2.1. la première représentation du quatuor à cordes : un genre
« pur »
Le quatuor à cordes appartient jusqu’au 20e siècle essentiellement à la musique dite
« pure » (par opposition à la musique « à programme »). Certes, dès le 18e siècle, puis au
19e, certains quatuors possèdent des titres aux références multiples, comme le Quatuor
« l’empereur » de Haydn (op. 76 n° 3) qui s’ouvre sur l’hymne impérial autrichien, ou
comme « La jeune fille et la mort » de Schubert (en lien avec le lied du même nom).
Certes, les assimilations à la vie intérieure des compositeurs est plus forte à l’époque
romantique (Smetana : Quatuor « de ma vie » en 1874). Mais en aucune manière il n’y a
d’équivalent dans le quatuor à cordes à ce que l’on peut rencontrer dans le répertoire pour
piano (avec les petites pièces de caractère) et dans celui pour orchestre (avec le poème
symphonique), sans doute parce que l’image véhiculée par le genre est rattachée à celle de
la rigueur.
Il faut donc attendre la 1ère partie du 20e siècle pour avoir de réelles références extra-
musicales ou des changements de titre : le Quatuor « Voces intimae » de Sibelius (1909),
les deux quatuors de Janácek (« de la sonate à Kreutzer » et « Lettres intimes », 1923 et
1928), la Suite lyrique de Berg, une « confession personnelle poignante et tragique »3. Et
encore, les exemples ne sont pas si nombreux que cela (aucun quatuor « à programme »
chez Debussy, Schoenberg, Webern ou Bartok) ! Un des moyens de détourner la tradition
de la forme fixe en quatre mouvements consistera à changer de titre : « 3 pièces pour
quatuor » pour Stravinsky, « 5 mouvements pour quatuor » chez Webern, ce que
continueront à faire les compositeurs après 1945 (avec, par exemple, le Livre pour le quatuor
en 1948-49 de Pierre Boulez ou ST4 de Xenakis en 1956-62)4.
En fait, dans la 2e moitié du 20e siècle et ce jusqu’à aujourd’hui, la référence extra-
musicale est extrêmement fréquente, et s’étend à l’ensemble des genres musicaux.
Le quatuor à cordes avec électronique ne déroge pas à cette tendance, et présente des
zones d’inspiration diversifiées, dont certaines seulement sont évoquées ici.
2.1.1. la référence musicale
L’hommage à des compositeurs disparus (ou non) ou à des œuvres pré-existentes est
parfois choisi : De Profundis Clamavi de Patricia Alessandrini est un hommage à la Suite
lyrique de Berg, Erinnerung de Denis Cohen s’appuie sur des harmonies de Farben
(Schoenberg) et Stephen Montague écrit son quatuor « In memoriam… Barry Anderson
& Tomasz Sikorski », deux amis compositeurs morts. Dans chacun de ces exemples,
l’hommage ne concerne pas seulement la pensée mais aussi le matériau utilisé, emprunté à
l’œuvre de référence.
3 Bernard Fournier, L’esthétique du quatuor à cordes, Paris, Fayard, 1999, p. 56.
4 « L’expression quatuor à cordes renvoie en effet à un référentiel tellement fort que les compositeurs désireux
d’affirmer l’originalité de leurs expériences choisissent une terminologie visant à signifier puissamment la rupture
radicale avec la tradition de la forme en quatre mouvement. » (Bernard Fournier, op. cit., p. 39).