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Un premier regard sur le Quatuor à
cordes avec électronique
Muriel Joubert
Colloque du Concours International de Musique de chambre sur le quatuor à cordes,
du 28 octobre 2009 (Lyon)
Pour citer ce document (ainsi que le tableau annexe) :
Muriel Joubert, « Une premier regard sur le Quatuor à cordes avec électronique »,
colloque du Concours International de Musique de chambre sur le quatuor à cordes du 28
octobre 2009 (CIMCL, Lyon) consulté le***,
http://joubert.muriel.pagesperso-orange.fr/Joubert.Muriel/Publications.html
Cet exposé fixe un objectif très modeste. Après avoir dressé un état des lieux1 de ce
genre, nouveau de quelques décennies, je m’intéresserai aux différentes orientations prises
par les compositeurs, alors même que la représentation du quatuor à cordes est très forte
et connotée. Sous cet angle seront abordés des aspects communs aux autres genres
musicaux de la période qui s’étend de 1945 à nos jours : l’importance des inspirations
extra-musicales et la relation qu’entretiennent le quatuor et l’électronique.
1. Etat des lieux et tentatives de définitions
Le tableau qui suit recense quarante quatuors « avec électronique », depuis l’origine du
genre jusqu’à aujourd’hui. Malgré tous les efforts pour repérer et répertorier le plus grand
nombre d’œuvres possibles, force est d’admettre que cette liste n’est pas exhaustive, et ne
peut l’être. Composé à partir du site Internet « BRAHMS » de l’IRCAM, du site du
Quatuor Arditti, de différents autres sites de studio (comme GRAME) et grâce à la
technologie Internet du moteur de recherche, ce recensement donne néanmoins une
bonne image de la présence, pas excessivement abondante, de ce nouveau genre. Sur ces
quarante quatuors, j’ai pu en écouter une trentaine, dont la moitié ne connaît pas encore
un enregistrement commercial. Cette écoute n’a hélas pu être optimale, loin des
conditions de spatialisation d’un concert.
Je remercie les compositeurs, nombreux, qui ont accepté non seulement de me faire
parvenir un enregistrement de leur œuvre, une partition, mais aussi de répondre à mes
1 Etat des lieux non exhaustif, et en constante extension : ne pourront pas être pris en compte, notamment, les
quatuors avec électronique qui seront nés entre la date de cet article et la parution des actes du colloque.
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questions, parfois nombreuses, précises ou générales. Tous ces échanges très fructueux
m’ont permis de mener une première réflexion sur le quatuor avec électronique2.
Tableau n° 1 (cf document annexe)
Un tel tableau suscite une série d’observations diverses mais essentielles pour une
bonne compréhension du genre.
- 1ère observation :
Les origines de ces compositeurs sont multiples (USA, Mexique, Salvador ou Argentine
pour dix d’entres eux, Iran pour l’un, et européennes pour les autres France, Angleterre,
Allemagne, Italie, Autriche, Grèce, Finlande, Norvège, Pologne, Tchèque). Pourtant,
hormis certaines exceptions la référence musicale se veut être explicite (un instrument
à cordes iranien pour le quatuor Alireza Farhang, la tradition indienne du chant crié pour
Quipus d’Iglesias-Rossi), il n’est guère possible de parler d’un style « propre » à chaque
pays, sans doute parce qu’un certain nombre de compositeurs n’hésitent pas à voyager
pour explorer différents studios qui rassemblent des musiciens de différentes nationalités.
Un cosmopolitanisme qui, par le biais de la technologie, gomme l’appartenance culturelle
initiale du compositeur.
- 2e observation :
Chaque compositeur ne semble pas avoir écrit plus d’un quatuor « avec électronique »
(hormis Steve Reich). Plus encore, pour au moins la moitié des compositeurs, il s’agit de
leur premier quatuor…, ce qui signifie que ces compositeurs ne sont pas passés par
l’expérience du quatuor à cordes « pur ».
- 3e observation :
Ce genre pose un problème de classification, tellement les possibilités de traitement
électronique sont larges. Le titre même de l’œuvre, par son imprécision, révèle rarement la
configuration. La classification proposée n’a pu se réaliser qu’à la lecture des
commentaires ou qu’à la suite d’échanges avec les compositeurs.
1) Le quatuor « avec bande » est issu de la musique mixte développée après 1956 (la
« bande » fait référence à l’ancienne bande magnétique, mais le support est informatisé
aujourd’hui). L’ajout électronique, superposé à l’instrumental, est ici fixé (il ne peut en
aucun cas être modifié en temps réel).
2 Etant donnés l’abondance de matériaux rassemblés et d’échanges suscités, cette première réflexion devrait aboutir à
un travail futur plus important. Qu’il me soit permis de m’excuser auprès des compositeurs dont les œuvres et le
contenu de ces échanges ne soient pas ici relatés, dans un cadre un peu étroit pour un si large sujet.
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2) Certains quatuors ne subissent qu’une amplification (sans autre ajout) : par même,
ils sont à la limite du genre si ce n’est que l’amplification nécessite généralement une
spatialisation, indissociable de toute musique dite « avec électronique ». Il est à noter, de
plus, que quasiment toute œuvre avec « bande » ou avec « dispositif » est généralement
amplifiée, pour des questions d’équilibre sonore.
3) Au contraire des quatuors « avec bande », les quatuors « avec dispositif » sont traités
« en temps réel ». Le programme de transformation du son est fixé à l’avance par le
compositeur par le biais de l’ordinateur (ou, anciennement, d’appareils comme les
Yamaha), mais le matériau traité provient tout ou en partie du quatuor. Il est fréquent ici
que les compositeurs mêlent séquences pré-programmées (de type « bande »), et
séquences « en temps réel ».
a) Parmi les quatuors « avec dispositif », certains n’intègrent pas une possibilité
d’interprétation de la transformation du son par l’instrumentiste. L’ordinateur capture le
son pour suivre son programme, sans que l’instrumentiste puisse influer quoi que ce soit.
b) D’autres quatuors permettent aux instrumentistes de pouvoir modifier le son
qui sera traité en temps réel, par un jeu de nuances, de hauteurs, d’attaques, etc.
c) Pour une interprétation du temps réel encore plus grande chez l’instrumentiste,
quelques compositeurs ont placé des capteurs sur le chevalet, qui enregistrent et
transmettent le geste de l’instrumentiste.
4) Certains compositeurs étendent l’interactivité musicale au visuel, et associent jeux de
lumières ou images.
Remarque 1 : le tableau fait apparaître une production particulièrement importante
en 2007 ; à Acanthes a eu lieu avec le quatuor Arditti un atelier autour du quatuor à
cordes avec électronique qui a rassemblé un bon nombre de compositeurs.
Remarque 2 : La composition « avec dispositif avec interprétation » est
naturellement plus plébiscitée par les compositeurs au fur et à mesure des progrès
technologiques (ici à partir des années 2000). A ce propos, la place du microphone
pourrait par elle-même décrire une sorte d’évolution de ce genre : micro placé devant
chaque instrument, puis sur l’instrument même, puis près du chevalet, puis apparition des
capteurs sur l’archet…
2. Ce que le quatuor à cordes avec électronique est ou n’est pas
Après ce premier état des lieux, interrogeons-nous sur la place que prend le quatuor à
cordes avec électronique par rapport aux différentes représentations que le genre du
quatuor à cordes, ancien de plusieurs siècles, véhicule.
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2.1. la première représentation du quatuor à cordes : un genre
« pur »
Le quatuor à cordes appartient jusqu’au 20e siècle essentiellement à la musique dite
« pure » (par opposition à la musique « à programme »). Certes, dès le 18e siècle, puis au
19e, certains quatuors possèdent des titres aux références multiples, comme le Quatuor
« l’empereur » de Haydn (op. 76 3) qui s’ouvre sur l’hymne impérial autrichien, ou
comme « La jeune fille et la mort » de Schubert (en lien avec le lied du même nom).
Certes, les assimilations à la vie intérieure des compositeurs est plus forte à l’époque
romantique (Smetana : Quatuor « de ma vie » en 1874). Mais en aucune manière il n’y a
d’équivalent dans le quatuor à cordes à ce que l’on peut rencontrer dans le répertoire pour
piano (avec les petites pièces de caractère) et dans celui pour orchestre (avec le poème
symphonique), sans doute parce que l’image véhiculée par le genre est rattachée à celle de
la rigueur.
Il faut donc attendre la 1ère partie du 20e siècle pour avoir de réelles références extra-
musicales ou des changements de titre : le Quatuor « Voces intimae » de Sibelius (1909),
les deux quatuors de Janácek de la sonate à Kreutzer » et « Lettres intimes », 1923 et
1928), la Suite lyrique de Berg, une « confession personnelle poignante et tragique »3. Et
encore, les exemples ne sont pas si nombreux que cela (aucun quatuor « à programme »
chez Debussy, Schoenberg, Webern ou Bartok) ! Un des moyens de détourner la tradition
de la forme fixe en quatre mouvements consistera à changer de titre : « 3 pièces pour
quatuor » pour Stravinsky, « 5 mouvements pour quatuor » chez Webern, ce que
continueront à faire les compositeurs après 1945 (avec, par exemple, le Livre pour le quatuor
en 1948-49 de Pierre Boulez ou ST4 de Xenakis en 1956-62)4.
En fait, dans la 2e moitié du 20e siècle et ce jusqu’à aujourd’hui, la référence extra-
musicale est extrêmement fréquente, et s’étend à l’ensemble des genres musicaux.
Le quatuor à cordes avec électronique ne déroge pas à cette tendance, et présente des
zones d’inspiration diversifiées, dont certaines seulement sont évoquées ici.
2.1.1. la référence musicale
L’hommage à des compositeurs disparus (ou non) ou à des œuvres pré-existentes est
parfois choisi : De Profundis Clamavi de Patricia Alessandrini est un hommage à la Suite
lyrique de Berg, Erinnerung de Denis Cohen s’appuie sur des harmonies de Farben
(Schoenberg) et Stephen Montague écrit son quatuor « In memoriam… Barry Anderson
& Tomasz Sikorski », deux amis compositeurs morts. Dans chacun de ces exemples,
l’hommage ne concerne pas seulement la pensée mais aussi le matériau utilisé, emprunté à
l’œuvre de référence.
3 Bernard Fournier, L’esthétique du quatuor à cordes, Paris, Fayard, 1999, p. 56.
4 « L’expression quatuor à cordes renvoie en effet à un référentiel tellement fort que les compositeurs désireux
d’affirmer l’originalité de leurs expériences choisissent une terminologie visant à signifier puissamment la rupture
radicale avec la tradition de la forme en quatre mouvement. » (Bernard Fournier, op. cit., p. 39).
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Pour Echos-Chaos, Alirez Fahrang s’inspire du jeu du kamancha, un instrument
traditionnel iranien à cordes, dans l’interprétation de Kayhan Kalhor5, tandis que
l’argentin Alejandro Iglesias-Rossi, retrouve la sonorité du jeu violonistique indien, de la
tradition du chant crié, dans Quipus*.
Pierre Jodlowski adopte un processus rythmique, à la manière de Steve Reich, qui
consiste en des boucles superposées (illusion de quarante quatuors, par un travail
préalable d’un pré-enregistrement, dans 60 Loops), tandis que Ioannis Kalantzis choisit de
faire entendre la « confrontation » (traduction du titre de Antiparastaseis) des deux mondes
sonores, électro-acoustique et instrumental*.
2.1.2. la référence à un épisode de l’histoire
Sans aucune intention d’engagement politique6, George Crumb évoque la guerre du
Vietnam dans Black Angels (une succession de 13 tableaux ayant comme sous-titre : « 13
images des pays sombres ») et Francisco Huguet rend hommage au massacre d’El Mozote
(pendant la guerre civile du Salvador) dans Mas de mil luciernagas, dont « le titre […] est
inspiré du phénomène des grandes quantités de lucioles dans la région du massacre.
Normalement, ce n’était pas une région il y en avait autant. Les nouveaux habitants
disent que ce sont les âmes des anciens habitants qui ne veulent pas partir. »7
2.1.3. l’inspiration philosophique
Sebastian Rivas fait référence à la pensée de Borges et Berkeley lorsqu’il parle de Orbis
Tertius, Rolf Wallin à la philosophie chinoise dans Phonotope 1, et Labirinto de Joao Pedro
Oliveira est inspiré d’un po de Mario de Sá Carneiro, qui décrit la vie comme une sorte de
labyrinthe, structure reprise dans le quatuor*.
2.1.4. la référence visuelle
Il est assez curieux de constater l’abondance de références visuelles comme points de
départ de l’œuvre musicale.
Parmi les quatuors pris en compte dans cette étude, un certain nombre s’appuie sur
une image lumineuse. Le titre « Moires », de François-Bernard Mâche, fait entre autres
appel à une métaphore textile, une allusion aux effets changeants des interférences
5 L’astérisque * indiquera dans le texte que l’information a été donnée grâce à des communications personnelles du
compositeur.
6 notamment pour Francisco Huguet, selon une communication personnelle.
7 communication personnelle datée du 11/10/2009 de Francisco Huguet.
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