LES BASES NEURONALES DE LA MÉMOIRE
OU COMMENT LES NEURONES STOCKENT-ILS NOS SOUVENIRS ?
Jean-Bernard MANENT
Institut de Neurobiologie de la Méditerranée, INMED/INSERM U29
163, Route de Luminy, BP13
13273 Marseille cedex 09
EVOLUTION DES CONCEPTS
LES PRÉCURSEURS
Dès l’époque grecque, le désir de comprendre les mécanismes de la mémoire
passionnait déjà savants et philosophes, et certains d’entre eux avaient avancé
l’hypothèse de l’existence d’une relation entre la création d’un souvenir et un
réarrangement du cerveau. Sans s’en douter, ils avaient donné les bases du postulat
central des Neurosciences modernes, le concept de plasticité, selon lequel la
mémorisation est associée à des modifications structurales du système nerveux.
Il fallut pourtant attendre des siècles pour que le concept de plasticité soit énoncé.
Eugenio Tanzi (1893) fut le premier à proposer certaines des bases de ce concept,
sans toutefois utiliser le terme de plasticité. Il proposa que « l’activation répétée d’un
neurone conduit à des modifications métaboliques provoquant le mouvement des
prolongements de ce neurone en direction d’autres neurones, de façon à former un
lien ».
Mais c’est grâce aux théories énoncées par Cajal et
Sherrington que l’histoire moderne de l’association entre
plasticité et mémoire débute réellement. Santiago
Ramon y Cajal (Nobel 1906, figure 1), qui a profité de la
découverte par Camillo Golgi (1873, Nobel 1906) de la
reazione nera, une coloration au nitrate d’argent
permettant la visualisation des cellules nerveuses, fournit
les supports anatomiques à l’élaboration de la théorie
neuronale par Waldeyer. Avant les travaux de Cajal, le
Système Nerveux était considéré comme un réseau
continu de "nerfs", formé par les branches anastomosées
des prolongements des cellules nerveuses : c’était la
vision "réticulariste". La vision "neuroniste" ou "théorie
neuronale" introduite par Heinrich Wilhelm Gottfried
Waldeyer (1891) est centrée sur la cellule nerveuse, qu’il
baptise "neurone". Dans sa publication (1891) Waldeyer
propose que « le système nerveux est constitué
d’innombrables unités nerveuses (les neurones), qui sont
anatomiquement et génétiquement indépendantes les
unes des autres. Chaque unité nerveuse est composée
de trois parties : un corps, une fibre et des branches
terminales. » En 1894, Cajal introduit une théorie
concernant le stockage de la mémoire, selon laquelle
l’information serait stockée grâce à des modifications
anatomiques des connexions entre les cellules
nerveuses. Selon lui, « l’exercice mental n’est pas
capable d’améliorer l’organisation cérébrale en augmentant le nombre de cellules,
mais plutôt en favorisant le développement de l’appareil dendritique et du système de
collatérales axonales dans les régions cérébrales les plus utilisées. En ce sens, les
associations déjà établies parmi certains groupes de cellules seraient
significativement renforcées par la multiplication des petites branches terminales de