Question: distance de plantation en voirie
Ambre Vassart - Décembre 2011
Quelles sont les distances de plantation d'arbres et haies à respecter entre bordure
de voirie publique et propriété privée?
Cette question appelle trois réflexions: tout d’abord l'éventuelle application des
prescriptions du Code rural au cas d’espèce. Nous aborderons ensuite l’application de la
théorie des troubles de voisinage aux contestations des riverains, et enfin la
responsabilité générale de la commune dans cette matière.
Des prescriptions du Code rural
Le principe du Code rural, énoncé à l'article 35, est le suivant: "Il n'est permis de planter
des arbres de haute tige qu'à la distance consacrée par les usages constants et reconnus;
et, à défaut d'usages, qu'à la distance de deux mètres de la ligne séparative des deux
héritages pour les arbres à haute tige, et à la distance d'un demi-mètre pour les autres
arbres et haies vives ".
Cependant, la Cour de Cassation a tranché dans un arrêt du 30 juin 1872 (Pas. 1872, I,
352) que les règles du Code rural ne s’appliquaient pas entre "deux propriétés voisines
dont l’une se trouve incorporée dans la voirie et, comme telle, affectée à l’usage du
public" (V. Genot, De la voirie publique par Terre, 1964, p. 138, n°70; Pandectes
belges, T. 31, 1889, col. 1138-1139). Cette interprétation est confirmée par de nombreux
auteurs de doctrine (Buttgenbach, Manuel de droit administratif, 1966, p. 375; Dembour,
Droit administratif, 1978, p. 399).
On peut donc suivre la thèse selon laquelle le Code rural ne s’applique pas en l’espèce.
La question de la plantation d’arbres par les pouvoirs publics en bordure de voirie n’est
donc a priori pas régie par des règles particulières.
De la théorie des troubles de voisinage
Le trouble du à la présence d’arbres sur le domaine public éventuellement invoqué par
Le trouble du à la présence d’arbres sur le domaine public éventuellement invoqué par
un riverain se résoudra dès lors par une application de la théorie des troubles de
voisinage (A. De Brabant, Responsabilité des communes du fait des arbres et
plantations sur son territoire, J.J.P., 2002-2003, p. 341).
La théorie des troubles de voisinage se fonde sur le principe suivant lequel chaque
propriétaire a le droit de jouir de son bien. Cet exercice respectif du droit de propriété
constitue un équilibre. La théorie trouve à s’appliquer lorsque l’équilibre est rompu par
un trouble excédant ceux que doivent normalement supporter les voisins pour vivre en
communauté. La Cour de Cassation résume parfaitement les principes de cette théorie
comme suit: "Le propriétaire d’un immeuble qui, par un fait, une omission ou un
comportement quelconque, rompt l’équilibre entre les propriétés en imposant à un
propriétaire voisin un trouble excédant la mesure des inconvénients ordinaires du
voisinage, lui doit une juste et adéquate compensation, rétablissant l’égalité rompue"
(Cass, 8.2.2010, R.G., n°C09.0196F.).
Par conséquent, une juste et adéquate compensation (ne compensant pas nécessairement
le dommage subit mais rétablissant simplement l’équilibre perturbé) interviendra dès
qu’un fait (même non constitutif d’une faute ou d’un abus) imputable au propriétaire
d’un fonds voisin ( c'est-à-dire suffisamment proche pour avoir des répercussions sur la
propriété troublée mais non spécialement contiguë) excédant les inconvénients ordinaires
du voisinage intervient et nuit à la jouissance qui est faite du fonds voisin. (M.-A. Grany,
Les troubles de voisinage, J.T., 2011, p. 233.). Par exemple, ont été considérés comme
troubles, l’encerclement de propriété par des voies de circulation rapides (Civ. Arlon,
21.5.2002, J.L.M.B., 2003, p. 345.); une perte d’ensoleillement due à des travaux
récurrents sur un fonds voisin (J.P., Bastogne, 22.6.2007, J.J.P., 2009, p. 469.); des
travaux de voirie entrainant un accès difficile à un commerce (Mons, 22.1.1998,
R.G.D.C., 1999, p. 142), …
Notons que lorsqu’un trouble de voisinage est le fait de l’action d’un pouvoir public, le
juge tiendra compte de l’importance du trouble au regard des charges normales qu’il
incombe à chacun de supporter dans l’intérêt du public (Cass., 23.5.1991, J.T., 1992, p.
267). L’appréciation du trouble par le juge est donc sensiblement plus stricte lorsqu’est
en cause l’intérêt général.
En l’espèce, si le trouble dont se plaignent les riverains est excessif compte tenu des
charges normales qui doivent être supportées pour l’intérêt commun, le juge de paix (C.
Jud., art. 591, 3°) pourra accorder aux riverains une compensation qui ne constituera pas
en la réparation d’un dommage mais en une simple compensation destinée à rétablir
l’équilibre ainsi rompu. Il est évident que le juge garde un pouvoir d'appréciation sur la
matière.
De la responsabilité
Il faut également préciser qu’il existe un devoir pour la commune de garantir la sécurité
de passage en vertu de l’article 135 alinéa 2. La Cour de Cassation rappelle à ce sujet que
"les pouvoirs publics ont l’obligation de n’établir et de n’ouvrir à la circulation que des
voies suffisamment sûres; que hormis le cas où une cause étrangère qui ne peut leur être
imputée les empêche de remplir l’obligation de sécurité qui leur incombe, ils doivent,
par des mesures appropriées, obvier à tout danger anormal, que ce danger soit caché ou
apparent". Le manquement à son devoir par la commune pourrait être par exemple mis
en cause en cas de réduction de visibilité pour les automobilistes ou en cas de chute de
branchages sur la voie publique sachant que toutes ces circonstances dépendent de
l’appréciation du juge et des éléments de l’espèce. Ainsi, si l’éclairage suffit à
compenser la diminution de visibilité, la responsabilité de la commune ne sera pas mise
en cause (Bruxelles, 17.11.1988). De même, que lorsqu’il peut être fait état d’une
signalisation adéquate (Gand, 27.3.1984, Bull. ass. 1984, p. 189).
Notons également que la commune qui entretient et plante des arbres en bordure de ses
voiries est considérée comme gardienne de ceux-ci, ce qui implique une responsabilité
en vertu de l’article 1384 du Code civil (Civ. Namur, 4.6.1993, Rev. Dr. Commun.,
1995, p. 241). Il suffit alors que l’arbre présente une caractéristique anormale (un vice)
et que celle-ci occasionne un dommage (par exemple, en cas de chute de l’arbre) pour
que la commune voit sa responsabilité engagée sous réserve d’une cause étrangère
libératoire ou entrainant une responsabilité concurrente de la victime (par exemple, en
cas de vitesse excessive de l’automobiliste).
Précisons pour terminer qu’il existe une circulaire ministérielle du 14 novembre 2008
(Inforum, 234765) relative à la protection des arbres et haies remarquables, à la
plantation d'essences régionales en zone rurale et aux plantations au sein d'un dispositif
d'isolement. Celle-ci traite des types d’arbres et haies remarquables et des règles à
respecter en vue de l’abattage ou de la plantation de ceux-ci.
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