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Le Califat : une entreprise totalitaire
dimanche 12 juin 2016, par Patrice GOURDIN
Existe-il des points communs entre le fascisme, le nazisme, le communisme et le Califat ?
Patrice Gourdin met en œuvre une démonstration argumentée pour répondre à la question : est-
il approprié de parler d’« islamo-fascisme » au sujet du Califat ? Un texte de référence qui sera
utile au débat public.
Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur la plaine ?
Ami, entends-tu le bruit sourd du pays qu’on enchaîne ?
Ohé partisans, ouvriers et paysans, c’est l’alarme !
Ce soir l’ennemi connaîtra le prix du sang et des larmes.
Joseph Kessel et Maurice Druon, « Le Chant des partisans », 1943.
POUR la première fois depuis l’émergence du salafisme jihadiste, les partisans de cette interprétation de
l’islam ont, le 29 juin 2014, entrepris de mettre en œuvre leur projet. Les territoires conquis en Syrie et
en Irak servent d’assise à une construction politique particulière. Il s’agit de réanimer la théocratie mise
en chantier par Mahomet et parachevée par ses successeurs immédiats, les quatre premiers califes,
qualifiés de “bien inspirés“ (Rashidun) : Abou Bakr (632-634), Omar (634-644), Othman (644-656) et Ali
(656-661).
Tant pour entretenir l’ardeur de ses partisans que pour séduire les musulmans et déstabiliser ses
adversaires, Daech met complaisamment en scène la politique appliquée dans sa zone de domination. Les
aspects non médiatisés (car inavouables) de sa gouvernance nous parviennent par bribes au gré des
témoignages de réfugiés ayant réussi à s’enfuir ou d’habitants pris au piège mais envoyant — au péril de
leur vie — des informations sur la vie quotidienne dans les zones soumises. Nombre d’éléments font
penser aux pires dictatures du XXe siècle, de l’Allemagne nazie au Kampuchéa “démocratique“, en
passant par l’Italie fasciste, l’Union soviétique, ou la république “populaire“ de Chine.
Est-il approprié de parler d’« islamo-fascisme » au sujet du Califat ? Rejeter la formule au motif qu’il
s’agirait de l’expression d’un sentiment islamophobe, d’une tentative de manipulation politique, ou d’une
comparaison abusive ne constitue pas une réponse satisfaisante. Il convient de dépassionner le débat et
de procéder à une analyse rigoureuse. Et en premier lieu, de définir le totalitarisme : il s’agit d’une forme
de régime utilisant l’État pour imposer une idéologie qui bouleverse et régente, sous tous ses aspects, la
vie des femmes et des hommes d’un pays. Ce type de système politique vise « l’édification d’une humanité
nouvelle par l’élimination de toute différenciation au sein d’un grand Tout sacralisé (nation, race, ou
classe) [1] ». Nous pouvons ajouter une nouvelle variante de ce “grand Tout“ : la communauté des
croyants (oumma), que prétend réformer et guider le Califat. Relayés au quotidien dans les médias, les
actes commis au nord de la Syrie et de l’Irak comme en d’autres régions du monde n’ont rien à envier aux
crimes des formes précédentes de totalitarisme. L’examen des textes [2] les “justifiant“ permet de cerner
la nature totalitaire du Califat. En effet, même si l’accomplissement d’un projet totalitaire emprunte des
voies variées, des caractéristiques communes se dégagent, parmi lesquelles trois sont essentielles : une
idéologie totalisante (I) ; la forme dictatoriale du pouvoir (II) ; la pratique permanente de l’élimination
(III).
I . LE SALAFISME JIHADISTE : UNE IDÉOLOGIE TOTALITAIRE
L’entreprise totalitaire vise à redéfinir tous les aspects de la vie collective et individuelle des membres de
la société qu’elle domine. Pour ce faire, elle s’appuie sur une vision du monde, une idéologie exclusive, qui
ne laisse aux individus aucune initiative, aucune possibilité de réflexion personnelle, aucun droit à
l’examen critique. Cela se retrouve dans tous les régimes de ce type. Ainsi, le fascisme italien : « Pour le
fasciste, tout est dans l’État. Rien d’humain ou de spirituel, encore moins n’a de valeur, en dehors de
l’État. En ce sens, le fascisme est totalitaire et l’État fasciste, synthèse et unité de toute valeur, interprète,
développe et fortifie toute la vie du peuple [3] ». De même pour le nazisme : « Notre programme remplace
la notion libérale d’individu et le concept marxiste d’humanité par le peuple, un peuple déterminé par son
sang et enraciné dans son sol [4] ». Tout comme pour le communisme : « Le parti cherche à obtenir que
l’homme de chez nous soit éduqué, non comme le simple porteur d’une certaine somme de connaissances,
mais avant tout comme un citoyen de la société socialiste, un bâtisseur actif du communisme [5] ». Le
Califat s’inscrit dans cette lignée : « Certains s’imaginent que la prédication prophétique consistait
seulement à appeler au tawhid [l’unicité divine, c’est-à-dire le monothéisme] et à démasquer l’idolâtrie
alors qu’en réalité elle était également l’appel au rassemblement des partisans et la demande du soutien
des tribus arabes afin que cette religion soit incarnée dans un État islamique qui gouverne la terre selon
la loi de Dieu. Le prophète Mahomet n’était pas seulement prophète et messager comme le furent Noé ou
Abraham mais il était également chef d’État comme David et Soliman [6] ». Dans le cas du Califat,
l’idéologie totalisante s’appelle le salafisme (as-salafiyya), dans sa version djihadiste.
A. LE SALAFISME, VOIE UNIQUE DU SALUT
Né à la fin du XIXe siècle en Égypte, le salafisme participa initialement des courants de réflexion qui
surgirent en réaction contre l’état de subordination dans lequel se trouvaient les populations arabes vis-à-
vis des Turcs et les populations musulmanes par rapport aux pays occidentaux qui dominaient alors le
monde (France, Grande-Bretagne). Ainsi, l’un des penseurs du nécessaire retour à l’islam originel, Jamal
al-Din al-Afghani, écrivait-il en 1884 : « En vérité, les scissions et les divisions qui se sont produites dans
les États musulmans n’ont pour origine que les manquements des chefs qui s’éloignent des principes
solides sur lesquels la religion islamique s’est édifiée et qui s’écartent des chemins suivis par leurs
premiers ancêtres [salaf]. En effet, aller à l’encontre des principes solidement établis et s’écarter des
chemins habituels, sont les choses les plus préjudiciables au pouvoir suprême. Lorsque ceux qui, en Islam,
détiennent le pouvoir, reviendront aux règles de leur Loi et modèleront leur conduite sur celle des
premières générations, il ne se passera que peu de temps avant que Dieu ne leur donne un pouvoir étendu
et ne leur accorde une puissance comparable à celle dont jouirent les Califes orthodoxes [i .e. les califes
Rashidun], Imams de la religion [7] ». Les partisans du Califat n’écrivent pas autre chose : « Après la
disparition de la charia de notre Seigneur, les lois des mécréants s’éle¬vèrent sur les terres des
musulmans, nous délaissâmes l’islam de la plus vile des manières et nous tournâmes nos visages en
direction de l’Europe dé¬liquescente. La voix du Faux, ainsi que celles des opposants à la religion, prirent
de l’ampleur et le cancer des législa¬teurs qui s’étaient mis à l’égal de Dieu gangréna le corps de
l’oumma. Ils ren¬dirent illicite ce que Dieu avait autorisé et ils rendirent licite ce qu’Il avait interdit [8] ».
Selon les salafistes, le moyen de renouer avec la grandeur de l’empire arabo-musulman médiéval serait le
retour à la piété originelle, à l’ardeur collective et à l’organisation politico-sociale qu’elle avait suscitées.
Cela implique de rejeter tous les courants qui, selon eux, attentent à l’unicité absolue de Dieu (soufisme,
maraboutisme, en particulier) et de pratiquer très strictement les cinq obligations rituelles (“piliers“) de
l’islam : la profession de foi (chahada) [9] ; les cinq prières (salat) par jour (en respectant les horaires et
l’orientation géographique vers La Mecque) ; l’aumône légale (zakat) aux pauvres de la communauté ; le
jeûne (saoum) pendant le mois de Ramadan (du lever au coucher du soleil) ; le pèlerinage à La Mecque
(hadj) une fois dans sa vie. D’abord démarche individuelle sans aucun prosélytisme, ce retour aux sources
accaparait toute l’énergie et le temps du croyant, ce qui le coupait du reste de la communauté. Cet
inconvénient ne fut que peu atténué par le recours à une prédication centrée sur la pratique rigoriste et la
réforme des mœurs personnelles.
Aussi, à côté de cette branche quiétiste, apparut un courant tourné vers l’action sociale et politique : en
1928, l’Égyptien Hassan al-Banna (1906-1949) fonda les Frères musulmans. Il définissait ainsi son combat
: « L’islam dans lequel croient les Frères musulmans voit dans le pouvoir politique l’un de ses piliers ;
l’application effective est pour lui aussi importante que l’orientation de principe. Le Prophète a fait du
pouvoir politique l’une des racines de l’islam. Et dans nos livres de droit musulman, le pouvoir politique
est compté parmi les articles du dogme et les racines du droit, et non pas comme un élément des
élaborations juridiques, comme l’une des branches du droit. Car l’islam est à la fois l’injonction et
l’exécution, tout comme il est la législation et l’enseignement, la loi et le tribunal, pas l’un sans l’autre
[10] ».
Certains membres de l’organisation, notamment Sayyid Qutb (1906-1966), jugèrent cet engagement non
seulement inefficace, mais aussi non conforme à l’islam. Il fallait recourir à la violence pour vaincre les
ennemis de l’islam et édifier la cité de Dieu sur l’ensemble de la Terre. « Le but ultime du jihad, écrivait
Qutb, n’est nullement la protection d’un territoire. Il est bien plutôt le moyen d’instaurer le royaume de
Dieu au sein du territoire et ensuite, à partir de cette base, de se déplacer dans le monde entier […]
L’islam est tel qu’il ne peut exister sans avancer, afin de sauver l’homme de l’esclavage vis-à-vis d’autres
que Dieu. Il ne peut s’arrêter à telle ou telle frontière géographique [11] ». Le courant salafiste jihadiste
contemporain défend cette conception qui n’envisage qu’une guerre sans merci jusqu’à la victoire totale.
Il condamne la voie politique sans ménagement : « l’abruti a préféré délaisser la voie des compagnons [de
Mahomet] dans la construction des États et prendre pour modèle la révolution française ou, pire encore,
la démocratie idolâtre. Regardez cet abruti de Morsi et sa confrérie [les Frères musulmans égyptiens] que
le modèle démocratique a conduits dans les abîmes de l’apostasie avant de les conduire dans les prisons
de Sissi le taghout [oppresseur et impie], humiliés, comme le prophète l’avait dit : “L’humiliation et la
bassesse ont été décrétées pour ceux qui violent mon commandement“ (Ahmad Ibn Hanbal, al-Musnad,
hadith n° 5667) [12] ».
B. LE CALIFAT, TERRE PROMISE
Tout mouvement politique, totalitaire, ou non, vise le contrôle d’un territoire sur lequel mettre en œuvre
son programme.
À la tête de l’Italie depuis quelques mois, Mussolini déclarait, lors de la présentation de ses vœux aux
membres de son gouvernement, le 1er janvier 1923 : « Telle est la tâche historique qui nous attend, faire
de cette Nation un État, c’est-à-dire une idée morale qui s’incarne et s’exprime par un système de
hiérarchies organisées [13] ». Le 10 janvier 1923, le quotidien du parti fasciste affirmait : « le
gouvernement fasciste veut réaliser l’État fasciste […] c’est-à-dire une organisation de l’État capable de
résister à tous les ennemis intérieurs et extérieurs [14] ». Dix ans plus tard, l’ambassadeur de Grande-
Bretagne constatait : « toute la vie nationale est aujourd’hui […] organisée dans toutes les directions […]
Le résultat est que les Italiens sont aujourd’hui fiers d’être Italiens ce qu’on aurait difficilement pu dire
dix ans auparavant. Le travail de régénération progresse [15] ». Sous Staline, l’URSS se présentait comme
le pays du bonheur. Ainsi, en 1936, les auteurs de l’histoire officielle du parti communiste affirmaient que
la révolution bolchevique avait créé une société « telle que l’humanité n’en avait jamais connue ». Et de
préciser : « l’économie nationale a entièrement changé. Les éléments capitalistes ont été entièrement
liquidés. Le système socialiste triomphe dans tous les domaines. […] L’exploitation de l’homme par
l’homme est supprimée pour toujours. Dans la nouvelle société socialiste ont disparu à jamais les crises, la
misère, le chômage et la ruine. Les conditions sont créées d’une vie d’aisance et de culture pour tous les
Soviétiques [16] ». Nous trouvons une revendication du même ordre en Chine à la veille de la prise du
pouvoir par les communistes : « Nous ne sommes pas seulement capables de détruire un monde ancien ;
nous serons également capables d’édifier un monde nouveau [17] ». Avant même la proclamation du
Califat, Daech prétendait offrir à ses adeptes le havre tant désiré. En atteste cet extrait des déclarations
de Nicolas Bons (alias Abu Abdel Rahman) avant l’opération suicide dans laquelle il mourut (22 décembre
2013) : « Un message pour tous les frères de la dawla [l’État islamique en Irak et au Levant]. C’est ma
vraie famille. En France, les cœurs sont fermés, il n’y a rien dans les cœurs ; ils sont gentils par-devant et
puis après, par-derrière, il n’y a rien. Ici, vraiment, les cœurs sont ouverts, il y a les sourires, tout ça, la
compassion, l’accueil tout chaleureux, vraiment je vous aime pour Dieu, vraiment beaucoup, vous êtes les
meilleures personnes que j’ai rencontrées, et je remercie Dieu de m’avoir mis ici avec vous [18] ».
Depuis le 29 juin 2014, la cité idéale existe : « Maintenant que le Califat a été établi et que la charia est
appliquée, règne une stabilité comme à la ville de Raqqa où vivent les frères que nous connaissons. Dans
cette ville, les frères et les sœurs peuvent faire des études. Certaines personnes ont émigré pour obéir à
Dieu et profitent à la communauté par leur science, leur savoir scientifique ou religieux. L’État verse à
chaque habitant une part, ce qui fait qu’aucune personne n’est lésée et qu’ils ne connaissent pas la
pauvreté. Les gens ne se posent pas la question de : “Mais si j’ai trois ou quatre enfants comment
pourrais-je les nourrir ?“ Ou les : “Je ne trouve pas de travail et personne ne veut m’en donner parce que
je m’appelle Abdallah“. Les commerces ferment tous le jour du vendredi. La vente de tabac, d’alcool et de
toute forme de substance illicite a été interdite et détruite [19] ».
La propagande du Califat insiste sur la spécificité du territoire qu’il contrôle et enjoint au retour sur la
seule terre où le croyant véritable est censé vivre selon le désir de Dieu : « Tout musulman sincère émigre
vers l’une des régions de l’État Islamique, cette terre d’islam, et quitte les terres de mécréances, dirigées
par les pires idolâtres de ce monde, qui font sans cesse la guerre à notre communauté. Le tour est venu
maintenant pour les croyants d’avancer, de récupérer les terres et de ne pas laisser une seconde ces
tyrans se reposer. Le musulman ne peut rester loin de cette terre sans être assailli par le regret et sans
avoir l’envie de la rejoindre afin de se rapprocher de son Seigneur [20] ». En rejoignant le territoire du
Califat, chaque musulman imite l’exil (hidjra) de Mahomet à Yathrib (aujourd’hui Médine) en 622, point de
départ de la guerre victorieuse qui assura le triomphe de la religion musulmane dans la péninsule
arabique. Le 4 juillet 2014, Abou Bakr al-Baghdadi, tout nouveau calife Ibrahim, désireux d’assurer le bon
fonctionnement de l’entité politique qu’il venait de créer, lançait cet appel : « Ô musulmans, d’où que vous
soyez, si quelqu’un veut faire son hidjra, vers l’État islamique, laissez-le faire, car la hidjra sur la terre de
l’islam est une obligation […] Je fais un appel particulier aux professeurs, aux juristes (de la charia), et
surtout aux juges, à tous ceux qui ont une expérience militaire, administrative, aux médecins et aux
ingénieurs dans leurs différents champs de spécialisation, nous les appelons à craindre Dieu et à faire leur
hidjra ». Il s’appuyait sur la religion pour convaincre les personnels nécessaires à la bonne marche de
l’oumma en voie de reconstruction de le rejoindre.
Le Califat appartient à la catégorie des organisations de type messianique, c’est-à-dire des mouvements
religieux et politiques (comme les avatars du communisme, par exemple) annonçant un monde meilleur.
Le schéma est toujours le même : la libération et le bonheur des hommes sont annoncés par un chef
charismatique, au nom de Dieu ou d’un autre principe, ce qui permet de mobiliser les individus et de leur
faire accepter les sacrifices exigés (éventuellement celui de leur vie). Religieux ou athée, le mouvement de
type messianique conteste un ordre “injuste“. En conséquence, il met en avant les “victimes“ de ce
dernier, parle en leur nom et affirme prendre appui sur elles. Il peut revêtir une dimension militaire car
l’attente de la libération des hommes, comme celle du règne de la paix et de la justice, ou “millénarisme“,
ne demeure pas toujours passive. Les chefs des mouvements messianiques de type millénariste éprouvent
souvent la tentation de hâter l’avènement de la nouvelle société promise, ou se retrouvent contraints de le
faire. Fréquemment, la violence apparaît comme un geste purificateur, préalable indispensable à la venue
des temps nouveaux. Ces derniers peuvent, éventuellement, précéder la fin du monde et de l’humanité, la
résurrection et le jugement dernier, perspectives tracées par l’eschatologie. C’est précisément le cas avec
Daech : le mouvement croit en la prophétie de Dabiq. Celle-ci promet la victoire universelle de l’islam : «
L’heure dernière n’arrivera pas avant que les Byzantins n’attaquent Dabiq. Une armée musulmane
regroupant des hommes parmi les meilleurs sur terre à cette époque sera dépêchée de Médine pour les
contrecarrer. Une fois les deux armées face à face, les Byzantins s’écrieront : “Laissez-nous combattre nos
semblables convertis à l’islam.” Les Musulmans répondront : “Par Allah, nous n’abandonnerons jamais nos
frères.” Puis la bataille s’engagera. Un tiers s’avouera vaincu ; plus jamais Allah ne leur pardonnera. Un
tiers mourra ; ils seront les meilleurs martyrs aux yeux d’Allah. Et un tiers vaincra ; ils ne seront plus
jamais éprouvés et ils conquerront Constantinople [21] ». Le village de Dabiq se trouve au nord de la
Syrie, dans la zone encore contrôlée par le Califat. La version en anglais de la revue de propagande de
Daech s’intitule Dabiq et porte en exergue le rappel de la prédiction, qui servit de mot d’ordre à la
branche iraquienne d’Al-Qaida (dont Daech est issue) lorsque Abou Moussab al-Zarqaoui la dirigeait (de
2004 à 2006). Cela nourrit leur absolue certitude de remporter la victoire finale : « Depuis le début, de
cette nouvelle croisade menée contre le Califat, les soldats de l’État Islamique attendent avec impatience
que la coalition croisée pose le pied à terre pour se confronter à eux. Mais les chefs d’État mécréants ne
sont pas dupes et connaissent parfaitement la lâcheté de leurs soldats. Ces derniers aiment la vie d’ici-bas
comme les moudjahidin aiment la mort dans le sentier de Dieu. Ainsi, les mécréants ont recours à la
guerre par procuration, mettant à contribution les sahawat [groupes armés] de l’apostasie pour effectuer
le travail qu’ils craignent tant [22] ».
Le Califat présente son territoire comme le seul lieu sur terre où le musulman peut suivre le droit chemin.
Actuellement limité et en recul, cet espace a vocation à s’étendre à l’ensemble de la planète. Au
demeurant, selon l’idéologie salafiste jihadiste, il ne s’agit pas d’une conquête, mais d’une reconquête :
créée par Dieu, la Terre doit revenir toute entière en son obéissance. Et, d’après les partisans du calife
Ibrahim, seul le combat armé permettra ce retour à l’ordre voulu par Dieu.
C. LE JIHAD, SIXIEME PILIER DE L’ISLAM
Tous les mouvements totalitaires mettent en avant la nécessité de recourir à la violence pour assurer le
triomphe de leur cause. Ils recrutent une partie de leurs cadres et militants parmi des hommes (et parfois
des femmes) ayant une expérience de la guerre et/ou de la lutte armée. S’ils gagnent, ils prétendent que
les artisans de ce changement violent constituent la base d’une nouvelle classe dirigeante.
Durant l’été 1920, devant les délégués du IIe Congrès du Komintern, Trotski rappelait que, « dans toute
son activité, le communiste demeure toujours fidèle à lui-même, membre discipliné de son parti, ennemi
implacable de la société capitaliste, de son régime économique, de son État, de ses mensonges
démocratiques, de sa religion et de sa morale. Il est le soldat dévoué de la révolution prolétarienne et
l’annonciateur infatigable de la société nouvelle ». Quelques années plus tard, le secrétaire du parti
national fasciste, Augusto Turati, écrivait : « Quelques-uns, guidés par Un [c’est-à-dire Mussolini],
comprirent que le combattant façonné au creuset de la guerre devait à son tour refaçonner la vie [23] ».
Suite au putsch raté de 1923, Hitler renonça à prendre le pouvoir par la violence, mais son parti recourut
à des exactions ciblées contre ses adversaires politiques (notamment les communistes) et ne cessa d’user
de la violence verbale pour miner le régime de Weimar. En 1930, un truand proche des communistes tua
le militant hitlérien Horst Wessel. Les nazis érigèrent celui-ci en martyr et firent de l’un de ses poèmes
leur hymne officiel. Le texte dit, en particulier : « Dégagez les rues pour les bruns bataillons,/ Dégagez les
rues pour les sections d’assaut !/ Des regards pleins d’espoir se tournent vers la croix gammée par
millions/ Le jour de la liberté et du pain se lèvera bientôt./ L’appel retentit pour la dernière fois !/ Nous
sommes déjà prêts pour le combat ! » Pour sa part, Sayyid Qutb prévenait qu’« instaurer le règne de Dieu
sur terre, supprimer celui des hommes, enlever le pouvoir à ceux de ses adorateurs qui l’ont usurpé pour
le rendre à Dieu seul, donner autorité à la loi divine (chari‘at Allah) seule et supprimer les lois créées par
l’homme […] tout cela ne se fait pas avec des prêches et des discours. Car ceux qui ont usurpé le pouvoir
de Dieu sur terre pour faire de ses adorateurs leurs esclaves ne s’en dessaisissent pas par la grâce du seul
verbe [24] ».
Le Califat aussi exalte le recours à la violence. Il rappelle à ses partisans que « dans l’oumma du prophète
Mahomet, nous avons été instruits à combattre physiquement pour défendre notre religion et nous-mêmes
où que nous soyons dans le monde [25] ». L’enjeu est sans égal puisqu’il en va de la victoire de l’islam
authentique : « Dieu a jeté l’effroi dans leur cœur et ils sont terrorisés par le retour du Califat et la
bannière noire du tawhid qui bientôt flottera sur la Mecque, Médine, Bagdad, Constantinople jusqu’à
Rome si nous préservons le bienfait du tawhid en l’apprenant, le pratiquant et combattant pour l’établir
[26] ». La tendance djihadiste du salafisme considère que, à l’imitation de Mahomet, le pouvoir se
conquiert exclusivement par les armes et que la loi de Dieu n’est instaurée que par la guerre sainte,
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