2013) : « Un message pour tous les frères de la dawla [l’État islamique en Irak et au Levant]. C’est ma
vraie famille. En France, les cœurs sont fermés, il n’y a rien dans les cœurs ; ils sont gentils par-devant et
puis après, par-derrière, il n’y a rien. Ici, vraiment, les cœurs sont ouverts, il y a les sourires, tout ça, la
compassion, l’accueil tout chaleureux, vraiment je vous aime pour Dieu, vraiment beaucoup, vous êtes les
meilleures personnes que j’ai rencontrées, et je remercie Dieu de m’avoir mis ici avec vous [18] ».
Depuis le 29 juin 2014, la cité idéale existe : « Maintenant que le Califat a été établi et que la charia est
appliquée, règne une stabilité comme à la ville de Raqqa où vivent les frères que nous connaissons. Dans
cette ville, les frères et les sœurs peuvent faire des études. Certaines personnes ont émigré pour obéir à
Dieu et profitent à la communauté par leur science, leur savoir scientifique ou religieux. L’État verse à
chaque habitant une part, ce qui fait qu’aucune personne n’est lésée et qu’ils ne connaissent pas la
pauvreté. Les gens ne se posent pas la question de : “Mais si j’ai trois ou quatre enfants comment
pourrais-je les nourrir ?“ Ou les : “Je ne trouve pas de travail et personne ne veut m’en donner parce que
je m’appelle Abdallah“. Les commerces ferment tous le jour du vendredi. La vente de tabac, d’alcool et de
toute forme de substance illicite a été interdite et détruite [19] ».
La propagande du Califat insiste sur la spécificité du territoire qu’il contrôle et enjoint au retour sur la
seule terre où le croyant véritable est censé vivre selon le désir de Dieu : « Tout musulman sincère émigre
vers l’une des régions de l’État Islamique, cette terre d’islam, et quitte les terres de mécréances, dirigées
par les pires idolâtres de ce monde, qui font sans cesse la guerre à notre communauté. Le tour est venu
maintenant pour les croyants d’avancer, de récupérer les terres et de ne pas laisser une seconde ces
tyrans se reposer. Le musulman ne peut rester loin de cette terre sans être assailli par le regret et sans
avoir l’envie de la rejoindre afin de se rapprocher de son Seigneur [20] ». En rejoignant le territoire du
Califat, chaque musulman imite l’exil (hidjra) de Mahomet à Yathrib (aujourd’hui Médine) en 622, point de
départ de la guerre victorieuse qui assura le triomphe de la religion musulmane dans la péninsule
arabique. Le 4 juillet 2014, Abou Bakr al-Baghdadi, tout nouveau calife Ibrahim, désireux d’assurer le bon
fonctionnement de l’entité politique qu’il venait de créer, lançait cet appel : « Ô musulmans, d’où que vous
soyez, si quelqu’un veut faire son hidjra, vers l’État islamique, laissez-le faire, car la hidjra sur la terre de
l’islam est une obligation […] Je fais un appel particulier aux professeurs, aux juristes (de la charia), et
surtout aux juges, à tous ceux qui ont une expérience militaire, administrative, aux médecins et aux
ingénieurs dans leurs différents champs de spécialisation, nous les appelons à craindre Dieu et à faire leur
hidjra ». Il s’appuyait sur la religion pour convaincre les personnels nécessaires à la bonne marche de
l’oumma en voie de reconstruction de le rejoindre.
Le Califat appartient à la catégorie des organisations de type messianique, c’est-à-dire des mouvements
religieux et politiques (comme les avatars du communisme, par exemple) annonçant un monde meilleur.
Le schéma est toujours le même : la libération et le bonheur des hommes sont annoncés par un chef
charismatique, au nom de Dieu ou d’un autre principe, ce qui permet de mobiliser les individus et de leur
faire accepter les sacrifices exigés (éventuellement celui de leur vie). Religieux ou athée, le mouvement de
type messianique conteste un ordre “injuste“. En conséquence, il met en avant les “victimes“ de ce
dernier, parle en leur nom et affirme prendre appui sur elles. Il peut revêtir une dimension militaire car
l’attente de la libération des hommes, comme celle du règne de la paix et de la justice, ou “millénarisme“,
ne demeure pas toujours passive. Les chefs des mouvements messianiques de type millénariste éprouvent
souvent la tentation de hâter l’avènement de la nouvelle société promise, ou se retrouvent contraints de le
faire. Fréquemment, la violence apparaît comme un geste purificateur, préalable indispensable à la venue
des temps nouveaux. Ces derniers peuvent, éventuellement, précéder la fin du monde et de l’humanité, la
résurrection et le jugement dernier, perspectives tracées par l’eschatologie. C’est précisément le cas avec
Daech : le mouvement croit en la prophétie de Dabiq. Celle-ci promet la victoire universelle de l’islam : «
L’heure dernière n’arrivera pas avant que les Byzantins n’attaquent Dabiq. Une armée musulmane
regroupant des hommes parmi les meilleurs sur terre à cette époque sera dépêchée de Médine pour les
contrecarrer. Une fois les deux armées face à face, les Byzantins s’écrieront : “Laissez-nous combattre nos
semblables convertis à l’islam.” Les Musulmans répondront : “Par Allah, nous n’abandonnerons jamais nos
frères.” Puis la bataille s’engagera. Un tiers s’avouera vaincu ; plus jamais Allah ne leur pardonnera. Un
tiers mourra ; ils seront les meilleurs martyrs aux yeux d’Allah. Et un tiers vaincra ; ils ne seront plus
jamais éprouvés et ils conquerront Constantinople [21] ». Le village de Dabiq se trouve au nord de la