Santé - CAES du CNRS

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p Santé
Danger,
hépatites virales !
Savoir et comprendre pour agir efficacement, en temps utile. Comme tout problème
complexe, la lutte contre les différents virus de l’hépatite identifiés chez l’homme
nécessite une information claire et rigoureuse. Typologie, modes de transmission,
traitements, et bien sûr, prévention : loin des polémiques médiatiques, deux
médecins spécialistes font pour nous le point.
D.R.
Il est probable que les hépatites virales
un tableau clinique d’hépatite virale non
responsable d’épidémies dans les pays troexistent depuis la Haute Antiquité. Le
liée aux virus des hépatites A ou B. L’agent
picaux. Ensuite, le virus de l’hépatite F et le
premier traité de médecine, écrit en 3 000
infectieux est d’abord appelé non-A nonvirus de l’hépatite G. Ces virus sont en fait
av. J.- C., fait déjà état du symptôme prinB, puis virus de l’hépatite C après que l’on
des virus ubiquitaires dont le rôle semble
cipal de l’hépatite aiguë qu’est la jaunisse.
analyse, au début des années 1990, son
très limité dans les maladies du foie.
Cette coloration jaune de la peau nommée
génome par des techniques de biologie
Tous ces virus sont spécifiques à l’homme,
« ictère » est également décrite dans les
moléculaire.
qui en est le seul réservoir, et provoquent
traités d’Hippocrate. C’est au Moyen Âge
La transmission de ces hépatites virales
une atteinte hépatique quasi exclusive. Ils
qu’apparaît la notion d’épidémie de jauévolue de façon parallèle aux grands proappartiennent à des familles virales diffénisse et que les premières
rentes, présentent des
mesures d’isolement des
mécanismes de réplicamalades atteints sont
tion et des stratégies de
utilisées pour empêcher
survie très dissemblables.
la propagation de cette
D’où la différence du
maladie. Cela dit, jusqu’au
mode de transmission et
XIXe siècle pèse sur la jaud’évolution clinique.
nisse une théorie plus ou
Hépatite A
moins divine : la jaunisse
serait une malédiction ou
Le virus de l’hépatite A
pourrait être déclenchée
(VHA) est la principale
par un trouble psychique
cause d’hépatite aiguë
ou émotionnel.
dans le monde ; il se
La première observation
développe dans les
sérieuse et médicale d’hérégions à faible niveau
patite aiguë transmissible
d’hygiène. Il s’agit d’un
a été réalisée en 1883
petit virus très résistant
par un médecin allemand
à des conditions enviqui constata une héparonnementales difficiles,
tite aiguë chez un grand
ce qui explique qu’il soit
La première observation sérieuse et médicale d’hépatite aiguë transmissible a été
nombre de malades préala- réalisée en 1883 par un médecin allemand.
responsable de grandes
blement vaccinés contre la
épidémies. Il peut ainsi
variole. L’idée d’un agent infectieux transblèmes de société du xxe siècle. On voit ainsi
survivre plusieurs heures à une température
missible de l’hépatite était née.
se développer, en même temps que la toxide 60 °C. La contamination par le VHA se
Par la suite, dans les années 1960, des
comanie intraveineuse, l’épidémie d’hépafait par voie orale, par ingestion d’aliments
expériences de transmission de produits
tite C et d’hépatite B. Elle va également de
contaminés (eau de boisson souillée par des
sanguins ou fécaux ont permis de distinguer
pair avec le développement des techniques
matières fécales, fruits de mer, lait, viandes
deux grands types d’hépatites : l’hépatite
médicales comme l’hémodialyse, la réanifroides…).
A, qui se transmet par voie oro-fécale et
mation, les gestes invasifs, la transfusion de
L’hépatite à VHA est endémique dans tous
l’hépatite B, transmise principalement par
sang et de ses dérivés. Dans la suite logique
les pays en développement : l’infection surle sang ou ses dérivés. Le virus de l’hépatite
des progrès scientifiques, d’autres virus ont
vient dès l’enfance et passe le plus souvent
B a été le premier à être mis en évidence.
par la suite été identifiés : le virus de l’héinaperçue. Avec les progrès en matière
Néanmoins, un certain nombre de malades
patite Delta, fortement associé au virus de
d’hygiène et de conservation des aliments,
présentent dès le milieu des années 1970
l’hépatite B, puis le virus de l’hépatite E,
l’hépatite A est devenue dans les pays
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h
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industrialisés une maladie du voyageur, un
grand nombre de cas survenant au retour
d’un séjour en zone d’endémie. La période
d’incubation de la maladie est de trois à cinq
semaines. Les symptômes sont une fièvre,
une perte d’appétit, des nausées suivies
d’une jaunisse. La maladie est en général
bénigne et dure de dix à trente jours. La
guérison peut toutefois prendre des mois,
avec une jaunisse persistante et une fatigue
intense.
Le diagnostic d’hépatite virale A aiguë se
fait sur la présence d’un marqueur sérologique, l’IgM anti-VHA. Il n’existe pas de
traitement spécifique de l’hépatite A.
Il existe depuis quelques années un vaccin
efficace, nécessitant deux injections. Il est
préconisé pour tout sujet voyageant en
zone à risque.
Hépatite B
l’anticorps anti-HBc de type IgM. Elle peut
parfois évoluer vers une hépatite fulminante
gravissime et nécessiter une greffe du foie
en urgence. Le deuxième risque est le passage à la chronicité avec évolution vers la
cirrhose et le cancer du foie.
Le traitement de l’hépatite chronique B
concerne les malades ayant des lésions
hépatiques au moins modérées à sévères.
Les lésions du foie sont évaluées lors de la
biopsie hépatique, qui consiste à prélever un
petit morceau du foie à l’aide d’une aiguille.
Le traitement repose sur l’administration
de médicaments anti-viraux. L’interféron
est prescrit pendant une durée de quatre à
six mois. Il permet l’arrêt de la réplication du
virus dans environ un tiers des cas. D’autres
médicaments peuvent être utilisés, notamment en cas d’échec de ce traitement par
interféron ou lorsqu’il s’agit d’un virus
muté : la lamivudine et l’adéfovir.
Le traitement préventif de l’hépatite B reste
la vaccination. Celle-ci doit être réalisée chez
tions du VHB pour vivre et se multiplier, et
se transmet de la même manière. Ce virus
est endémique en Italie du Sud, en Grèce,
en Albanie ou encore en Afrique noire et en
Asie (Inde, Chine). En France, les toxicomanes sont les victimes les plus fréquentes de
ce virus. On a observé une nette décroissance de l’hépatite Delta après les campagnes
de vaccination contre l’hépatite B.
Le diagnostic se fait sur la présence de
l’anticorps Delta. L’hépatite Delta est souvent plus grave que l’hépatite chronique
B. Le traitement est l’injection d’interféron,
à fortes doses pendant au moins un an.
Malheureusement, la guérison n’est obtenue que chez 10 % des malades. Là encore,
le traitement préventif de l’hépatite Delta
est la vaccination contre l’hépatite B.
Hépatite C
D.R.
L’infection par le virus de l’hépatite C (VHC)
L’infection par le virus de l’hépatite B (VHB)
touche plus de 150 millions de personnes
demeure une maladie de dimension mondans le monde, principalement dans les
diale et peut être responsable d’une
pays d’Afrique ou d’Asie du Sud-Est.
hépatite aiguë ou chronique. Dans
L’Europe et les États-Unis représenles pays industrialisés, l’hépatite B
tent des zones à plus faible risque.
chronique touche moins de 1 % de la
Le VHC est composé de sous-groupopulation ; à l’inverse, dans les pays
pes de virus appelés « génotypes ». Il
en voie de développement, il s’agit
se transmet par transfusion de sang
presque d’une infection universelle
ou de produits dérivés (avant 1990),
de l’enfance et le statut de porteur
par toxicomanie (partage de serindu virus touche 5 à 15 % des adultes.
gues, coton, cuillère ou paille pour
On estime qu’environ 300 millions
les sniffs). Contrairement au virus
d’individus ont une infection chrode l’hépatite B, la contamination
nique par le VHB. Le responsable de
sexuelle est rare, et favorisée par
cette atteinte hépatique est un petit
des lésions génitales ou en cas de
virus à ADN qui infecte le foie et s’inrapports traumatiques. La contamitègre rapidement dans le génome des
nation mère-enfant est également
cellules hépatiques humaines.
faible sauf s’il existe une co-infection
Le mode de transmission du virus
par le VIH.
est l’exposition au sang ou à ses
La transmission nosocomiale du
dérivés, même si actuellement la
virus est maintenant reconnue :
transmission par transfusion est
l’hémodialyse, les actes médicaux
exceptionnelle depuis le dépistage
invasifs tels que les cathétérismes,
des donneurs. Le virus se transmet Le virus HBV est le plus contaminant des virus transmissibles les endoscopies digestives, les séjours
également par voie sexuelle. Ce par voie sanguine et sexuelle.
prolongés en réanimation ont pu,
mode de transmission est le plus
par le passé, favoriser la transmisfréquent dans les pays industrialisés et
les personnes à risque : personnes ayant
sion du virus. Actuellement, l’utilisation de
explique le fort taux de contamination chez
des partenaires sexuels multiples, homomatériel à usage unique, et le renforcement
les homosexuels masculins et les personnes
sexuels, professionnels de santé, personnes
des mesures d’hygiène et de stérilisation
à partenaires multiples. L’hépatite virale B
voyageant en pays d’endémie et personnes
rendent ce risque infime. Depuis quelques
est également fréquente chez les usagers
en cours de dialyse. Elle doit être proposée
années, d’autres modes de contamination
de drogues par voie intraveineuse lorsqu’il
aux enfants de façon systématique, afin de
sont reconnus : l’acupuncture, le piercing,
y a partage de matériel. Le virus peut aussi
prévenir le risque de transmission sexuelle
les tatouages et la mésothérapie, ainsi que
se transmettre par l’utilisation de matériel
dès l’adolescence et le risque d’hépatite
les contacts intra-familiaux. Le partage
non stérilisé utilisé pour des tatouages,
chronique ou fulminante. Plusieurs études
d’objets de toilette tels que brosse à dents,
scarifications et piercing. Enfin, la transmisont confirmé l’absence de relation entre la
rasoir, coupe-ongles, peigne, pince à épiler
sion mère-enfant, qui survient au cours de
vaccination et la survenue de maladies telles
est à proscrire dans l’entourage d’un malade
l’accouchement, représente une des voies
que la sclérose en plaques.
atteint d’hépatite C.
de transmission les plus importantes dans
Il n’existe pas ou peu de signes cliniques de
Hépatite Delta
les pays en voie de développement.
l’hépatite chronique C, qui est insidieuse et se
Les tests sanguins permettant d’établir le
Le virus de l’hépatite Delta (VHD) ne peut
développe à bas bruit. Certaines personnes
diagnostic d’hépatite aiguë B sont la forte
provoquer une infection que chez les malapeuvent néanmoins présenter une fatigue
élévation des transaminases, associée à la
des simultanément infectés par le virus de
intense inhabituelle qui pourrait être liée à
présence conjointe de l’antigène HBs et de
l’hépatite B. Il a en effet besoin des foncl’infection. Le risque de l’hépatite chronique
h
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Laboratoire Roche
Vaccin contre
l’hépatite B
Le virus de l’hépatite A (vu ici à deux grossissements différents : 33 000 et 660 000) n’est pas
sans danger pour les voyageurs en pays d’endémie venus de pays à «trop bonne» hygiène.
C est l’évolution vers la cirrhose. Celle-ci survient après quinze à vingt ans d’évolution et
peut se compliquer de cancer du foie.
Le diagnostic de l’infection chronique par le
VHC repose sur la présence d’anticorps antiVHC et sur la détection du virus dans le sang.
Le traitement de l’hépatite chronique C est
l’association d’un interféron pegylé (forme
retard de l’interféron ne nécessitant qu’une
injection par semaine en sous-cutané) et d’un
autre anti-viral, la ribavirine. Ce traitement
s’adresse aux malades ayant au moins une
hépatite modérée sur la biopsie du foie ; il
permet d’obtenir une guérison dans environ
deux tiers des cas.
Il n’existe pas à ce jour de vaccin contre le
virus de l’hépatite C. La lutte contre cette
infection passe par le dépistage des populations ciblées, le renforcement des précautions d’hygiène et la prise en charge de la
toxicomanie.
Hépatite E
Le virus de l’hépatite E (VHE) est responsable d’une hépatite aiguë. La transmission
de ce virus est la même que pour l’hépatite
A. La durée d’incubation est de quatre à
cinq semaines et le diagnostic sérologique
d’hépatite aiguë repose sur la sérologie du
virus de l’hépatite E. Ce virus est responsable d’épidémies récurrentes dans différentes
régions du monde comme l’Inde ou le nordest de la Chine où il survient après la saison
des pluies. La transmission du virus est
féco-orale, par contamination de l’eau de
boisson par des matières fécales humaines.
L’hépatite virale E évolue généralement vers
la guérison de façon spontanée. La maladie peut être très grave chez les femmes
enceintes infectées au cours du troisième
trimestre de la grossesse. Il n’existe pas à ce
jour de traitement spécifique de l’hépatite
E ni de vaccin. En l’absence de vaccination,
la prévention repose sur le contrôle des
eaux de boisson et l’observance des règles
d’hygiène individuelles. Enfin, il est fortement déconseillé aux femmes enceintes de
voyager dans les pays d’endémie.
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Pour conclure
Au terme de ce bref tour d’horizon, nous
ne saurions trop insister sur l’importance de
la prévention et du dépistage des hépatites
chroniques, particulièrement de l’hépatite
C. Des mesures de prévention ont déjà été
prises concernant la transmission transfusionnelle, nosocomiale et la transmission par
toxicomanie. Des progrès importants dans
la prise en charge des malades ont déjà été
accomplis ; on peut actuellement guérir
plus d’un malade sur deux, en attendant
d’autres avancées thérapeutiques proches
et peut-être l’obtention d’un vaccin efficace
contre ce virus.
En ce qui concerne l’hépatite B, ce vaccin
existe déjà. Des risques liés à son utilisation ?
Il faut rappeler qu’aucun cas de neuropathie
démyélinisante n’a jamais été rapporté chez
l’enfant, et que plusieurs grandes études
prospectives et rétrospectives sur des cohortes de plus de 1 500 malades ont confirmé
l’absence de relation entre la vaccination
contre l’hépatite B et la survenue de maladies telles que la sclérose en plaques. Les
différents vaccins contre l’hépatite B, commercialisés depuis 1982, ont fait la preuve
de leur innocuité et de leur efficacité. Plus
de 90 % des sujets vaccinés développent
une réponse au vaccin et sont efficacement
protégés. Plus de quatre-vingts pays utilisent
ce vaccin en routine chez les enfants et le
contrôle de l’infection, recommandé par
l’OMS, paraît possible si l’on poursuit les
campagnes de vaccination.
●
Isabelle Rosa
et Michel Chousterman
Le docteur Isabelle Rosa est praticien hospitalier,
Service d’hépato-gastroentérologie,
Centre hospitalier intercommunal de Créteil.
Le docteur Michel Chousterman est chef
du service d’hépato-gastroentérologie au
Centre hospitalier intercommunal de Créteil.
La vaccination anti-VHB a
été introduite en France
dès 1982. Une grande
campagne de vaccination est lancée en 1994,
ciblant nourrissons et
préadolescents : la France
devient le premier pays du monde pour la
couverture vaccinale, près de la moitié de
la population étant alors vaccinée.
En 1996 s’ouvre un débat médiatique :
plusieurs cas de scléroses en plaques ont
été rapportés dans les semaines suivant
une vaccination ; une thèse de médecine
soutenue à Lyon sert de prétexte aux ligues
anti-vaccinales pour déclencher une polémique. Pétition, création d’une association
de victimes du vaccin contre l’hépatite B.
En 1997, les premiers résultats d’une
étude sur les atteintes démyélinisantes
du système nerveux central imputées au
vaccin sont communiqués. Émotion, puis
suspicion. Le ministre de la Santé suspend
la vaccination effectuée par les médecins
scolaires, de nombreux pédiatres et médecins généralistes n’osent plus la prescrire.
Bien connu aux États-Unis, l’aspect vénal
de la judiciarisation commence ici aussi à
produire des effets.
Importante a, dans ce contexte, été la
Réunion internationale du consensus
organisée à la faculté de médecine XavierBichat - Claude-Bernard, les 10 et 11 septembre 2003, par l’Agence nationale
d’accréditation et d’évaluation en santé
(ANAES) et l’Institut national de la santé
et de la recherche médicale (INSERM). Le
jury, composé de biostatisticiens, épidémiologistes, virologues, neuropédiatres
et juristes, a consacré une bonne part
de ses travaux aux effets secondaires.
Pour retenir, ainsi que le rapporte Le
Quotidien du médecin du 22 septembre
2003, qu’« à ce jour, il n’existe pas d’arguments en faveur de l’existence d’une
association entre la vaccination et les
maladies démyélinisantes et non démyélinisantes chez l’enfant. Chez l’adulte, des
cas de myofasciite à macrophages ont été
rapportés en France ; il semblerait qu’ils
soient en relation avec un adjuvant vaccinal : l’hydroxyde d’aluminium. Pour les
autres pathologies non démyélinisantes,
il n’existe pas d’arguments en faveur de
l’existence d’une association avec la vaccination contre le VHB. »
En bref, l’analyse de l’ensemble des
données a conduit le jury à « fortement
recommander la vaccination universelle
de tous les nourrissons et la mise en place
d’un programme temporaire de rattrapage de la vaccination des enfants et des
préadolescents. » Une recommandation
sans ambiguïté.
M. A.
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