Le Califat : une entreprise totalitaire

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Le Califat : une entreprise totalitaire
dimanche 12 juin 2016, par Patrice GOURDIN
Existe-il des points communs entre le fascisme, le nazisme, le communisme et le Califat ?
Patrice Gourdin met en œuvre une démonstration argumentée pour répondre à la question : estil approprié de parler d’« islamo-fascisme » au sujet du Califat ? Un texte de référence qui sera
utile au débat public.
Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur la plaine ?
Ami, entends-tu le bruit sourd du pays qu’on enchaîne ?
Ohé partisans, ouvriers et paysans, c’est l’alarme !
Ce soir l’ennemi connaîtra le prix du sang et des larmes.
Joseph Kessel et Maurice Druon, « Le Chant des partisans », 1943.
POUR la première fois depuis l’émergence du salafisme jihadiste, les partisans de cette interprétation de
l’islam ont, le 29 juin 2014, entrepris de mettre en œuvre leur projet. Les territoires conquis en Syrie et
en Irak servent d’assise à une construction politique particulière. Il s’agit de réanimer la théocratie mise
en chantier par Mahomet et parachevée par ses successeurs immédiats, les quatre premiers califes,
qualifiés de “bien inspirés“ (Rashidun) : Abou Bakr (632-634), Omar (634-644), Othman (644-656) et Ali
(656-661).
Tant pour entretenir l’ardeur de ses partisans que pour séduire les musulmans et déstabiliser ses
adversaires, Daech met complaisamment en scène la politique appliquée dans sa zone de domination. Les
aspects non médiatisés (car inavouables) de sa gouvernance nous parviennent par bribes au gré des
témoignages de réfugiés ayant réussi à s’enfuir ou d’habitants pris au piège mais envoyant — au péril de
leur vie — des informations sur la vie quotidienne dans les zones soumises. Nombre d’éléments font
penser aux pires dictatures du XXe siècle, de l’Allemagne nazie au Kampuchéa “démocratique“, en
passant par l’Italie fasciste, l’Union soviétique, ou la république “populaire“ de Chine.
Est-il approprié de parler d’« islamo-fascisme » au sujet du Califat ? Rejeter la formule au motif qu’il
s’agirait de l’expression d’un sentiment islamophobe, d’une tentative de manipulation politique, ou d’une
comparaison abusive ne constitue pas une réponse satisfaisante. Il convient de dépassionner le débat et
de procéder à une analyse rigoureuse. Et en premier lieu, de définir le totalitarisme : il s’agit d’une forme
de régime utilisant l’État pour imposer une idéologie qui bouleverse et régente, sous tous ses aspects, la
vie des femmes et des hommes d’un pays. Ce type de système politique vise « l’édification d’une humanité
nouvelle par l’élimination de toute différenciation au sein d’un grand Tout sacralisé (nation, race, ou
classe) [1] ». Nous pouvons ajouter une nouvelle variante de ce “grand Tout“ : la communauté des
croyants (oumma), que prétend réformer et guider le Califat. Relayés au quotidien dans les médias, les
actes commis au nord de la Syrie et de l’Irak comme en d’autres régions du monde n’ont rien à envier aux
crimes des formes précédentes de totalitarisme. L’examen des textes [2] les “justifiant“ permet de cerner
la nature totalitaire du Califat. En effet, même si l’accomplissement d’un projet totalitaire emprunte des
voies variées, des caractéristiques communes se dégagent, parmi lesquelles trois sont essentielles : une
idéologie totalisante (I) ; la forme dictatoriale du pouvoir (II) ; la pratique permanente de l’élimination
(III).
I . LE SALAFISME JIHADISTE : UNE IDÉOLOGIE TOTALITAIRE
L’entreprise totalitaire vise à redéfinir tous les aspects de la vie collective et individuelle des membres de
la société qu’elle domine. Pour ce faire, elle s’appuie sur une vision du monde, une idéologie exclusive, qui
ne laisse aux individus aucune initiative, aucune possibilité de réflexion personnelle, aucun droit à
l’examen critique. Cela se retrouve dans tous les régimes de ce type. Ainsi, le fascisme italien : « Pour le
fasciste, tout est dans l’État. Rien d’humain ou de spirituel, encore moins n’a de valeur, en dehors de
l’État. En ce sens, le fascisme est totalitaire et l’État fasciste, synthèse et unité de toute valeur, interprète,
développe et fortifie toute la vie du peuple [3] ». De même pour le nazisme : « Notre programme remplace
la notion libérale d’individu et le concept marxiste d’humanité par le peuple, un peuple déterminé par son
sang et enraciné dans son sol [4] ». Tout comme pour le communisme : « Le parti cherche à obtenir que
l’homme de chez nous soit éduqué, non comme le simple porteur d’une certaine somme de connaissances,
mais avant tout comme un citoyen de la société socialiste, un bâtisseur actif du communisme [5] ». Le
Califat s’inscrit dans cette lignée : « Certains s’imaginent que la prédication prophétique consistait
seulement à appeler au tawhid [l’unicité divine, c’est-à-dire le monothéisme] et à démasquer l’idolâtrie
alors qu’en réalité elle était également l’appel au rassemblement des partisans et la demande du soutien
des tribus arabes afin que cette religion soit incarnée dans un État islamique qui gouverne la terre selon
la loi de Dieu. Le prophète Mahomet n’était pas seulement prophète et messager comme le furent Noé ou
Abraham mais il était également chef d’État comme David et Soliman [6] ». Dans le cas du Califat,
l’idéologie totalisante s’appelle le salafisme (as-salafiyya), dans sa version djihadiste.
A. LE SALAFISME, VOIE UNIQUE DU SALUT
Né à la fin du XIXe siècle en Égypte, le salafisme participa initialement des courants de réflexion qui
surgirent en réaction contre l’état de subordination dans lequel se trouvaient les populations arabes vis-àvis des Turcs et les populations musulmanes par rapport aux pays occidentaux qui dominaient alors le
monde (France, Grande-Bretagne). Ainsi, l’un des penseurs du nécessaire retour à l’islam originel, Jamal
al-Din al-Afghani, écrivait-il en 1884 : « En vérité, les scissions et les divisions qui se sont produites dans
les États musulmans n’ont pour origine que les manquements des chefs qui s’éloignent des principes
solides sur lesquels la religion islamique s’est édifiée et qui s’écartent des chemins suivis par leurs
premiers ancêtres [salaf]. En effet, aller à l’encontre des principes solidement établis et s’écarter des
chemins habituels, sont les choses les plus préjudiciables au pouvoir suprême. Lorsque ceux qui, en Islam,
détiennent le pouvoir, reviendront aux règles de leur Loi et modèleront leur conduite sur celle des
premières générations, il ne se passera que peu de temps avant que Dieu ne leur donne un pouvoir étendu
et ne leur accorde une puissance comparable à celle dont jouirent les Califes orthodoxes [i .e. les califes
Rashidun], Imams de la religion [7] ». Les partisans du Califat n’écrivent pas autre chose : « Après la
disparition de la charia de notre Seigneur, les lois des mécréants s’éle¬vèrent sur les terres des
musulmans, nous délaissâmes l’islam de la plus vile des manières et nous tournâmes nos visages en
direction de l’Europe dé¬liquescente. La voix du Faux, ainsi que celles des opposants à la religion, prirent
de l’ampleur et le cancer des législa¬teurs qui s’étaient mis à l’égal de Dieu gangréna le corps de
l’oumma. Ils ren¬dirent illicite ce que Dieu avait autorisé et ils rendirent licite ce qu’Il avait interdit [8] ».
Selon les salafistes, le moyen de renouer avec la grandeur de l’empire arabo-musulman médiéval serait le
retour à la piété originelle, à l’ardeur collective et à l’organisation politico-sociale qu’elle avait suscitées.
Cela implique de rejeter tous les courants qui, selon eux, attentent à l’unicité absolue de Dieu (soufisme,
maraboutisme, en particulier) et de pratiquer très strictement les cinq obligations rituelles (“piliers“) de
l’islam : la profession de foi (chahada) [9] ; les cinq prières (salat) par jour (en respectant les horaires et
l’orientation géographique vers La Mecque) ; l’aumône légale (zakat) aux pauvres de la communauté ; le
jeûne (saoum) pendant le mois de Ramadan (du lever au coucher du soleil) ; le pèlerinage à La Mecque
(hadj) une fois dans sa vie. D’abord démarche individuelle sans aucun prosélytisme, ce retour aux sources
accaparait toute l’énergie et le temps du croyant, ce qui le coupait du reste de la communauté. Cet
inconvénient ne fut que peu atténué par le recours à une prédication centrée sur la pratique rigoriste et la
réforme des mœurs personnelles.
Aussi, à côté de cette branche quiétiste, apparut un courant tourné vers l’action sociale et politique : en
1928, l’Égyptien Hassan al-Banna (1906-1949) fonda les Frères musulmans. Il définissait ainsi son combat
: « L’islam dans lequel croient les Frères musulmans voit dans le pouvoir politique l’un de ses piliers ;
l’application effective est pour lui aussi importante que l’orientation de principe. Le Prophète a fait du
pouvoir politique l’une des racines de l’islam. Et dans nos livres de droit musulman, le pouvoir politique
est compté parmi les articles du dogme et les racines du droit, et non pas comme un élément des
élaborations juridiques, comme l’une des branches du droit. Car l’islam est à la fois l’injonction et
l’exécution, tout comme il est la législation et l’enseignement, la loi et le tribunal, pas l’un sans l’autre
[10] ».
Certains membres de l’organisation, notamment Sayyid Qutb (1906-1966), jugèrent cet engagement non
seulement inefficace, mais aussi non conforme à l’islam. Il fallait recourir à la violence pour vaincre les
ennemis de l’islam et édifier la cité de Dieu sur l’ensemble de la Terre. « Le but ultime du jihad, écrivait
Qutb, n’est nullement la protection d’un territoire. Il est bien plutôt le moyen d’instaurer le royaume de
Dieu au sein du territoire et ensuite, à partir de cette base, de se déplacer dans le monde entier […]
L’islam est tel qu’il ne peut exister sans avancer, afin de sauver l’homme de l’esclavage vis-à-vis d’autres
que Dieu. Il ne peut s’arrêter à telle ou telle frontière géographique [11] ». Le courant salafiste jihadiste
contemporain défend cette conception qui n’envisage qu’une guerre sans merci jusqu’à la victoire totale.
Il condamne la voie politique sans ménagement : « l’abruti a préféré délaisser la voie des compagnons [de
Mahomet] dans la construction des États et prendre pour modèle la révolution française ou, pire encore,
la démocratie idolâtre. Regardez cet abruti de Morsi et sa confrérie [les Frères musulmans égyptiens] que
le modèle démocratique a conduits dans les abîmes de l’apostasie avant de les conduire dans les prisons
de Sissi le taghout [oppresseur et impie], humiliés, comme le prophète l’avait dit : “L’humiliation et la
bassesse ont été décrétées pour ceux qui violent mon commandement“ (Ahmad Ibn Hanbal, al-Musnad,
hadith n° 5667) [12] ».
B. LE CALIFAT, TERRE PROMISE
Tout mouvement politique, totalitaire, ou non, vise le contrôle d’un territoire sur lequel mettre en œuvre
son programme.
À la tête de l’Italie depuis quelques mois, Mussolini déclarait, lors de la présentation de ses vœux aux
membres de son gouvernement, le 1er janvier 1923 : « Telle est la tâche historique qui nous attend, faire
de cette Nation un État, c’est-à-dire une idée morale qui s’incarne et s’exprime par un système de
hiérarchies organisées [13] ». Le 10 janvier 1923, le quotidien du parti fasciste affirmait : « le
gouvernement fasciste veut réaliser l’État fasciste […] c’est-à-dire une organisation de l’État capable de
résister à tous les ennemis intérieurs et extérieurs [14] ». Dix ans plus tard, l’ambassadeur de GrandeBretagne constatait : « toute la vie nationale est aujourd’hui […] organisée dans toutes les directions […]
Le résultat est que les Italiens sont aujourd’hui fiers d’être Italiens ce qu’on aurait difficilement pu dire
dix ans auparavant. Le travail de régénération progresse [15] ». Sous Staline, l’URSS se présentait comme
le pays du bonheur. Ainsi, en 1936, les auteurs de l’histoire officielle du parti communiste affirmaient que
la révolution bolchevique avait créé une société « telle que l’humanité n’en avait jamais connue ». Et de
préciser : « l’économie nationale a entièrement changé. Les éléments capitalistes ont été entièrement
liquidés. Le système socialiste triomphe dans tous les domaines. […] L’exploitation de l’homme par
l’homme est supprimée pour toujours. Dans la nouvelle société socialiste ont disparu à jamais les crises, la
misère, le chômage et la ruine. Les conditions sont créées d’une vie d’aisance et de culture pour tous les
Soviétiques [16] ». Nous trouvons une revendication du même ordre en Chine à la veille de la prise du
pouvoir par les communistes : « Nous ne sommes pas seulement capables de détruire un monde ancien ;
nous serons également capables d’édifier un monde nouveau [17] ». Avant même la proclamation du
Califat, Daech prétendait offrir à ses adeptes le havre tant désiré. En atteste cet extrait des déclarations
de Nicolas Bons (alias Abu Abdel Rahman) avant l’opération suicide dans laquelle il mourut (22 décembre
2013) : « Un message pour tous les frères de la dawla [l’État islamique en Irak et au Levant]. C’est ma
vraie famille. En France, les cœurs sont fermés, il n’y a rien dans les cœurs ; ils sont gentils par-devant et
puis après, par-derrière, il n’y a rien. Ici, vraiment, les cœurs sont ouverts, il y a les sourires, tout ça, la
compassion, l’accueil tout chaleureux, vraiment je vous aime pour Dieu, vraiment beaucoup, vous êtes les
meilleures personnes que j’ai rencontrées, et je remercie Dieu de m’avoir mis ici avec vous [18] ».
Depuis le 29 juin 2014, la cité idéale existe : « Maintenant que le Califat a été établi et que la charia est
appliquée, règne une stabilité comme à la ville de Raqqa où vivent les frères que nous connaissons. Dans
cette ville, les frères et les sœurs peuvent faire des études. Certaines personnes ont émigré pour obéir à
Dieu et profitent à la communauté par leur science, leur savoir scientifique ou religieux. L’État verse à
chaque habitant une part, ce qui fait qu’aucune personne n’est lésée et qu’ils ne connaissent pas la
pauvreté. Les gens ne se posent pas la question de : “Mais si j’ai trois ou quatre enfants comment
pourrais-je les nourrir ?“ Ou les : “Je ne trouve pas de travail et personne ne veut m’en donner parce que
je m’appelle Abdallah“. Les commerces ferment tous le jour du vendredi. La vente de tabac, d’alcool et de
toute forme de substance illicite a été interdite et détruite [19] ».
La propagande du Califat insiste sur la spécificité du territoire qu’il contrôle et enjoint au retour sur la
seule terre où le croyant véritable est censé vivre selon le désir de Dieu : « Tout musulman sincère émigre
vers l’une des régions de l’État Islamique, cette terre d’islam, et quitte les terres de mécréances, dirigées
par les pires idolâtres de ce monde, qui font sans cesse la guerre à notre communauté. Le tour est venu
maintenant pour les croyants d’avancer, de récupérer les terres et de ne pas laisser une seconde ces
tyrans se reposer. Le musulman ne peut rester loin de cette terre sans être assailli par le regret et sans
avoir l’envie de la rejoindre afin de se rapprocher de son Seigneur [20] ». En rejoignant le territoire du
Califat, chaque musulman imite l’exil (hidjra) de Mahomet à Yathrib (aujourd’hui Médine) en 622, point de
départ de la guerre victorieuse qui assura le triomphe de la religion musulmane dans la péninsule
arabique. Le 4 juillet 2014, Abou Bakr al-Baghdadi, tout nouveau calife Ibrahim, désireux d’assurer le bon
fonctionnement de l’entité politique qu’il venait de créer, lançait cet appel : « Ô musulmans, d’où que vous
soyez, si quelqu’un veut faire son hidjra, vers l’État islamique, laissez-le faire, car la hidjra sur la terre de
l’islam est une obligation […] Je fais un appel particulier aux professeurs, aux juristes (de la charia), et
surtout aux juges, à tous ceux qui ont une expérience militaire, administrative, aux médecins et aux
ingénieurs dans leurs différents champs de spécialisation, nous les appelons à craindre Dieu et à faire leur
hidjra ». Il s’appuyait sur la religion pour convaincre les personnels nécessaires à la bonne marche de
l’oumma en voie de reconstruction de le rejoindre.
Le Califat appartient à la catégorie des organisations de type messianique, c’est-à-dire des mouvements
religieux et politiques (comme les avatars du communisme, par exemple) annonçant un monde meilleur.
Le schéma est toujours le même : la libération et le bonheur des hommes sont annoncés par un chef
charismatique, au nom de Dieu ou d’un autre principe, ce qui permet de mobiliser les individus et de leur
faire accepter les sacrifices exigés (éventuellement celui de leur vie). Religieux ou athée, le mouvement de
type messianique conteste un ordre “injuste“. En conséquence, il met en avant les “victimes“ de ce
dernier, parle en leur nom et affirme prendre appui sur elles. Il peut revêtir une dimension militaire car
l’attente de la libération des hommes, comme celle du règne de la paix et de la justice, ou “millénarisme“,
ne demeure pas toujours passive. Les chefs des mouvements messianiques de type millénariste éprouvent
souvent la tentation de hâter l’avènement de la nouvelle société promise, ou se retrouvent contraints de le
faire. Fréquemment, la violence apparaît comme un geste purificateur, préalable indispensable à la venue
des temps nouveaux. Ces derniers peuvent, éventuellement, précéder la fin du monde et de l’humanité, la
résurrection et le jugement dernier, perspectives tracées par l’eschatologie. C’est précisément le cas avec
Daech : le mouvement croit en la prophétie de Dabiq. Celle-ci promet la victoire universelle de l’islam : «
L’heure dernière n’arrivera pas avant que les Byzantins n’attaquent Dabiq. Une armée musulmane
regroupant des hommes parmi les meilleurs sur terre à cette époque sera dépêchée de Médine pour les
contrecarrer. Une fois les deux armées face à face, les Byzantins s’écrieront : “Laissez-nous combattre nos
semblables convertis à l’islam.” Les Musulmans répondront : “Par Allah, nous n’abandonnerons jamais nos
frères.” Puis la bataille s’engagera. Un tiers s’avouera vaincu ; plus jamais Allah ne leur pardonnera. Un
tiers mourra ; ils seront les meilleurs martyrs aux yeux d’Allah. Et un tiers vaincra ; ils ne seront plus
jamais éprouvés et ils conquerront Constantinople [21] ». Le village de Dabiq se trouve au nord de la
Syrie, dans la zone encore contrôlée par le Califat. La version en anglais de la revue de propagande de
Daech s’intitule Dabiq et porte en exergue le rappel de la prédiction, qui servit de mot d’ordre à la
branche iraquienne d’Al-Qaida (dont Daech est issue) lorsque Abou Moussab al-Zarqaoui la dirigeait (de
2004 à 2006). Cela nourrit leur absolue certitude de remporter la victoire finale : « Depuis le début, de
cette nouvelle croisade menée contre le Califat, les soldats de l’État Islamique attendent avec impatience
que la coalition croisée pose le pied à terre pour se confronter à eux. Mais les chefs d’État mécréants ne
sont pas dupes et connaissent parfaitement la lâcheté de leurs soldats. Ces derniers aiment la vie d’ici-bas
comme les moudjahidin aiment la mort dans le sentier de Dieu. Ainsi, les mécréants ont recours à la
guerre par procuration, mettant à contribution les sahawat [groupes armés] de l’apostasie pour effectuer
le travail qu’ils craignent tant [22] ».
Le Califat présente son territoire comme le seul lieu sur terre où le musulman peut suivre le droit chemin.
Actuellement limité et en recul, cet espace a vocation à s’étendre à l’ensemble de la planète. Au
demeurant, selon l’idéologie salafiste jihadiste, il ne s’agit pas d’une conquête, mais d’une reconquête :
créée par Dieu, la Terre doit revenir toute entière en son obéissance. Et, d’après les partisans du calife
Ibrahim, seul le combat armé permettra ce retour à l’ordre voulu par Dieu.
C. LE JIHAD, SIXIEME PILIER DE L’ISLAM
Tous les mouvements totalitaires mettent en avant la nécessité de recourir à la violence pour assurer le
triomphe de leur cause. Ils recrutent une partie de leurs cadres et militants parmi des hommes (et parfois
des femmes) ayant une expérience de la guerre et/ou de la lutte armée. S’ils gagnent, ils prétendent que
les artisans de ce changement violent constituent la base d’une nouvelle classe dirigeante.
Durant l’été 1920, devant les délégués du IIe Congrès du Komintern, Trotski rappelait que, « dans toute
son activité, le communiste demeure toujours fidèle à lui-même, membre discipliné de son parti, ennemi
implacable de la société capitaliste, de son régime économique, de son État, de ses mensonges
démocratiques, de sa religion et de sa morale. Il est le soldat dévoué de la révolution prolétarienne et
l’annonciateur infatigable de la société nouvelle ». Quelques années plus tard, le secrétaire du parti
national fasciste, Augusto Turati, écrivait : « Quelques-uns, guidés par Un [c’est-à-dire Mussolini],
comprirent que le combattant façonné au creuset de la guerre devait à son tour refaçonner la vie [23] ».
Suite au putsch raté de 1923, Hitler renonça à prendre le pouvoir par la violence, mais son parti recourut
à des exactions ciblées contre ses adversaires politiques (notamment les communistes) et ne cessa d’user
de la violence verbale pour miner le régime de Weimar. En 1930, un truand proche des communistes tua
le militant hitlérien Horst Wessel. Les nazis érigèrent celui-ci en martyr et firent de l’un de ses poèmes
leur hymne officiel. Le texte dit, en particulier : « Dégagez les rues pour les bruns bataillons,/ Dégagez les
rues pour les sections d’assaut !/ Des regards pleins d’espoir se tournent vers la croix gammée par
millions/ Le jour de la liberté et du pain se lèvera bientôt./ L’appel retentit pour la dernière fois !/ Nous
sommes déjà prêts pour le combat ! » Pour sa part, Sayyid Qutb prévenait qu’« instaurer le règne de Dieu
sur terre, supprimer celui des hommes, enlever le pouvoir à ceux de ses adorateurs qui l’ont usurpé pour
le rendre à Dieu seul, donner autorité à la loi divine (chari‘at Allah) seule et supprimer les lois créées par
l’homme […] tout cela ne se fait pas avec des prêches et des discours. Car ceux qui ont usurpé le pouvoir
de Dieu sur terre pour faire de ses adorateurs leurs esclaves ne s’en dessaisissent pas par la grâce du seul
verbe [24] ».
Le Califat aussi exalte le recours à la violence. Il rappelle à ses partisans que « dans l’oumma du prophète
Mahomet, nous avons été instruits à combattre physiquement pour défendre notre religion et nous-mêmes
où que nous soyons dans le monde [25] ». L’enjeu est sans égal puisqu’il en va de la victoire de l’islam
authentique : « Dieu a jeté l’effroi dans leur cœur et ils sont terrorisés par le retour du Califat et la
bannière noire du tawhid qui bientôt flottera sur la Mecque, Médine, Bagdad, Constantinople jusqu’à
Rome si nous préservons le bienfait du tawhid en l’apprenant, le pratiquant et combattant pour l’établir
[26] ». La tendance djihadiste du salafisme considère que, à l’imitation de Mahomet, le pouvoir se
conquiert exclusivement par les armes et que la loi de Dieu n’est instaurée que par la guerre sainte,
présentée comme une obligation absolue. Les adeptes la qualifient de “sixième pilier de l’islam“. Abou
Bakr al-Baghdadi, calife Ibrahim, lançait cet appel le 14 mai 2015 : « Nous t’ordonnons de t’élancer au
combat pour que tu sortes de la vie d’humiliation, de petitesse, du suivi aveugle, de la perdition, pour te
diriger vers celle de la puissance, de l’honneur et de la vraie richesse ».
Le Califat use du ressort mobilisateur classique des mouvements totalitaires : le “nous“ et “eux“, qui
sépare radicalement les affidés, détenteurs de “la vérité“ et de ce fait autorisés à tout, du reste de
l’espèce humaine, ignorante et manipulée, qui, faute de se rallier, peut-être traitée de la façon la plus
brutale. L’assentiment à la volonté divine place l’ensemble des membres de l’oumma sur un pied d’égalité,
ce qui rend caduques les hiérarchies profanes. En revanche, il existe une fracture irréductible : celle qui
sépare ceux qui entendent réellement l’appel à se soumettre à la volonté divine, et tous les autres, promus
cibles légitimes car ils ne répondent pas à cette injonction ou s’y opposent. Or, la conception salafiste
jihadiste de l’islam peine à convaincre les autres croyants : « On fait confiance au traître qui a vendu sa
religion et placé les lois de la République au-dessus de celles du Tout Puissant alors que le digne de
confiance qui suit la religion telle qu’elle a été révélée est pris pour un traître. Les gens ne connaissent
plus les rudiments de l’Islam mais se permettent d’émettre des jugements sur la légitimité des actes de
l’État Islamique [27] ». Les rétifs devront rendre compte : « Il y a beaucoup de musulmans sur la terre, et
nous avons besoin de vous ! Où sont les hommes ? Où sont les hommes de la communauté de Mahomet ?
Que répondrez-vous, que répondrez-vous à Dieu quand vous serez devant Lui et que les témoins qui
viendront devant vous ce seront des femmes qui se sont fait violer, des enfants qui se sont fait tuer, des
frères qui se font torturer dans les prisons de ces chiens ? [28] ».
Outre la guerre classique, Daech pratique la guerre révolutionnaire définie et mise en œuvre par Lénine
et Mao Zedong, notamment. En 1905, Lénine publiait un article « Sur la guerre des partisans », dans
lequel il expliquait : « Il est absolument naturel et inévitable que l’insurrection prenne une forme plus
haute et plus complète, celle d’une guerre civile prolongée embrasant tout le pays […] Cette guerre ne
peut être conçue autrement que comme une série de grands combats peu nombreux, séparés par des
intervalles assez grands, et une masse de petites escarmouches dans l’intervalle ». Dans cette
confrontation, la fin justifie tous les moyens : « le marxisme ne répudie d’une façon absolue aucune forme
de lutte ». Le but est de détruire de fond en comble l’ordre en place pour le remplacer par un autre,
radicalement différent. En conséquence, les praticiens de la guerre révolutionnaire, en sus de la bataille
conventionnelle, n’hésitent pas à mettre en œuvre toutes les autres formes de violence lorsque celles-ci
peuvent faire avancer la “cause“. À la guérilla, aux actes terroristes, aux tortures, aux massacres,
s’ajoutent aujourd’hui le piratage informatique ou la tentative de recours à des armes de destruction
massive. Tout cela se retrouve dans la stratégie du Califat : « Ô toi le Monothéiste ne rate pas cette
bataille où qu’elle soit, attaque les soldats et les partisans des tyrans, leurs armées, leurs polices, leurs
services de renseignements et leurs collaborateurs. Fais trembler la terre sous leurs pieds, rends leur la
vie impossible, et si tu peux tuer un mécréant américain ou européen, et particulièrement un Français
haineux et impur, un Australien, un Canadien ou autre que cela parmi les mécréants en état de guerre,
habitants des pays qui se sont coalisés contre l’État islamique, alors place ta confiance en Dieu et tue le
par n’importe quel moyen. Ne consulte personne, et ne demande de fatwa [avis juridique] à personne. Que
le mécréant soit un civil ou un militaire, ils ont tous le même jugement, tous les deux sont mécréants, tous
les deux sont en état de guerre. Leur sang et leurs biens sont licites [29] ». Afin de dissiper toute
hésitation, le Califat expose les fondements religieux qui, à ses yeux, fondent la licéité de l’assassinat des
mécréants [30] : « nos références sont le Coran et la Sunna (c’est-à-dire les hadiths considérés comme
authentiques ou bons) selon la compréhension des meilleures générations (les compagnons et ceux qui les
suivirent parmi les trois premiers siècles de l’Islam) et des imams de la religion qui les ont suivies [31] ».
À la base de tout : « Dieu a dit : “Après que les mois sacrés expirent, tuez les idolâtres où que vous les
trouviez. Capturez-les, assiégez-les et guettez-les dans toute embuscade. Si ensuite ils se repentent,
accomplissent la salat et acquittent la zakat, alors laissez-leur la voie libre, car Dieu est Pardonneur et
Miséricordieux“ (Coran, Sourate Al-Tawba, verset 5). Il apparaît clairement dans ce verset que Dieu nous
ordonne de tuer les idolâtres où qu’ils se trouvent et que la condition pour qu’ils soient épargnés est le fait
qu’ils embrassent l’Islam, accomplissent la prière et s’acquittent de l’aumône légale [32] ». Et d’ajouter : «
Le terme de harbi désignant celui dont le sang et les biens sont licites a formellement été défini par les
savants musulmans […] Il n’est donc pas fait référence au combat mais plutôt à l’absence de pacte [33] ».
Par conséquent, il ne faut pas (se) tromper : « Il est dit “tuez les idolâtres“ non pas les combattants
idolâtres, “Combattez ceux qui ne croient ni en Dieu ni au Jour dernier“ non pas les combattants qui ne
croient ni en Dieu ni au Jour dernier, “Et combattez-les jusqu’à ce qu’il ne subsiste plus de fitna“ non pas
jusqu’à ce qu’il ne subsiste plus de combat, “Combats-les jusqu’à ce qu’ils attestent qu’il n’y a de divinité
(digne d’adoration) en dehors de Dieu“ non pas jusqu’à ce qu’ils cessent de combattre. C’est bien clair
[34] ». Le Califat réfute les musulmans qui condamnent le recours à la violence contre les non-musulmans
et leur reprochent une lecture erronée du Coran, notamment lorsqu’ils invoquent la citation : “quiconque
tuerait une personne non coupable d’un meurtre ou d’une corruption sur la terre, c’est comme s’il avait
tué tous les hommes“ (Sourate Al-Maidah, verset 32). Selon Daech, « la prétendue sacralité de la vie
humaine – sans distinction entre la vie d’un mécréant et celle d’un musulman – n’existe pas en Islam mais
les imposteurs ne cessent de répéter le contraire en se basant sur un verset auquel ils ont donné
l’interprétation qui leur convenait sans revenir à l’exégèse des savants qui les ont précédés [35] ». Le
Califat soutient que « le jihad d’attaque qui consiste à envahir les terres des mécréants pour qu’ils
embrassent l’Islam ou se soumettent à la loi de Dieu est non seulement légitime mais c’est une obligation
comme cela est accrédité par le consensus des savants de l’Islam [36] ». En effet, « Dieu a dit :
“Combattez ceux qui ne croient ni en Dieu ni au Jour dernier, qui n’interdisent pas ce que Dieu et Son
messager ont interdit et qui ne professent pas la religion de la vérité, parmi ceux qui ont reçu le Livre,
jusqu’à ce qu’ils versent la jizya (capitation) par leurs propres mains, après s’être humiliés“ (Coran,
Sourate At-Tawba, verset 29). Le verset paraît tout à fait clair dans sa signification [37] ». Et « Dieu a dit :
“Et combattez-les jusqu’à ce qu’il ne subsiste plus de fitna, et que la religion soit entièrement à Dieu. Puis,
s’ils cessent (ils seront pardonnés car) Dieu observe bien ce qu’ils œuvrent“ (Coran, Sourate Al-Anfal,
verset 39) [38] ». De fait, « les hadiths de ce type sont nombreux et démontrent tous la non sacralité du
sang et des biens des mécréants ne jouissant pas d’un pacte avec les musulmans et ce en raison de la
mécréance elle-même [39] ». Il existe donc un « rapport de causalité entre mécréance et licéité du
combat, voire obligation du combat [40] ».
Rejetant les principes d’intégrité territoriale et de souveraineté des États — consacrés par le droit
international contemporain —, le Califat mène une guerre explicitement dédiée à la conquête de
territoires et à la conversion des populations qui y résident. Ce combat ne prendrait fin qu’une fois
l’ensemble de la planète conquise et la totalité de sa population convertie à l’islam dans sa version
salafiste. Le discours du Califat est explicite : « Quant à ceux qui veulent des passeports, des frontières,
des ambassades et de la diplomatie ils n’ont pas compris que les partisans de la religion d’Abraham
mécroient et prennent en inimitié ces idoles païennes. Nous re¬nions la démocratie, la laïcité, le
nationalisme, leurs partisans ainsi que toutes les pratiques et rites de ces fausses religions. Nous voulons
rétablir l’État pro¬phétique et celui des quatre Califes bien-guidés ; pas l’État-Nation de Robespierre, de
Napoléon, ou d’Ernest Renan [41] ». Le gouvernement imposé à l’humanité tout entière serait une
dictature des plus rigoureuses, comme ce fut déjà le cas sous Lénine, Mussolini, Hitler et consorts.
II. LE CALIFAT : UNE DICTATURE
Mue par une haine absolue de la démocratie, chaque entreprise totalitaire engendre un régime dictatorial,
dirigé par un chef unique tout puissant, régnant sur une population encadrée par un parti unique qui
accapare l’État et en fait l’outil omnipotent de sa domination. Aucun ouvrage n’a mieux décrit ce type de
système que le roman publié en 1949 par George Orwell : 1984.
A. LA HAINE DE LA DEMOCRATIE
Les idéologies totalitaires communient dans la haine de la démocratie. Ainsi s’exprimait Lénine, en 1919 :
« la plus démocratique des républiques bourgeoises ne saurait être autre chose qu’une machine à
opprimer la classe ouvrière à la merci de la bourgeoisie, la masse des travailleurs à la merci d’une
poignée de capitalistes [42] ». Mussolini, dans son exposé de la doctrine fasciste, n’était pas en reste : « le
fascisme nie que le nombre, par le seul fait d’être le nombre puisse diriger les sociétés humaines. Il nie
que ce nombre puisse gouverner grâce à une consultation périodique. Il affirme l’inégalité ineffaçable,
féconde, bienfaisante des hommes qu’il n’est pas possible de niveler grâce à un fait mécanique et
extérieur comme le suffrage universel. […] Le fascisme repousse dans la démocratie l’absurde mensonge
conventionnel de l’irresponsabilité collective, le mythe du bonheur et du progrès indéfinis ». Dans Mein
Kampf, Hitler soutenait que « les génies d’une trempe extraordinaire ne sont pas soumis aux mêmes
règles que l’humanité courante. Il n’y a pas de décision de la majorité, mais seulement des chefs
responsables […] De par sa nature même, une organisation ne peut subsister qu’avec un haut
commandement intelligent, servi par une masse que guide plutôt le sentiment ».
Le Califat se place dans la même veine : « les valeurs de la République […] ne sont pour le musulman
qu’un tissu de men¬songes et de mécréance que Dieu lui a ordonné de combattre et de rejeter tout en
déclarant la mécréance de ses adeptes [43] ». L’argumentaire, en quatre points, mérite d’être connu : « 1La laïcité est la séparation de la religion et des affaires de l’État. Le musulman, lui, sait que Dieu est Le
seul législateur et que quiconque fait des lois, en dehors du cadre du Coran et de la sunna, est un
mécréant qui s’est associé lui-même [c’est-à-dire qui commet le péché majeur de s’égaler ou de se
substituer] à Dieu. Dieu dit : “Le pouvoir n’appartient qu’à Dieu. Il vous a commandé de n’adorer que Lui.
Telle est la religion droite ; mais la plupart des gens ne savent pas“ (Coran, Sourate Yousouf, verset 40).
[…] 2 - L’islam n’accepte pas la liberté de conscience puisque le messager de Dieu a dit : “Il m’a été
ordonné de combattre les gens jusqu’à ce qu’ils disent il n’y a de divinité que Dieu, s’ils disent cela ils ont
rendu sacré leur sang et leurs biens“ (Muhammad al-Bukhari, Sahih al-Bukhari, hadith n° 25, Muslim Ibn
Hajjaj, Sahih Muslim, hadith n° 20). Quiconque renonce à l’Islam ou apostasie doit être tué. Le Prophète a
dit : “Celui qui apostasie de sa religion, tuez-le“ (Muhammad al-Bukhari, Sahih al-Bukhari, hadith n°
3017). 3 - L’islam est une religion de justice et ne croit pas à l’égalité telle qu’elle est enseignée dans les
écoles de la république. Les mécréants et les musulmans ne sont pas égaux comme Dieu dit : “Dis : “Sontils égaux, ceux qui savent et ceux qui ne savent pas ?“ Seuls les doués d’intelligence se rappellent“
(Coran, Sourate Az-Zumar, verset 9). En outre, les hommes et les femmes ne sont pas égaux puisque Dieu
nous dit : “Les hommes ont autorité sur les femmes, en raison des faveurs que Dieu accorde à ceux-là sur
celles-ci, et aussi à cause des dépenses qu’ils font de leurs biens. Les femmes vertueuses sont obéissantes
(à leurs maris), et protègent ce qui doit être protégé, pendant l’absence de leurs époux, avec la protection
de Dieu“ (Coran, Sourate An-Nissa, verset 34). 4 - Le prosélytisme est une obligation pour chaque
musulman car Dieu lui ordonne : “Par la sagesse et la bonne exhortation appelle (les gens) au sentier de
ton Seigneur. Et discute avec eux de la meilleure façon. Car c’est ton Seigneur qui connaît le mieux celui
qui s’égare de Son sentier et c’est Lui qui connaît le mieux ceux qui sont bien guidés“ (Coran, Sourate AnNahl, verset 125). Quant au prophète, il nous demande : “Transmettez de moi ne serait-ce qu’un verset“
(Muhammad al-Bukhari, Sahih al-Bukhari, hadith n° 3461). En résumé, tout musulman qui lit la charte de
la laïcité sait ce qu’elle implique comme mécréance. Lorsque tu mets ton enfant à l’école de la république,
tu acceptes qu’il ingurgite cette bouillie de mécréance, corrompant ainsi sa prime nature et lui faisant
emprunter les voies des gens de l’Enfer. Si tu prétends qu’il assiste à la mécréance mais ne la commet
pas, alors sache que ton Seigneur a dit : “Dans le Livre, Il vous a déjà révélé ceci : lorsque vous entendez
qu’on renie les versets (le Coran) de Dieu et qu’on s’en raille, ne vous asseyez point avec ceux-là jusqu’à
ce qu’ils entreprennent une autre conversation. Sinon, vous serez comme eux. Dieu rassemblera, certes,
les hypocrites et les mécréants, tous, dans l’Enfer“ (Coran, Sourate An-Nissa, verset 140). […] Dans les
écoles de la jahiliyah [barbarie résultant de l’ignorance qui prévalait avant la révélation à Mahomet], sont
enseignés la tolérance, le respect des valeurs républicaines et le pluralisme des convictions. Or, le
musulman déteste la mécréance et les mécréants, il les prend comme ennemis comme l’ont fait avant lui
les prophètes. Dieu nous dit : “Certes, vous avez eu un bel exemple [à suivre] en Abraham et en ceux qui
étaient avec lui, quand ils dirent à leur peuple : “Nous vous désavouons, vous et ce que vous adorez en
dehors de Dieu. Nous vous renions. Entre vous et nous, l’inimitié et la haine sont à jamais déclarées
jusqu’à ce que vous croyiez en Dieu, seul“ (Coran, Sourate Al-Mumtahanah, verset 4). Ibn Jarir al-Tabari
explique que “ceux qui étaient avec lui“ étaient les prophètes (Ibn Jarir al-Tabari, Tafsir al-Tabari, t.22,
p.566). Le cheikh Hamad ibn-Atiq a dit : “Quant au fait de prendre en ennemi les mécréants et les
idolâtres, sache que Dieu a rendu cela obligatoire. […] (Hamad ibn-Atiq, Sabil an-Najat wa al-Fakak in
Majmu’at at-Tawhid, p.249). Dieu dit aussi : “Ô les croyants ! Ne prenez pas pour alliés les Juifs et les
Chrétiens ; ils sont alliés les uns des autres. Et celui d’entre vous qui les prend pour alliés, devient un des
leurs. Dieu ne guide certes pas les gens injustes“ (Coran, Sourate Al-Ma’idah, verset 21). […] De
nombreux autres versets montrent clairement que le fait de détester les mécréants pour leur religion est
une obligation pour chaque musulman [44] ».
B. LE CALIFE, CHEF UNIQUE
Le régime totalitaire est incarné par un chef unique, investi d’un pouvoir absolu : le calife Ibrahim
s’inscrit dans la continuité de Mussolini, Hitler, Staline, Mao et de leurs émules.
Ce pouvoir absolu d’un seul est présenté comme indispensable à la réalisation du projet politique. En mars
1919, devant les délégués au VIIIe Congrès du PC, Lénine affirmait : « À l’époque de la lutte violente,
lorsqu’on réalise la dictature ouvrière, il faut avancer le principe de l’autorité personnelle, de l’autorité
morale de l’individu aux décisions duquel tout le monde se soumet sans longues discussions ». Plus
grandiloquent, le fascisme intégrait aussi dans sa rhétorique la dimension démiurgique caractéristique
des tyrans totalitaires : « Sa figure brille, monolithique, dans l’actualité, dans l’histoire, dans les
projections de l’avenir, dominant les hommes et les choses, tel le prince des hommes d’État, le génie de la
Lignée, le sauveur de l’Italie, comme un Romain, dans la réalité et dans le mythe, de la Rome impériale,
comme la personnification et la synthèse de l’idea-Populus, comme un grand initié. […] Il suivit dès le tout
début la pratique du Héros [qui] part seul à la conquête du monde, qui n’existe d’abord que dans les
élaborations de son esprit. Le suivent, sans qu’il les y invite, le tout petit nombre de fidèles, le premier
groupe d’interprètes, de combattants et de martyrs […]. Le mythe du Héros est une projection de tous les
mythes de la divinité […]. [Mussolini] est le Héros total dans la lumière du soleil, le Génie inspirateur et
créateur, l’Animateur qui entraîne et conquiert. Lui : la totalité massive du mythe et de la réalité. […]
Dans l’Exposition [consacrée en 1934 à la révolution fasciste], il est tout […]. La Révolution, c’est Lui ; Lui
c’est la Révolution. Et l’Exposition palpite tout entière de son immense présence, qui domine hommes et
choses, événements et documents, créations artistiques et figurations symboliques, et pénètre, du souffle
puissant du Génie, l’âme des visiteurs, les remplit, les assujettit, les transporte au loin et les élève dans le
ciel de ses visions et de ses hardiesses [45] ». Le communisme devait porter à ses sommets le culte de la
personnalité rendu aux dictateurs qu’il produisit. En 1966, la publication La Chine rendait compte en ces
termes de la traversée du fleuve Yangzi à laquelle se livrait Mao Zedong chaque année et qui devait, cette
année-là, marquer le début de la Révolution culturelle : « Le président Mao avait parcouru dans le sens du
courant près de quinze kilomètres. Quand il est monté à bord du bateau, il est apparu plein de vigueur et
n’a manifesté aucun signe de fatigue […] Ce grand événement a ému le cœur de tous. Les cris “Vive le
président Mao“ ont retenti pendant plus de quatre heures sur les rives du fleuve. Des scènes émouvantes
ont montré l’affection et le respect infinis du peuple chinois pour son grand dirigeant, le président Mao.
Guidés par la brillante pensée de Mao Zedong, sept cents millions de Chinois fixent leurs regards sur
l’avenir et vont de l’avant en bravant le vent et en brisant les vagues [46] ». Originalité du Califat : nul ne
devant se glorifier car toute la gloire appartient à Dieu, le Calife tout-puissant ne fait l’objet d’aucun culte
ostentatoire. Son pouvoir absolu procède de Dieu et n’a par conséquent besoin d’aucune propagande.
Le chef unique réputé infaillible dans tous les domaines est source de toutes choses. L’un des slogans les
plus usités du régime fasciste proclamait : « Mussolini a toujours raison ! » Le quotidien La Stampa
assurait : « Notre pensée va vers [Mussolini] celui qui sait tout et qui voit tout, vers celui qui lit les yeux
fermés dans les cœurs humains [47] ». Le régime soviétique n’était pas en reste, témoin cet extrait du
quotidien Pravda du 30 juillet 1936 : « Inspirés par le camarade Staline, les cheminots viennent de
découvrir les potentialités merveilleuses du transport socialiste. La glorieuse armée des cheminots a
réalisé la mission que lui avait confiée le camarade Staline : charger 75-80 000 wagons par jour. Elle a
frôlé le chiffre de 90 000 wagons et s’est engagée à charger, dans un très proche avenir, 100 000 wagons
par jour. Quel est le secret de cette prodigieuse réussite ? Il est simple : les cheminots sont aujourd’hui
armés des directives historiques du camarade Staline sur la haute signification du transport socialiste
pour notre patrie [48] ». Quant à Mao, il déclarait en 1958 : « Il y a deux sortes de culte de la
personnalité, l’un est juste, ainsi celui qui a pour objet les idées correctes de Marx, Engels, Lénine et
Staline. Nous devons les vénérer, eux, les vénérer éternellement ; si nous ne les vénérions pas, ce serait
un tort. La vérité est entre leurs mains, pourquoi ne devrions-nous pas les vénérer ? Nous croyons à la
Vérité, la Vérité est le reflet de ce qui existe objectivement. Un groupe doit vénérer son chef de groupe ;
s’il ne le vénérait pas, ce serait un grand tort [49] ». Et encore, ces propos sont-ils antérieurs au
déferlement d’hyperboles qui se produisit avec la Révolution culturelle. Le calife Ibrahim, quant à lui,
n’est rien en tant qu’homme, mais il peut d’autant moins se tromper qu’il est « le substitut du Législateur
pour la garde de la religion et le gouvernement des affaires d’ici-bas sur un fondement religieux [50] ».
Dieu fait obligation à l’oumma de se rassembler : « Que soit issue de vous une communauté qui appelle au
bien, ordonne le convenable, et interdit le blâmable. Car ce seront eux qui réussiront (Coran, Sourate Alimran, verset 103) [51] ». Et Daech assure que « le rassemblement ne peut s’effectuer que sous l’autorité
d’une tête qui est le Calife, l’Imâm, l’Émir [52] ». Dieu inspire la politique de ce dernier et la remettre en
cause tient du blasphème, un crime puni de mort en terre califale.
Mussolini et Hitler prétendaient incarner la volonté nationale ; Staline, Mao et consort affirmaient
incarner la société communiste en construction. Le calife Ibrahim incarne la promesse de la réalisation de
la cité de Dieu sur la terre. Armé du Coran et de la charia, il fonde sa légitimité sur l’engagement de
guider la communauté des croyants vers le salut éternel. Seule une politique reconnue comme non
conforme à la charia lèverait l’obligation d’obéissance absolue qu’entraîne le serment d’allégeance (bay‘a)
que lui ont prêté ses partisans. C’est le sens des propos qu’il a tenus le 4 juillet 2014 : « J’ai été désigné
pour vous diriger, mais je ne suis pas meilleur que vous. Si vous voyez que j’ai raison, alors, soutenez-moi,
et si vous voyez que j’ai tort, alors conseillez-moi et remettez-moi sur le droit chemin. » Dans le
communiqué intitulé « Ceci est la promesse de Dieu », le porte-parole du Califat, Abu Muhammad alAdnani Ach-Chami rappelle l’autorité absolue du calife : « [Au sujet du] Califat, obligation délaissée de
notre temps, Dieu le Très Haut a dit : […] “Je vais établir sur la terre un vicaire - Khalifa“ (Coran, Sourate
Al-Baqara, verset 30). Al-Qourtoubi [1214-1273] a dit, dans son exégèse, “ce verset est une preuve de
l’obligation de nommer un Imam et un Calife qu’on écoute et à qui on obéit, que les gens se rassemblent
et que les règles du Calife soient appliquées. Il n’y a pas de divergence sur cela dans la communauté […]“
En se basant sur cela le conseil consultatif de l’État islamique s’est rassemblé et a discuté de cette
question. Il a constaté que, grâce à Dieu, l’État islamique remplit toutes les conditions du Califat, que les
musulmans sont dans le pèché s’ils délaissent cette obligation et qu’il n’y a aucun empêchement ou excuse
légale qui nous protégerait de ce péché si nous retardions l’établissement du Califat. L’État islamique a
donc décidé, représenté en cela par les gens d’autorité et de noblesse, parmi les dirigeants, les chefs
militaires et le conseil consultatif, de proclamer le Califat. De proclamer l’établissement du Califat
islamique, de nommer le Calife des musulmans et de prêter serment d’allégeance au Cheikh, au
Moudjahid, à l’Adorateur, l’Imam, le Dévoué, au Moudjaddid (revivificateur) descendant de la lignée
prophétique, le serviteur de Dieu : Ibrahim Ibn ‘Iwad, Ibn Ibrahim, Ibn ‘Ali, Ibn Muhammad al-Badri alHachimi al-Housayni al-Qourachi par sa lignée, as-Samourrai par sa naissance, al-Baghdadi pour l’endroit
où il a fait ses études et où il a habité. Il a accepté le serment d’allégeance et il est devenu par cela Imam
et Calife de tous les musulmans partout dans le monde. L’État islamique supprime de son nom “en Irak et
au Cham“ dans toutes les questions administratives et officielles et son nom devient « l’État islamique » à
partir de la date de cette déclaration. Nous attirons l’attention des musulmans sur le fait qu’à partir de la
proclamation du Califat il devient une obligation pour tous les musulmans de faire serment d’allégeance et
de secourir le Calife Ibrahim. » Selon la pratique instaurée par la dynastie abbasside (750-1258), les
décisions du calife ne peuvent être ni contredites, ni ignorées, ni enfreintes. Adversaires ou simplement
rétifs, ceux qui ne se soumettent pas à son pouvoir absolu sont considérés comme des traîtres à l’islam, de
ce fait passibles de mort.
C. DAECH, PARTI UNIQUE
Un parti unique met en œuvre l’entreprise totalitaire. Dans ce but, il s’empare de l’appareil d’État et ne
fait plus qu’un avec celui-ci. Il propage et défend l’idéologie qui accapare le pouvoir et entreprend de
monopoliser la pensée. En mars 1919, on pouvait lire dans la résolution adoptée par le VIIIe Congrès du
PC(b) : « Le Parti communiste […] vise en particulier à obtenir des actuels organismes d’État, les soviets,
l’exécution de son programme autant qu’à les diriger en tout. » En 1936, le Parti fasciste définissait sans
ambiguïté la nouvelle situation : « avant tout, le Duce est le chef du Parti national fasciste. En cette
qualité, historiquement, il est devenu le chef de l’ensemble des organes qui règlent la vie nationale ; en
cette qualité, il est non seulement historiquement, mais aussi juridiquement et politiquement à la position
prééminente que lui assigne la loi et que lui confirme le peuple italien avec dévotion et enthousiasme ;
c’est pourquoi le Parti national fasciste a été et est l’animateur de l’État nouveau, l’élément central et
dynamique du régime [53] ». Au congrès du parti nazi réuni en 1934 à Nuremberg, le Führer exultait : «
c’est nous qui commandons à l’État ». Hitler avait écrit dans Mein Kampf : « l’État est un moyen en vue
d’une fin. Cette fin est la préservation et la promotion d’une communauté d’êtres vivants de même race et
de même conformation physique et psychique. Cette préservation concerne avant tout l’intégrité raciale ».
Or, cette préservation était la “mission historique“ du parti nazi au pouvoir : l’État national-socialiste se
fixa pour but de « protéger et rendre possible la vie du peuple allemand selon des formes conformes à
notre race, pour les siècles des siècles [54] ». Daech mène une démarche analogue : « La plus grande
mission de l’État islamique et du Califat est d’établir le tawhid [monothéisme] sur la terre et de détruire le
chirk [idolâtrie] qui est le pire péché commis par les hommes car ils mettent ainsi à égal la créature faible
et incapable et le Créateur de l’univers, Tout-Puissant et Omniscient [55] ».
Le parti totalitaire procède du concept “léniniste“ d’avant-garde, groupe très restreint de militants
dévoués corps et âme à la “cause“ et qui n’agissent que pour son triomphe, fût-ce au prix de leur propre
existence. Le futur fondateur de la Russie bolchevique écrivait, en 1902, dans Que faire ? : « l’activité
essentielle de notre Parti, le foyer de son activité doit être un travail qui est possible et nécessaire aussi
bien dans les périodes des plus violentes explosions que dans celles de pleine accalmie, c’est-à-dire un
travail d’agitation politique unifiée pour toute la Russie, qui mettrait en lumière tous les aspects de la vie
et s’adresserait aux plus grandes masses. Or ce travail ne saurait se concevoir dans la Russie actuelle
sans un journal intéressant le pays entier et paraissant très fréquemment. L’organisation qui se
constituera d’elle-même autour de ce journal, l’organisation de ses collaborateurs (au sens large du mot,
c’est-à-dire de tous ceux qui travaillent pour lui) sera prête à tout, aussi bien à sauver l’honneur, le
prestige et la continuité dans le travail du Parti aux moments de la pire “oppression” des révolutionnaires,
qu’à préparer, fixer et réaliser l’insurrection armée du peuple. » Chef du parti fasciste entre 1926 et 1931,
Turati définissait celui-là comme « une armée de croyants et non une masse d’associés [56] ». Après son
accession au pouvoir, le parti nazi fit l’objet d’une avalanche de demandes d’adhésion. Hitler décida de les
bloquer, du moins temporairement. Il expliqua son geste ainsi : « sur 45 millions d’adultes, 3 millions de
combattants se sont organisés pour soutenir la direction politique de la nation [57] ». À ses yeux, seuls
ceux qui avaient pris part à la lutte pour la conquête du pouvoir appartenaient à l’“élite“ d’où émergerait
la nouvelle classe dirigeante. Un participant rapporte que, devant les Gauleiter réunis à Berlin le 2 février
1934, « le Führer a désigné comme notre devoir principal le plus urgent la sélection des individus qui d’un
côté sont capables et de l’autre sont prêts à obéir aveuglément, lors de l’application des mesures
gouvernementales [58] ». Sayyid Qutb préconisait une démarche analogue : « Comment va commencer
cette résurrection islamique ? Il faut qu’une avant-garde en décide et se mette en marche au milieu de la
jahiliyah qui règne sur la terre entière [59] ». Selon Daech, celles et ceux des musulmans qui ont rejoint
son État, ont « décidé de quitter cette terre de mécréance pour vivre libres et soumis seulement à la loi
d’Allah [60] ». Comme ses prédécesseurs communistes, fasciste ou nazi, Daech est donc un “parti“, au
sens de “groupe à part“, c’est-à-dire « un groupe de personnes unies contre d’autres en raison de leurs
opinions communes [61] ». Cela apparaît sans ambiguïté dans l’imitation revendiquée de la geste
mahométane. Le rappel de l’Hégire à Yathrib (622) est omniprésent : « Nous nous rassemblâmes devant
lui en venant deux par deux (pour ne pas être repérés). Nous lui dîmes alors : ‘Ô messager de Dieu, sur
quoi te prêtons-nous allégeance ?’ Il dit : ‘Vous devez me faire allégeance sur l’écoute et l’obéissance dans
l’énergie et la paresse, sur la dépense dans l’aisance et la difficulté, sur le fait d’ordonner le bien et
d’interdire le mal, de dire sur Dieu la vérité sans craindre le blâme de qui que ce soit. Vous devez me
porter secours lorsque je viendrai à Yathrib et me protéger comme vous protégez vos propres personnes,
vos épouses et vos enfants. En échange de tout cela, je vous promets le Paradis.’ Nous répondîmes : ‘Nous
te faisons allégeance.’ C’est alors qu’Assad ibn-Zurarah – qui était le plus jeune des soixante-dix après moi
– prit sa main et dit : ‘Ne vous précipitez pas, Ô gens de Yathrib, nous n’avons parcouru cette longue
distance vers lui que parce que nous avons la certitude qu’il est le messager de Dieu mais sa sortie vers
nous implique que nous nous séparions de tous les Arabes, que les meilleurs d’entre vous soient tués et
que vous soyez lacérés par leurs épées. Si vous patientez face à cela, alors accueillez-le et vous aurez la
récompense de Dieu. Mais si vous craignez pour vous-même, laissez-le car cela sera plus excusable auprès
de Dieu.’ Ils lui dirent : ‘Retire ta main Ô As’ad Ibn Zurârah, par Dieu nous ne laisserons pas cette
allégeance et nous n’y renoncerons pas.’ Puis nous nous levâmes, lui fîmes allégeance un par un sur ces
conditions, en échange de quoi il nous promit le Paradis. » [Ahmad ibn-Hanbal, al-Musnad, hadith n°
14653 ; Muhammad al-Hakim, al-Mustadrak‘ala as-Sahihayn, hadith n° 4251] [62] ». Daech se présente
comme l’imitateur de cet épisode fondateur : « Lorsque le cheikh Abou Moussab al-Zarqaoui et un groupe
de combattants commencèrent à appeler au monothéisme en exposant aux gens la religion d’Abraham, la
nécessité de se désavouer des tyrans, de leurs armées, de leurs partisans et de leur fausse religion
démocratique, ils comprirent que cette religion ne pouvait être éta¬blie que par un groupe qui émigre et
combat dans le sentier de Dieu. […] Ce califat fut donc bâti sur la méthodologie prophétique, patiemment,
par le sacrifice et le sang des meilleurs de cette communauté [63] ».
Le parti-État totalitaire contrôle et embrigade l’ensemble de la population. Ainsi procédait le parti
communiste en URSS : « À tout moment, notre presse lance avec éclat de nouveaux slogans de base, elle
met l’accent sur les points cruciaux, les points chocs et enfonce le clou, obstinément, régulièrement,
systématiquement — insupportablement, disent nos ennemis. Oui, nos livres, nos journaux et nos tracts
“enfoncent“ dans la tête des masses des formules et des slogans, peu nombreux mais cruciaux,
fondamentaux. […] Un véritable article communiste, qu’il paraisse dans un journal ou une revue, qu’il soit
scientifique ou de propagande, se distingue par une extraordinaire clarté, une extrême précision du style.
Vos articles sont secs et grossiers, primaires et vulgaires, disent nos ennemis. Ils sont, en fait,
authentiques, sincères, courageux, francs, impitoyables [64] ». Mussolini expliquait : « le fascisme n’est
pas seulement législateur et fondateur d’institutions. Il veut refaire non pas les formes de la vie humaine,
mais son contenu : l’homme, le caractère, la foi. Et à cette fin, il veut une discipline et une autorité qui
pénètrent dans les esprits et y règnent sans partage [65] ». Le parti d’Adolf Hitler n’était pas en reste,
comme le montre, par exemple, ce discours de Goebbels le 17 juin 1935 : « Le national-socialisme n’est
pas seulement une doctrine politique. C’est un point de vue total et exhaustif sur toutes les affaires
publiques. Il nous faut donc fonder notre vie entière sur lui comme sur un postulat qui va de soi. Nous
espérons que le jour viendra où personne n’aura plus besoin de parler du national-socialisme, puisqu’il
sera devenu l’air que nous respirons ! [66] ». Daech exige la soumission absolue des individus au Califat et
ce pour des raisons religieuses : « le musulman, lui, sait que Dieu est Le seul législateur et que quiconque
fait des lois, en dehors du cadre du Coran et de la sunna, est un mécréant [67] ». Le Califat, « à travers le
Bureau de l’éducation, a mis en place des écoles où les programmes sont réellement islamiques, purifiés
de toutes les mécréances et péchés [68] ». Tout cela répond au dessein divin : « Le cheikh Abou
Muhammad al-Adnani a dit : “Nous sommes victorieux, ô croisés, et vous allez être défaits. Par Dieu, le
Seigneur de la puissance, vous serez vaincus. Nous avons été victorieux le jour où nous avons proclamé
l’alliance et le désaveu, le jour où nous avons détruit les idoles et exposé clairement le tawhid dans les
mosquées, les rues et partout. Le jour où nous avons lapidé les adultères, exécuté les sorciers, coupé la
main des voleurs, sanctionné les buveurs d’alcool, nous avons vêtus les femmes des musulmans du voile
de la pudeur. Nous avons été victorieux le jour où nous avons brisé les urnes et établi le Califat par les
balles et les têtes coupées, que nous avons accompli la salat, acquitté la zakat, ordonné le bien et interdit
le mal [69] ».
Chargé de mettre en œuvre le gouvernement idéal, l’État doit, par conséquent être tout-puissant après
que le parti unique s’en est assuré le contrôle.
D. LE CALIFAT, ÉTAT OMNIPOTENT
La population ne doit pas échapper à l’emprise du parti-État totalitaire : la réussite du projet politique
dépend de la soumission complète des corps et des esprits.
En 1929, Mussolini rappelait que, « dans le fascisme, tout est dans l’État ». M. Barberito explicitait, en
1940 : « L’État fasciste a été créé par la Révolution, c’est-à-dire par le parti qui, de cette révolution, est le
dépositaire et l’interprète, et, à ce titre, le seul unique et vrai moteur de l’État [70] ». Le parti fasciste
n’avait pas caché l’objectif visé : « Le régime entre dans le vif de la vie nationale [… et suit les citoyens]
tout au long de leur développement et avant même qu’ils ne voient le jour et qu’ils ne se forment, sans
jamais les abandonner, leur donnant à tous une discipline, une conscience et une volonté […] unitaires et
profondément concentrées [71] ». Les communistes russes reprirent la formule d’« État du peuple entier »
pour définir l’URSS. On pouvait lire dans le Dictionnaire politique publié à Moscou en 1983 : « patrie
“d’une nouvelle communauté, le peuple soviétique“, […l’État soviétique] traduit les intérêts et la volonté
de tous les travailleurs, de l’ensemble du peuple [72] ». Il s’agissait très exactement du Volksgemeinschaft
nazi que Hitler présentait, dans Mein Kampf, comme une « authentique association de travail, la réunion
de tous les intérêts, le refus de la citoyenneté individuelle et la création d’une masse dynamique, unie et
organisée ». Daech présente le Califat comme l’œuvre de Dieu : « Les victoires et les conquêtes se sont
succédées, une nouvelle aube s’est levée dans la fierté majestueuse de l’établissement d’un État pour les
musulmans, le drapeau du tawhid s’est levé, la charia a été instaurée, les peines ont été appliquées, les
barrages ont été levés, les frontières ont été cassées, le Califat a été annoncé en Irak et au Cham et les
musulmans ont choisi un Calife pour eux, c’est le petit-fils de la meilleure des créatures. Nous ne pouvions
que répondre à l’appel de Dieu [73] ». Par delà les vicissitudes, cet État ne peut disparaître car : « il ne
s’appuie en aucun cas sur sa force, ni sur sa préparation, ni même encore sur son nombre. Il s’en remet
entièrement à Dieu qui est le seul à pouvoir le secourir : “La victoire ne peut venir que de Dieu, le
Puissant, le Sage“(Coran, sourate Al Imran verset 126) [74] ». La toute-puissance du Califat n’est rien
d’autre que celle de Dieu : « Ne craignez pas pour le Califat, certes Dieu préserve Sa religion et préserve
Ses serviteurs. Il s’est passé dans l’État Islamique, depuis sa création il y a plus de dix ans et jusqu’à ce
jour, des épreuves, des difficultés et des troubles qui pourraient détruire les montagnes, comme la mort
de ses dirigeants, un grand nombre de pertes humaines, beaucoup de prisonniers, la diminution des
personnes, des provisions et de biens. Mais il est resté ferme par la grâce de Dieu seul [75] ». La nature
divine du Califat suppose que les musulmans s’y soumettent sans réserve.
Aux mains du parti unique, l’État devient l’outil d’accomplissement du projet de transformation de
l’homme et de la société. Mussolini l’expliqua devant le congrès du parti fasciste réuni en 1925 : « Portant
dans la vie tout ce qu’il serait une grave erreur de confiner à la politique, nous créerons, à travers une
œuvre de sélection obstinée et tenace, la nouvelle génération, et dans cette nouvelle génération, chacun
aura une tâche définie. Parfois me sourit l’idée de générations de laboratoire : autrement dit, l’idée de
créer la classe des guerriers, qui est toujours prête à mourir ; la classe des inventeurs, qui traque le secret
du mystère ; la classe des juges, la classe des grands capitaines d’industrie, des grands explorateurs, des
grands dirigeants. Et c’est à travers cette sélection méthodique que se créent les grandes catégories, qui
à leur tour créeront l’Empire. Assurément, ce rêve est superbe, mais je le vois qui peu à peu devient
réalité [76] ». Turati précisait, en 1927 : « Le régime ne sera définitivement victorieux, absolu et
impérissable que le jour où nous saurons qu’à chaque poste de commandement […] il y a une chemise
noire qui ait dans l’âme, intact, l’esprit de la révolution, la tête et la volonté bien façonnée, suivant la
conception de l’Italien nouveau que le Duce a exprimée avec lucidité et génie [77] ».
Centralisé, l’appareil étatique doit être tout-puissant. Lénine, commentant Engels, observait : « à ce
“pouvoir spécial de répression“ exercé contre le prolétariat par la bourgeoisie, contre des millions de
travailleur par une poignée de riches, doit se substituer un “pouvoir spécial de répression“ exercé contre
la bourgeoisie par le prolétariat (la dictature du prolétariat) [78] ». La contradiction avec l’objectif
proclamé — réaliser le dépérissement de l’État — est surmontée par la mise en avant de la pérennité des
ennemis : « Ne voulez-vous pas abolir le pouvoir étatique ? Oui, nous le voulons, mais nous ne le voulons
pas encore, nous ne pouvons pas encore le faire maintenant. Pourquoi ? Parce que l’impérialisme existe
encore, parce qu’à l’intérieur du pays les éléments réactionnaires et les classes existent encore. Notre
tâche actuelle est de renforcer les organes de l’État populaire — surtout l’armée populaire, la police
populaire et les cours populaires de justice — afin de consolider la défense nationale et de protéger les
intérêts du peuple. À cette condition, la Chine pourra se développer sans arrêt sous la direction de la
classe ouvrière et du Parti communiste [79] ». Le même mécanisme est actionné sur le territoire du
Califat. Ce qui frappe les observateurs c’est le niveau inédit — pour un groupe salafiste jihadiste — de
planification, de sophistication et de moyens. Daech a mis en place un véritable système de
gouvernement, doté de lois et d’une administration. Le pouvoir s’établit méthodiquement : le
renseignement prépare la conquête militaire. Après la victoire, Daech impose son monopole politique,
installe sa police (investie de deux missions prioritaires : la surveillance des mœurs et la protection du
consommateur), et exerce le pouvoir [80]. Tous les témoignages font état d’un quadrillage du territoire et
d’une surveillance de la population extrêmement rigoureux, appuyés sur un service de renseignement et
des forces de sécurité omniprésents. Le Califat a notamment reconstitué la Hisba, police créée à des fins
économiques par le calife Omar (634-644). Le calife abbasside al-Mahdi (775-785) en étendit les
compétences à la préservation de la morale publique et de la foi, la transformant en police des mœurs.
Sous ses successeurs, elle devint une véritable police politique, traquant et éliminant les opposants sous
couvert de chasse aux apostats et aux hérétiques. Ce système semble réactivé par le Califat : les
habitant(e)s subissent une surveillance constante, sont réprimandés ou condamnés à des peines légères
au moindre manquement (comme l’enferment dans une cage pour avoir fumé une cigarette, par exemple).
Ils peuvent également subir des peines plus lourdes et notamment différentes formes de supplice si leurs
actes sont estimés passibles de mort (notamment : homicide, adultère, homosexualité, apostasie, hérésie,
trahison, lâcheté, espionnage, opérations militaires contre le Califat).
Le Califat dénonce violemment l’enseignement dispensé par les États en général, par la France en
particulier : « Parmi les plus grands piliers sur lesquels repose le système taghout contemporain figure ce
qu’il nomme l’éducation obligatoire. Cette “éducation“, dans le cas de la France en particulier, est un
moyen de propagande servant à imposer le mode de pensée corrompu établi par la judéo-maçonnerie. Le
but de cette “éducation“ est de cultiver chez les masses l’ignorance de la vraie religion et des valeurs
morales telles que l’amour de la famille, la chasteté, la pu¬deur, le courage et la virilité chez les garçons
[81] ». Le rejet est absolu : « Le musulman doit savoir que le système éducatif français s’est construit
contre la religion en gé¬néral et que l’Islam en tant que seule re¬ligion de vérité ne peut cohabiter avec
cette laïcité fanatique. De nos jours, la charte de la laïcité est enseignée à l’école. Elle stipule que : “la
Nation confie à l’École la mission de faire partager aux élèves les valeurs de la République“. Ces “valeurs“
ne sont pour le musulman qu’un tissu de men¬songes et de mécréance que Dieu lui a ordonné de
combattre et de rejeter tout en déclarant la mécréance de ses adeptes [82] ». Selon le Califat, « la
première solution pour un parent musulman qui n’accepte pas que l’on élève son enfant dans ces péchés
est de rejoindre la terre d’Islam et de faire la hijrah vers le Califat qui lui, à travers le Ministère de
l’éducation, a mis en place des écoles où les programmes sont réellement islamiques, purifiés de toutes
les mécréances et péchés cités précédemment [banalisation de la fornication et de l’homosexualité,
avortement, mixité à l’école, interdiction du hijab, dessin des êtres dotés d’âmes, musique] [83] ». Par
ailleurs, le musulman doit « combattre et tuer tous ces corrupteurs : il devient clair que les fonctionnaires
de l’éducation nationale qui enseignent la laïcité tout comme ceux des services sociaux qui retirent les
enfants musulmans à leurs parents sont en guerre ouverte contre la famille musulmane. Ainsi, la dernière
trouvaille de l’État français est de retirer les enfants des musulmans qui ont simplement l’intention de
rejoindre l’État du Califat. Il est donc une obligation de combattre et de tuer, de toutes les manières
légiférées, ces ennemis de Dieu. […] Un autre combat à mener, pour celui qui en a la capacité, est
d’enlever ces en¬fants qui ont été arrachés à leurs mères et de les exfiltrer vers la terre du Cali¬fat [84]
».
Comme les autres régimes totalitaires, le Califat terrorise la population pour asseoir sa domination
absolue. Tous affirment incarner la volonté de la population et assurer son bonheur (fût-ce malgré elle !).
Par conséquent une fois au pouvoir, ils ne tolèrent aucune forme d’opposition. Bien plus, l’opposition n’est
pas concevable car qui pourrait rejeter la société idéale ?! Seuls des fous ou des traîtres voudraient priver
le peuple d’un avenir radieux. Ils seront donc enfermés ou éliminés. Leur sort doit dissuader le reste de la
population de s’opposer, même en pensée.
III. LE CALIFAT, UNE MACHINE À ÉLIMINER
Comme tous les changements radicaux —“révolutions“— survenus au cours de l’Histoire, la réalisation du
projet totalitaire impose l’élimination de tout ce qui peut lui faire obstacle : institutions, pensées et êtres
humains. Ce postulat figure dans l’idéologie marxiste depuis ses origines : « les communistes déclarent
ouvertement qu’ils ne peuvent atteindre leurs objectifs qu’en détruisant par la violence l’ancien ordre
social [85] ». La révolution bolchevique fut sanglante et Trotski expliquait pourquoi cela s’imposait : «
L’intimidation est une arme politique puissante, tant sur le plan intérieur qu’international. La guerre,
comme la révolution, est fondée sur l’intimidation. Une guerre victorieuse n’élimine, en règle générale,
qu’une infime partie de l’armée vaincue, mais terrifie l’autre partie, brise sa volonté. La révolution agit de
même : en tuant quelques individus isolés, elle en effraie des milliers [86] ». Le 21 mars 1923, dans le
journal des fascistes de Pérouse, on pouvait lire : « l’État fasciste ne tolère aucun ennemi, il les combat et
les détruit. C’est la principale caractéristique du fascisme [87] ». En 1942, Heinrich Himmler s’adressa
aux SS en ces termes : « La terre ne serait pas ce qu’elle est sans le sang nordique, la culture nordique et
l’esprit nordique. Si nous voulons préserver notre race nordique, nous devons éliminer les autres […].
Vous, les chefs de demain, avez la responsabilité de poursuivre cette tâche. Vous devez poser les
fondements moraux et spirituels chez vos hommes qui les empêcheront de redevenir mous et faibles et qui
leur interdiront d’accepter dans le Reich les Juifs ou toute autre sous-race [88] ». Daech n’est pas en reste
: « ô toi, le [monothéiste], où que tu sois, aide tes frères et ton État autant que tu le peux, et le mieux que
tu puisses faire c’est de t’efforcer comme tu le pourras à tuer un mécréant français ou américain, ou
n’importe lequel de leurs alliés [89] ».
A. UN MUSULMAN DOIT ETRE PRET A MOURIR POUR LE CALIFAT
Chaque régime totalitaire affirme détenir la Vérité, instaurer le système idéal qui assurera le bonheur (icibas et/ou dans l’au-delà) de la population qu’il asservit. Cela mérite, exige, que l’on soit disposé à sacrifier
sa propre existence.
En exaltant la supériorité nationale (fascisme, nazisme) ou de l’internationalisme prolétarien
(communisme), l’État totalitaire valorise et exacerbe l’esprit de sacrifice. Mussolini affirmait : « Le
fascisme est une conception religieuse de la vie [90] ». Et l’on pouvait lire, dans l’organe officiel du parti
fasciste : « Le milicien fasciste doit servir l’Italie en toute pureté, avec un esprit pénétré d’un profond
mysticisme, soutenu par une foi inébranlable [et] décidé au sacrifice considéré comme la fin de sa foi [91]
». Le parti totalitaire incarne la Cause et aucun salut n’est envisageable contre ou hors de lui. Trotski le
proclama très précocement, avant les pléiades de victimes des grandes purges dans les dictatures
communistes : « Je sais qu’on ne peut avoir raison contre le Parti […] car l’histoire n’a pas créé d’autre
moyen pour la réalisation de ce qui est juste [92] ». En 1928, Piatakov, en des termes encore plus
fervents, lui emboîtait le pas : « Nous ne ressemblons à personne d’autre. Nous sommes un parti composé
d’hommes qui rendent possible l’impossible. Et si le Parti l’exige, si cela est important ou nécessaire, nous
ferons, par un acte de volonté, expulser de notre cerveau les idées que nous avons défendues pendant des
années […] Oui, je verrai du noir là où je croyais voir du blanc, car pour moi il n’est pas de vie hors du
Parti, hors de son accord ». Staline poussa la perversion jusqu’à contraindre les accusés des procès de
Moscou à accepter l’aveu de crimes imaginaires comme un ultime service rendu à la “Révolution“. Ainsi
de la dernière déclaration de Boukharine en 1937 : « Lorsque je me demande aujourd’hui : si tu dois
mourir, pourquoi meurs-tu ? C’est alors qu’apparaît soudain avec une netteté saisissante un gouffre
absolument noir. Il n’est rien au nom de quoi il faille mourir, si je voulais mourir sans avouer mes torts. Et,
au contraire, tous les faits positifs qui resplendissent dans l’Union soviétique prennent des proportions
différentes dans la conscience de l’homme. C’est ce qui m’a forcé à fléchir le genou devant le Parti et
devant le pays [93] ». Lors de son appel à la population, le 3 juillet 1941, après l’invasion allemande,
Staline exhortait ses compatriotes en ces termes : « Le grand Lénine, qui a créé notre État, a dit que la
qualité essentielle des hommes soviétiques doit être le courage, la vaillance, l’intrépidité dans la lutte, la
volonté de se battre aux côtés du peuple contre les ennemis de notre patrie. Il faut que cette excellente
qualité bolchevique devienne celle des millions et des millions d’hommes de l’Armée rouge, de notre
Flotte rouge et de tous les peuples de l’Union soviétique. » En 1941, le nazi Konrad Meyer expliquait : «
nous devons être convaincus que l’Est ne restera allemand, et pour de bon, qu’à partir du moment où tout
sang étranger qui pourrait menacer la cohérence de notre race aura été éloigné [94] ». Et dès 1938,
Goebbels notait dans son Journal : « Nous n’avons pas à requinquer ces peuples […] Mais plutôt à les
vider de leur substance. Nous ne voulons pas de ces peuples : nous voulons leur pays [95] ». Fin 1941 et
début 1942, il écrivait : « Le but de notre guerre est l’expansion de notre espace vital au sens large. Nous
nous sommes fixé un objectif qui vaut pour plusieurs siècles. Cet objectif va coûter encore beaucoup de
sacrifices, mais cela vaut la peine, pour les générations à venir. C’est seulement dans cette optique que
l’on peut justifier une telle hémorragie devant soi-même et devant l’Histoire : elle rendra possible la vie de
millions d’enfants allemands […]. Notre espace, c’est l’Est. C’est là que nous devons percer et c’est lui qui
nous offre tous les moyens de développer l’espace vital dont nous avons besoin à l’avenir. On trouve là-bas
tout ce dont nous avons besoin pour faire vivre notre peuple, à commencer par cette merveilleuse terre
noire dont la fertilité est incomparable. C’est là-bas qu’il nous faut construire, organiser et tout mobiliser
pour notre vie nationale [96] ».
L’action du Califat s’inscrit dans une perspective analogue. Elle découle du constat dressé par Sayyid
Qutb : « L’Oumma musulmane est une collectivité (jama‘a) de gens dont la vie tout entière, dans ses
aspects intellectuels, moraux, et pratiques, procède de l’éthique (minhaj) islamique. Cette Oumma ainsi
caractérisée, a cessé d’exister depuis que l’on ne gouverne plus nulle part sur terre selon la loi de Dieu
[97] ». Qutb décrit avec précision le processus du retour à l’islam : « un homme a foi en ce credo qui
émane d’une source cachée et qu’anime la seule puissance de Dieu ; par la foi de cet homme seul
commence à exister virtuellement la société islamique. […] Or, cet homme seul ne reçoit pas la révélation
pour se replier sur lui-même mais pour prendre son élan avec elle : telle est la nature de ce credo […]. La
force immense qui l’a conduit jusqu’à cette âme sait pertinemment qu’elle le portera plus loin encore […].
Lorsqu’il y a trois croyants touchés par la foi, ce credo leur signifie : “maintenant, vous êtes une société,
une société islamique indépendante, séparée de la société jahilite [c’est-à-dire barbare car non
musulmane] qui n’a pas foi en le credo […]“ ; de cet instant, la société islamique existe en acte. Les trois
deviennent dix, les dix cent, les cent mille et les mille douze mille… ainsi apparaît et s’institue la société
islamique. Entre temps s’est engagée la bataille entre la société naissante qui a fait sécession […] de la
société jahilite et celle-ci, à laquelle elle a pris des hommes. […] Ce qui caractérise le credo islamique,
ainsi que la société qui s’en inspire, c’est d’être un mouvement (haraka) qui ne permet à personne de se
tenir à l’écart […] ; la bataille est continuelle, et le combat sacré (jihad) dure jusqu’au jour du jugement
[98] ». Dans le droit fil de cette analyse, Daech a entrepris la restauration de l’ordre musulman originel : «
L’État islamique, dirigeants et soldats pratiquent le [monothéisme], l’enseignent dans leurs mosquées,
instituts et leurs camps d’entrainements et ils combattent pour l’établir partout sur la terre. Et c’est à
cause de cela que Dieu leur a donné ces conquêtes, qu’il leur a permis de rétablir le Califat et a fait qu’ils
ont été rejoint par leurs frères de la Péninsule arabe, du Yémen, du Sinaï, de Libye et d’Algérie [99] ». Les
membres de Daech croient être les seuls à pratiquer l’islam véritable : « Nous vivons une époque de
troubles dans laquelle beaucoup de musulmans ont perdu leurs repères. Cela est dû au fait que rares sont
les gens de science qui ont respecté l’engagement qu’ils ont pris envers Dieu d’éclairer les gens avec la
lumière de la révélation [100] ». En répétant constamment cela, Daech suscite une détermination totale
chez ses partisans. Entretenant chez ces derniers la conviction que la vie véritable est celle promise au
véritable homme de foi dans l’au-delà, il incite au martyre, il exige que ses combattants luttent jusqu’à la
mort et il tente d’étendre son emprise à l’ensemble du monde musulman avant de réaliser la conversion
de l’humanité tout entière. Abû Bakr al-Baghdadi, calife Ibrahim, lança un appel en ce sens le 4 juillet
2014 : Le Prophète « nous a ordonné de combattre ses ennemis et de faire le jihad […] Et Dieu a accordé à
vos frères, les soldats du jihad, la victoire et leur a donné le califat après de longues années de jihad,
d’endurance et de lutte contre les ennemis de Dieu […] Si vous saviez ce qu’il y a dans le jihad comme
récompense, dignité, haut rang et gloire dans cette vie et dans l’au-delà, personne d’entre vous ne
délaisserait le jihad ». Quelques mois plus tard, dans un article intitulé « L’islam est la religion du sabre,
pas du pacifisme », Daech tente de démontrer l’obligation du jihad [101]. Sacrifice et martyre concrétisent
la foi religieuse et le dévouement. Ils assurent la félicité éternelle. Par conséquent ils sont encouragés,
exaltés et mis en scène, jusqu’à être désirés par les adeptes. Pratiquement imparables lorsque l’acteur est
déterminé, ils favorisent le succès de la tactique terroriste qui s’inscrit dans la stratégie globale de Daech.
Emblématique à cet égard était la déclaration, depuis l’Irak, de Redouane al-Hakim alias Abu Abdallah, le
18 mars 2003 : « En première ligne, je suis prêt à combattre, je suis même prêt à me faire exploser,
mettre des bâtons de dynamite, et puis Boum ! Boum ! On tue tous les Américains. Nous sommes des
moudjahidin ! Nous voulons la mort ! Nous voulons le paradis ! [102] ».
Daech part du principe qu’« une guerre juste se doit d’être ostentatoire si on la croit juste [103] ». Aussi,
« à la violence occidentale à distance aérienne, robotisée ou aux opérations spéciales furtives, le Califat
réplique par la violence en face. Il réplique à l’anonymat des frappes aériennes par une attaque
personnelle [104] ». Afin de restaurer « la virilité du face à face guerrier [105] », le Califat exalte la
mémoire de ses soldats tués au combat, ainsi que le sacrifice humain exécuté par les auteurs
d’égorgement de prisonniers. Des articles sont consacrés aux “héros“ et autres “martyrs“, tandis que des
vidéos exaltent leurs “exploits“. D’autres se complaisent à montrer les assassinats perpétrés : fusillades,
égorgements, crucifixions, lapidations, par exemple. Daech ne reconnaît aucune convention internationale
et, à la suite des États totalitaires durant la Seconde Guerre mondiale et la Guerre froide, s’affranchit des
obligations envers les prisonniers de guerre : les soldats syriens ou irakiens capturés sont froidement
exécutés, le pilote jordanien Maaz al-Kassasbeh (dont l’avion avait été abattu le 24 décembre 2014) fut
brûlé vif dans une cage métallique [106].
Parallèlement à la prise de contrôle du système éducatif avec refonte totale des programmes scolaires et
rééducation des enseignants, le Califat a ouvert des “instituts“ qui forment des enfants-soldats, recrutés et
entraînés suivant une méthode rappelant celle des janissaires sous l’Empire ottoman. Pris dans des
orphelinats (voire parmi les captifs yézidis ou chrétiens) ou séparés de leur famille (avec ou sans l’accord
de celle-ci), éloignés de leur région d’origine, ils sont radicalisés par l’endoctrinement à l’idéologie
salafiste jihadiste, poussés à la haine, et conditionnés à l’acceptation du suicide. Ils reçoivent un
entraînement physique exigeant, apprennent le maniement des armes et sont systématiquement mis au
premier rang lors des exécutions publiques, des sessions de la police des mœurs ou des sermons à la
mosquée afin de se sentir valorisés [107]. Le Califat insiste sur la responsabilité des mères : « qu’est la
mère d’un lionceau ? Elle est celle qui enseigne aux générations et qui produit des hommes […] Ô mes
sœurs, je vois notre oumma comme un corps constitué de plusieurs membres, mais la partie qui œuvre le
plus pour l’avenir et est la plus efficace pour élever une génération de Musulmans est celle des mères
nourricières […] Mes sœurs bien-aimées, le signe que la grâce de Dieu est sur vous est qu’il vous fait
l’honneur de vivre sur le territoire du Califat. Profitez-en autant que vous pouvez pour donner à vos
enfants une éducation vertueuse fondée sur le monothéisme, sur un credo correct dépourvu de toute
idolâtrie et centré sur la foi en Dieu seul, pour leur apprendre ce qui adoucit le cœur, le rappel de Dieu, la
vie du Prophète et la jurisprudence du jihad [108] ». Nous retrouvons là une constante totalitaire :
l’embrigadement des femmes. Staline en faisait un élément clé de la réussite de l’URSS : « si notre pays
s’est mis sérieusement à édifier une nouvelle vie soviétique, n’est-il pas clair que les femmes de ce pays,
qui représentent la moitié de sa population, seront comme un boulet aux pieds à chaque mouvement en
avant, si elles continuent à demeurer craintives, peu conscientes, ignorantes ? […] Les ouvrières et les
paysannes peuvent améliorer nos Soviets et nos coopératives, les consolider et les développer, si elles
sont éduquées politiquement. Les ouvrières et les paysannes peuvent les affaiblir et les perdre, si elles
sont ignorantes et incultes. Enfin, les ouvrières et les paysannes sont les mères, les éducatrices de notre
jeunesse — avenir de notre pays. Elles peuvent déformer l’âme de l’enfant ou donner à notre jeunesse un
esprit sain, capable de faire aller notre pays de l’avant, selon que la femme-mère éprouve de la sympathie
pour le régime soviétique ou qu’elle se traîne à la remorque du pope, du koulak, de la bourgeoisie [109] ».
Dans la conception fasciste de l’“Italien nouveau“, « le modèle d’épouse et de mère subit une
transformation par rapport à la tradition parce qu’il devint alors partie intégrante de l’expérience
totalitaire, surtout par la formation de la “nation guerrière“ : la femme en tant qu’épouse et mère était
exaltée uniquement si elle produisait et éduquait une nombreuse progéniture afin de fournir à l’État de
nouvelles générations de croyants et de combattants [110] ». Hitler avait défini le rôle des femmes dans
l’État nazi : « la jeune fille allemande appartient à l’État » et se doit de procréer, en veillant à préserver la
pureté de la race germanique. Les brochures du parti proclamaient : « votre corps n’est pas à vous, mais à
vos frères de sang et à votre Volk ».
B. QUI N’EST PAS AVEC NOUS EST CONTRE NOUS
L’expérience totalitaire pose comme prérequis le rejet des autres idéologies. D’une part, elles ne peuvent
qu’être erronées puisque seule la pensée/croyance portée par l’acteur totalitaire est bonne pour les
individus. D’autre part, leur persistance engendre les difficultés qui entravent l’avènement du système qui
assurera le bonheur. Se met alors en place un processus de diabolisation des autres formes de pensée
et/ou de croyance, présentées comme responsables de l’inachèvement du projet émancipateur ou
rédempteur.
Les nazis “légitimèrent“ ainsi l’extermination des Juifs, comme les communistes “justifièrent“ la
répression des ennemis de classe du prolétariat. Fascistes, nazis et communistes usèrent du même
argument pour supprimer tous leurs opposants politiques ou spirituels. Dans le quotidien communiste
russe Pravda du 25 décembre 1918, on lisait : « Nous ne faisons pas la guerre à des individus. Nous
anéantissons la bourgeoisie en tant que classe. Ne cherchez pas, au cours de l’instruction, des documents
prouvant que le prévenu, en paroles ou en actes, s’est élevé contre le pouvoir soviétique. La première
question que vous devez lui poser concerne ses origines, son éducation, son degré d’instruction ou sa
profession. Ces questions doivent déterminer le sort du prévenu. » Le 6 septembre 1919, le journal Il
Fascio proclamait : « Pour nous, la guerre n’est pas terminée. L’ennemi extérieur a laissé place à l’ennemi
intérieur […], d’un côté les vrais Italiens, attachés à la grandeur de la patrie, et de l’autre les ennemis de
celle-ci, les lâches qui attentent à cette grandeur et projettent sa destruction [111] ». On peut lire, dans
un article consacré à la Gestapo par une revue juridique en 1936 : « le principe politique nationalsocialiste de totalité, qui correspond à notre vision organique et indivisible de l’unité du peuple allemand,
ne souffre la formation d’aucune volonté politique en dehors de notre propre volonté politique. Toute
tentative d’imposer – voire de préserver – une autre conception des choses sera éradiquée comme un
symptôme pathologique qui menace l’unité et la santé de l’organisme national [112] ». Et de préciser : « le
national-socialisme a, pour la première fois en Allemagne, développé une police politique que nous
concevons comme moderne, c’est-à-dire comme répondant aux besoins de notre temps. Nous la concevons
comme une institution qui surveille avec soin l’état de santé politique du corps allemand, qui décèle à
temps tout symptôme de maladie et qui repère et élimine les germes de destruction, qu’ils soient issus
d’une dégénérescence interne ou d’une contamination volontaire par l’étranger. Voilà l’idée et l’éthique
de la police politique dans l’État raciste de notre temps, conduit par le Führer [113] ». La même année, un
éminent juriste de la Gestapo affirmait que l’ordonnance du 28 février 1933, explicitement dirigée contre
les communistes, devait être utilisée contre « tous les éléments qui, par leur comportement, mettent en
danger le travail de reconstruction du peuple allemand d’une manière qui menace l’État et le peuple [114]
».
En légitimant le massacre et l’asservissement de toutes les communautés qui n’embrassent pas sa foi
(chrétiens, yézidis, notamment) ou sa vision salafiste de l’islam (chiites ou soufis, en particulier), le Califat
se comporte de manière identique. Abu Bakr al-Baghdadi, calife Ibrahim, le 4 juillet 2014, exprimait sa
vision du monde : « Ô Oumma de l’islam, le monde d’aujourd’hui a été séparé en deux camps, il n’y en a
pas de troisième : le camp de l’islam et de la foi, le camp des infidèles et de l’hypocrisie, qui est le camp
des juifs, des croisés et de leurs alliés […] Ils accomplissent leurs forfaits en occupant nos terres, ils
donnent le pouvoir à leurs agents iniques qui dirigent les musulmans avec une main de fer et leurs vains
slogans : civilisation, paix, coexistence, liberté, démocratie, sécularisme, baasisme, nationalisme et
patriotisme. » La liste des ennemis (non exhaustive) est fort longue : « les mécréants – qu’ils soient
chré¬tiens catholiques, protestants ou ortho¬doxes, qu’ils soient juifs orthodoxes, conservateurs ou
progressifs, qu’ils soient bouddhistes, hindous ou sikhs, qu’ils soient capitalistes, communistes ou
fascistes – ils sont en fin de compte alliés les uns des autres contre l’Islam et les musulmans [115] ». Cette
exclusion de quasi toute l’humanité procède de ce que dénonçait Sayyid Qutb : « De nos jours, le monde
entier vit dans un état de jahiliyah si l’on se réfère à la source à laquelle il puise les règles de son mode
d’existence […] Le principe sur lequel elle repose, c’est l’opposition à la domination de Dieu sur la terre et
à la caractéristique principale du divin, à savoir la souveraineté (al hakimiyya) : elle en investit les
hommes, et elle fait de certains des dieux pour les autres. Cette opération […] se déroule […] en
permettant à l’homme de s’arroger indûment le droit d’établir les valeurs, de légiférer, d’élaborer des
systèmes, de prendre des positions, et cela sans considérer quelle est l’éthique divine [116] ». Conclusion
radicale : pour Qutb, « est jahilite toute société qui n’est pas musulmane de facto, toute société où l’on
adore un autre objet que Dieu et lui seul. […] Ainsi il nous faut ranger dans cette catégorie l’ensemble des
sociétés qui existent de nos jours sur terre ! [117] ». Aux yeux de Daech, cette jahiliyah perdure et elle
doit être éradiquée. Le processus d’élimination s’annonce sans fin car, en dehors du salafisme djihadiste,
aucune croyance (ou non-croyance) et aucune pratique différentes ne sont acceptées.
L’alternative réside dans la conversion ou la mort. Décapitation (pour les musulmans) et égorgement
(pour les non-musulmans) sanctionnent “légitimement“ le refus. « Les meurtres de masse de l’EI exaltent
une renaissance et proclament l’impossibilité du retour en arrière. Il y a quelque chose de révolutionnaire
et donc de totalitaire dans cette barbarie parfaitement assumée [118] ». Les fusillades de masse sur le
territoire du Califat rappellent irrésistiblement la boucherie stalinienne de Katyn (1940) à l’encontre des
élites polonaises et la “Shoah par balle“ perpétrée par les Einsatzgruppen qui assassinèrent plus d’un
million de personnes (en grande majorité des Juifs) dans les territoires de l’Est occupés par les nazis
(Pologne, Union soviétique et Pays baltes). Avec les images de ces bourreaux suppliciant leurs prisonniers,
ressurgissent, après l’éradication du nazisme et l’occultation du communisme, « le mal, comme dimension
intégrale du politique, et le sacrifice, comme opérateur du mal politique [119] ».
Daech invoque un fondement religieux : « pour que l’Islam revienne à sa gloire, il est nécessaire de
terroriser les mécréants et jeter l’effroi dans leur cœur. Dieu a dit : “Et préparez [pour lutter] contre eux
tout ce que vous pouvez comme force et comme cavalerie équipée, afin de terroriser l’ennemi de Dieu et
le vôtre, et d’autres encore que vous ne connaissez pas en dehors de ceux-ci mais que Dieu connaît“
(Coran, Sourate Al-Anfal, verset 60). Comment les savants du mal pensent-ils terroriser les mécréants ?
En émettant des fatwas, assis depuis leur bureau sur lequel déborde leur gros ventre ? Ou bien en
tranchant les gorges des ennemis à tour de bras, comme le fait l’État Islamique ? Dieu nous donne la
réponse lorsqu’Il dit : “Et ton Seigneur révéla aux Anges : “Je suis avec vous : affermissez donc les
croyants. Je vais jeter l’effroi dans les cœurs des mécréants. Frappez donc au-dessus des cous et frappezles sur tous les bouts des doigts“ (Coran, Sourate Al-Anfal, verset 12). Observez comment Dieu a lié le fait
de jeter l’effroi dans le cœur des mécréants au fait de frapper au-dessus des cous. Que signifie frapper audessus des cous ? Al-Baydawi explique [Anwar al-Tanzil wa Asrar al-Tawil, t. 3, p. 52] ce verset ainsi :
““Frappez donc au-dessus des cous“ c’est-à-dire leur partie supérieure (p. 21) que sont la gorge et la tête.
“Et frappez-les sur tous les bouts des doigts“ c’est-à-dire les doigts de la main. Et le sens [général] est :
tranchez-leur le cou et coupez leurs membres“ [120] ». « Telle est la voie que Dieu a ordonné de suivre
lorsqu’Il dit : “Donc, si tu les maîtrises à la guerre, inflige-leur un châtiment exemplaire de telle sorte que
ceux qui sont derrière eux soient effarouchés. Afin qu’ils se souviennent“ (Coran, Sourate Al-Anfal, verset
57). […] Et telle est la voie de l’État Islamique – comme tout le monde a pu le constater – lorsqu’il capture
des ennemis et les décapite à la chaîne ou les fait s’allonger au sol, par centaines, pour ensuite les
mitrailler. Le résultat ? En juin 2014, quelques centaines de combattants de l’État Islamique parvenaient à
s’emparer de la ville de Mossoul – la seconde plus grande ville d’Irak – après avoir mis en déroute une
armée irakienne forte de plus de 30 000 hommes [121] ».
Sur le territoire qu’il contrôle, le Califat prépare aussi l’avenir du jihad : « Pendant que les combattants de
l’État islamique poursuivent leur lutte contre les infidèles, une nouvelle génération attend son tour, se
préparant avec impatience pour le jour où elle sera appelée à brandir la bannière de l’imam. Ce sont les
enfants de la communauté du jihad, une génération élevée sur le territoire où se déroulent des féroces
batailles et nourrie à l’ombre de la charia, à un jet de pierre de la ligne de front. L’État islamique a décidé
de remplir le devoir de la communauté des croyants envers cette génération en la préparant à affronter
les croisés et leurs alliés pour défendre l’islam et porter la parole de Dieu partout sur la Terre. Il a mis en
place des instituts où ces lionceaux reçoivent une formation militaire et apprennent le Coran et la Sunna
[122] ». Ces propos sont accompagnés de deux photos sensées montrer l’exécution par des enfants
d’hommes présentés comme des espions.
C. DU PASSE FAISONS TABLE RASE
Depuis l’Antiquité, les constructions politiques (ou le triomphe de religions) nouvelles s’accompagnent de
destructions précédant l’édification d’un nouvel espace ou la modification de l’espace familier aux
habitants. Plus la volonté de rupture avec le passé est vive, plus la frénésie de détruire est forte.
Alexandre incendia Persépolis la capitale de l’empire perse vaincu, en 330 avant notre ère ; Qin Shi
Huangdi, le premier empereur de Chine (230-210 avant notre ère), fit détruire tous les livres et exécuter
tous les lettrés ; Rome rasa Carthage et en sala les ruines, en 146 avant notre ère ; les Turcs islamisèrent
le paysage urbain de Constantinople après la chute de l’Empire byzantin, en 1453 ; les protestants
détruisirent toutes les décorations qui ornaient les églises, durant les Guerres de religion des XVIe et
XVIIe siècles ; les révolutionnaires français incendièrent des châteaux et brisèrent des figures religieuses
ainsi que les statues des rois de France à la fin du XVIIIe siècle. Les ruines semées par les totalitarismes
du XXe siècle s’inscrivent donc dans une perspective qui embrasse toute l’histoire humaine.
La guerre civile est la matrice de toutes les expériences totalitaires. Or, « dans la guerre civile, la violence
se déploie sur le mode de la transgression [123] ». Par conséquent, nous observons dans tous les cas la
destruction (ou la tentative de destruction) de tout ce qui représente l’adversaire. Le régime bolchevique
commença l’éradication de l’église orthodoxe avec le décret de séparation de l’Église et de l’État (20
janvier 1918), ordonnant également la confiscation des biens et l’annulation des droits juridiques
spécifiques de l’Église. En mars 1919, le pouvoir commença la “lutte contre les superstitions“, c’est-à-dire
toutes les religions. La même année, Lénine entamait l’épreuve de force contre la partie de l’intelligentsia
qui ne s’était pas ralliée au nouveau régime. En 1922, la ligne fut fixée une fois pour toutes : « le premier
devoir du communiste [est] la lutte systématique contre l’idéologie bourgeoise, la réaction philosophique,
l’idéalisme et le mysticisme sous tous leurs aspects [124] ». La dékoulakisation lancée en 1930 fut, entre
autres, l’occasion d’une gigantesque campagne de sécularisation ou de destruction des édifices religieux,
la religion étant considérée comme le ciment de la société rurale traditionnelle, obstacle principal à
l’avènement de l’“avenir radieux“. Une partie des intellectuels italiens se rallièrent au fascisme, séduits
par « son nihilisme purificateur et antibourgeois [125] ». Le 12 septembre 1921, les escouades
paramilitaires du parti fasciste, les squadri, de Bologne et de Ferrare, « organisèrent une spectaculaire
“marche sur Ravenne“ […] : après trois jours de marche, ils occupèrent la ville, se recueillirent sur la
tombe de Dante et dévastèrent la Bourse du travail, les cercles socialistes et le siège de la Fédération des
coopératives. Ils conclurent par un autodafé sur une place de la ville, brûlant des documents, des
journaux, des bancs, des livres et des tableaux trouvés dans les locaux saccagés [126] ». Cette irruption
de violence marqua le début d’une véritable guerre civile menée par les fascistes contre leurs adversaires
politiques entre 1921 et la proclamation des lois “fascistissimes“ en 1926. En 1930, Carlo Sforza soutenait
que l’“Italien nouveau“ que visait à créer le fascisme ne devait « rien avoir de commun avec l’Italien du
passé. Toute communauté de traditions glorieuses, de mœurs et de langue mise à part, le fasciste —
l’Italien de demain — doit représenter l’antithèse la plus parfaite du citoyen démo-libéral, rendu malade
par tous les scepticismes, affaibli par toutes les démagogies [127] ». Toutefois, au-delà des mots, le
régime n’opéra aucune rupture réelle avec la “culture bourgeoise libérale“ héritée du XIXe siècle. Le
régime nazi proscrivit l’art moderne, abstrait en particulier, qualifié d’“art dégénéré“ et préconisa
l’émergence d’un art “allemand“. Après une longue campagne de dénigrement (1933-1937), une loi
imposa « la confiscation des produits de l’art dégénéré (31 mai 1938). Après les autodafés des livres “non
allemands“ dans dix-neuf villes universitaires le 10 mai 1933, près de 5 000 toiles, aquarelles et dessins
furent très probablement brûlés à Berlin le 20 mars 1939. Mao Zedong, en lançant durant l’été 1966 la
campagne “contre les quatre vieilleries » (idées, culture, coutumes et habitudes antérieures à 1949),
provoqua une gigantesque vague de destructions qui amputèrent le patrimoine plurimillénaire de la
civilisation han ainsi que des autres peuples vivant en Chine (les Tibétains, en particulier). Le programme
des Gardes rouges s’exprimait ainsi : « Nous devons détruire le vieux monde avant de pouvoir en
construire un nouveau. En vue d’édifier la nouvelle idéologie, la nouvelle culture du socialisme et du
communisme, nous devons critiquer et liquider complètement la vieille idéologie, la vieille culture de la
bourgeoisie et leur influence [128] ».
La fureur iconoclaste du Califat ne constitue donc pas une exception. Dans son cas, le fondement est
religieux : « la condition pour avoir la succession sur la terre, la force et la suprématie pour la religion est
le Tawhîd, adorer Dieu seul sans associé et ne rien associer à Dieu […] L’État Islamique, dirigeants et
soldats pratiquent le Tawhîd, l’enseignent dans leurs mosquées, instituts et leurs camps d’entrainements
et ils combattent pour l’établir partout sur la terre. Et c’est à cause de cela qu’Allah leur a donné ces
conquêtes, qu’il leur a permis de rétablir le Califat [129] ». Par conséquent, « La plus grande mission de
l’État Islamique et du Califat est d’établir le Tawhîd sur la terre et de détruire le chirk, l’idolâtrie, qui est
le pire péché commis par les hommes car ils mettent ainsi à égal la créature faible et incapable et le
Créateur de l’univers, Tout-Puissant et Omniscient [130] ». Cette obligation se fonde sur une pratique des
pieux ancêtres : « ‘Ata Ibn Yassâr rapporte que le Messager de Dieu a dit : “Ô Dieu fais que ma tombe ne
devienne une idole adorée. Dieu a déchainé sa colère sur ceux qui ont pris comme mosquées les tombes
de leurs prophètes“. (Rapporté par Mâlik n°570). Ce hadîth nous enseigne qu’une tombe, même si c’est
celle des Prophètes, lorsqu’elle est adorée par l’invocation, la prosternation, le sacrifice devient une idole
qu’il faut détruire [131] ». Et de se réjouir : « Dieu a permis à l’État Islamique depuis sa proclamation en
Irak sous l’autorité d’Abou Omar al-Baghdadi de faire revivre cette pratique prophétique [132] ». Ils
glorifient en ces termes (valables pour toutes les autres opérations du même genre médiatisées par
Daech) la destruction des vestiges assyriens à Ninive : « Les mécréants avaient exhumé ces statues et ces
ruines […] et tentaient de les présenter comme une part de l’héritage culturel que les Irakiens devraient
assumer et dont ils devraient être fiers. En fait, cela va à l’encontre de l’enseignement de Dieu et de son
messager, servant seulement un programme nationaliste qui porte gravement atteinte à la loyauté exigée
de ses fidèles par Dieu [133] ». En réalité, ces vestiges témoigneraient de la supériorité de Dieu : « Ces
nations furent détruites parce qu’elles honoraient d’autres divinités que Dieu et rejetaient ses prophètes
[…] Dieu les humilia et laissa leurs ruines à la vue des générations suivantes non pas pour que ces
dernières les admirent, mais pour qu’elles les contemplent avec répulsion et haine, tout en éprouvant la
crainte de tomber dans l’idolâtrie et de subir le même châtiment [134] ».
*
DÉMOCRATIES ET BARBARIE
Une fois encore dans l’histoire contemporaine, les valeurs et les pratiques démocratiques sont défiées et
menacées. Le Califat présente toutes les caractéristiques d’un nouvel avatar des idéologies récusant la
liberté de l’être humain et son droit à décider de son destin. Fascisme, nazisme et communismes
prétendaient imposer une société nouvelle. A priori, ce n’est pas le cas de Daech, qui exige de revenir à ce
qu’il imagine avoir été la société musulmane originelle, au VIIe siècle de notre ère. Pourtant, « le
salafisme n’est pas un mouvement traditionnel. C’est même exactement le contraire : il refuse l’islam
traditionnel, il refuse la tradition, ce qui se transmet de génération en génération, au nom d’un rapport
direct à l’origine. […] Ce n’est pas un mouvement conservateur : au contraire, il cherche à dynamiter le
passé, l’héritage, au nom d’un passé nettement plus lointain et donc nécessairement fantasmé [135] ».
Pour le salafisme, le nouveau réside donc dans le passé, mais c’est bien à une société foncièrement
différente qu’il aspire.
Ce rejet de toute amélioration du sort de l’humanité par les hommes et les femmes eux-mêmes, cette
négation du droit des hommes et des femmes au bonheur est une forme extrême de la barbarie, cette
barbarie dont la démocratie tente de libérer des sociétés humaines. Elle débat et décide en permanence
depuis presque deux siècles et demi (1776 : Déclaration d’indépendance américaine) du contenu des
droits individuels et collectifs. Elle brisa les chaînes monarchiques et aristocratiques à partir de la fin du
XVIIIe siècle. Elle triompha en 1945 contre le nazisme, le fascisme et leurs émules. Elle l’emporta en
1989-1991 contre les communismes. La République populaire de Chine n’a plus de communistes que le
nom du parti unique et le système répressif qui opprime la population. La dynastie des Kim, en Corée du
Nord, se préoccupe moins d’idéologie que de sa survie. La démocratie se trouve aujourd’hui mise au défi
de vaincre la nouvelle tyrannie qui veut sa mort. Nul doute que le souvenir de ses combats passés lui
donne l’intelligence et la force de résister et de triompher. Et puisse son exemple inspirer un sursaut
salutaire chez les populations des pays de culture musulmane, qui sont les premières victimes de cette
barbarie.
Copyright Juin 2016-Gourdin/Diploweb.com
P.-S.
Docteur en histoire, professeur agrégé de l’Université, Patrice Gourdin enseigne à l’École de l’Air. Il
intervient également à l’Institut d’Études Politiques d’Aix-en-Provence. Membre du Conseil scientifique du
Centre géopolitique, l’association à laquelle le Diploweb.com est adossé.
Notes
[1] Bernard Bruneteau, Les Totalitarismes, Paris, 1999, A. Colin, p. 8.
[2] l’accès aux textes produits par Daech se fait notamment par :
The Clarion Project : www.clarionproject.org
The Investigative Project on Terrorism : http://www.investigativeproject.org/
Jihadology : www.jihadology.net
[3] Benito Mussolini, La doctrine du fascisme, 1938.
[4] Adolf Hitler, Mein Kampf, 1927.
[5] Iouri Andropov, janvier 1984, cité in Michel Heller, La machine et les rouages. La formation de
l’homme soviétique, Paris, 1985, Calmann-Lévy, p. 180.
[6] Dar al-Islam n° 7, novembre-décembre 2015, p. 7.
[7] cité in Henry Laurens, L’Orient arabe. Arabisme et islamisme de 1789 à 1945, Paris, 2000, p. 87.
[8] Dar al-Islam n° 7, novembre-décembre 2015, p. 20
[9] le texte est prononcé en arabe et se traduit ainsi : Il n’y a d’autre dieu que Dieu et Mahomet est son
prophète.
[10] Hassan al-Banna, Programme des Frères musulmans, 1939, cité in Henry Laurens, L’Orient arabe.
op. cit., p. 194.
[11] Sayyid Qutb, À l’ombre du Coran, 1978.
[12] Dar al-Islam n° 9, avril-mai 2016, p. 7.
[13] cité in Emilio Gentile, Soudain le fascisme. La marche sur Rome, l’autre révolution d’octobre,
Paris, 2015 [1e édition, en italien : 2012], Gallimard, p. 331.
[14] Il Popolo d’Italia, cité in Emilio Gentile, Soudain…, op. cit., p. 342.
[15] in Emilio Gentile, Qu’est-ce que le fascisme ? Histoire et interprétation, Paris, 2004 [1e édition, en
italien : 2002], Gallimard, p. 383.
[16] Histoire du PC(b) de l’URSS, cité in Nicolas Werth, Les procès de Moscou, Bruxelles, 1987,
Complexe, p. 86.
[17] Mao Zedong, deuxième session du comité central du PC, 5 mars 1949.
[18] cité in Gilles Kepel, Terreur dans l’Hexagone. Genèse du djihad français, Paris, 2015, Gallimard, p.
175.
[19] Ibidem, p. 190.
[20] Dar al-Islam n° 2, janvier 2015, p. 2.
[21] « hadith » de Dabiq, Abou al-Hussein Muslim (ixe siècle), traduction de Jean-Pierre Filiu in « L’État
islamique ou les chevaliers de l’apocalypse djihadiste », Obs-Rue 89, 29 août 2014,
(http://rue89.nouvelobs.com/blog/jean-pierre-filiu/2014/08/29/letat-islamique-ou-les-chevaliers-de-lapoc
alypse-djihadiste-233388).
[22] Dar al-Islam n° 9, avril-mai 2016, p. 20.
[23] Ragioni ideali di vita fascista, 1926, cité in Emilio Gentile, Qu’est-ce que le fascisme ?... op. cit ?, p.
372.
[24] Signes de piste, p. 61, cité in Gilles Kepel, Le Prophète et Pharaon, Paris, 2012 [1e édition : 1984],
Gallimard, p. 55.
[25] How to Survive in the West. A Mudjahid Guide, 2015, p. 5.
[26] Dar al-Islam n° 1, décembre 2014, p. 4.
[27] Dar al-Islam n° 9, avril-mai 2016, p. 6.
[28] Nicolas Bons — alias Abu Abdel Rahman —, vidéo diffusée par Daech, juillet 2013, cité in Gilles
Kepel, Terreur …, p. 170.
[29] Dar al-Islam n° 2, janvier-février 2015, p. 5.
[30] « Attentats sur la voie prophétique », Dar al-Islam n° 8, pp. 7-38.
[31] Ibidem, p. 15.
[32] Ibidem, p. 16.
[33] Ibidem, p. 23.
[34] Ibidem, p. 22.
[35] Ibidem, p. 24.
[36] Ibidem, p. 31.
[37] Ibidem, p. 17.
[38] Ibidem, p. 18.
[39] Ibidem, p.19.
[40] Ibidem, p. 22.
[41] Dar al-Islam n° 3, mars-avril 2015, p. 13.
[42] Lénine, « Thèses sur la démocratie bourgeoise et la dictature prolétarienne », L’Internationale
communiste n° 1, 1er mai 1919.
[43] Dar al-Islam n° 7, novembre-décembre 2015, p. 13.
[44] Ibidem, pp. 14-15.
[45] O. Dinale, « La Mostra delle Rivoluzione. Lui : Mussolini », Gioventù fascista, 10 mars 1934, cité in
Emilio Gentile, Soudain... op. cit., pp. 216-217.
[46] cité in Claude Hudelot, Mao, Paris, 2001, Larousse, p. 237.
[47] cité in Pierre Milza & Serge Berstein, Le fascisme italien, Paris, 1980 [1e édition : 1970], Le Seuil,
p. 195.
[48] cité in Nicolas Werth, op. cit., p. 85.
[49] Mao Zedong, Conférence de Chengdu, 1958.
[50] Ibn Khaldun, Muqaddima, Paris, 2002, Gallimard, p. 476.
[51] Dar al-Islam n° 1, décembre 2014, p. 5.
[52] Ibidem.
[53] Il partito nazionale fascista, Rome, 1936, cité in Emilio Gentile, Qu’est-ce que le fascisme ? op. cit,
pp. 277-278.
[54] Falk Ruttke, Die Verteidigung der Rasse durch das Recht, 1939, cité in Johann Chapoutot, La loi
du sang. Penser et agir en nazi, Paris, 2014, Gallimard, p. 182.
[55] Dar al-Islam n° 3, mars-avril 2015, p. 3.
[56] cité in Pierre Milza & Serge Berstein, op. cit., p. 200.
[57] cité in Martin Broszat, L’État hitlérien, p. 304.
[58] Ibidem, p. 318.
[59] Signes de piste, pp. 10 & 12, cité in Gilles Kepel, Le Prophète …op. cit., p. 42.
[60] Dar al-Islam n° 6, septembre-octobre 2015, p. 3.
[61] Alain Rey s. d., Dictionnaire historique de la langue française, Paris, 1993, p. 1437.
[62] Dar al-Islam n° 7, novembre-décembre 2015, p. 8.
[63] Ibidem, p. 11.
[64] Pravda, 1er mars 1923.
[65] Benito Mussolini, La doctrine du fascisme, 1938.
[66] cité in Richard J. Evans, Le IIIe Reich, t.2, Paris, Flammarion, 2009 [1e édition, en anglais : 2005],
p. 240.
[67] Dar al-Islam, n° 7, novembre-décembre 2015, p. 14.
[68] Ibidem, p. 17.
[69] Dar al-Islam n° 9, avril-mai 2016, p. 10.
[70] cité in Emilio Gentile, Qu’est-ce que le fascisme ?..., op. cit., p. 247.
[71] Il cittadino soldato, Rome, 1936, p. 23, cité Ibidem, p. 379.
[72] cité in Michel Heller, La machine…, op. cit., pp. 235-236.
[73] Dar al-Islam n° 1, décembre 2014, p. 8.
[74] Dar al-Islam n° 9, avril-mai 2016, p. 11.
[75] Ibidem, p. 12.
[76] cité in Emilio Gentile, Qu’est-ce que le fascisme ?..., op. cit., p. 384.
[77] Ibidem, p. 301.
[78] Lénine, L’État et la révolution, 1917.
[79] Mao Zedong, De la dictature démocratique du peuple, 1949.
[80] Aaron Zelin & William McCants, « Is ISIS good at governing ? », Washington Institute for Near
East Policy, February 9, 2016.
[81] Dar al-Islam n° 7, novembre-décembre 2015, p. 12.
[82] Ibidem, p.13.
[83] Ibidem, pp.16-17.
[84] Ibidem, p. 17.
[85] Marx, Manifeste du parti communiste, 1848.
[86] Trotski, Terrorisme et communisme, 1920, p. 57.
[87] cité in Emilio Gentile, Soudain…, op. cit., p. 343.
[88] cité in Johann Chapoutot, op. cit., p. 516.
[89] Dar al-Islam n° 7, novembre-décembre 2015, p. 3.
[90] Benito Mussolini, La doctrine du fascisme, 1938.
[91] Il Popolo d’Italia, 3 octobre 1922, cité in Emilio Gentile, Qu’est-ce que le fascisme ?..., op.cit., p.
336.
[92] Trotski, Intervention lors du XIIIe Congrès du PC(b) d’URSS, 1924.
[93] cité in Nicolas Werth, op. cit., p. 153.
[94] cité in Johann Chapoutot, op. cit., p. 447.
[95] Ibidem, p. 448.
[96] Ibidem, p. 420.
[97] Signes de piste, p. 10, cité par Gilles Kepel, Le Prophète …, p. 41.
[98] Ibidem, pp. 53-54.
[99] Dar al-Islam n° 1, décembre 2014, p. 3.
[100] Dar al-Islam n° 6, septembre-octobre 2015, p. 19.
[101] « Islam is the Religion of Sword not Pacifism », Dabiq n° 8, mars-avril 2015, pp. 20-23.
[102] cité in Gilles Kepel, Terreur …, op. cit., p. 63.
[103] Philippe-Joseph Salazar, Paroles armées. Comprendre et combattre la propagande terroriste,
Paris, 2015, Lemieux, p. 151.
[104] Ibidem, p. 153.
[105] Ibidem, p. 157.
[106] Un article défend le caractère licite de cet assassinat : « The Burning of the Murtadd Pilot »,
Dabiq n° 7, janvier-février 2015, pp. 5-8.
[107] « The ‘Caliphate Cubs’ of IS », Mushreq Abbas, Al Monitor, June 4, 2015 ; « À l’école de l’État
islamique », Madjid
Zerky, Le Monde, 22 avril 2016 ; Noman Benotman & Nikita Malik, The Children of Islamic State,
London, 2016, Quilliam Foundation, 100 p.
[108] « A Djihad Without Fighting », Dabiq n° 11, août-septembre 2015, pp. 44-45.
[109] Staline, « Pour le cinquième anniversaire du premier Congrès des ouvrières et des paysannes »,
La Communiste, n° 11, novembre 1923.
[110] Emilio Gentile, Qu’est-ce que le fascisme ?..., op. cit, p. 385.
[111] cité in Emilio Gentile, Soudain…, op. cit., p. 25.
[112] cité in Johann Chapoutot, op. cit., pp. 280-281.
[113] Ibidem, p. 281.
[114] Ibidem, p. 288.
[115] Dar al-Islam n° 7, novembre-décembre 2015, p. 25.
[116] Signes de piste, cité in Gilles Kepel, Le Prophète …, p. 41.
[117] Ibidem, p. 44.
[118] Olivier Hanne & Thomas Flichy de la Neuville, L’État islamique. Anatomie du nouveau Califat,
Paris, 2014, Giovanangeli, p. 86.
[119] Philippe-Joseph Salazar, op. cit., p. 163.
[120] Dar al-Islam n° 9, avril-mai 2016, p. 22.
[121] Ibidem, p. 22.
[122] Dabiq n° 8, mars-avril 2015, p. 20.
[123] Enzo Traverso, À feu et à sang. De la guerre civile européenne 1914-1945, Paris, 2007, Stock, p.
106.
[124] Lénine, Du matérialisme militant, 1922.
[125] Pierre Milza & Serge Berstein, op. cit., p. 289.
[126] Emilio Gentile, Soudain…, op. cit., p. 53.
[127] cité in Emilio Gentile, Qu’est-ce que le fascisme ?..., op. cit, p. 378.
[128] « Nous critiquons le vieux monde », Renmin Ribao, 8 juin 1966.
[129] Dar al-Islam n° 1, décembre 2014, p. 4.
[130] Dar al-Islam n° 3, mars-avril 2015, p. 3.
[131] Ibidem.
[132] Ibidem, p. 5.
[133] « Erasing the Legacy of a Ruined Nation », Dabiq n° 8, mars-avril 2015, pp. 22-23.
[134] Ibidem, p. 24.
[135] Adrien Candiard, Comprendre l’islam ou plutôt : pourquoi on n’y comprend rien, Paris, 2016,
Flammarion, pp. 66-67.
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