ; 50 % disaient être
Oui
Non
Oui 38 %
62 %
31
51
Non
010 20 30 40 50 60
Figure 1. Êtes-vous favorable au dépistage du cancer chez les patients ayant une démence ?
Figure 1. Are you in favour of cancer screening in patients with dementia?
136 Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 13, n 2, juin 2015
Journal Identification = PNV Article Identification = 0540 Date: June 9, 2015 Time: 2:35 pm
Dépistage du cancer et démence
influencés par la demande du patient et/ou de la famille
pour effectuer un dépistage ; enfin, 37 (45 %) médecins
précisaient qu’ils feraient plus de dépistage en présence
d’un réseau de prise en charge spécifique préétabli.
Enfin, la dernière partie du questionnaire regroupait des
questions diverses et sont regroupées dans le tableau 5
(item 4.1). Premièrement, 9 (11 %) médecins ont répondu
que ce questionnaire va modifier leur pratique du dépistage.
Deuxièmement, 53 (63 %) pensaient que les patients de
plus de 75 ans tirent un bénéfice de l’avis d’un gériatre avant
d’instaurer un traitement anticancéreux. Troisièmement, 52
(65 %) médecins estimaient avoir besoin de formation pour
les aider dans la prise en charge du cancer chez les sujets
âgés. Quatrièmement, 9 (11 %) médecins généralistes inter-
rogés n’ont pas constaté de lien épidémiologique entre
cancer et démence.
Discussion
D’après le rapport d’oncogériatrie de 2009, deux fac-
teurs essentiels sont à prendre en considération pour
dépister le cancer chez le sujet âgé : l’espérance de vie
supposée du patient et l’évolutivité de la tumeur [30].
Tableau 4. Quelles seraient les raisons qui vous inciteraient à
effectuer plus de dépistages du cancer chez le sujet âgé ?
Table 4. What are the reasons that would force you to make more
cancer screening in the elderly.
Oui
Campagne de prévention et/ou recommandation 58 (71 %)
Forte demande de la part des patients
et/ou de l’entourage 41 (50 %)
S’il était prouvé que cela améliore la
qualité de vie dans cette population 81 (99 %)
S’il était prouvé que cela améliore
l’espérance de vie dans cette population 67 (82 %)
Existence d’un réseau de prise
en charge spécifique établi 37 (45 %)
Concernant l’espérance de vie supposée, des études ont
montré que la différence de mortalité entre les patients
dépistés et non dépistés n’était notable que 5 ans après
la mise en route des programmes de dépistage [33-36].
Cependant, concernant les patients déments, baser le
dépistage du cancer sur «l’âge physiologique »et sur
l’espérance de vie supposée peut être difficile. En effet,
dans la cohorte franc¸aise PAQUID, ces patients ont une mor-
bidité élevée et leur espérance de vie est de 6,9 ans à l’âge
de 70 ans pour les hommes, de 5,8 ans chez les femmes
[37]. Plus généralement, dans notre étude, 65 (79 %) méde-
cins pensaient que le dépistage du cancer était justifié chez
le sujet âgé de plus de 75 ans, 49 (60 %) d’entre eux disaient
le pratiquer chez les patients âgés de plus de 75 ans, mais
seulement 20 (24 %) chez les sujets âgés de plus de 85 ans.
Ces chiffres nous laissent supposer que l’âge, et donc indi-
rectement l’espérance de vie supposée, est pris en compte
par les médecins généralistes pour initier le dépistage.
L’hypothèse principale de cette étude était que la pré-
sence d’une démence influence l’initiation du dépistage du
cancer chez les sujets âgés. Dans notre étude, 51 (62 %)
médecins interrogés ne sont pas favorables au dépistage
du cancer chez les sujets âgés ayant une démence. À notre
connaissance, c’est la première étude montrant l’influence
de la présence d’une démence sur les modalités du dépis-
tage du cancer par les médecins généralistes. À partir
de ces résultats, nous faisons l’hypothèse que l’absence
de dépistage du cancer, chez les patients déments, pour-
rait être un biais au lien épidémiologique protecteur entre
démence et cancer retrouvé dans la littérature [31]. Par
ailleurs, notre étude montre que les médecins généralistes
pourraient ne pas effectuer de dépistage du cancer chez
les patients âgés déments, parce qu’ils pensent que cela
ne déboucherait pas sur un traitement. Cependant, la prise
en charge des sujets âgés déments ne se résume pas
au seul traitement cancérologique spécifique. En effet, les
patients âgés déments tirent un bénéfice du réseau de
prise en charge d’oncogériatrie en raison de la réalisation
de l’Évaluation gériatrique standardisée [38, 39].
Tableau 5. Questions diverses.
Table 5. Other matters.
Oui
Pensez-vous qu’il existe un lien entre cancer et démence ? 9 (11 %)
Pensez-vous que ce questionnaire va modifier votre dépistage du cancer chez le sujet âgé ? 9 (11 %)
Estimez-vous avoir besoin de formation pour vous aider dans la prise en charge du cancer
chez les patients âgés (dépistage, traitement, etc.) ? 52 (63 %)
Pensez-vous que les patients de plus de 75 ans tirent des bénéfices d’un avis gériatrique
avant de débuter un traitement anticancéreux ? 53 (65 %)
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