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Il est probable que les hépatites virales
existent depuis la Haute Antiquité. Le
premier traité de médecine, écrit en 3 000
av. J.- C., fait déjà état du symptôme prin-
cipal de l’hépatite aiguë qu’est la jaunisse.
Cette coloration jaune de la peau nommée
« ictère » est également décrite dans les
traités d’Hippocrate. C’est au Moyen Âge
qu’apparaît la notion d’épidémie de jau-
nisse et que les premières
mesures d’isolement des
malades atteints sont
utilisées pour empêcher
la propagation de cette
maladie. Cela dit, jusqu’au
XIXe siècle pèse sur la jau-
nisse une théorie plus ou
moins divine : la jaunisse
serait une malédiction ou
pourrait être déclenchée
par un trouble psychique
ou émotionnel.
La première observation
sérieuse et médicale d’hé-
patite aiguë transmissible
a été réalisée en 1883
par un médecin allemand
qui constata une hépa-
tite aiguë chez un grand
nombre de malades préala-
blement vaccinés contre la
variole. L’idée d’un agent infectieux trans-
missible de l’hépatite était née.
Par la suite, dans les années 1960, des
expériences de transmission de produits
sanguins ou fécaux ont permis de distinguer
deux grands types d’hépatites : l’hépatite
A, qui se transmet par voie oro-fécale et
l’hépatite B, transmise principalement par
le sang ou ses dérivés. Le virus de l’hépatite
B a été le premier à être mis en évidence.
Néanmoins, un certain nombre de malades
présentent dès le milieu des années 1970
un tableau clinique d’hépatite virale non
liée aux virus des hépatites A ou B. L’agent
infectieux est d’abord appelé non-A non-
B, puis virus de l’hépatite C après que l’on
analyse, au début des années 1990, son
génome par des techniques de biologie
moléculaire.
La transmission de ces hépatites virales
évolue de façon parallèle aux grands pro-
blèmes de société du xxe siècle. On voit ainsi
se développer, en même temps que la toxi-
comanie intraveineuse, l’épidémie d’hépa-
tite C et d’hépatite B. Elle va également de
pair avec le développement des techniques
médicales comme l’hémodialyse, la réani-
mation, les gestes invasifs, la transfusion de
sang et de ses dérivés. Dans la suite logique
des progrès scientifiques, d’autres virus ont
par la suite été identifiés : le virus de l’hé-
patite Delta, fortement associé au virus de
l’hépatite B, puis le virus de l’hépatite E,
responsable d’épidémies dans les pays tro-
picaux. Ensuite, le virus de l’hépatite F et le
virus de l’hépatite G. Ces virus sont en fait
des virus ubiquitaires dont le rôle semble
très limité dans les maladies du foie.
Tous ces virus sont spécifiques à l’homme,
qui en est le seul réservoir, et provoquent
une atteinte hépatique quasi exclusive. Ils
appartiennent à des familles virales diffé-
rentes, présentent des
mécanismes de réplica-
tion et des stratégies de
survie très dissemblables.
D’où la différence du
mode de transmission et
d’évolution clinique.
Hépatite A
Le virus de l’hépatite A
(VHA) est la principale
cause d’hépatite aiguë
dans le monde ; il se
développe dans les
régions à faible niveau
d’hygiène. Il s’agit d’un
petit virus très résistant
à des conditions envi-
ronnementales difficiles,
ce qui explique qu’il soit
responsable de grandes
épidémies. Il peut ainsi
survivre plusieurs heures à une température
de 60 °C. La contamination par le VHA se
fait par voie orale, par ingestion d’aliments
contaminés (eau de boisson souillée par des
matières fécales, fruits de mer, lait, viandes
froides…).
L’hépatite à VHA est endémique dans tous
les pays en développement : l’infection sur-
vient dès l’enfance et passe le plus souvent
inaperçue. Avec les progrès en matière
d’hygiène et de conservation des aliments,
l’hépatite A est devenue dans les pays
Danger,
hépatites virales !
p
Santé
Savoir et comprendre pour agir efficacement, en temps utile. Comme tout problème
complexe, la lutte contre les différents virus de l’hépatite identifiés chez l’homme
nécessite une information claire et rigoureuse. Typologie, modes de transmission,
traitements, et bien sûr, prévention : loin des polémiques médiatiques, deux
médecins spécialistes font pour nous le point.
La première observation sérieuse et médicale d’hépatite aiguë transmissible a été
réalisée en 1883 par un médecin allemand.
D.R.
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industrialisés une maladie du voyageur, un
grand nombre de cas survenant au retour
d’un séjour en zone d’endémie. La période
d’incubation de la maladie est de trois à cinq
semaines. Les symptômes sont une fièvre,
une perte d’appétit, des nausées suivies
d’une jaunisse. La maladie est en général
bénigne et dure de dix à trente jours. La
guérison peut toutefois prendre des mois,
avec une jaunisse persistante et une fatigue
intense.
Le diagnostic d’hépatite virale A aiguë se
fait sur la présence d’un marqueur séro-
logique, l’IgM anti-VHA. Il n’existe pas de
traitement spécifique de l’hépatite A.
Il existe depuis quelques années un vaccin
efficace, nécessitant deux injections. Il est
préconisé pour tout sujet voyageant en
zone à risque.
Hépatite B
L’infection par le virus de l’hépatite B (VHB)
demeure une maladie de dimension mon-
diale et peut être responsable d’une
hépatite aiguë ou chronique. Dans
les pays industrialisés, l’hépatite B
chronique touche moins de 1 % de la
population ; à l’inverse, dans les pays
en voie de développement, il s’agit
presque d’une infection universelle
de l’enfance et le statut de porteur
du virus touche 5 à 15 % des adultes.
On estime qu’environ 300 millions
d’individus ont une infection chro-
nique par le VHB. Le responsable de
cette atteinte hépatique est un petit
virus à ADN qui infecte le foie et s’in-
gre rapidement dans le génome des
cellules hépatiques humaines.
Le mode de transmission du virus
est l’exposition au sang ou à ses
dérivés, même si actuellement la
transmission par transfusion est
exceptionnelle depuis le dépistage
des donneurs. Le virus se transmet
également par voie sexuelle. Ce
mode de transmission est le plus
fréquent dans les pays industrialisés et
explique le fort taux de contamination chez
les homosexuels masculins et les personnes
à partenaires multiples. L’hépatite virale B
est également fréquente chez les usagers
de drogues par voie intraveineuse lorsqu’il
y a partage de matériel. Le virus peut aussi
se transmettre par l’utilisation de matériel
non stérilisé utilisé pour des tatouages,
scarifications et piercing. Enfin, la transmis-
sion mère-enfant, qui survient au cours de
l’accouchement, représente une des voies
de transmission les plus importantes dans
les pays en voie de développement.
Les tests sanguins permettant d’établir le
diagnostic d’hépatite aiguë B sont la forte
élévation des transaminases, associée à la
présence conjointe de l’antigène HBs et de
l’anticorps anti-HBc de type IgM. Elle peut
parfois évoluer vers une hépatite fulminante
gravissime et nécessiter une greffe du foie
en urgence. Le deuxième risque est le pas-
sage à la chronicité avec évolution vers la
cirrhose et le cancer du foie.
Le traitement de l’hépatite chronique B
concerne les malades ayant des lésions
hépatiques au moins modérées à sévères.
Les lésions du foie sont évaluées lors de la
biopsie hépatique, qui consiste à prélever un
petit morceau du foie à l’aide d’une aiguille.
Le traitement repose sur l’administration
de médicaments anti-viraux. L’interféron
est prescrit pendant une durée de quatre à
six mois. Il permet l’arrêt de la réplication du
virus dans environ un tiers des cas. D’autres
médicaments peuvent être utilisés, notam-
ment en cas d’échec de ce traitement par
interféron ou lorsqu’il s’agit d’un virus
muté : la lamivudine et l’adéfovir.
Le traitement préventif de l’hépatite B reste
la vaccination. Celle-ci doit être réalisée chez
les personnes à risque : personnes ayant
des partenaires sexuels multiples, homo-
sexuels, professionnels de santé, personnes
voyageant en pays d’endémie et personnes
en cours de dialyse. Elle doit être proposée
aux enfants de façon systématique, afin de
prévenir le risque de transmission sexuelle
dès l’adolescence et le risque d’hépatite
chronique ou fulminante. Plusieurs études
ont confirmé l’absence de relation entre la
vaccination et la survenue de maladies telles
que la sclérose en plaques.
Hépatite Delta
Le virus de l’hépatite Delta (VHD) ne peut
provoquer une infection que chez les mala-
des simultanément infectés par le virus de
l’hépatite B. Il a en effet besoin des fonc-
tions du VHB pour vivre et se multiplier, et
se transmet de la même manière. Ce virus
est endémique en Italie du Sud, en Grèce,
en Albanie ou encore en Afrique noire et en
Asie (Inde, Chine). En France, les toxicoma-
nes sont les victimes les plus fréquentes de
ce virus. On a observé une nette décroissan-
ce de l’hépatite Delta après les campagnes
de vaccination contre l’hépatite B.
Le diagnostic se fait sur la présence de
l’anticorps Delta. L’hépatite Delta est sou-
vent plus grave que l’hépatite chronique
B. Le traitement est l’injection d’interféron,
à fortes doses pendant au moins un an.
Malheureusement, la guérison n’est obte-
nue que chez 10 % des malades. encore,
le traitement préventif de l’hépatite Delta
est la vaccination contre l’hépatite B.
Hépatite C
L’infection par le virus de l’hépatite C (VHC)
touche plus de 150 millions de personnes
dans le monde, principalement dans les
pays d’Afrique ou d’Asie du Sud-Est.
L’Europe et les États-Unis représen-
tent des zones à plus faible risque.
Le VHC est composé de sous-grou-
pes de virus appelés « génotypes ». Il
se transmet par transfusion de sang
ou de produits dérivés (avant 1990),
par toxicomanie (partage de serin-
gues, coton, cuillère ou paille pour
les sniffs). Contrairement au virus
de l’hépatite B, la contamination
sexuelle est rare, et favorisée par
des lésions génitales ou en cas de
rapports traumatiques. La contami-
nation mère-enfant est également
faible sauf s’il existe une co-infection
par le VIH.
La transmission nosocomiale du
virus est maintenant reconnue :
l’hémodialyse, les actes médicaux
invasifs tels que les cathétérismes,
les endoscopies digestives, les séjours
prolongés en réanimation ont pu,
par le passé, favoriser la transmis-
sion du virus. Actuellement, l’utilisation de
matériel à usage unique, et le renforcement
des mesures d’hygiène et de stérilisation
rendent ce risque infime. Depuis quelques
années, d’autres modes de contamination
sont reconnus : l’acupuncture, le piercing,
les tatouages et la mésothérapie, ainsi que
les contacts intra-familiaux. Le partage
d’objets de toilette tels que brosse à dents,
rasoir, coupe-ongles, peigne, pince à épiler
est à proscrire dans l’entourage d’un malade
atteint d’hépatite C.
Il n’existe pas ou peu de signes cliniques de
l’patite chronique C, qui est insidieuse et se
développe à bas bruit. Certaines personnes
peuvent néanmoins présenter une fatigue
intense inhabituelle qui pourrait être liée à
l’infection. Le risque de l’hépatite chronique
Le virus HBV est le plus contaminant des virus transmissibles
par voie sanguine et sexuelle.
D.R.
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C est l’évolution vers la cirrhose. Celle-ci sur-
vient après quinze à vingt ans d’évolution et
peut se compliquer de cancer du foie.
Le diagnostic de l’infection chronique par le
VHC repose sur la présence d’anticorps anti-
VHC et sur la tection du virus dans le sang.
Le traitement de l’hépatite chronique C est
l’association d’un interféron pegylé (forme
retard de l’interféron ne nécessitant qu’une
injection par semaine en sous-cutané) et d’un
autre anti-viral, la ribavirine. Ce traitement
s’adresse aux malades ayant au moins une
hépatite modérée sur la biopsie du foie ; il
permet d’obtenir une guérison dans environ
deux tiers des cas.
Il n’existe pas à ce jour de vaccin contre le
virus de l’hépatite C. La lutte contre cette
infection passe par le dépistage des popu-
lations ciblées, le renforcement des précau-
tions d’hygiène et la prise en charge de la
toxicomanie.
Hépatite E
Le virus de l’hépatite E (VHE) est respon-
sable d’une hépatite aiguë. La transmission
de ce virus est la même que pour l’hépatite
A. La durée d’incubation est de quatre à
cinq semaines et le diagnostic sérologique
d’hépatite aiguë repose sur la sérologie du
virus de l’hépatite E. Ce virus est responsa-
ble d’épidémiescurrentes dans différentes
régions du monde comme l’Inde ou le nord-
est de la Chine où il survient après la saison
des pluies. La transmission du virus est
féco-orale, par contamination de l’eau de
boisson par des matières fécales humaines.
L’hépatite virale E évolue généralement vers
la guérison de façon spontanée. La mala-
die peut être très grave chez les femmes
enceintes infectées au cours du troisième
trimestre de la grossesse. Il n’existe pas à ce
jour de traitement spécifique de l’hépatite
E ni de vaccin. En l’absence de vaccination,
la prévention repose sur le contrôle des
eaux de boisson et l’observance des règles
d’hygiène individuelles. Enfin, il est forte-
ment déconseillé aux femmes enceintes de
voyager dans les pays d’endémie.
Pour conclure
Au terme de ce bref tour d’horizon, nous
ne saurions trop insister sur l’importance de
la prévention et du dépistage des hépatites
chroniques, particulièrement de l’hépatite
C. Des mesures de prévention ont déjà été
prises concernant la transmission transfu-
sionnelle, nosocomiale et la transmission par
toxicomanie. Des progrès importants dans
la prise en charge des malades ont déjà été
accomplis ; on peut actuellement guérir
plus d’un malade sur deux, en attendant
d’autres avancées thérapeutiques proches
et peut-être l’obtention d’un vaccin efficace
contre ce virus.
En ce qui concerne l’hépatite B, ce vaccin
existe déjà. Des risques liés à son utilisation ?
Il faut rappeler qu’aucun cas de neuropathie
démyélinisante n’a jamais été rapporté chez
l’enfant, et que plusieurs grandes études
prospectives et rétrospectives sur des cohor-
tes de plus de 1 500 malades ont confirmé
l’absence de relation entre la vaccination
contre l’hépatite B et la survenue de mala-
dies telles que la sclérose en plaques. Les
différents vaccins contre l’hépatite B, com-
mercialisés depuis 1982, ont fait la preuve
de leur innocuité et de leur efficacité. Plus
de 90 % des sujets vaccinés développent
une réponse au vaccin et sont efficacement
protégés. Plus de quatre-vingts pays utilisent
ce vaccin en routine chez les enfants et le
contrôle de l’infection, recommandé par
l’OMS, paraît possible si l’on poursuit les
campagnes de vaccination.
Isabelle Rosa
et Michel Chousterman
Le docteur Isabelle Rosa est praticien hospitalier,
Service d’hépato-gastroentérologie,
Centre hospitalier intercommunal de Créteil.
Le docteur Michel Chousterman est chef
du service d’hépato-gastroentérologie au
Centre hospitalier intercommunal de Créteil.
Vaccin contre
l’hépatite B
La vaccination anti-VHB a
été introduite en France
dès 1982. Une grande
campagne de vaccina-
tion est lancée en 1994,
ciblant nourrissons et
préadolescents : la France
devient le premier pays du monde pour la
couverture vaccinale, près de la moitié de
la population étant alors vaccinée.
En 1996 s’ouvre un débat médiatique :
plusieurs cas de scléroses en plaques ont
été rapportés dans les semaines suivant
une vaccination ; une thèse de médecine
soutenue à Lyon sert de prétexte aux ligues
anti-vaccinales pour déclencher une polé-
mique. Pétition, création d’une association
de victimes du vaccin contre l’hépatite B.
En 1997, les premiers résultats d’une
étude sur les atteintes démyélinisantes
du système nerveux central imputées au
vaccin sont communiqués. Émotion, puis
suspicion. Le ministre de la Santé suspend
la vaccination effectuée par les médecins
scolaires, de nombreux pédiatres et méde-
cins généralistes n’osent plus la prescrire.
Bien connu aux États-Unis, l’aspect vénal
de la judiciarisation commence ici aussi à
produire des effets.
Importante a, dans ce contexte, été la
Réunion internationale du consensus
organisée à la faculté de médecine Xavier-
Bichat - Claude-Bernard, les 10 et 11 sep-
tembre 2003, par l’Agence nationale
d’accréditation et d’évaluation en santé
(ANAES) et l’Institut national de la santé
et de la recherche médicale (INSERM). Le
jury, composé de biostatisticiens, épidé-
miologistes, virologues, neuropédiatres
et juristes, a consacré une bonne part
de ses travaux aux effets secondaires.
Pour retenir, ainsi que le rapporte Le
Quotidien du médecin du 22 septembre
2003, qu’« à ce jour, il n’existe pas d’ar-
guments en faveur de l’existence d’une
association entre la vaccination et les
maladies démyélinisantes et non démyé-
linisantes chez l’enfant. Chez l’adulte, des
cas de myofasciite à macrophages ont été
rapportés en France ; il semblerait qu’ils
soient en relation avec un adjuvant vac-
cinal : l’hydroxyde d’aluminium. Pour les
autres pathologies non démyélinisantes,
il n’existe pas d’arguments en faveur de
l’existence d’une association avec la vac-
cination contre le VHB. »
En bref, l’analyse de l’ensemble des
données a conduit le jury à « fortement
recommander la vaccination universelle
de tous les nourrissons et la mise en place
d’un programme temporaire de rattra-
page de la vaccination des enfants et des
préadolescents. » Une recommandation
sans ambiguïté. M. A.
Laboratoire Roche
Le virus de l’hépatite A (vu ici à deux grossissements différents : 33 000 et 660 000) n’est pas
sans danger pour les voyageurs en pays d’endémie venus de pays à «trop bonne» hygiène.
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