Suriname,pays métissé AParamaribo

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Noire marronne saramaka
Les Noirs marrons, esclaves fugitifs, fondent
les cinq tribus principales: les Djuka, les Saramaka,
les Matuwari, les Paramacca et les Quinti.
Suriname,pays métissé
Mouillée par l’estuaire de la rivière Suriname, Paramaribo
languit. La capitale ondule au rythme d’une « drum
musique » aux accents sacrés. Sur le waterkant, les
comptoirs métalliques, les bars et les échoppes guident les
passants vers le discret tumulte du marché couvert.
Cyclistes et automobilistes se fondent dans une circulation
nonchalante aux allures de perpétuelle promenade. La ville
est parsemée d’élégantes maisons de bois dont
l’architecture rappelle, à chaque regard, le passé colonial
hollandais. Leur beauté, leur finesse et leur homogénéité
permettront sans doute à la capitale d’être reconnue par
l’UNESCO comme patrimoine mondial.
Reportage et photos : François Lefèbvre
Paramaribo, mosquées, temples et synagogues se croisent au détour d’une cathédrale; les rues et les quartiers
se déploient comme un planisphère où se côtoient
créoles, marrons, Indiens, Amérindiens, Javanais, Chinois,
Libanais, Japonais et Européens. Les deux groupes ethniques les
plus importants, les Indiens et les créoles, représentent près de 68 %
de la population du pays. Celle-ci se concentre essentiellement dans
les zones urbaines, puisque 95 % du territoire est boisé. Seule une
mince bande côtière sépare cet océan arboré de l’Atlantique. Bien
que le néerlandais soit la langue officielle, le Suriname possède
encore 15 dialectes différents dont les plus couramment parlés sont
le créole surinamien, le sranan tongo, hérité de l’anglais, et l’hindi.
Né de rencontres et de mouvements successifs, ce petit pays des
Caraïbes conjugue métissage et diversité avec une rare tolérance. Et
l’indolence qui semble aujourd’hui l’envelopper occulterait presque
A
son passé tumultueux et son
avenir incertain.
Histoire
chaotique
Le 19 mai 2001, un bruit,
une rumeur sort Paramaribo
de sa torpeur. Frederik Derby
serait décédé, à 61 ans. La
nouvelle est confirmée le lendemain par la plupart des quotidiens qui publient une
nécrologie de cet homme politique et leader syndical reconnu. Outre la perte d’un artisan
de la pacification du pays, cette subite disparition ranime des souvenirs que la société surinamienne tente d’enfouir sous le poids du
passé. En effet, Fred Derby est également connu comme le seul survivant des meurtres de décembre 1982. A cette époque, 15 journalistes, universitaires et dirigeants syndicaux avaient été exécutés de
manière extrajudiciaire à Fort Zeelandia, une base militaire située
non loin du siège du gouvernement à Paramaribo. Frederik Derby
avait été emmené avec les autres opposants au régime de Desy
Bouterse mais fut le seul à être relâché. Les raisons de cette libération
demeurent toujours obscures et la confession posthume que Derby
a enregistrée sur bande magnétique ne livre que peu d’éléments
neufs. Le 31 octobre 2000, la Cour de justice a ordonné que des
poursuites soient engagées contre Desi Bouterse, ancien chef militaire, et contre plusieurs autres personnes dans cette affaire. Mais la
mort du syndicaliste hypothèque les résultats des enquêtes menées
sur les événements.
La mort de Fred Derby a provoqué un réveil de l’histoire du
Suriname. Cette incursion impromptue dans un passé récent révèle
toute la fragilité d’une démocratie (re)naissante, indépendante depuis
1975. Avant l’arrivée des Européens, le territoire correspondant
aujourd’hui au Suriname était peuplé de tribus d’Amérindiens, des
Arawaks et des Caraïbes. A l’instar de la Guyane française et du
Guyana (ancienne Guyane anglaise), le Suriname faisait partie de ces
territoires dédaignés, après la bulle papale de 1494, tant par les
Portugais que par les Espagnols. C’est pourquoi le Suriname a été
colonisé plus tardivement par les Britanniques et les Hollandais. En
1669, les Etats de Zélande ont troqué le Suriname contre la
Nouvelle-Amsterdam (en Amérique du Nord), qui deviendra plus
tard New York, et ont cédé leur droit à la Compagnie néerlandaise
des Indes occidentales. La Guyane néerlandaise ne focalise cependant
pas l’attention des autorités hollandaises. Ces dernières, plus préoccupées par les colonies des Indes occidentales, sont également
confrontées aux soulèvements fréquents des esclaves au Suriname.
L’esclavage
Pendant toute la période de colonisation, les Hollandais organisent une importation massive d’esclaves noirs comme maind’œuvre dans les plantations de café, de cacao, d’indigo, de coton, et
Place de l’Indépendance, Paramaribo
septembre-octobre 2001 le Courrier ACP-UE •
69
Le Waterkant, Paramaribo
de canne à sucre. L’esclavage en Guyane hollandaise est réputé pour
sa sévérité. Les esclaves constituent une forme de propriété personnelle et ne bénéficient d’aucun droit civil. La dureté du régime colonial favorise de grands mouvements de désertion. Les esclaves fugitifs, appelés les Noirs marrons ou les bosnegers, remontent à l’origine
des fleuves dans la forêt amazonienne et s’établissent dans des villages
autonomes. Ils y conservent leur propre culture et fondent les cinq
tribus principales qui existent encore aujourd’hui : les Djuka, les
Saramaka, les Matuwari, les Paramacca et les Quinti.
Les Hollandais abolissent l’esclavage le 1er juillet 1863, mettant
du même coup fin à un mode de production basé sur le système des
plantations. Les fruits, la banane et le riz remplacent les cultures traditionnelles de sucre, de café et de cacao. La réorganisation économique et sociale induite par l’abolition de l’esclavage se traduit par le
recours obligé au travail salarié. Pour compenser la main-d’œuvre
ouest-africaine, les Néerlandais engagent alors massivement des
immigrants venus d’Inde, d’Indonésie et de Chine.
L’autonomie
La colonie, appelée depuis 1948 le Suriname, profite de la guerre pour développer un mouvement autonomiste puissant. Sous son
poids, les autorités hollandaises sont contraintes de lâcher du lest.
L’Indonésie accède à l’indépendance en 1949 tandis que le Suriname
et les Antilles néerlandaises obtiennent le droit de gérer seuls leurs
affaires intérieures. La vie politique surinamienne croît au rythme des
victoires acquises sur les Pays-Bas. De nombreux partis politiques,
représentant les groupes créoles, bosnegers, hindous, indonésiens,
chinois et européens, se développent, mus par un leitmotiv commun : une plus large autonomie.
Avec la dégradation de la situation socio-économique et les
grèves des enseignants de 1969, le climat politique se détériore fortement. Le flot d’immigrants surinamiens vers la métropole ne cesse
d’augmenter. Les chiffres du chômage enflent. En 1973, une grève
générale a été décrétée. Pour juguler l’immigration incontrôlée et éviter d’endosser la responsabilité de mesures répressives envers les grévistes, les Pays-Bas optent pour l’indépendance. La date est fixée au
25 novembre 1975. Néanmoins, une centaine de milliers de
Surinamiens préfèrent conserver la nationalité néerlandaise et émigrent aux Pays-Bas.
Chemin chaotique
L’indépendance signe le début d’une succession de gouvernements dont la grande majorité sont soumis aux ordres martiaux. Le
régime parlementaire instauré en 1975 est renversé en 1980 par un
coup d’Etat militaire, la Constitution parlementaire suspendue, le
Parlement dissous et un conseil de militaires installé au pouvoir. Un
civil occupe pourtant le fauteuil de président, mais le lieutenantcolonel Desi Bouterse contrôle le pays d’une main de fer. Plus la
70 • le Courrier ACP-UE septembre-octobre 2001
dictature militaire s’affirme, plus la guérilla antigouvernementale
s’intensifie. Le 11 mars 1982, un coup d’Etat déclenché par des
officiers et sous-officiers, sous les ordres du lieutenant Surrendre
Rambocus, est durement réprimé. Neuf mois plus tard, les autorités
militaires arrêtent et exécutent 15 opposants au régime dont des
avocats, des journalistes et des syndicalistes. L’épisode des meurtres de
décembre, dont seul Frederik Derby sera épargné, provoque la
suspension immédiate de l’aide financière et militaire des Pays-Bas et
des Etats-Unis. Jusque-là sous perfusion, l’économie du Suriname
subit de plein fouet la fin de l’assistance extérieure.
De 1984 à 1987, les militaires tentent d’apaiser l’opposition en
nommant plusieurs gouvernements civils et en accordant des portefeuilles ministériels aux figures emblématiques des partis traditionnels. A la fin de 1986, six gouvernements se sont succédés à la tête
du pays. Le mécontentement populaire s’amplifie et, dans l’est du
pays, une rébellion gronde. Les marrons, les anciens esclaves noirs,
guidés par un ancien militaire, ont pris les armes et attaqué les zones
économiques les plus sensibles du Suriname. La riposte militaire se
traduit par la destruction des villages et le meurtre systématique des
sympathisants supposés au mouvement rebelle. Le gouvernement
tente bien de négocier un traité de paix mais l’initiative est réduite à
néant. Desy Bouterse, toujours homme fort du pays, bloque toute
tentative de mise en œuvre des accords.
L’effondrement économique, la pénurie de denrées alimentaires
et les exécutions sommaires poussent la population dans ses derniers
retranchements. En février 1987, les rues de la capitale sont noyées
de manifestants. Sous la hargne des revendications, de nouvelles élections sont organisées – une fois de plus par les militaires – et Bouterse
s’efface sans véritablement perdre d’influence.
Sous la pression des Etats-Unis, de l’Europe et de l’OAS
(Organisation des Etats américains), les militaires acceptent en 1991
un processus de « démocratisation ». Le vote sanctionne le régime
martial et Johannes Ronald Venetiaan prend les rênes du pays. A la
suite des élections, la guerre civile prend fin. La signature de l’accord
de paix a stoppé les conflits armés dans l’intérieur du pays et favorise le dépôt des armes par les groupes paramilitaires.
En 1993, Desi Bouterse abandonne la direction des forces
armées au profit d’un officier chargé de ramener l’armée sous le
contrôle des civils. Un vent de changement souffle sur le pays et le
gouvernement de Venetiaan décide d’entreprendre d’importantes
réformes économiques. Les relations avec les Hollandais sont alors
renouées. L’aide hollandaise porte l’économie surinamienne à bout
de bras mais est rapidement suspendue. Amsterdam décide, en effet,
d’interrompre les transferts de fonds après que Paramaribo ait refusé
la tutelle du FMI et de la Banque mondiale sur son programme de
reconstruction. Dans le même temps, l’inflation galopante (plus de
300 %) provoque d’importants mouvements sociaux et sape définitivement le soutien populaire dont le gouvernement bénéficiait. Les
élections de 1996 annihilent les tentatives démocratiques. Ronald
Venetiaan est contraint de s’effacer au profit du parti de Bouterse.
L’histoire fait un bond en arrière.
Jules Wijdenbosch prend les fonctions présidentielles et dirige un
gouvernement de coalition. A peine renouées, les relations avec l’ancienne métropole s’enveniment à nouveau. En 1998, les Pays-Bas
reconnaissent, l’ancien homme fort militaire, Desi Bouterse, coupable
par contumace de trafic de stupéfiants. Le verdict secoue la classe gouvernementale surinamienne et les protestations conduiront à une
nouvelle rupture de l’aide au développement néerlandaise.
REPORTAGE
En mai 1999, et à l’instigation de Fred Derby notamment, la
population manifeste à nouveau et exige la démission de Jules
Wijdenbosch. La mauvaise gestion économique, la corruption, le
manque de transparence et le retard des nécessaires réformes économiques ont eu raison du gouvernement qui, peu de temps auparavant, a rejeté une motion de défiance votée au parlement. Le président Wijdenbosch est forcé de proposer la tenue d’élections en mai
2000, bien avant la fin de son mandat. Le président Runaldo
Venetiaan recouvre son siège à la faveur des élections anticipées et sa
coalition, formée d’anciens partis, rafle 33 des 51 sièges du Parlement
unicaméral. L’état de grâce est toutefois de courte durée. Le nouveau
régime hérite d’un pays qui frôle la faillite et des réformes profondes
s’imposent, au risque de provoquer la banqueroute.
Indépendance politique, dépendance
économique
Le Suriname est tributaire d’une économie de taille réduite et fortement dépendante de l’étranger. Elle repose essentiellement sur l’exportation de ses ressources naturelles. Néanmoins, le faible poids
démographique permet l’exploitation à grande échelle des nombreuses
richesses dont le pays dispose. L’exploitation des mines de bauxite et la
production d’aluminium constituent, sans conteste, les activités économiques les plus importantes. Durant les années 50 déjà, les exportations de bauxite s’élevaient à 40 % du PNB. Aux mains de l’entreprise américaine Suralco et de la néerlandaise Shell, les gisements fournissent encore aujourd’hui plus de 80 % des exportations du Suriname
et représentent la plus importante source de devises. Après avoir
monopolisé pendant longtemps la première place, le pays se situe
aujourd’hui au huitième rang mondial des exportateurs de bauxite. Les
gisements s’appauvrissent et, selon les prévisions, les stocks actuellement
disponibles s’épuiseront dans moins de 10 ans. Outre le minerai d’aluminium, le pays possède également, en quantité restreinte, de l’or, du
manganèse, du minerai de fer, du platine, des diamants, du cuivre et
de l’étain. Mais l’instabilité politique et économique freine les investissements dans ces secteurs et contribue, d’une certaine manière, à protéger la forêt surinamienne.
L’Europe absorbe 57 % des exportations du Suriname. Parmi les
principaux clients figurent les Pays-Bas, la Norvège, la GrandeBretagne, les Etats-Unis, le Venezuela, l’Allemagne et l’Argentine. Le
Suriname importe principalement des produits alimentaires, des équipements et des moyens de transport en provenance des Etats-Unis, des
Pays-Bas, du Brésil, des Antilles néerlandaises ainsi que de Trinidad et
Tobago.
Bien que le territoire soit couvert à 85 % de forêt, la sylviculture et
l’industrie du bois demeurent relativement peu importantes, en raison
notamment, d’un manque de prospection commerciale. Par contre, la
pêche en mer et en eau douce progresse fortement comme en atteste
la demande croissante pour les crevettes. Hormis l’exploitation de la
bauxite et la production d’aluminium, le secteur industriel du pays est
peu développé et ne correspond qu’à 22 % du PNB. Les secteurs agricole, piscicole et sylvicole occupent 14 % de la population active et
sont essentiellement concentrés au sein de grandes entreprises d’Etats
contraintes d’opérer une restructuration massive. Artificiellement soutenues par l’Etat, ces entreprises sont virtuellement dans le rouge et
incapables de se démarquer sur le marché international. Bien que
depuis l’indépendance, la production d’huile de palme se soit considérablement accrue, les plantations de bananes subissent de plus en plus
durement la concurrence des pays d’Amérique centrale.
Anciennes maisons de style hollandais
Réformes
En 1990, dans la foulée du programme d’ajustement structurel,
les premières réformes économiques sont entamées. Elles concernent
la libéralisation des importations et des capitaux, l’unification des
taux de change et la suppression du contrôle des prix. Les réformes
ont un impact positif sur l’inflation ainsi que sur le rééquilibrage des
balances commerciale et fiscale. Cependant, au milieu des années 90,
les difficultés politiques conjuguées à la suspension de l’aide des PaysBas et au relâchement de la discipline financière détériorent fortement la balance fiscale, accroissent le déficit budgétaire et augmentent l’inflation. La devise locale se déprécie de façon considérable face
au dollar tandis que la croissance diminue pour atteindre, l’année
dernière, un solde négatif de 7,5 %.
En 2000, avec le retour de Ronald Venetiaan, de nouvelles
mesures sont prises : meilleur contrôle des dépenses publiques,
réductions des subventions et augmentation des recettes fiscales. Par
ailleurs, le gouvernement décide de baser le taux de change sur le
marché et d’arrêter de financer le déficit public en augmentant la
masse monétaire. Bien qu’il soit prématuré de tirer un bilan définitif, il semble que les nouvelles réformes portent leurs fruits si l’on en
juge par la diminution de l’inflation. Cette dernière se situe entre 16
et 30 % alors qu’elle flirtait avec les 85 % l’année précédente. Le taux
de change se stabilise et les prévisions de croissance pour 2001 avoisinent les 2 %, grâce notamment à la bauxite et au pétrole.
Néanmoins, les réserves existantes ne sont pas inépuisables et la prospection de nouveaux sites s’avère particulièrement onéreuse.
Parallèlement aux autres produits d’exportation que sont la
banane, l’or, les produits marins, le riz et le bois de construction, les
activités à fort potentiel de croissance telles le tourisme, les fruits et
les légumes émergent encore trop lentement. L’économie du pays
tente donc se départir de sa dépendance vis-à-vis des ressources naturelles et envisage d’augmenter les services et la production à plus
haute valeur ajoutée. Ce changement de cap implique une refonte
profonde de la société entière, de la transparence des actions du gouvernement à l’amélioration des capacités d’enseignement et, partant,
des compétences du pays. Selon Jacques Roman, resident permanent
pour la Commission européenne au Suriname : « Transparence,
démocratie et lutte contre la corruption doivent sous-tendre toute
action de développement économique et social ».
Ministère pléthorique
L’administration du Suriname, à l’instar de celle de nombreux
pays développés et en développement, est confrontée à un degré de
clientélisme élevé et au trafic de drogue. De plus, la Constitution du
pays souffre d’un manque de clarté quant à la séparation des pouvoirs
et les responsabilités de l’Etat. Ce dernier doit prendre en charge la
Une rue de la capitale : la ville est parsemée d’élégantes maisons de
bois dont l’architecture rappelle le passé colonial hollandais
quasi-totalité des obligations sociales sans en évaluer les coûts. Il s’impose également d’assumer la gestion du secteur productif ce qui
explique le nombre important d’entreprises d’Etat (109, employant
plus de 10 000 personnes), leur manque de compétitivité et les difficultés inhérentes aux nécessaires restructurations.
Les gouvernements successifs du Suriname ont toujours péché
par manque de transparence et le Parlement n’est jamais parvenu à
exercer un contrôle réel sur l’activité gouvernementale. Par ailleurs, la
plupart des difficultés économiques du pays sont également imputables à une gestion du budget particulièrement déficiente.
L’administration du Suriname est pléthorique et bureaucratique.
La compétence de ses fonctionnaires doit être développée et une
politique salariale adéquate doit être adoptée. Les 16 ministères que
compte le Suriname emploient près d’un dixième de la population,
soit 40 % des personnes actives. Selon la Banque mondiale, chaque
ministère possède également son lot d’emplois fictifs ou, du moins,
de postes de complaisance ne répondant à aucun critère rationnel. A
titre d’exemple, le ministère de l’Agriculture compte 1238 employés
pour 10 000 fermiers surinamiens et, 1 fonctionnaire pour 3 enseignants dans le pays.
L’ensemble de ces faiblesses structurelles et fonctionnelles est d’autant mieux reconnue par le jeune gouvernement actuel qu’il peut aisément en rejeter la responsabilité sur ses prédécesseurs. Ce qui ne l’empêche cependant pas d’accepter et d’assumer les réformes à venir.
Profil flou
Selon les chiffres officiels, le Suriname connaît un taux de chômage de 16 % et souffre d’une redistribution des revenus particulièrement inéquitable. Les services sociaux se sont fortement dégradés
ces dernières années, tout comme les taux de mortalité infantile, de
scolarisation et d’analphabétisme. Traditionnellement, la protection
des personnes vulnérables a toujours été l’une des priorités des gouvernements successifs mais l’aide s’est effritée à cause de la vague inflationniste. Néanmoins, les services sociaux et éducatifs sont en général
plus développés que dans la majorité des pays en développement.
Toutes proportions gardées, l’indice de développement humain y est
donc relativement élevé. C’est pourquoi le Suriname ne fait pas partie
de la catégorie des pays les moins avancés mais se situe plutôt au milieu
de l’échelle mondiale. Néanmoins, l’instabilité politique et les difficultés économiques ont favorisé une migration massive. Les possibilités
d’expatriation étant proportionnelles au degré d’éducation, le pays
connaît une fuite de cerveaux particulièrement pénalisante.
Si nombre de problèmes sont clairement identifiés, le profil socioéconomique du pays reste difficile à établir eu égard à la faiblesse des
informations disponibles. En effet, les statistiques ne tiennent pas
compte de l’importance du secteur informel, générateur lui aussi de
ressources importantes. Il s’agit, entre autres, de la prospection de l’or,
du trafic de stupéfiant et du commerce illicite. De plus, bien que le
Suriname ne compte que 340 000 habitants, la communauté surinamienne installée aux Pays-Bas est presque équivalente. Cette dernière
est à l’origine de transferts financiers non-comptabilisés mais permettant d’améliorer sensiblement le niveau de vie de la population.
Forêt fragile
Joyaux du Suriname, la partie de forêt amazonienne qui recouvre
la majeure partie du pays est l’une des mieux préservées. Mais la pression sur cet univers exceptionnel s’accroît au rythme des prospections
et de l’exploitation des ressources naturelles. Potentiel touristique
extraordinaire, la forêt est aussi la proie des prospecteurs d’or dont la
plupart agissent en toute illégalité. L’utilisation croissante du mercure dans certaines techniques de recherche d’or détruit la population
des cours d’eau, élimine une source de revenus et de nourriture pour
les autochtones, lorsque ceux-ci ne sont pas purement et simplement
expropriés. Tentant de diversifier son économie, le pays a recours à la
vente de concessions dans la forêt, et laisse libre cours au développement d’activités anarchiques dont l’impact négatif sur l’environnement est sous-estimé. La forêt est décimée par l’exploitation du bois
ou la recherche de nouveaux gisements de bauxite, sans qu’aucune
politique de reforestation n’en diminue les effets dévastateurs.
Contraint de multiplier ses sources de revenus, le Suriname risque
cependant, à terme, de détruire ses propres ressources naturelles.
Depuis son indépendance, le pays a traversé une longue période
de stagnation économique, ponctuée de crises politiques, de renversements et d’espoirs déçus. Les habitants ont subi une diminution
drastique de leur revenu, une régression de la qualité des services
sociaux et éducatifs et une indéniable augmentation de la pauvreté.
A la faveur de la stabilisation qui semble aujourd’hui apaiser le pays,
gouvernement et institutions internationales tentent de coordonner
l’aide au développement et définissent les priorités : amélioration de
la gestion des affaires publiques, stabilité, croissance, ainsi qu’un
développement durable. Les pistes retenues prévoient entre autres la
restructuration et la privatisation des secteurs productifs clefs, la lutte
contre la corruption, l’amélioration de l’enseignement, la diversification et l’intégration régionale. Pendant longtemps, le Suriname n’a
eu de liens étroits qu’avec les Pays-Bas. Il a toutefois tenté, au cours
des dernières années, de diversifier ses relations et d’attirer des capitaux comme solution de rechange à l’aide néerlandaise. Le Suriname
est le premier pays non-membre du Commonwealth à se joindre à
la Communauté des Caraïbes (CARICOM) et espère tirer profit
d’une intégration poussée du plateau des Guyanes qui rassemblerait
dans un espace économique commun le Suriname, le Guyana, la
Guyane française et deux Etats brésiliens. Fort de ses atouts et
conscient de ses faiblesses, le Suriname possède aujourd’hui les clefs
de son destin. Reste le plus difficile : en écrire l’histoire.
Temple hindou. A Paramaribo, mosquées, temples et synagogues se
croisent au détour d’une cathédrale
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