SENS ET COMMUNICATION

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INSTITUT NATIONAL DE RECHERCHE ET DE DOCUMENTATION PÉDAGOGIQUES
SERVICE DES ETUDES ET RECHERCHES PEDAGOGIQUES
SENS
ET
COMMUNICATION
TT
1974
Dans la même collection
2344 - L'enseignement du français à l'école élémentaire - essais
et confrontations (1970)
2346 - L'enseignement du français à l'école élémentaire - aspects linguistiques (1971)
2347 - L'enseignement du français à l'école élémentaire - principes de l'expérience en cours (1971)
2361 - L'enseignement du français à l'école élémentaire - plan
de rénovation - hypothèses d'action pédagogique
(1973)
2352 - Linguistique et enseignement du français - recherches
au niveau du premier cycle (1969-70 - 1970-71) (1972)
2356 - Enseignement du français et enseignement des mathématiques - deuxième cycle du second degré (1972)
2357 - Linguistique fonctionnelle et enseignement du français
(1973)
2363 - Enseignement du français et linguistique : problèmes
pratiques et théoriques (premier cycle du second degré)
(1974)
2365 - Langage : langue parlée, langue écrite et créativité à
l'école maternelle (unité de recherche pré-élémentaire)
(1974)
Document de recherche
à l'usage des établissements
chargés d'expérimentation
Tous droits réservés
SOMMAIRE
Pages
PREALABLES
• Présentation du contenu
9
• Essai de définition d'une recherche pédagogique pour «sens et
communication » (Patrick CHARAUDEAU)
11
• Réflexion sémio-linguistique sur la communication (P. CHARAUDEAU)
19
• Indications bibliographiques
31
A. ELUCIDATION DU SENS
• Problématique
I. Enseignement d'une grammaire du sens : hypothèses
(P. CHARAUDEAU)
II. Procédure pédagogique (P. CHARAUDEAU)
• Exemples
I. Exercice d'élucidation sémantique à partir d'une phrase
donnée (Henri BESSE)
,
.
II. Exercice d'élucidation sémantique à partir d'une «faute
d'expression » (P. CHARAUDEAU)
III. Exercice d'élucidation de la situation de communication
et approche du récit oral (H. BESSE et P. CHARAUDEAU) . .
.....
B,
35
44
47
49
52
COMMUNICATION ET EXPRESSION
• Tableau de répartition des expérimentations
• L'enquête socio-culturelle sur et par la classe
Préliminaires
I. Présentation de la fiche (Rémy MARTEL)
.
II. Compte rendu des premiers résultats (Denise BURGOS
et R. MARTEL) .
III. Hypothèses scientifiques (P. CHARAUDEAU)
IV. Description des circuits de communication de l'expérimentation (P. CHARAUDEAU)
64
67
67
70
78
78
3
• Discours et enunciation
A - OBJECTIF ET INTERPRETATIF DANS L'IMAGE
Préliminaires
I. Présentation de la fiche (R. MARTEL)
II. Hypothèses sémio-linguistiques sous-jacentes (P. CHARAUDEAU)
III. Description des circuits de communication mis en œuvre
dans l'expérimentation (P. CHARAUDEAU)
IV. Compte rendu des premiers résultats (André TOURNES
et Annie HUCHON)
B - OBJECTIF ET SUBJECTIF DANS LES TEXTES
Préliminaires
I. Hypothèses sémio-linguistiques sous-jacentes (P. CHARAUDEAU)
II a. Exercices sur des titres de journaux
1. Présentation de la fiche (R. MARTEL)
2. Compte rendu des premiers résultats
MURCIER)
II b. Exercices sur « La Plage » de R. Grillet
1. Présentation de la fiche (R. MARTEL)
2. Compte rendu des premiers résultats
BEAULU)
85
88
91
99
99
104
104
(Bertrand
105
110
110
(Martine
II c. Exercices sur un extrait de « La Modification »
1. Présentation de la fiche (R. MARTEL)
2. Compte rendu des premiers résultats (Martine
BEAULU)
• Structures narratives : premiers exercices
Préliminaires
I. Présentation de la fiche : différence entre fonction et
qualification (R. MARTEL)
II. Exercice de production : élaboration d'une consigne et
compte rendu des résultats (M. BEAULU)
4
81
82
111
117
117
118
121
121
123
C. ANNEXES THEORIQUES
• Eléments pour une description des circuits de communication
et des comportements individuels dans le groupe (P. CHARAUDEAU)
129
• Eléments pour une description sémantique des énoncés d'un
dialogue (H. BESSE)
133
• Eléments pour un classement sémantique des catégories grammaticales (P. CHARAUDEAU)
145
• Eléments pour une description des structures narratives
(d'après Cl. BREMOND)
159
5
PRÉALABLES
•
PRESENTATION DU CONTENU
•
ESSAI DE DEFINITION D'UNE RECHERCHE PEDAGOGIQUE POUR « SENS ET
COMMUNICATION »
•
REFLEXION SEMIO-LINGUISTIQUE SUR LA COMMUNICATION
•
INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES
PRESENTATION
DU CONTENU
Généralement, les problèmes pédagogiques sont posés en ter" transmission » du savoir. Il s'agit, dans cette perspective, de trouver la méthode pédagogique la plus adéquate à
faire « passer » un savoir donné, de sorte que l'élève « assimile »
un certain nombre de connaissances et ne soit pas une simple
machine à enregistrer.
m e s cle
Cependant, même lorsque ce savoir ne vient pas du maître mais
des livres, ou même lorsque le maître imagine une tactique
pédagogique Inductive pour amener progressivement l'élève à
acquérir le dit savoir, il nous apparaît qu'il s'agit toujours d'une
procédure de transmission.
Ce que nous voulons faire c'est poser les problèmes pédagogiques en termes de « construction » du savoir par les élèves,
savoir à visage multiple qui naît des rapports de communication
qui s'établissent entre les individus.
Dans cette dernière perspective, la problématique pédagogique
n'est plus affaire d'application des sciences humaines (linguistique, psychologie, sociologie, etc.), mais elle fait partie intégrante d'une réflexion théorique sur les faits de communication
et de langage.
C'est pourquoi nous accordons, dans nos travaux de recherche,
autant d'importance à la réflexion théorique (1) qu'aux procédures pédagogiques proprement dites. On le remarquera tout
au long de la présentation de nos expérimentations ainsi que
par l'existence des annexes théoriques en fin d'ouvrage.
Le travail que nous présentons, ici, et qui n'est qu'une partie
d'un projet de longue haleine, peut se résumer en une préoccupation et deux axes de recherche :
— Notre préoccupation c'est de créer une pédagogie qui place
l'élève au cœur des mécanismes de la Communication du point
de vue du Sens, rejetant délibérément la surface stylistique du
discours.
Nos axes de recherche sont :
— l'un plus strictement linguistique, c'est-à-dire plus tourné vers
la phrase, encore que nous n'éliminions jamais totalement la
dimension énonciative du discours. Il s'agit de la première partie
« Elucidation du Sens » ;
— l'autre plus sémio-linguistique, c'est-à-dire tourné vers la
totalité du discours comme acte de communication. C'est la
deuxième partie « Communication et Expression ».
Chacune de ces parties se présente d'une façon particulière
parce qu'elle est le résultat du travail d'un groupe particulier —
et de toute évidence chaque groupe a une personnalité qui lui
(1) A ce propos, nous conseillons au lecteur de commencer par la lecture
des deux premières annexes.
9
est propre —, mais cette différence tient également au fait que
le groupe « Elucidation du Sens » travaille aux niveaux du premier degré et du premier cycle du second degré, alors que le
groupe « Communication et Expression » travaille exclusivement
au niveau du second degré.
Un dernier mot pour émettre un vœu : que nos collègues du
premier et du second degrés nous fassent part de leurs critiques : une recherche de cet ordre a besoin d'être constamment
confrontée à la multiplicité des réalités pédagogiques, et pour
autant que nous expérimentions nous-mêmes en classe, nous ne
pourrons jamais nous passer des réactions des autres collègues.
10
ESSAI DE DEFINITION
D'UNE RECHERCHE PÉDAGOGIQUE
POUR «SENS ET COMMUNICATION»
PREAMBULES
Travaillant essentiellement dans le domaine psychosocio-linguistique, nous ne pouvions pas ne pas nous
interroger, parallèlement à nos recherches pédagogiques, sur ce que sont nos hypothèses théoriques
de base, sur notre conception d'une méthodologie
de l'enseignement du français, et donc, du même
coup, sur ce que devrait être le cadre dans lequel
nous déployons notre activité de recherche.
Il est évident qu'une telle réflexion impliquait d'une
part que nous analysions et critiquions des modèles
existants et d'autre part que nous « théorisions »
à partir du concret de nos expérimentations, pour
essayer d'aboutir à un ensemble cohérent d'hypothèses.
Ceci explique, par conséquence, que nous soyions
amené à nous définir en contrepoint d'une certaine
façon de concevoir la recherche pédagogique (I),
sans compter que cette façon de procéder permettra
de mieux faire ressortir nos propres hypothèses
(Il et III).
L CE QUE NOUS NE FAISONS PAS
Ce que nous voulons éviter de faire — et cela
n'est pas simple —, c'est de l'application d'une discipline scientifique. Nous ne faisons pas de la linguistique appliquée, nous ne faisons pas de la sémiotique appliquée, ni de la psychologie appliquée,
ni de la psycho-sociologie appliquée, etc., mais nous
essayons de définir, en la faisant émerger de nos
expérimentations, une « problématique pédagogique » qui tienne compte des données de la linguistique moderne, de la sémiotique, de la psychologie,
etc., ce qui est très différent.
Les raisons, qui font que nous nous opposons à
cette vue « applicative » de la pédagogie, sont au
nombre de deux ; l'une étant corrélative de l'autre.
1) Première raison : Il ne faut pas confondre expériences scientifiques qui s'inscrivent dans le cadre de
la théorie d'une discipline scientifique et expérimentation pédagogique qui s'inscrit dans le cadre
d'une méthodologie particulière et autonome, laquelle repose sur une réalité tout aussi particulière :
la classe.
Exemples : — Faire une expérience de « dynamique
de groupe » dans la classe, c'est faire une expérience
de psycho-sociologie et non une expérience pédagogique dans la mesure où cette expérience de dynamique de groupe, pour être probante, neutralise,
provisoirement, l'une des composantes de la réalité
pédagogique — par exemple, travail sur les procédures et élimination du contenu.
— Tester à partir de quel âge on peut étudier les
« structures narratives » avec les élèves, ou tester
la différence de comportements selon les âges et
les sexes en face de ce phénomène sémiotique implique également l'élimination d'un certain nombre
d'autres composantes qui devraient entrer à part
entière dans l'activité pédagogique.
— Tester les performances de raisonnement des enfants en fonction d'un certain nombre de paramètres,
ampute forcément la relation pédagogique de l'une
ou l'autre de ses composantes.
11
— Enfin, vérifier la validité de tel modèle métalinguistique grammatical ou lexical, nous semble
beaucoup plus tourné vers le modèle en question
que vers ce qu'est la totalité de l'acte pédagogique.
Mais entendons-nous bien, il n'est pas question de
dénier à ces procédures expérimentales leur valeur,
ni même l'utilité qu'elles peuvent avoir pour améliorer la méthodologie de l'enseignement. Celle-ci
a besoin de connaître les procédures de communication dans le groupe-classe, elle a besoin de connaître les conditions de saisie et de production des
structures narratives et de tel ou tel type de raisonnement, elle a besoin, enfin, de savoir comment
réagissent les élèves devant tel ou tel métalangage
qu'on pourrait leur proposer.
Nous disons cependant que ces procédures expérimentales n'appartiennent pas en propre à la totalité
pédagogique que nous, nous voudrions saisir à travers une méthodologie qui aurait son autonomie.
2) Deuxième raison : En rester à une procédure
d'expérimentation telle que nous venons de la définir, et qui se trouve hors du cadre proprement
méthodologique c'est, à notre avis, maintenir une
partition totalement artificielle des activités de la
classe de français. En effet le découpage de ces activités sera toujours : la «classe de grammaire»,
la « classe de vocabulaire » —qu'on appellera maintenant méthodologie de l'enseignement de la grammaire et de l'enseignement du lexique —, un fourretout qu'on appelle « classe d'expression » dans lequel
on met toutes les activités de communication orale,
plus ou moins libre et certaines activités de communication écrite, et enfin, « classe de littérature » à
laquelle on ne donnera certainement plus le même
intitulé, mais qui correspondra au moment où l'on
traitera de thèmes littéraires, philosophiques, idéologiques, voire politiques.
Notre critique à l'égard de cette « partition artificielle des activités de la classe de français » repose
sur une position à la fois théorique et méthodologique de notre part. On ne les exposera pas dans
le détail, et nos deuxième et troisième points les
mettront en évidence. Disons seulement que du
point de vue d'une théorie sémio-linguistique de
la communication on ne voit pas du tout à quoi
correspond cette partition et on peut donc se demander si un modèle pédagogique peut être en
contradiction avec les phénomènes réels de la
communication humaine.
12
D'autre part, du point de vue méthodologique il
nous paraît important de ne pas confondre « méthodologie de l'enseignement du français » et « types
de classe ». La « méthodologie » fournit l'ensemble
des composantes de base dont doit dépendre l'activité
pédagogique de la classe. C'est donc « une totalité ».
Le « type de classe » est la spécification de certaines
actions pédagogiques ; mais ces actions pédagogiques, ponctuelles par conséquent, doivent inclure la
totalité méthodologique précédente.
Exemple : si en classe on veut faire découvrir aux
élèves certaines structurations de langue, la procédure mise en place devra tenir compte de la totalité
méthodologique. Ainsi un type de classe que l'on
pourrait baptiser « découverte des structures linguistiques du français » devrait inclure le grammatical, le lexical, et une procédure de travail qui
tienne compte des composantes psycho-socio-sémiolinguistiques.
II. NOTRE CONCEPTION
DE LA RECHERCHE PEDAGOGIQUE
Chemin faisant, nous avons dégagé lés différents
niveaux qui composent ce cadre de recherche que
nous croyons très particulière.
1) Tout d'abord le niveau théorique : « problématique de la communication ».
Que serait, en effet, une expérimentation pédagogique sans théorie sur la communication alors que
« le pédagogique » est, par excellence, de la communication ? De même que serait une pédagogie de la
littérature sans théorie de la littérature ? — Et l'on
peut se demander, à ce propos, si l'échec de cet
enseignement ne tient pas autant à l'absence de
pédagogie qu'à l'absence d'une problématique de la
littérature —.
Cette problématique de la communication est, pour
nous, de type sémio-linguistique et essaye de rendre
compte de la totalité des faits de communication.
2) Le niveau méthodologique : « méthodologie de
l'enseignement du français » qui est radicalement
tourné vers le pédagogique mais utilise les données
des sciences humaines. Ce niveau est autonome,
il a son existence propre et c'est là que se situent
les concepts qui président à l'activité pédagogique en
général (voir III - 2).
C'est à ce niveau également que se situent nos procédures d'expérimentations.
3.) Le niveau : « expérimentations scientifiques » se
trouve entre 1) et 2) mais, comme nous l'avons
déjà dit, il est plus dépendant de 1) que de 2) et
cependant il est indispensable à la construction du
modèle méthodologique.
4) Le niveau : « types de classe » qui ne peut se définir qu'après avoir établi le cadre méthodologique
et qui constitue la spécification de l'activité pédagogique générale en fonction d'une classe particulière. Cette spécification dépendra aussi bien
de l'infrastructure administrative, que des moyens
matériels existants, du cadre d'enseignement, de
l'âge des enfants, du milieu social de recrutement,
bref d'un certain nombre de paramètres sociologiques et socio-économiques.
C'est le domaine de la pédagogie
différenciée.
Schéma résumé ci-dessous.
Remarques : a) Certaines flèches sont doublement
orientées ; c'est que toute expérimentation et ré-
flexion à l'un des niveaux se répercute sur l'autre.
Et nous n'hésiterons pas à dire que la réflexion
méthodologique nous a permis de préciser des points
théoriques encore obscurs.
b) On voit que dans un tel cadre de recherche,
l'évaluation pose des problèmes.
Elle est possible dans le cadre de l'expérimentation
scientifique puisque celle-ci cherche par sa procédure même à vérifier des résultats.
Mais elle est difficile dans le cadre méthodologique
puisque l'expérimentation parie sur une transformation à long terme des procédures de saisie et de
production des phénomènes sémio-linguistiques de
la part de l'enfant ; on ne peut donc savoir par
avance « ce qu'il faut regarder » pour procéder à
une évaluation. L'évaluation n'est guère possible
dans une activité à visée prospective.
c) Enfin dernière remarque, étant donné que la
« méthodologie de l'enseignement du français » n'est
pas un modèle rigide de procédures figées, mais
un cadre d'activité pédagogique avec ses composantes et ses types d'action, on comprend aisément
que le succès d'une pédagogie moderne dépende de
la formation du maître. Car au bout du compte
ce cadre méthodologique c'est un « savoir interroger,
découvrir et analyser » les phénomènes sémio-linguistiques à travers des procédures de communication. Il faut donc que le maître possède lui-même
ce type de savoir-faire.
Problématique communication
#
Méthodologie enseignement
%
Expériences scientifiques
^ >
Types de classe
13
III.
NOS HYPOTHESES DE TRAVAIL
1. Problématique de la communication
Nos hypothèses sont présentées au fur et à mesure
de la publication de nos travaux, car il nous paraît
indispensable qu'elles s'enracinent dans une expérimentation et qu'inversement les enseignants se
rendent compte que nos expérimentations s'inscrivent dans un cadre théorique cohérent.
Essayons cependant d'en donner les lignes de force.
a) Tout acte de communication repose sur un rapport triangulaire IL < JE > TU, centré sur le JE.
Donc communiquer c'est, à la fois, symboliser le
monde ( « parler le monde » ) et transmettre cette
symbolisation. En cela tous les actes de discours
sont des actes de communication, de l'information
« banale !» à la poésie.
b) Mais cette « transmission » ne va pas de soi, car
le récepteur (TU) n'est pas l'émetteur (JE). Pour
lui, le discours qui lui est transmis est « opaque » ;
il doit le «découvrir». Il a, pour cela, la possibilité de « prendre possession » de la parole à son
tour, pour demander des elucidations au JE précédent, s'opposer à lui ou surenchérir sur lui. Du
même coup on voit que tout JE reçoit un reflet
du discours qu'il a produit à travers les réactions
du TU.
Conclusion : l'acte de communication n'est pas simplement un acte de diffusion d'information à un
interlocuteur qui enregistrerait passivement, mais
bien un acte polémique puisque JE et TU se trouvent dans un rapport de surenchère qui tient à ce
que chacun des interlocuteurs, devant la spécificité
de fait de son discours cherche à établir un consensus avec l'autre (dualité : consensus / spécificité).
c) Conséquence : ce que « transmet » le JE dépend
du type de rapport qu'il établit avec le TU. Autrement dit la « symbolisation » du monde est relative à ce type de rapport. C'est pourquoi nous disons
que tout discours s'inscrit avec ou contre des discours
antécédants, ce qui constitue «l'implicite du discours ».
Cela nous amène à une autre conclusion : puisque
la symbolisation (c'est-à-dire la « construction du
14
savoir ») se fait à travers des rapports polémiques,
c'est que le « savoir » n'est pas pré-constitué ; chaque individu se construit son propre savoir à travers
une somme de rapports de communication, et donc
le « savoir » n'est pas unique mais relatif à cette
somme de rapports de communication.
2. Niveau méthodologique
• Nous voudrions donc créer une pédagogie dans
laquelle l'élève n'aurait plus à recevoir — même du
mieux possible — un savoir préconstitué mais serait
amené plutôt à se construire son propre savoir, et
à en prendre la mesure. Nous voudrions que tout
élève lorsqu'il produit un discours ne se contente
pas de reproduire un savoir qui appartient à un
certain modèle pédagogique, mais soit un JE à part
entière, responsable et conscient du discours qu'il
produit.
• Mais maintenant se pose la question de savoir
« comment » atteindre cet objectif ?
Réponse : Essentiellement par la mise en œuvre
d'une « technique d'élucidation » à travers certaines
procédures de communication.
• Cette « technique d'élucidation », on le comprendra aisément, se définit au fur et à mesure de nos
expérimentations, puisqu'il faut qu'elle émerge de
la réalité pédagogique.
Cependant nous pouvons déjà en donner les fondements.
Il faut, pour cela, distinguer « problématique de
l'élucidation » et « domaine d'application ».
2.1.
PROBLEMATIQUE DE i L'ELUCIDATION
Pour qu'il y ait véritablement elucidation efficace,
il faut trois conditions :
— Faire découvrir le phénomène qui fait problème,
et le localiser.
— Donner la possibilité d'analyser ce phénomène.
— Exécuter ce travail de découverte et d'analyse
dans une démarche essentiellement inductive.
Autrement dit il faut :
a) Mettre l'élève dans des conditions d'exercice qui
l'obligent à; découvrir, à travers la manipulation
d'un matériau et à travers les blocages du circuit
de communication dans lequel il se trouve, un
phénomène auquel il n'était pas forcément sensible.
C'est ici que se situe notre recherche sur les « techniques de simulation des circuits de communication».
b) Lui fournir des possibilités d'explication en lui
proposant plusieurs façons d'interroger le phénomène en question, et en faisant en sorte que ces
façons d'interroger et les réponses apportées soient
le fait de l'ensemble de la classe. C'est ici que se
situe notre réflexion sur les « techniques métalinguistiques d'élucidation».
Ainsi il y a d'abord une elucidation qui passe par
une « pratique » avant qu'elle mette en jeu une
«connaissance».
Au total il y a un mouvement d'enchaînement successif « pratique-connaissance » puisque après la
phase technique d'analyse il y a une nouvelle mise
en oeuvre de la « pratique » qui permet une récurrence sur la pratique précédente et la découverte
de nouveaux phénomènes.
C'est donc ce mouvement « pratique -*• connaissance -»• pratique -*• connaissance » qui constitue la
problématique de l'élucidation et on remarquera,
à travers la lecture de nos travaux, que toutes nos
procédures pédagogiques respectent cette problématique (voir procédure pédagogique de l'élucidation
du sens). (A. II p. 44).
2.2. DOMAINES D'APPLICATION
DE L'ELUCIDATION
Il y a essentiellement deux domaines d'application :
le domaine strictement linguistique, et le domaine
sémio-linguistique.
a) D. LINGUISTIQUE : C'est le lieu de découverte
et d'analyse des structures linguistiques de la langue
(structures grammaticales et lexicales) à travers
des procédures pédagogiques inductives.
b) D. SEMIO-LINGUISTIQUE : C'est le lieu de
découverte et d'analyse des phénomènes du discours,
tant sous leur aspect formel (comme les structures
narratives) que sous leur aspect sémantique (investissement mythique et réactions mythologisantes des
élèves) toujours à travers des procédures pédagogiques qui respectent notre problématique de l'élucidation.
3. Programme d'expérimentations
Nous sommes maintenant en mesure d'exposer notre
double programme d'expérimentation.
3.1. DOMAINE LINGUISTIQUE : «Elucidation
du sens et découverte des structures linguistiques
du français ».
a) NIVEAU : 1er degré et 1" cycle du second degré.
b) PROGRAMME : Il ne peut pas y avoir de programme détaillé, comme pour l'expérimentation du
domaine sémio-linguistique parce qu'il s'agit ici de
mettre au point une « technique d'élucidation » pour
faire en sorte que les élèves soient amenés à découvrir, à prendre conscience et à utiliser les structures linguistiques du français.
Cette technique est élaborée à partir de quatre
points de départ :
— Les productions que l'élève est amené à faire,
soit qu'on le place dans une certaine tâche, soit
qu'il ait été mis au contact de l'événement.
— Des corpus pré-constitués par le maître ou les
élèves comme les tables de concordances, articles
de dictionnaire à critiquer, liste d'exemples, manuels, etc.
— Documents visuels, images, bandes dessinées,
sketches en films fixes, etc.
— Textes littéraires ou non-littéraires pour étudier
les cas de transferts, les techniques rhétoriques,
et d'une façon générale les jeux de langage.
3.2. DOMAINE SEMIO-LINGUISTIQUE :
« Structures du discours et procédures de communication ».
a) NIVEAU 1" et 2° cycles du second degré.
b) PROGRAMME : Tout discours est la résultante
de la mise en oeuvre des différentes fonctions du
langage (polémique, référentielle, rhétorique, etc.),
et c'est selon le degré de participation de ces fonctions que l'on peut différencier les discours et les
grouper par types.
Nous avons donc pensé qu'il fallait d'abord décomposer ces différents aspects du discours, les étudier
15
avec les élèves de façon à mieux recomposer ensuite
l'ensemble de tout acte de communication qui inclut
ces différents aspects.
D'où notre découpage, purement tactique, qui nous
permet de faire nos expérimentations, par séries,
sur chacun de ces aspects :
1) Discours narratif
2) Discours polémique
3i) Discours rhétorique
4) Variété des discours
1) Discours narratif
Etude du discours narratif à travers :
a) ETUDE SUR DESCRIPTION OBJECTIVE ET
DESCRIPTION INTERPRETATIVE A PARTIR
DE :
— Image fixe
— Textes (non-littéraires et littéraires)
— Production des élèves
b) ETUDE SUR L'OPPOSITION DIALOGUE/RECIT ET SUR LES DIFFERENTS TYPES DE RECITS en fonction des circuits de communication à
partir de :
— Séquences d'images
— Textes (non-littéraires et littéraires)
— Production des élèves
c) ETUDE DES STRUCTURES NARRATIVES à
partir de :
—• Production des élèves
— Travail comparé sur contes, nouvelles, etc.
— Les structures narratives au cinéma, au théâtre.
d) QU'EST-CE QUE LE DISCOURS CRITIQUE ?
2) Discours polémique
a) ETUDE DE L'ARGUMENTATION LINGUISTIQUE A TRAVERS :
— Le discours publicitaire
16
— Le discours propagandiste
— Le discours d'essai philosophique
— Le discours informatif et critique
b) QU'EST-CE QUE L'ENQUETE DU POINT DE
VUE DE LA COMMUNICATION?
3) Discours rhétorique
a) ETUDE DES PROCEDES RHETORIQUES A
TRAVERS :
—
—
—
—
—
—
Les titres de journaux
La publicité
L'humour
La chanson
L'argot
La poésie
b) QU'EST-CE QUE LA POESIE ?
4) Variété des discours
a) ETUDE DES DIFFERENTS TYPES DE DISCOURS DE LA PRESSE et des situations énonciatives qu'ils véhiculent :
—> Chronique (?)
— Faits divers (?)
— Articles de fond (?), etc.
b) ETUDE D'AUTRES DISCOURS
— Scientifique
>— Didactique
— etc.
c) QU'EST-CE
PARLER?
QU'ECRIRE,
QU'EST-CE
QUE
Remarques : Il est évident qu'il n'y a pas de cloisons étanches entre chacune de ces séries. A propos
du narratif on rencontrera du rhétorique, à propos
du polémique on rencontrera du narratif et du rhétorique, etc. Nous en avons conscience, mais il s'agit,
dans chaque partie de bâtir l'expérimentation autour
d'une procédure discursive particulière.
• Chaque série d'expérimentation forme donc un
tout en soi et possède une certaine autonomie. Mais
en même temps, chacune d'elles s'articule sur la
suivante pour constituer un nouvel ensemble chaque
fois plus complet.
• C'est tout au long de nos expérimentations que
nous nous interrogeons simultanément sur les procédures de communication, et les techniques d'élucidation puisque nous avons vu (méthodologie) que
nous ne voulions pas séparer «procédures» de
« contenu », le savoir de l'élève se construisant dans
et par les procédures pédagogiques.
• Enfin on fera la remarque suivante : à aucun
moment nous n'avons parlé de littérature ni de
discours littéraire. Non point que nous ne croyions
pas à une telle réalité, mais parce que nous refusons
de considérer l'œuvre littéraire comme ayant une
fin en soi. Elle est, pour nous, une des manifestations
possibles d ' o u t r e chose», autrement dit elle est
l'actualisation possible (dépendant d'une codification
particulière) d'un discours multiple qui «parle le
monde ».
P. CHARAUDEAU.
17
REFLEXION SEMIO-LINGUISTIQUE
SUR LA COMMUNICATION
1.
INTRODUCTION
1.0. L'analyse du discours est un secteur de la
linguistique en plein développement. Les recherches
actuelles se situent aux confins des autres sciences
humaines telles psychologie, psychanalyse, sociologie et anthropologie, qui font partie intégrante des
phénomènes de communication.
1.1. Le linguiste a longtemps craint de sortir de
son champ d'étude strictement linguistique de peur
de trahir sa méthodologie ; pour cette raison il
considérait avec précaution les tentatives d'ouverture vers l'une de ces sciences. Cependant une réflexion nouvelle qui se situe à l'intersection de la
philosophie du langage et de la sémiotique littéraire et non-littéraire et de la sémantique, s'est
imposée à l'intérieur même de la linguistique, et a
obligé le linguiste à remettre en question un certain
nombre de présupposés épistémologiques. Cette réflexion nouvelle peut être appelée d'un mot :
« renonciation ». Avec les études sur renonciation
il n'y a plus de linguistique « innocente », comme le
dit M. Foucault, « le signe est devenu « malveillant », c'est-à-dire non plus clair, mais opaque et
« à découvrir » dans toute production de discours
puisque se constituant d'une façon spécifique dans
chaque production de discours».
Mais cette énonciation constitue également un fait
nouveau du point de vue méthodologique car elle
permet au linguiste de s'ouvrir vers ces sciences
connexes dont nous parlions, sans pour autant sortir
indûment de son champ d'investigation, car cette
ouverture il la fait à travers une théorie de la
communication, qui reste à faire d'ailleurs, mais dont
on voit naître les prémisses.
1.2. Ce que nous proposons dans ce court article,
ce sont des éléments de définition pour une théorie
de la communication, au vu de quoi nous élaborerons un questionnaire destiné à faire apparaître
le cadre énonciatif dans lequel a été produit le
discours que l'on cherche à étudier.
Mais il faudra se garder de considérer ce questionnaire comme la totalité de l'analyse du discours
en question. Il n'est que le premier temps d'une
analyse du discours qui devra se prolonger par la
recherche des caractéristiques linguistiques (et/ou
rhétoriques) de chaque discours étudié.
2. « SENS ET SIGNIFICATION »
« ENONCE ET DISCOURS »
2.1.
OBSERVATION : soit par exemple :
(1) « A la base des bonnes affaires en Irlande se
trouve PAllied Irish Investment Bank».
a) Pour qui a une compétence linguistique suffisante en français, cet énoncé est doté de sens ; c'està-dire, de la façon la plus empirique qui soit, on
comprend quelque chose à cet énoncé.
Bien plus, on est en mesure de décomposer l'information qui, dans un premier temps, a été saisie
globalement.
Ainsi on aurait :
(a) « il s'agit des affaires qui se font en Irlande »
(b) « ces affaires sont « les bonnes affaires » »
(c) « il y a l'Allied Irish Investment Bank »
— plus la relation qui s'établit entre cette dernière
information (c) et les deux premières (a) et (b),
relation explicite par « à la base de »
19
— plus une certaine formulation de la phrase qui
la rend différente de tout autre formulation.
b) Pourtant cette décomposition ne nous livre pas
tout sur la valeur communicatrice de cette phrase.
Faisons un test ; précisons les circonstances de
communication qui encadrent ce discours, puis faisons-les varier. Nous constaterons que l'information
variera en même temps, mais seulement en partie :
— JE (sujet produisant le discours) professe une
« idéologie •» anti-capitaliste. Il s'adresse dans l'instant de ce discours à un TU qui essaie (par les
discours antécédants) de le convaincre que l'Irlande
est un pays à bases démocratiques.
Dans ce cas la phrase produite est un discours qui
contiendra, outre les informations précédemment
décomposées les informations suivantes : « vous
voyez, l'économie de l'Irlande repose sur des trusts
financiers » et « voilà la preuve qu'il s'agit d'un
pays capitaliste».
— JE appartient à une banque concurrente. TU
appartient à la même banque que JE. Le discours
de JE pourra alors signifier en plus, et selon la
spécificité du rapport JE-TU : « l'AIIB nous est
supérieure » et « je l'avoue ».
— JE appartient à l'AIIB.
Il est possible alors que l'information supplémentaire — toujours pour un rapport JE-TU particulier — soit :
« Vraiment nous sommes les plus puissants » et
«je m'en vante».
— Supposons à présent, que ce discours soit un
slogan publicitaire. Si l'on pose que l'objectif du
slogan consiste à provoquer chez le tu-lecteurconsommateur le désir de se procurer un produit,
et que, à cette fin, le slogan lie à l'achat du produit,
l'espoir d'obtenir une satisfaction, on, acceptera que
tout slogan repose d'une façon plus ou moins explicite sur le raisonnement suivant (1) : « si vous
achetez le produit P, vous obtenez le résultat R » ,
ou « si vous voulez le résultat R, achetez le produit P » .
(1) On lira l'excellent article « implication et publicité »
de Y. Blum et J. Brisson in « Langue française », n° 12,
Larousse.
20
Dans cette perspective et pour revenir à notre
exemple, on en déduira les informations supplémentaires suivantes :
« Si vous voulez que vos affaires soient bonnes,
il faut y mettre à la base, l'AIIB. »
« Or, vous ne pouvez que vouloir cela, donc contactez l'AIIB. »
c) On voit, par conséquent, qu'on ne peut saisir la
totalité de signification d'un discours, qu'en précisant les instances du discours, à savoir le JE, le
TU et le rapport spécifique, aussi bien matériel
qu'imaginé (voir plus loin 3.2.), qui lie JE et TU.
La preuve en est qu'il suffit que l'on change ce
rapport pour que la totalité de signification d'un
même énoncé, change en même temps.
Mais on aura remarqué également que s'il y a variation de la totalité de signification concommitament
à la variation du rapport JE-TU — plus généralement du rapport triangulaire JE-TU-IL que l'on
appellera provisoirement circonstances de communication —, il semble que l'énoncé, lui, soit toujours
présent avec un « sens global » qui correspondrait
à la saisie empirique de cet énoncé hors circonstances de communication par tout individu de même
communauté socio-linguistique ayant compétence
linguistique suffisante.
Nous pouvons donc anticiper, dès à présent, sur
notre explication (1.2.) et poser qu'une phrase considérée hors circonstances de communication est un
énoncé ayant un sens et, que cette même phrase
in-circonstances de communication — ce que l'on
appellera plus loin « le cadre énonciatif » — est un
discours ayant une signification spécifique et, à ce
titre, ayant valeur de communication.
2.2.
EXPLICATION
Ainsi donc est posé le problème du sens et de la
signification, ou pour l'exprimer autrement, de la
constante et des variables sémantiques dans un
procès de communication, puisque c'est ce que nous
avons remarqué dans notre précédente observation.
Pour essayer d'élucider ce problème, nous allons
d'abord définir la communication comme un phénomène à'inter-comprehension (a) puis nous essaierons de voir comment le langage se constitue dans
le cadre de cette communication (b) et enfin nous
en déduirons la nécessité d'établir cette double distinction énoncé/discours et sens/signification (c).
a) On a toujours affirmé qu'il fallait, pour qu'il y
ait communication, la présence d'un locuteur et d'un
auditeur que l'on nomme parfois, en termes généraux : émetteur et récepteur.
Mais peut-être n'a-t-on pas encore tiré toutes les
conséquences de cette affirmation.
— Tout procès de communication renferme bien
une information puisque, à plus ou moins brève
échéance, il provoque une réaction — physique ou
linguistique —. C'est là, la seule preuve empirique
et expérimentale que nous ayions de ce phénomène ;
à ce sujet, Bloomfeld, linguiste américain des années
trente avait déjà remarqué : « deux situations ne
sont jamais totalement semblables et donc les messages qui s'y attachent respectivement ne sont pas
identiques. Pourtant on constate qu'ils provoquent
des réactions identiques chez les individus différents ».
Mais nous pourrions être encore plus précis dans
notre observation et constater alors, qu'en fait,
l'émetteur n'est satisfait — et donc estime que son
information a été reçue — que lorsque le récepteur
a réagi à cette information ; réaction, qui en retour,
représente pour l'émetteur l'existence de l'information qu'il vient de produire. On voit, alors, que le
récepteur est autre chose qu'un destinataire passif du
procès de communication, comme le présente la plupart des théories de la communication ; il est, au
contraire, tout aussi actif que l'émetteur puisque
« réagir » c'est produire une information en retour.
Du même coup on comprend que ce que l'émetteur
attend du récepteur, c'est que celui-ci lui renvoie,
de quelque façon que ce soit, le « reflet » de son
information, ce qui nous induit à penser que l'émetteur lorsqu'il communique a le désir d'être compris.
— Reprenons cela en d'autres termes :
• Tout émetteur se pose comme sujet communiquant, dès l'instant qu'il produit un discours à l'intention d'un destinataire, c'est-à-dire, dès l'instant
qu'il prend possession de la parole, et c'est pourquoi
nous le représenterons par JE.
• Tout récepteur est l'interlocuteur d'un JE en activité de communication, c'est-à-dire qu'il est à la
fois recevant un discours qu'il doit comprendre, et
produisant à son tour une information. Nous le
représenterons par TU.
On dira alors que tout JE est en même temps un
TU « en puissance » puisqu'il produit un discours
en fonction de ce qu'il croit savoir du TU, et puisqu'il sera effectivement un TU (différent du précédent), lorsque l'interlocuteur aura pris la parole
à son tour pour lui renvoyer le reflet de son discours.
De même, on dira que le TU est en même temps un
JE « en puissance », puisque comprendre le discours
qu'il reçoit c'est essayer de le saisir comme s'il
était en lieu et place de celui qui le produit, et puisqu'il sera effectivement JE (différent du précédent),
lorsqu'il prendra la parole à son tour.
— Ainsi la communication linguistique n'est plus
conçue comme la simple production d'un discours
à l'adresse d'un destinataire, mais comme une rencontre dialectique de deux mouvements qui partent
chacun d'un protagoniste, chaque protagoniste ayant
une « personnalité double ».
On figurera ce progrès ainsi :
(TU)
A
«
(JE)
Í
b) Donc, si le langage n'est pas donné, mais se
constitue dans une totalité de procès de communication, et si tout procès de communication se réalise
dans une dualité JE-TU, nous sommes obligés d'admettre qu'il n'existe pas un code linguistique par
communauté socio-linguistique, mais autant de codes
linguistiques que d'individus se posant comme JE
à un moment ou à un autre. Autrement dit, chaque
individu se constitue un code forcément à travers
une somme de relations avec des TU, puisque, sans
cela, il n'existerait pas comme JE. Or, dans cette
somme de procès de communication le JE, nous
21
l'avons vu, cherche à être compris du TU, et, à cette
fin, il va chercher à établir un « consensus » avec
celui-ci ; mais pourquoi doit-il établir un consensus ? Et bien précisément parce que le langage
n'est pas donné une fois pour toutes et que chaque
JE produit à chaque fois un « discours spécifique »
(spécificité dont il a, d'ailleurs plus ou moins
conscience) qui est à découvrir par le TU.
cette spécificité inhérente à tout discours que le JE
essaye de rendre consensus, dans la mesure où le
JE effectivement veut établir un circuit d'intercompréhension. En fait à tout moment les protagonistes de la communication sont confrontés à ce problème qui est fort bien illustré par l'un de ces
ouvreurs dont l'expression est : «Ah, mais attention ! c'est qu'il y a démocratie et démocratie ».
— Nous pourrions apporter des preuves à ce que
nous avançons. Ce sont des preuves issues de l'observation des phénomènes de communication, mais elles
n'en ont pas moins de valeur. Il suffirait d'étudier
le mécanisme de la création des signes dans différents domaines linguistiques comme le domaine
technique, le domaine argotique et le domaine poétique. Le fait qu'aucune création linguistique ne soit
faite ex-nihilo, mais soit toujours faite par transfert
à partir de signes déjà existants est une preuve de
ce jeu « consensus/spécificité » sur lequel repose
toute communication et donc la constitution du langage.
C'est-à-dire le tour où le JE affirme qu'il y a le
signe x et le signe x'. C'est le phénomène de la
polysémie inhérente au langage.
Nous ne pouvons trop nous étendre sur ce point
dans le cadre de cet article, et nous rappellerons
seulement, l'existence du métalangage dans le langage humain auquel nous avons consacré un article :
« les bases de la technique métalùiguistique d'élucidation » (1).
Il arrive parfois au JE d'interrompre son discours
pour solliciter directement le TU par des énoncés
du genre : «Tu comprends?», «Tu vois ce que
je veux dire ? ».
De son côté, le TU, sans même avoir été sollicité
par le JE peut également manifester :
• Qu'il comprend bien l'information : «je vois».
• Qu'il ne comprend pas (ou pas bien) : « non, je
ne comprends pas ».
• Qu'il doute de son interprétation : « mais alors,
dans ce cas, quel sens faut-il donner au mot « politique » ?
Ces énoncés qui ont un caractère figé et autonome
sont en quelque sorte des « ouvreurs » métalinguistiques. C'est-à-dire que le discours qui suivra aura
pour rôle d'élucider le discours antécedant. Ce
discours sur le discours, ce métalangage d'élucidation
est précisément rendu nécessaire par l'existence de
(1) Etudes de Linguistique Appliquée n° 11, Didier, 1973.
22
Mais il est temps de revenir au problème que nous
avons posé au début de cette explication — la différence entre sens et signification — et de l'aborder
maintenant à la lumière de ce que nous savons sur
la communication linguistique.
c) Nous avions remarqué lors de notre observation
précédente qu'un énoncé contenait un sens global —
celui qu'on peut lui donner hors-contexte — mais
que placé dans une circonstance de communication
particulière, il prenait une signification particulière.
Nous reconnaîtrons là le résultat du jeu « consensus/spécificité ». Mais voyons cela d'un peu plus
près.
• Sur quoi repose le sens ?
Sur la possibilité de produire un certain nombre de
«phrases alternatives», autour de l'énoncé considéré. Bien sûr cette activité est systématisée mentalement. Elle rend compte à la fois des lois générales
de l'organisation des signes linguistiques sur les
deux axes syntagmatique et paradigmatique, et des
lois propres à chaque code linguistique, celles-ci
reposant sur une probabilité qui est donnée par
l'usage que la communauté fait de ces signes et de
leurs combinaisons.
Par exemple un énoncé du genre (2) «Pierre est
au tennis » peut être saisi hors contexte. On lui attribuera un sens dans la mesure où l'on peut opposer cet énoncé à d'autres comme (3) « Pierre est au
football», (4) «Jean est au tennis», (5) «Pierre
mange des pommes de terre », etc.
Ce sont ces opérations sur l'axe paradigmatique et
sur l'axe syntagmatique qui nous permettent de reconnaître :
— Une certaine relation de base, qu'on appellera,
ici, locative, et qui oppose (2) (3) (4) à (5).
— « Pierre » comme nom propre référentiel.
— « tennis » comme une entité substantivée ayant
un certain contenu sémantique.
— « a » comme un relateur de mouvement et/ou
situation spatiale.
— « le » comme un présentateur présupposant une
connaissance antérieure du signe présenté de la
part de JE-TU.
— « est » comme une explicitation de la relation
de base dans un certain cadre temporel, etc.
A noter qu'il est préférable de parler de production de «phrases alternatives», car l'emploi du
terme « commutation paradigmatique » laisse à penser que les signes s'opposent terme à terme, alors
que faire une opposition paradigmatique, c'est changer la totalité de la combinatoire syntagmatique ;
plus généralement, à tout moment d'une opération
sur l'un des axes, c'est l'autre que l'on met en
cause. Par exemple, ici, ce n'est pas « Pierre » qui
s'oppose à «Jean», ni «football» qui s'oppose à
« tennis », mais la totalité de (2) à la totalité de (3)
(4) (5), (x) et (y).
Mais il est aussi vrai que l'on ne peut pas opposer
n'importe quel énoncé à (2). Il y a une sélection
qui se produit et qui dépend d'une probabilité d'usage de ces phrases alternatives, probabilité d'usage
qui se constitue à travers les consensus qui s'établissent lors de chaque procès de communication.
Nous répondrons donc à la question posée initialement : « le sens d'un énoncé repose sur la possibilité de construire des phrases alternatives qui se
font en fonction d'une certaine probabilité d'usage ».
• Sur quoi repose la signification ?
Sur la façon dont le JE se situe par rapport au TU
et au monde — le IL —, à travers son discours.
En effet la spécificité d'un discours n'est jugée
comme telle que par rapport aux différents TU et
non au JE seul.
C'est qu'en effet le JE produit son discours en
fonction de ce qu'il croit savoir de TU ; plus généralement, en fonction de ce qu'il croit savoir de
TU et de IL. Et comment saisit-il — imagine-t-il —
le TU et le IL, si ce n'est à travers d'autres discours
précédemment produits ?
Autrement dit, nous ne ferions que « parler le monde et les autres » et c'est en « parlant le monde et
les autres » que nous conceptualiserions linguistiquement l'univers ; c'est ainsi que nous créerions
des significations.
Nous dirons donc que tout discours produit repose
sur d'autres discours antécédents — avec lesquels
ou contre lesquels celui-ci s'inscrit —< et parfois
une partie de ce discours est clairement manifestée
dans le langage : par exemple, la relation de présupposition linguistique. Si JE dit (6) « Pierre continue à nier », il ne se contente pas d'affirmer quelque
chose sur le monde, mais comme dit O. Ducrot, il
affirme aussi quelque chose sur l'interlocuteur puisqu'il présuppose que celui-ci sait que « Pierre niait
auparavant ».
Reprenons l'exemple (2). Supposons que JE soit la
femme de « Pierre », et que TU courtise JE. Alors,
outre son sens comme énoncé, ce discours pourra
avoir la signification « nous sommes libres pour un
moment ». On voit bien que cette signification n'est
perceptible que par rapport à d'autres discours
implicites qui ne sont perçus que par des données
extérieures à l'énoncé produit.
Ainsi donc, ces circonstances de communication dont
nous avons parlé auparavant se précisent. Ce sont
non seulement l'environnement matériel de la
communication, mais aussi une certaine somme de
discours produits antérieurement qui font que le JE
se situera d'une façon spécifique par rapport au
TU et au monde à travers son énoncé. C'est le rapport « imaginé ».
IL — réfèrent ( —JE — émetteur —) TU — interlocuteur.
Nous résumerons cette explication :
Le sens d'un énoncé repose sur un consensus qui est
établi par une probabilité d'usage, ce qui permet
de saisir cet énoncé hors-circonstances de communication. Mais il n'est pas encore un acte de communication.
Les circonstances de communication sont ce que
nous appellerons dorénavant le cadre énonciatif du
discours. Si l'on considère donc l'énoncé dans son
cadre énonciatif, alors cet énoncé devient discours
23
ayant valeur de communication avec outre son sensconsensus, une signification-spécifique ; soit :
JE-Référent et le canal de transmission choisi par
le JE et permis par l'environnement matériel.
ENONCE +
SITUATION
|
ENONCIATIVE
(usage-consensus)
• Le rapport JE-TU, va être conditionné, dans une
certaine mesure par la présence ou l'absence du TU.
SENS
=
DISCOURS
\
spécificité
SIGNIFICATION
3. LA SITUATION ENONCIATIVE
La situation énonciative peut être décomposée en
deux types de situation : « la situation de communication » et « la situation de discours ».
3.1. LA SITUATION DE COMMUNICATION
a) Elle représente les conditions matérielles de la
communication, conditions qui vont avoir une influence plus ou moins contraignante sur la communication :
Evidemment il s'agit de conditions matérielles pertinentes pour la communication. Par exemple si deux
personnes assises à la terrasse d'un café commentent
des événements politiques, l'environnement matériel « café » ne sera pas pertinent du point de vue
du réfèrent, mais l'une de ses conséquences pourra
l'être, le fait par exemple que les deux interlocuteurs — assis à la même table — soient présents,
autrement dit ce qui est pertinent c'est la présence
matérielle du TU.
Il peut également se faire, par ailleurs, que l'un
des interlocuteurs parle au garçon de café pour lui
commander une boisson. Dès lors l'environnement
matériel « café » redevient pertinent du point de
vue du réfèrent, mais seulement pour cette instance
du discours.
b) Cette situation de communication repose sur trois
types de composantes : le rapport JE-TU, le rapport
24
En effet si le TU est présent, le JE quel qu'il soit
se trouve dans un rapport de perception directe et
immédiate avec le TU, ce qui veut dire qu'il utilisera probablement le canal oral pour communiquer
(voir plus loin) mais qu'en plus, il peut utiliser
d'autres moyens d'expression — gestes, mimiques, etc. —, étant ainsi « à la merci de l'autre »
par son comportement, et pouvant en même temps
« agir sur l'autre » par ce comportement. Il s'ensuit
une convention qui est celle de l'échange. C'est-àdire que JE s'adresse à TU, mais qu'à tout moment
TU peut devenir JE et transformer son interlocuteur
en TU (voir notre schéma de communication en
22 a). Et cela a des conséquences linguistiques. En
effet, le JE sachant à tout moment qu'il peut être
interrompu par le TU, se trouve plus ou moins
contraint à la précipitation dans la transmission de
ses informations, à ce que nous appelions « la spontanéité » dans la communication.
Cela explique dans de telles conditions, que les
discours produits se caractérisent par un ordre des
mots particulier (ce qu'on appelle 1' « ordre affectif
des mots», cette mise en tête de la phrase des
éléments d'information jugés intuitivement les plus
urgents, voire les plus importants par le JE), par
une série de phrases très segmentées, en accumulation, sans presque de « liens logiques » exprimés,
par une alternance de termes génériques et de termes précis sémantiquement, tous ces caractères linguistiques répondant en fait à une démarche de la
pensée qui se développe en temps forts et temps
faibles et qui produit un discours ouvert en «redondance progressive».
Exemples :
A.
« Tu es allé voir Hélène finalement ? »
B. « Oh, tu sais, j'ai juste été, un petit moment,
un après-midi chez elle» (1).
(1) Il est évident qu'il s'agit d'une transcription graphique d'un discours oral. A ce titre, cet exemple est choquant à la lecture, alors qu'il est banal en situation de
conversation.
Dans le cas contraire — TU absent -> non-échange — le discours prend une autre allure. On remarque, linguistiquement, un ordre des mots progressif, construit, une phrase beaucoup plus continue
dans son développement et dont la segmentation ne
heurte pas la lecture — sauf cas d'effets voulus dans
le cadre du discours littéraire — une succession de
signes précis et concis sémantiquement ; en effet,
cette fois, la situation de non-échange permet une
démarche de la pensée plus réfléchie, ce qui produit
un discours à « continuité progressive » qui tend à
se fermer sur lui-même.
Cependant il faut ajouter ceci : la présence du TU
peut prendre des aspects multiples ; c'est pourquoi
nous pensons qu'il faut également se demander si
le TU est unique ou multiple. En effet il peut se
faire que le TU soit présent mais sous forme multiple — un public, une réunion de travail, etc. —
Dans ce cas-là, la convention change et l'échange
ne se fait plus ; ou alors il se fait d'une façon organisée qui, en fait, démultiplie les rapports JE-TU
— c'est le cas de «tables rondes», ce devrait être
le cas de la classe —.
Par ailleurs, il sera également utile, voire indispensable, de se demander si la communication est directe
ou médiate. En effet nous avons un certain nombre
de situations dans lesquelles A échange avec B,
bien qu'ils ne soient pas présents l'un à l'autre
visuellement. Et l'on voit que le développement
des mass-média complique et démultiplie ces types
de rapports ; il faudra donc en tenir compte.
• Le rapport JE-référent est intimement lié au
précédent, au moins pour une partie.
D'abord, constatons que la présence ou l'absence
du réfèrent permettra au JE d'avoir ou non un
support matériel qui lui sera utile lorsqu'il communiquera — par exemple lors de la procédure discursive de « description » — mais il faudra également remarquer si ce réfèrent est commun au JE
et au TU, ce qui n'est pas évident même lorsque
le JE est en présence du réfèrent (au téléphone,
par exemple, A décrit ce qu'il a sous les yeux et
que ne voit pas B). Si donc ce réfèrent est présent
et/ou commun, les discours produits sont des discours de l'implicite, alors que dans le cas contraire
ils seront forcément explicites sous peine d'échec
de communication.
Mais il faut aussi interroger ce réfèrent d'un autre
point de vue. Est-il matériel ou non ? Est-il événe-
mentiel ou non. En effet cela va conditionner les
« procédures discursives » dont nous parlerons plus
loin (voir situation de discours 3.2.c), car si le
réfèrent est un objet matériel on peut en faire une
description plus ou moins objective, mais on ne peut
en faire un récit, puisqu'il faut une successivité
d'événements. Or, si le réfèrent est événementiel
on peut procéder à un récit, que l'on peut d'ailleurs compléter par une procédure de description
(ex. : un accident).
• Le canal de transmission
Il s'agit essentiellement de l'opposition oral/graphique — qu'on ne confondra pas avec parlé/écrit —
à laquelle on peut ajouter, si l'on veut, mais avec
une importance moindre, les oppositions gestuel/
non-gestuel,
icônique/non-icônique.
L'opposition oral/graphique concerne le choix du
système de signifiants fait par le JE ou imposé au
JE par cet environnement matériel. Le canal oral
utilise un code phonique, le canal graphique un
code graphique (alphabet, idéogrammes...).
Ce choix ou cette contrainte a encore des conséquences linguistiques. En effet le choix du canal
oral permet au JE d'utiliser, par exemple, toutes
les ressources de la prosodie qui lui permettront
par là-même, d'économiser du discours verbal (par
exemple, l'utilisation d'une intonation pour signifier
l'indignation n'a plus besoin d'être explicitée verbalement. Au contraire la contrainte du canal graphique
oblige le JE, une fois de plus à être explicite, mais
en revanche, le discours graphique est un support
visuel qui permet une lecture avec retours en arrière, ce qui autorisera le JE à utiliser ce que, banalement on appelle des digressions (d'où la difficulté d'une lecture à voix haute pour un public
«innocent» d'un discours «proustien »).
On lira un tableau résumé (p. 26) de ces trois
types de composantes et de leurs conséquences linguistiques, et nous voudrions conclure sur cette
situation de communication en faisant une remarque.
On voit que l'opposition traditionnelle langue parlée/langue écrite n'est plus recevable comme l'opposition de deux ordres chacun pur et unique.
Tout d'abord, il ne faut pas confondre, ce qui est
souvent le cas, parlé et oral d'un côté, écrit et
25
SITUATION DE COMMUNICATION
Condi
^
tions matérielles
• Présence du TU
+
Echange
TU
t
Présent
1
• Réfèrent présent
et/ou commun
• Canal : oral
1
JE
\
\
(TU)
Absent
• Absence du TU
+
—^"
Conséquences
— Perception immédiate d'un
comportement
— Economie de tout ce qui est
commun dans la situation
— Spontanéité : temps forts/
temps faibles, dans la communication
Démarche en « redondance progressive »
Non-possibilité d'effacement
— Non-perception,
précision
besoin
• Canal : graphique
Possibilité d'effacement
graphique de l'autre ; nous nous sommes déjà expliqués là-dessus.
Quant à l'opposition parlé/écrit, c'est en fait une
opposition dont chacun des termes est la résultante
d'une combinaison des composantes dont nous venons de parler. C'est pourquoi nous préférons, pour
notre part, parler de type de discours x ou y selon
les situations de communication x ou y.
E. Benveniste a déjà proposé d'opposer situation de
dialogue à situation de récit et en effet, c'est cette
opposition qui est le fondement de la distinction discours parlé/discours écrit (1). Mais on ne peut se
(1) E. Benveniste : «Problèmes de linguistique générale », NRF, Gallimard, Paris, 1966 (chapitre V).
26
implicite
o Prosodie
• Economie de signes lexicaux et des
liens logiques
• Ordre des mots (affectif)
• Alternance termes génériques
et précis
• Phrase segmentée
Discours ouvert
Explicite
— Non-économie
— Réflexion : pensée continue
et progressive
•
Caractéristiques du discours
de
N. échange
• Réfèrent absent
et n. commun
.
—^"
• Contexte explicitant
• Effacement des
référentiels
• Explication des
faits prosodiques
• Ordre des mots (construit)
Successivité de signes précis
• Phrases continues avec liens
logiques
Discours qui tend à se fermer
(digressions possibles)
contenter de cette seule opposition tant les combinaisons des composantes sont nombreuses.
On aura donc intérêt à interroger tout dicours sans
a priori d'étiquetage d'après le questionnaire que
nous proposons en fin d'article.
3.2. LA SITUATION DE DISCOURS
C'est un domaine linguistique en exploration et dont
l'essai de structuration — comme ce qui précède
d'ailleurs — n'engage que son auteur, bien que les
propositions qu'il fait ici dépendent forcément de
ses lectures et échanges, c'est-à-dire dépendent d'une
somme de rapports JE-TU-IL, étant lui-même dans
une situation de discours.
Cette situation de discours repose donc sur l'hypothèse que tout discours est produit avec ou contre
un ou plusieurs discours antérieurs à cette production, dans la mesure où l'on accepte comme
postulat de base que «nous ne faisons que nous
représenter le TU et le monde-IL à travers le langage ».
Ainsi tout discours est produit en fonction de ce
que le JE sait — ou croit savoir — du TU (savoir
imaginé qui dépend de discours antérieurs), de ce
qu'il sait du IL, et de ce qu'il sait de lui-même
en rapport avec le TU et le IL.
D'où les trois types de rapport sur lesquels repose
(à des degrés divers) tout discours, chacun de ces
rapports mettant en oeuvre une fonction énonciative
particulière : le rapport JE-TU et la « fonction polémique», le rapport JE-énoncé et la «fonction
de modalisation », le rapport JE-référent et la
« fonction situationnelle » (2).
a) RAPPORT JE-TU : FONCTION
POLEMIQUE
Cette fonction comprend trois activités :
• Activité de « discrimination ». Le JE doit manifester par son discours à quel type de TU il s'adresse.
A cet égard, il dispose de signes linguistiques, les
appellatifs (tu, vous, noms de famille, prénoms, titres, etc.) qui lui permettent de sélectionner dans le
possible des TU celui ou ceux qu'il va solliciter.
o Activité de « mise à distance ». Le JE établit
un certain type de rapport avec le TU du point de
vue de ce que l'on pourrait appeler la « familiarité ».
Ce rapport il le manifestera dans son discours, tantôt
(2) On se gardera d'assimiler trop vite ces « fonctions »
à celles de R. Jakobson ou aux concepts de J. Dubois
— certains étant des emprunts — exposés notamment dans
« énoncés et énonciations », in Langage n° 13, « l'analyse
du discours », Larousse. Nous ne pourrons nous justifier
longuement dans cet article mais disons qu'il s'agit à la
fois d'emprunts et de spécifications, voire de redéfinitions.
lors de la « discrimination » (ex. : « mec ! toi !
vous ! Monsieur ! Excellence ! », montrant une mise
à distance chaque fois plus grande), tantôt lors des
choix de structures syntaxiques et/ou des termes
lexicaux (ex. : « je ne puis » et « des clous ! »). En
fait, c'est dans cette « mise à distance » que l'on
retrouve une partie des fameux « niveaux ou registres de langue » qu'on définit habituellement
comme une stratification verticale. Disons plutôt que
tout « JE » « joue de l'accordéon » vis-à-vis du TU
à travers ses discours, et l'on aura une vue plus juste
de ce phénomène, sans pouvoir encore en déterminer
les variations (3).
• Activité d'« agression/complicité ». Tout JE, dès
l'instant qu'il prend possession de la parole, se met
en position de supériorité vis-à-vis du TU, et essaie,
par définition, de lui imposer un « univers de discours ». En quelque sorte il « agresse » le TU. Celui-ci, à son tour, prend la parole et retourne le
rapport d' « agression » en devenant JE, et ainsi
de suite ; c'est cette surenchère qui fonde la « fonction polémique» terme qu'il ne faut pas prendre
dans son sens habituel, car il peut y avoir fonction
polémique, même quand les deux interlocuteurs sont
d'accord sur un sujet.
Cette « agression » — et son complémentaire « la
complicité », (on retrouve par là-même notre jeu
consensus/spécificité) — peut revêtir deux aspects discursifs : l'aspect « injonctif », l'aspect « persuasif ».
Nous développerons dans un prochain article cette
« fonction polémique ». Contentons-nous de dire,
pour l'instant, que l'aspect « injonctif » ne laisse
aucune alternative au TU, en tant que discours, tandis que l'aspect « persuasif » avec son complémentaire la « dissuasion » tend à enfermer progressivement le TU dans « l'univers de discours »
habilement présenté par le JE.
On comprendra aisément que, par le biais de cette
«fonction polémique», entrent dans le discours des
(3) En tout cas, cette façon d'envisager les «fameux registres » peut avoir des incidences pédagogiques, si l'on
fait prendre conscience à l'enfant de la multiplicité des
rapport JE-TU et donc des discours qui s'y attachent en
terme de « distance ». Ainsi on n'a plus de raison d'éliminer l'argot ni le jargon des enfants, mais on doit leur
faire saisir ce que leur utilisation implique comme rapports.
27
composantes sociologiques, psychologiques, voire
psychanalytiques. En effet, tout discours dépend
des « points de vue imaginés » de JE sur TU, de JE
sur lui-même, de JE sur ce qu'il croit que le TU
sait de lui (JE) et de JE sur ce qu'il croit que le TU
sait de lui-même (TU). D'où notre questionnaire
(p. 30). La difficulté réside du point de vue linguistique, dans le repérage et la détermination des
marques de discours qui véhiculent ces différentes
informations. C'est dans ce domaine que la sémantique a encore beaucoup à faire, une sémantique dont
le champ d'étude serait le discours tel que nous
l'avons défini.
b) RAPPORT JE-ENONCE : FONCTION
MODALISATRICE
Ce concept est en partie emprunté à U. Weinreich.
Il s'agit du rapport que le JE entretient avec son
propre énoncé quant à son « adhésion » à celui-ci.
Cette « adhésion est d'ailleurs variable. Tantôt le JE
peut « prendre en charge » son discours et le manifester, tantôt au contraire, il peut mettre une certaine
« distance » entre son discours et lui-même, voire
s'en « désolidariser » à la limite ; le discours devient
alors un discours rapporté puisque le JE « de fait »
c'est-à-dire celui de la situation de communication,
ne veut pas être le JE énonçant, c'est-à-dire celui
de la situation de discours rapporté.
Le problème pour le linguiste est encore celui du
repérage des marques du discours, mais ici la tâche
est un peu plus aisée parce qu'il est rare que le
JE ne veuille pas manifester clairement son attitude vis-à-vis de son discours. Aussi emploie-t-il
volontiers des verbes de modalité (je pense que, je
crois que, je juge que, etc.) des adverbes (peut-être,
sans doute, évidemment, etc.) des procédés d'emphases, des reformulations avec transformation de
phrases, etc.
Du point de vue déictique c'est-à-dire sa situation
dans l'espace et le temps qu'il manifefste la plupart
du temps dans son discours en utilisant des systèmes
appropriés (déictiques, temps, etc.).
Du point de vue notionnel, c'est-à-dire son rapport
« imaginé » comme dans le cas de la « fonction
polémique», mais au réfèrent et non au TU.
Comment le JE voit-il le monde et comment il croit
que le TU le voit.
Du point de vue discursif et nous rejoignons ici
le rapport JE-référent de la situation de communication, lorsque nous proposions d'interroger ce réfèrent pour savoir s'il est matériel ou événementiel.
En fait, dans la situation de communication, il
s'agissait de contraintes alors qu'ici, il s'agit du
« point de vue » que choisit le JE. En effet, si
celui-ci se trouve devant «un stylo », par exemple,
il se trouve bien devant un réfèrent matériel (situation de communication). Il pourra donc procéder à
une description, mais il n'y est nullement contraint.
Il peut par exemple raconter les étapes de la fabrication du stylo, et nous aurons alors affaire à un
récit.
Par conséquent le réfèrent, en réalité, n'est rendu
pertinent que par le discours du JE et donc, du
même coup, par la procédure discursive qu'a choisi
le JE.
Nous proposons, tout provisoirement, de considérer
les quatre procédures discursives suivantes :
— procédure de description
— procédure de récit
— procédure de commentaire
— procédure d'analyse.
Il est rare de trouver chacune de ces procédures à
l'état pur dans un discours donné, car tout discours
en intègre généralement plusieurs. Mais il est nécessaire de les différencier, au départ, pour mieux
analyser les discours, qu'ils soient littéraires ou
non.
c) RAPPORT JE-REFERENT : FONCTION
SITUATIONNELLE
Disons, tout d'abord, qu'il ne faut pas confondre cette
fonction avec la fonction symbolique.
3.3. EN CONCLUSION à cette présentation de la
situation énonciative nous voudrions résumer notre
conception de la communication.
Il s'agit ici de la façon dont le JE se situe par rapport au réfèrent, et cela de trois points de vue :
• Les discours produits lors de la communication
représentent une conceptualisation du monde (fonc-
28
tion de symbolisation), mais conceptualisation qui
est faite dans un réseau de communication avec un
ou plusieurs TU, qui fabriquent et modifient dans
chaque instance de discours cette conceptualisation
à travers un jeu de consensus et spécificité (fonction
-métalinguistique).
• Cette communication se fait dans un cadre énonciatif qui se décompose en :
— Situation de communication, avec son cadre d'environnement matériel, par rapport au TU, au réfèrent et au canal de transmission.
— Situation de discours, avec les rapports imaginés
au TU (fonction polémique), à l'énoncé (fonction
modalisatrice) et au réfèrent (fonction situationnette) .
Ceci devrait constituer la base de toute méthodologie de la communication linguistique.
(On trouvera le questionnaire en fin d'article.)
4. COMMUNICATION ET PEDAGOGIE
Nous ne voudrions pas terminer cet article, somme
toute assez théorique, sans rappeler que notre visée
est bien pédagogique. Mais il faut tout de même
dire bien haut, qu'il n'y aura pas de rénovation
pédagogique sérieuse sans une réflexion théorique
sous-jacente de chacune des sciences humaines dont
dépend l'activité pédagogique. Certes, pédagogues
et linguistes nous n'en sommes qu'au stade de l'artisanat, mais conscients d'être des artisans qui devons
toujours avoir la main à la pâte, nous savons que
nous ne pouvons pas nous contenter d'être de simples
praticiens. Sans une réflexion théorique nous
ne saurions jamais analyser les phénomènes
nouveaux, et nous serions incapables de trouver des
solutions coordonnées à nos problèmes, ni de rien
modifier de fondamental à notre enseignement.
Aussi bien, s'agissant de linguistique, avec une théorie de la communication humaine nous ne sommes
plus innocents, comme nous le disions dans notre
introduction.
Nous savons maintenant, qu'essayer d'établir des
circuits de communication ce n'est pas simplement
affaire de motivation pour les élèves. C'est qu'il
s'agit de recréer dans la classe des situations qui
permettent de faire comprendre à l'élève quel doit
être son rôle de JE et/ou de TU dans la multiplicité des situations énonciatives qu'on lui propose,
parce que cela est constitutif de l'individu. Il faut
même aller jusqu'à « simuler » ces situations pour
l'obliger à produire des discours dont il devra luimême découvrir les significations en fonction des
réseaux de relations qu'il établit avec les autres.
Et de ce point de vue, reconnaissons que le modèle
traditionnel de la classe avec le maître en position
de JE tout-puissant par le savoir, et les élèves-TU,
fait que d'une part les élèves sont rarement des JE
qui prennent possession de la parole (puisqu'ils récitent) et que d'autre part la multiplicité des situations
se trouve neutralisée.
Certes, il n'est pas simple de créer ces circuits de
communication. Il y faut une technique et nous
espérons pouvoir, un jour, proposer quelque chose à
ce sujet avec notre équipe de PI.N.R.D.P. Mais en
attendant ayons conscience que la classe devrait être
avant tout, une école de communication humaine.
Autre conséquence de cette réflexion, et comme
corrolaire de la précédente : la possibilité d'analyser
le discours pour aboutir à une typologie des discours. Nous avons parlé dans notre introduction de la
nécessité d'établir une telle typologie. Nous le comprenons mieux maintenant puisque les discours dépendent de la variété des situations énonciatives. Là
aussi, il y faut une technique rigoureuse. Mais faisons fi de catégories ou de concepts « a prioriques »
tels : langue parlée, langue écrite, langue familière,
langue littéraire, niveaux ou registres de langue, et
interrogeons tout discours selon un questionnaire, qui
est à modifier et enrichir, mais qui nous permettra
de mettre en lumière les caractéristiques des discours
propagandiste, publicitaire, historique, scientifique,
quelle que soit leur appellation traditionnelle, qu'ils
soient littéraire ou non.
Toute une pédagogie de la communication et de
l'enseignement des discours est à faire. Elle est déjà
en train, et il serait bon que des échanges se fassent
à ce sujet. Pour notre part nous n'avons rien prétendu d'autre que livrer quelques bases de réflexion.
P. CHARAUDEAU.
29
— Quels sont les « points de vue imaginés » du
TU?
QUESTIONNAIRE
JE sur (TU) : « Comment le JE voit-il le TU » ?
SITUATION DE COMMUNICATION
JE sur (JE) : « Comment le JE se voit-il » ?
JE sur (TU-JE) : « Comment le JE voit-il le rapport du TU à lui-même, JE » ?
(JE)-TU :
• Le TU est-il présent ou absent ?
• Y a-t-il échange ou non-échange entre JE et TU ?
JE sur (TU-TU) : « Comment le JE voit-il le point
de vue que le TU a sur lui-même, TU » ?
• Le TU est-il unique ou multiple ?
• La communication est-elle directe ou médiate ?
N.B. : Il s'agit d'un questionnaire théorique qui essaie de couvrir la totalité de ces points de vue.
(JE)-réfèrent :
JE-énoncé et fonction modalisatrice
• Est-il présent ou absent ?
— Est-ce que le JE « prend en charge » son discours ?
a Est-il commun ou non-commun ?
• Est-il matériel ou non-matériel ?
• Est-il événementiel
ou non-événementiel
?
Le canal :
• Est-il oral ou graphique ?
— Est-ce que le JE « se désolidarise » de son discours ?
JE-réfèrent et fonction situationnelle :
• Y a-t-il du gestuel ?
— Quelest le «point de vue déictique» du J E ?
• Y a-t-il de l'iconique ?
— Quel est le « point de vue notionnel-imaginé » du
JE?
SITUATION DE DISCOURS
• JE sur (réfèrent).
• JE sur (TU-référent).
JE-TU et fonction polémique :
— Quel type de « distance » le JE établit-il visà-vis du TU ?
— Quel type « d'agression » utilise-t-il ?
— Quels sont les « points de vue imaginés » du JE ?
— Quel est le « point de vue discursif » ?
• procédure de description,
• procédure de récit,
• procédure de commentaire,
• procédure d'analyse.
INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES
ELUCIDATION DU SENS
« Problème du sens dans l'enseignement d'une langue étrangère »,
in Langue française n° 8 (Larousse).
B. POTTIER, « Organisation d'un champ conceptuel : liberté » (Linguistique et pédagogie, I.N.R.D.P., juin 1971).
« L'analyse lexico-sémantique » (ibid., annexe 3 au bilan du groupe
Charaudeau, année 71-72, publication de l'I.N.R.D.P.).
«L'analyse syntaxico-sémantique» (ibid., annexe 4).
B. POTTIER, Présentation de la linguistique (Klincksieck), nouvelle
édition à paraître courant 74.
E. FERREIRO, Les relations temporelles dans le langage de l'enfant
(Droz, Paris, Genève, 1971).
J. PIAGET, Le langage et la pensée chez l'enfant (Delachaux et
Niestlé).
J. LECLERCQ, Enquête sur le langage de l'enfant français (Multigraphie, C.R.E.D.Ï.F., E.N.S. de Saint-Cloud, Paris, 1988).
GENOUVRIER et PEYTARD, Linguistique et enseignement du français (Larousse).
COMMUNICATION ET EXPRESSION.
R. JAKOBSON, Essais de linguistique générale (éd. de Minuit).
lpe partie : Problèmes généraux, linguistique et théorie de la communication (texte d'accès difficile). 5* partie : Poétique (notamment
le début).
E. BENVENISTE. Problèmes de linguistique générale. 3* partie, X :
Les niveaux de l'analyse linguistique (conclusions sur la phrase et le
discours). 5e partie : chap. XX, La nature des pronoms (Gallimard).
J. PEYTARD, Oral et scriptural : deux ordres de situations et de
descriptions linguistiques (Langue française n° 6).
L. COURDESSES, Blum et Thorez en mai 1936 : analyse d'énoncés
(Langue française n° 9).
31
Objectif et subjectif dans les textes
E. BENVENISTE (ci-dessus).
G. GENETTE, Discours du récit (chap. 4 et 5) in Figures III, Seuil,
1972.
Frontières du récit (in Communications n" 8 ou Figures II, 1966).
M. BUTOR, Répertoire II : L'usage des pronoms personnels dans
le roman (éd. de Minuit, 1964).
Description de l'image
U. ECO, Communications n° 14. Sémiologie des messages visuels.
Structures narratives
R. BARTHES, C. BREMOND, A.-J. GREIMAS, Communications n" 8.
C. BREMOND, Le message narratif (Communications 4).
V. PROPP, Morphologie du conte (Seuil, 1970).
G. GENETTE, Vraisemblance et motivation (Figures II).
A.-J. GREIMAS, Sémantique structurale, Larousse, 1966.
Circuits de communication
« Réseaux de communication et structures de groupe », C. Flament
(chap. 3, § 2, Analyse a priori. Le modèle de discussion).
Le discours
«Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage» (Ducrot et
Todorov, Le Seuil). Ouvrage de consultation. Linguistique générale,
J. Lyons.
A. - ELUCIDATION DU SENS
•
PROBLEMATIQUE
I. Enseignement d'une grammaire du sens : hypothèses
II. Procédure pédagogique
•
EXEMPLES
I. Exercice d'élucidation sémantique à partir d'une phrase donnée
II. Exercice d'élucidation sémantique à partir d'une «faute d'expression»
III. Exercice d'élucidation de la situation de communication et approche
du récit oral
PROBLEMATIQUE
I. ENSEIGNEMENT
D'UNE GRAMMAIRE DU SENS :
HYPOTHESES
AVERTISSEMENT : Nos hypothèses, dans ce domaine de l'enseignement de la grammaire, étant assez
différentes dei celles que l'on trouve généralement
dans les articles ou ouvrages consacrés à ce sujet,
nous allons être obligé de nous en expliquer et par
conséquent de nous situer par rapport aux hypothèses qui ne sont pas les nôtres, car il est vrai
qu'on ne peut pas élaborer une théorie sans référence à d'autres théories existantes ou se constituant,
avec ou contre lesquelles celle-ci se construit (1).
Mais entendons-nous bien. Il ne s'agit pas, dans
notre esprit, de vouloir détruire les autres hypothèses de travail. Celles-ci doivent être menées
jusqu'au bout de leurs conséquences et les résultats
obtenus seront la preuve de leur utilité ou de
leur caducité.
Qu'on ne nous taxe donc pas d'impérialisme, et
surtout que l'on veuille prendre la partie polémique de notre discours comme nécessaire à la
clarté de notre position et non point comme une
querelle d'école.
1. HYPOTHESES LINGUISTIQUES
1.1. Posons tout d'abord que tous les systèmes de
formes naissent du sens (2), et que le sens naît lui(1) Cf. « Réflexion sémio-linguistique sur la communication ». « Tout discours est produit avec ou contre un ou
plusieurs discours antérieurs à cette production » (chap. 3.2
La Situation du discours).
(2) Ici, pris dans un sens général, cf plus loin l'opposition sens/signification, termes qui sont recouverts par
celui que nous utilisons maintenant.
même d'un procès de communication. Si nous admettons que tout individu, inséré dans un groupe,
communique pour transmettre avant tout du sens,
alors nous n'aurons pas de peine à admettre que les
individus d'une communauté socio-linguistique
quelle qu'elle soit cherchent à se constituer un code
de distinctions formelles qui sont destinées à faire
percevoir des distinctions sémantiques.
Autrement dit la forme est soumise au sens et c'est
bien ainsi que chaque communauté socio-linguistique se constitue son sytème phonologique et son
système morpho-syntaxique puisque chacun des
éléments de ce système qu'ils soient ou non porteur
de sens est destiné à faire percevoir une distinction
sémantique.
• Posons également, et rappelons (cf. note 1) que ces
systèmes — et donc les codes linguistiques — se
constituent à travers un rapport dialectique JE-TU
qui naît du fait que tout individu désirant être
compris par le (ou les) TU auquel il s'adresse cherchera à établir avec lui un « consensus » du fait même qu'il se heurte aux difficultés de compréhension
du TU, c'est-à-dire du fait qu'il produit un discours
« spécifique ». Nous dirons que c'est cette dualité
« consensus/spécificité » qui assure l'existence et le
changement des systèmes signifiants.
• A partir de ce double postulat (3), observons les
faits de communication et demandons-nous comment
on peut saisir le sens, et quel sens ?
1.2. Nous renvoyons à notre « Réflexion sémio-linguistique sur la communication », qui expose la problématique de la communication et de l'analyse du
discours, et nous nous contenterons de faire une série
de remarques.
• L'expérience de la communication nous indique
que tout discours est ambigu, et cela a été maintes
(3) Pour nous c'est autre chose qu'un postulat.
35
fois affirmé par les théories linguistiques structurales ou génératives.
Mais peut-être n'a-t-on pas suffisamment précisé ce
concept d'ambiguïté.
On peut, en simplifiant les choses, considérer qu'il
y a deux types d'ambiguïté : une ambiguïté de sens
et une ambiguïté de signification.
Soit l'énoncé, qui nous a été suggéré par un collègue, (1) « Est-ce que vous fumez ? ».
a) Nous savons que le signifiant « fumez » peut appartenir à des signes différents dans la mesure où
il s'insère dans des contextes différents (2) « le
paysan fume son champ», (3) «Pierre fume une
cigarette», (4) «Pierre fume de colère», (5) «la
cheminée fume».
A priori, nous ne pouvons pas savoir lequel de ces
signes a été choisi par le locuteur dans l'exemple (1),
même si une certaine probabilité d'usage nous incline à penser qu'il s'agit du signe qu'on retrouve
dans (3). Quoi qu'il en soit nous nous rendons
compte qu'il nous faut connaître certaines circonstances de communication pour pouvoir interpréter
l'énoncé (.1) :
Dans le sens de (2) : Dialogue entre deux paysans.
Dans le sens de (3) : Une personne tend un paquet
de cigarettes à une autre.
Dans le sens de (4) : Ironie d'une personne qui
vient de vexer son interlocuteur.
Dans le sens de (5) : S'agissant des vapeurs dégagées
par le corps après un effort physique, par exemple.
Evidemment on se rend compte que chacune de ces
interprétations supposent des circonstances bien précises pour justifier les ellipses, et transferts qui
rendront chacun de ces énoncés normalement interprétables.
Nous avons donc affaire dans ce cas à une ambiguïté
de sens parce que « fumez » sera aisément reconnu
comme polysémique par l'ensemble des individus
d'une communauté socio-linguistique.
b) Mais notre exemple (1) est également ambigu à
un autre titre. Pour s'en rendre compte il faut le
considérer non plus seulement comme énoncé, mais
comme un discours dont l'interprétation dépendra
36
cette fois, non plus seulement des conditions matérielles de communication (situation de communication) mais des rapports d'interlocution qui existent entre JE et TU et qui constituent ce que nous
avons appelé la situation de discours.
Ainsi, et selon la situation de discours, « Est-ce que
vous fumez »? — en prenant toujours le même sens,
celui qui correspond à la valeur du signe « fumer »
en (3) — pourra vouloir signifier :
est-ce que vous fumez -f- voulez-vous une cigarette,
ou est-ce que vous fumez -f- est-ce que vous consommez du tabac régulièrement,
ou est-ce que vous fumez -f- je voudrais bavarder
avec vous,
ou est-ce que vous fumez -f- changeons de conversation, etc.
On n'aurait aucune peine à imaginer les situations
de discours qui justifieraient chacune de ces informations implicites qui tiennent à l'originalité du
rapport JE-TU et qui expliquent que la plus grande
partie de la communication humaine se situe à ce
niveau implicite de signification.
Nous avons donc affaire, cette fois, à une ambiguïté
de signification qui tient à une relation beaucoup
plus individuelle et moins socialisée des interlocuteurs entre eux, mais également constitutive de tout
fait de communication.
En résumé :
Ambiguïté de sens
Rapports socialisés
levée par :
« Sit. de
communication»
Ambiguïté de
signification
Rapports
individualisés
« Sit. de
discours».
1.3. Nous voudrions voir, à présent, comment, méthodologiquement, on peut atteindre le sens et
comment on peut atteindre la signification.
Nous proposons pour cela le concept de « paraphrase ».
Après tout, interpréter un discours c'est bien produire mentalement une série de « discours alternatifs » au premier — ce qui justifie les deux ordres
syntagmatique et paradigmatique de l'organisation
de tout discours —. Ces discours alternatifs nous les
appellerons paraphrases.
Or on constatera que, selon qu'il s'agit de saisir le
sens ou la signification on produit un type de paraphrase particulière.
a) SAISIE DU SENS
ET PARAPHRASES DEFINITIONNELLES
(12) «La circulation est ralentie rue d'Ulm».
(13) « Vous roulez lentement rue d'Ulm ».
Discours en apparence fort différents les uns des
autres mais qui sont équivalents par ce fait qu'ils
appartiennent à la même intention de communication qui se trouve, comme précédemment à l'intersection de ceux-ci, à savoir :
« je vous préviens, il y a un embouteillage rue
d'Ulm ».
Soit l'exemple (6) «Patience rue d'Ulm ! ».
Nous conviendrons que cet énoncé peut être paraphrasé par :
c) PARAPHRASES DEFINITIONNELLES
ET PARAPHRASES DESIGNATIONNELLES
(7) « Il faut que vous preniez patience rue d'Ulm ».
(8) « Soyez patient rue d'Ulm ».
Les paraphrases définitionnelles sont ainsi appelées
parce qu'elles se trouvent dans un rapport paradigmatique les unes vis-à-vis des autres et que
tout signe ou séquence de signes se définit par
opposition à d'autres signes ou séquences de signes
du même paradigme pour une série contextuelle
donnée. Il en est de ces paraphrases comme pour
« taxi », « métro », « autobus », « voiture » dans le
contexte « pour aller à mon travail je prends :
le taxi
le métro
l'autobus
ma voiture ».
(9) « Prenez patience rue d'Ulm ».
(10) «Dans la rue d'Ulm il faut être patient»,
etc.
A l'intersection de ces paraphrases se trouve une
structure qui constitue le sens de (6), structure qui
nous informe que :
• JE donne un conseil à TU.
• JE-TU sont dans un rapport d'interlocution directe.
a Le contenu de ce conseil est :
• Vous <— être patient (relation attributive).
• Dans la rue d'Ulm (localisation spatiale).
b) SAISIE DE LAji SIGNIFICATION
ET PARAPHRASES DESIGNATIONNELLES
Replaçons maintenant l'exemple (6) dans la situation énonciative précise dans laquelle il a été produit
comme discours.
Il s'agit d'une information donnée par la speakerine
de la station de radio émettrice « F.I.P. » dont on
sait — par convention — qu'elle diffuse de la musique toute la journée et des informations sur l'état
de la circulation dans Paris.
Ce discours peut alors être paraphrasé par :
(11) « Il y a un embouteillage rue d'Ulm ».
Ces signes se définissent les uns par rapport aux
autres dans le paradigme sémantique /moyens de
transport/.
• Les paraphrases désignationneïles sont ainsi appelées car ce qui justifie leur affinité n'est pas un
rapport structurel paradigmatique mais un rapport
de désignation d'une même intention de communication. De même que l'on peut désigner une même
personne par les termes «fils», «soldat», «Jacques », « aîné », « consolation », « révolutionnaire »
— une mère attendant son fils qui vient en permission pourra dire : (15) « Aujourd'hui je vais
voir mon... » et utiliser l'un des termes ci-dessus
mentionnés, sans que ces termes, cependant, se définissent les uns par rapport aux autres, de même,
une même intention de communication peut être
désignée de plusieurs façons, chacune lui conférant
une spécificité particulière.
On remarque de plus que ces signes ou séquences
de signes peuvent, contrairement au cas précédant,
37
se trouver dans un enchaînement syntagmatique.
On pourait très bien concevoir des discours du
genre :
(15 bis) « Aujourd'hui je vais voir Jacques, mon
fils, mon soldat, ma consolation, mon désespoir »,
ou (6 bis) en combinant (9), (11) et (12) «Prenez
patience rue d'Ulm car un embouteillage y ralentit
la circulation ».
Ceci explique que les paraphrases définitionnelles
soient dans les rapports structurels de type : synonymie, antonymie, hyponymie, e t c . , et que les
paraphrases désignationnelles soient dans des rapports de contiguïté de type : rhétorique (synecdoque,
métonymie, etc.) et autres transferts.
Ex. : Entre (7) et (9) il y a un rapport para-synonymique, plus une ellipse dans (9), entre (6) et
(11) il y a un raisonnement « explicatif » de causeconséquence /C'est parce qu'il y a un embouteillage
rue d'Ulm qu'il faut que vous preniez patience/.
Si, partant de ce que nous appellerons maintenant
d'un terme général : «un texte», nous nous intéressons exclusivement à son aspect explicite, et
cherchons à en dégager les catégories de langue
qui ont permis sa réalisation, comme sens, alors
nous aboutirons à une structuration de la langue par
le biais des paraphrases définitionnelles.
Si, en revanche, partant du même texte, nous nous
intéressons à son aspect implicite et cherchons à
en dégager les catégories de discours qui ont permis sa réalisation comme signification, alors nous
aboutirons à une structuration du discours par le
biais des paraphrases désignationnelles.
Nous en ferons une représentation figurée (cidessous) :
1.4. Conclusion : la double structuration
sémantique
Mais 1 on se rend tout de suite compte que, du point
de vue méthodologique, la Structuration de Langue (1) présuppose la structuration de discours (2)
si bien que le linguiste se trouve constamment
devant ce problème : qu'est-ce qu'une structuration
de discours qui ne reposerait pas sur une structuration de la langue, et qu'est-ce qu'une structuration
de la langue qui se satisferait d'elle-même et qui
serait menée indépendamment du discours, puisqu'on
ne communique qu'avec du discours ?
• Des propos qui précèdent, nous sommes amené à
conclure qu'il n'existe pas une seule structuration
linguistique, mais au moins deux.
Nous voyons par là-même se dessiner le problème
qui se posera à l'enseignant : comment aborder avec
les enfants cette double structuration sémantique ?
Struct, de discours
Struct, de langue
4
Paraphrases
définitionnelles
\\ /
/
(Enonce)
^
(Explicite)
38
(Discours)
TEXTE
V
(Implicite)
Paraphrases
désignationnelles
2.
HYPOTHESES PEDAGOGIQUES
C'est ici que, comme nous l'avions annoncé dans
l'avertissement, nous allons devoir radicaliser notre
point de vue par rapport à d'autres pratiques pédagogiques, non point pour détruire celles-ci, mais pour
mieux faire comprendre nos options.
2.1. Nous avons posé, pour commencer (1.1.) que
« tous les systèmes de formes naissent du sens, et
que le sens naît lui-même d'un procès de communication ».
Dès l'instant que l'on a accepté un tel postulat, il
nous semble que l'on devrait chercher à construire
une démarche pédagogique qui mette l'élève au cœur
d'une procédure d'apprentissage qui prendrait le
sens comme point de départ.
Or il nous apparaît, à travers les lectures que nous
avons pu faire sur l'enseignement de la grammaire,
que les procédures suivies souffrent d'une contradiction et suivent une démarche pseudo-ûiductive.
Expliquons-nous.
a) Lorsque l'on fait travailler les élèves au découpage syntaxique d'une phrase, que le modèle d'analyse soit structuraliste, fonctionnel ou génératif, on
le fait soit dans le but d'initier l'élève au maniement d'un instrument d'analyse en soi — et le langage devient alors un objet-prétexte —, soit dans
l'espoir que la prise de conscience d'un mécanisme
formel ait une action, par récurrence, sur la pratique du langage et donc l'améliore.
Dans le premier cas, il n'y a rien à dire si ce n'est
qu'il s'agit dans ce cas de l'apprentissage d'un système formel — comme s'il s'agissait d'un modèle
mathématique —, mais dans le deuxième cas, nous
disons d'une part qu'il s'agit d'un pari, d'autre part
qu'il y a une contradiction. Qu'il s'agisse d'un pari
ne peut être une critique ; la plupart de nos hypothèses pédagogiques sont des paris. Encore faut-il
être bien conscient, qu'à l'heure actuelle, rien ne
nous permet d'affirmer que cette action, par récurrence, de la saisie d'un mécanisme formel sur la
pratique du langage ait une quelconque réalité.
Voilà pour le pari.
Mais nous disons également qu'il y a contradiction
entre l'objectif d'amélioration de la pratique du
langage et la procédure suivie, car on peut se de-
mander comment un découpage formel de la phrase
aura cette action par récurrence sur la pratique du
langage, puisque cette pratique est sémantique dans
la mesure où elle s'inscrit dans un procès de communication, et que l'on croit que communiquer c'est
transmettre du sens.
b) Pour ce qui est de la démarche pseudo-inductive nous voulons dire que la tendance moderne est
à faire réfléchir les élèves sur un problème avant de
les amener à trouver la solution. En cela c'est très
bien. Mais il se trouve qu'en linguistique, il n'y a
pas une solution et une seule au découpage syntaxique d'une phrase. Certes il n'y a qu'une solution
pour un modèle d'analyse donné, mais il y en a
plusieurs si nous ne posons pas au départ l'existence
du modèle. Et c'est là que la démarche inductive
est une illusion, puisqu'on veut amener les élèves
à découvrir un métalangage qui est préalablement
posé par le maître. Là non plus nous ne disons pas
qu'il faille rejeter cette procédure, mais nous voudrions que l'on prenne bien conscience de ce qu'elle
implique.
2.2. On a vu ensuite, dans nos hypothèses linguistiques, que tout discours pouvait faire l'objet d'une
double structuration parce qu'il contient un sens
socialisé et une signification individualisée. En fait
le sens est une réalité fictive puisque tout discours
est produit en situation énonciative et donc se présente avec une signification particulière. Quoiqu'il
en soit il contient un double sémantisme et à ce
titre est doublement ambigu pour le récepteur.
Or il nous apparaît que les procédures utilisées pour
enseigner la grammaire ne tiennent que très rarement compte de ce fait, dans la mesure où elles prennent comme point de départ une phrase pratiquement désambiguïsée puisqu'elles n'interrogent pas
au préalable la situation énonciative qui la détermine.
Nous retrouvons ici la contradiction précédemment
mentionnée : comment travailler au découpage d'une
phrase en voulant qu'il y ait récurrence au niveau
de la pratique, si on ne sait pas quelle signification
l'élève investit dans la phrase en question qu'elle
soit produite par lui, ou qu'il la reçoive et l'interprète ? Prenons une phrase de situation de dialogue
au hasard et avant de l'analyser demandons-nous
ce qu'elle pourrait vouloir dire. Nous trouverons
plusieurs significations. Puis faisons cet exercice
39
d'élucidation avec les élèves et nous en trouverons
encore plus.
Ceci pose également le problème des exercices structuraux, car bien souvent on n'a pas conscience que
l'on donne comme identiquement formelles des
structures de phrases qui en fait contiennent des
sémantismes différents et dont, au total, les structures syntaxico-sémantiques sont différentes.
Enfin nous constatons que la plupart des métalangages grammaticaux proposés ne représentent pas
dans leur formalisation la marque de renonciation
lorsque celle-ci est donnée explicitement dans le
discours.
Par exemple une analyse de type génératif donnera
pour : (16) « Je préfère les blondes » et (17) « Je
pense que tu as tort», deux représentations différentes, certes, mais cette différence apparaîtra dans
la structure même de la phrase. C'est-à-dire que le
S.V. de (16) se décomposera en verbe + groupe
nominal, alors que le SV de (17) se décomposera en
verbe -f- phrase (S.N. + S.V.) + nominalisation.
Et pourtant l'essentiel de la différence entre ces
deux phrases réside dans la situation énonciative.
Celle-ci n'est pas marquée explicitement dans (16)
et peut être du type : JE dire : «moi préférer les
blondes », alors qu'elle est marquée explicitement
dans (17) : JE penser : «toi avoir tort».
Dans le premier cas le locuteur profère un acte
de parole par lequel il manifeste adhérer à son propos, alors que dans le deuxième cas par son acte
de parole il manifeste prendre une certaine distance
par rapport à son propos. Du même coup, et malgré
l'identité formelle, on ne peut pas déclarer identiques (17) et (18) « je vois que tu as tort » puisque
l'acte de parole de (17) est « dubitatif » alors que
celui de (18) est « affirmatif ».
Mais cessons de critiquer et voyons ce que l'on
peut proposer.
2.3. Une grammaire des faits de communication
Ce que nous proposons se précisera au cours de nos
expérimentations, mais nous voudrions déjà en donner les grandes lignes.
Tout d'abord, nous situant en marge du « pari de
récurrence » dont nous avons parlé, voulant éviter
la contradiction « étude formelle —• saisie du sémantisme pour une meilleure pratique » et voulant jouer
40
à fond le jeu de «la démarche inductive», nous
cherchons à mettre en place une procédure — inverse par rapport aux procédures habituelles — qui
parte d'une interrogation du sens (1) pour aboutir
à un classement des structures qui nous soit proposé par cette elucidation préalable et non imposé
par un métalangage a priorique. A la limite donc,
étant donné une phrase on ne peut pas savoir à
l'avance quelle en sera la structure, ni combien de
structures on trouvera.
Mais pour cela il faut certaines conditions.
a) La première, c'est précisément d'avoir une technique d'élucidation. Nous avons dit dans d'autres
fiches l'importance d'une elucidation par la pratique
linguistique et nous en avons donné les principes.
Nous voudrions donner, ici, le cadre de cette technique.
Le problème étant de faire élucider la signification
et le sens de la phrase sur laquelle on travaille on
fera produire aux élèves des paraphrases dont on
sait que les unes seront de type définitionnel et les
autres de type désignationnel.
Mais afin de faire un travail de groupe efficace, il
nous semble nécessaire que le maître ait à sa disposition un questionnaire destiné à interroger la situation énonciative.
Ce questionnaire, tiré de notre « réflexion pour
une typologie des discours » et légèrement transformé, peut très bien s'appliquer à l'étude d'une
phrase :
— Qui est JE ?
— Qui est TU ? :
• Est-il unique ou multiple ?
• Est-il présent ou absent ?
• Y a-t-il échange ou pas entre JE-TU ?
— Rapport JE-TU :
o Par quel canal (oral/graphique) JE s'adresset-il à TU ?
• Comment JE voit-il TU (un ami, un adulte, etc.) ?
(Imaginer ce qui a pu être dit avant et après.)
— Rapport JE-IL :
• Où se trouvent JE et TU ? (le lieu est-il pertinent ? Qu'est-ce qu'ils voient ?).
(1) « Sens », toujours dans son acception générale recouvrant l'opposition Sens/Signification.
• Le moment du discours est-il pertinent ?
• Qu'est-ce que le TU ignore/sait du IL.
Mais comprenons bien le sens de ce questionnaire.
L'objectif est de faire produire des discours qui
doivent progressivement révéler différentes situations énonciatives possibles (pratique intuitive). Il
ne s'agit donc pas de livrer ce questionnaire aux
élèves, mais de l'utiliser pour provoquer, le cas
échéant, des discours élucidants, et pour classer
ensuite ces discours.
b) Deuxième condition, il faut que le maître réfléchisse — afin qu'il puisse faire réfléchir les élèves
— à ce que pourrait être un classement des catégories linguistiques du point de vue sémanticofonctionnel. C'est-à-dire non pas procéder à un
regroupement morpho-syntaxique par types de syntagmes, déterminants et éléments de relation, non
pas davantage chercher quelles sont les différentes
propriétés du relatif « qui » ou de la particule négative «ne», mais chercher à établir un regroupement des catégories linguistiques qui, bien que non
identiques formellement, sont sémantiquement équivalentes car elles correspondent à une même fonction sémantique.
Ex. : Vocatif, impératif, injonction, appellatif, interrogatif et certains verbes auxiliaires de modalité
(ordonner, supplier, etc.) appartiennent, avec des
nuances sémantiques variables à une même classe
sémantique d'interlocution qui met JE et TU dans
u n rapport polémique.
Déictiques (démonstratifs, adverbes de lieu, etc.),
temps et aspects appartiennent à une même classe
sémantique du point de vue spatio-temporel du
JE-TU.
Pour cette réflexion nous nous inspirons nous-mêmes
des travaux de B. Pottier (1) qui nous montrent
la voie à suivre. Nous voudrions simplement ajouter
que toutes ces catégories linguistiques, éparses dans
la grammaire traditionnelle, doivent pouvoir se ramener (2) :
— au rapport JE-TU, polémique, qui aboutit à une
structuration interpersonnelle ;
(1) Voir prochaine édition de « Présentation de la l i n guistique », chez Klincksiek.
(2) Voir annexe 3.
— au rapport JE-IL, situationnel, qui aboutit à une
structuration référentielle de deux points de vue :
• spatio-temporel (déictiques, temps, aspects) ;
a notionnel (assertion, appréciation, quantification,
etc.).
c) Troisième condition, avoir un métalangage minimum.
Nous avons en effet critiqué la démarche pseudoinductive qui consiste à poser au départ l'existence
d'un métalangage qui conditionne toute l'analyse ;
mais il est évident qu'on ne pourrait jamais faire
d'analyse scientifique si l'on ne se donnait un instrument d'analyse avec ses concepts opératoires et
critères de vérification.
Ce que nous voudrions cependant proposer c'est
un métalangage qui ne colle pas trop au modèle
théorique d'analyse.
Expliquons-nous. Dans les grammaires transformationnelles, par exemple, le métalangage est issu
du modèle d'analyse lui-même, ce qui fait que choisir d'utiliser ce métalangage c'est adhérer obligatoirement au modèle d'analyse. (Il est évident que
nous ne faisons pas ici allusion au simple repérage
des S.N, et S.V. de surface, mais à un ensemble
conceptuel avec ses structures profondes et règles
de transformation). Dans une grammaire (au sens
général) des structures du sens, il nous faut un
métalangage qui soit un ensemble d'unités conceptuelles et de relations en nombre réduit qui ne représente pas lui-même un modèle, mais dont la
combinaison unités-relations permette de rendre
compte de n'importe quel type de discours produit.
Ainsi, et tenant compte de ce que nous avons dit dans
nos hypothèses linguistiques, un tel métalangage doit
pouvoir représenter :
— La structure syntaxico-sémantique sous-jacente
à un ensemble de paraphrases jugées équivalentes
ou en relation.
— La situation énonciative formulée explicitement
par le JE.
— Les faits de transferts et intégrations sémantiques.
On verra en annexe d'une façon plus détaillée ce
métalangage et son utilisation. Nous nous contenterons ici d'en donner les grandes lignes.
41
— LE MODELE DE FONCTIONNEMENT D'UNE
PHRASE SERA AINSI REPRESENTE :
UE)^y-^r-
dit~^»
IproposK^^s, à/~~»(Tu)
et (TU) ^-vx-» interprète.
• de
| propos |
-) représentent renon-
Les flèches ondulées (<-
voyer qu'à elle-même). C'est elle qui constitue la
base de tout énoncé. On la représentera ainsi : O
• Comportement : Unité conceptuelle dont la caractéristique est de dépendre toujours d'une entitébase (c'est-à-dire de renvoyer toujours à autre chose
qu'elle-même).
ciation formulée explicitement.
Ex. : « Je te demande de partir »
JE) r ^ - ~ ordres
On peut subdiviser cette unité en :
comportement statique : Q
comportement dynamique : \ZZ1
^à~~>(TU)
toi partir
alors que « je lui demande de partir
J E ~ ^ dire~
ordre
JE
Elle constitue souvent la partie predicative de
l'énoncé.
lui partir
• Deux types de relation :
— Relation exocentrique ou active qui implique une
différence de puissance sémantique aux deux pôles
(+) -• (—)
— LES UNITES DE RELATION SONT LES SUIVANTES :
— Relation endocentrique ou attributive dont la
base support est indifférente à la notion de puissance "o <—
• Entité : Unité conceptuelle dont la caractéristique est d'être autonome (c'est-à-dire de ne ren-
• LA MARQUE DE LA FORMULATION DENONCIATION dont nous avons déjà parlé dans le modèle
de fonctionnement (^^v,^-»)
Voyons quelques
exemples
Le chien est grand »
TE)-
.dit.
(chien est grand)
Le chien dort
(JE)~~-dit
Q
i~x»(TÙ
(chien dort)
« Le chien mange sa pâtée »
JE) ~ v ^ . dit
o
o
(chien mange sa pâtée)
Je crois que le chien dort »
JEj/^^^croire ^ - ~
a
(chien dort)
42
à~~*(ru)
Une telle formalisation nous montre qu'elle n'est
pas un critère en soi, mais le dernier temps d'une
analyse. Par sa simplicité, sa visualisation, sa souplesse, son souci de représenter l'ensemble de l'information sémantique d'une phrase, elle devrait
avoir une certaine efficacité dans l'enseignement
grammatical.
Voilà donc pour la troisième condition, et nous
ajouterons que l'on pourrait même concevoir que le
métalangage, tel que nous l'entendons, soit inventé
par les élèves, à condition toutefois que celui-ci se
révèle économique et opérant, tant il nous semble
que le plus important est l'élucidation sémantique
qui doit être menée au préalable par les élèves.
Elle peut rendre compte de n'importe quelle phrase
courte ou longue et permet de mettre en évidence
des distinctions sémantiques que ne représentent pas
d'autres formalisations.
Nous terminerons cet exposé de nos hypothèses de
travail en précisant que si celles-ci ne nous semblent
pas être les seules valables, il nous semble en revanche, qu'il y a un réel danger :
— d'une part à n'attirer l'attention des élèves que
sur les mécanismes formels du langage, car alors on
maintiendra comme autrefois l'existence d'une cloison étanche entre le langage de la communication et
celui de la classe de grammaire ;
— d'autre part à faire croire aux élèves qu'il n'existe qu'un modèle d'analyse au lieu de leur laisser
découvrir la -multiplicité des structures.
Par exemple :
« la balle
o
et
a traversé
le mur »
:
ô
« Pierre a traversé la Manche »
o-i
ou bien
Nous préciserons encore que cet exposé concerne ce
qui a trait à une micro-activité de la classe de
français : la réflexion grammaticale.
^
« Pierre monte la valise :
Ô-C
•O
Pierre monte la garde :
ocn:
(lexicalisation
complète)
ou bien encore les intégrations :
« Peut-être que le plus important, c'est d'être venu
peut-être
En ce qui nous concerne nous ne pensons pas qu'il
doive exister une classe de grammaire en soi et pour
soi, mais nous pensons au contraire que cette activité
reflexive doit s'appliquer à l'occasion de tel ou tel
exercice de communication puisque la classe de
français nous semble devoir être essentiellement une
classe de communication.
C'est en liaison avec d'autres travaux exposés dans
nos autres fiches du premier et second degré (1)
qui « s'attaquent » à ce vaste projet d'enseignement du sens et de la communication à l'école, que
nous concevons le développement de ces hypothèses.
xjH-est —,
•¿7
plus
important
P. CHARAUDEAU
(1)
—
—
—
—
Voir :
« Enquête socio-culturelle dans et par la classe ».
« Description de l'image ».
«L'objectif et le subjectif dans la description».
« Passage au récit oral ».
43
II.
PROCEDURE PEDAGOGIQUE
1. POUR REPONDRE AUX OBJECTIONS que
nous avons faites dans notre « Essai de définition
d'une recherche pédagogique » et au cours de l'exposé de nos hypothèses sur « Enseignement d'une
grammaire du sens», il nous faut concevoir une
procédure pédagogique à la fois globale, souple et
précise dans la technique d'elucidation qu'elle met
en œuvre.
Ainsi :
— pour espérer obtenir une récurrence effective de
la connaissance des structures du langage sur la
pratique du langage,
— pour suivre une véritable démarche inductive
qui permette à l'élève de découvrir et de se construire son savoir,
— pour éviter le cloisonnement artificiel entre les
différentes approches de la langue (grammaire, vocabulaire, expression),
pour éviter donc ces trois obstacles, nous avons
conçu une procédure pédagogique générale :
— qui repose sur une succession de phases d'action pédagogique — pratique — connaissance —
pratique —,
— à propos de l'étude du sens,
— et qui met en œuvre un « savoir interroger »
les phénomènes sémantiques du langage,
— le tout mettant en évidence les structures du langage en relation avec la « mécanique de la communication ».
2. UNE TELLE CONCEPTION IMPLIQUE
DONC :
2.1. Une technique d'elucidation — ce savoir interroger dont nous venons de parler —.
Cette technique d'elucidation repose sur des principes généraux qui tiennent à ce qu'est, d'une façon
générale, l'approche de l'objet-langue, mais en même
temps elle se spécifie selon l'aspect particulier de
cet objet (phrase, discours, textes longs, etc.).
Cette technique d'elucidation multiple sera donc mise
en place progressivement, en fonction de nos études,
44
mais on pourra en avoir déjà une idée si l'on se
reporte à certains de nos exercices présentés cidessous à propos d'une phrase (3.1.) d'une faute
d'expression (3.2.) et d'un sketch audio-visuel (3.3.).
2.2. Une procédure de déroulement du travail qui
tienne compte de la succession des phases d'action
pédagogique dont nous venons de parler (pratique
— connaissance — pratique) :
a) PRATIQUE : pour que les productions des
élèves puissent être exploitées dans le cadre d'une
certaine action pédagogique, il faut que ces productions soient contrôlées (1).
On les contrôlera donc en plaçant les élèves dans
des conditions de communication qui les amènent,
sans brider leur spontanéité, à produire un ou plusieurs types de discours qui constitueront un matériau linguistique exploitable.
Cette phase sera donc caractérisée par, ce que nous
appelons, des exercices de dramatisation. Exercices
de « dramatisation » parce que, dans cette phase,
nous partageons la classe en groupes, auxquels nous
donnons une tâche à exécuter, ce qui a pour effet de
mettre ces groupes en situation concurrentielle (même tâche pour tous les groupes) ou en situation
complémentaire (tâche partagée entre les groupes).
Nous sommes donc, ici, dans la phase du travail de
groupe, le maître en profitant pour observer le
comportement psycho-sociologique des élèves dans
l'exécution de leur tâche.
b) CONNAISSANCE : une fois le travail exécuté en
groupes, il y a, bien évidemment, confrontation,
comparaison et critique générale des résultats.
C'est ici que doit être mise en œuvre la technique
d'elucidation spécifique de l'objet étudié.
Cette phase, importante au plus haut point, puisque
c'est d'elle que va dépendre la possibilité de réinvestissement futur par l'élève d'un nouveau savoir
dans une nouvelle pratique, sera faite collectivement,
et c'est alors que le maître entrera à part entière
dans les circuits de communication qui s'établiront
dans la classe. Il lui faudra, là, un certain savoir
(1) On aura compris que « contrôler », ici, ne veut pas
dire « soumettre » ni « contraindre autoritairement », et
donc n'est pas blocage de la spontanéité.
faire pour que son « savoir interroger » les phénomènes mis en évidence, ne bloque pas l'élève dans
une attitude passive mais au contraire incite celui-ci
à construire son propre savoir.
On se reportera au tableau ci-joint qui donne une
vue d'ensemble de cette procédure.
Nous sommes donc, ici, dans la phase collective de
la procédure générale.
2.3. Enfin, notre conception de l'action pédagogique implique une étude et un choix du matériau
de travail.
c) PRATIQUE : c'est le moment critique où l'élève
doit réinvestir son travail antérieur dans une nouvelle pratique. C'est le moment où l'on peut vérifier
qu'il y a, à la fois, récurrence et génération d'une
nouvelle aptitude à communiquer. C'est le moment
enfin, où l'élève doit se découvrir une certaine
capacité — voire une certaine puissance — à communiquer et/ou élucider.
Mais cette phase, on le comprendra aisément, doit
elle aussi, être contrôlée.
Il faudra pour cela trouver des consignes de production qui permettent à l'élève de réinvestir son savoir
dans deux domaines :
•— domaine critique, qui consiste à vérifier que
l'élève est maintenant capable de démonter, à son
tour, un certain mécanisme linguistique (par exemple analyser seul d'autres phrases, interroger sa propre expression et au besoin s'autocorriger, lire une
bande dessinée, etc.),
— domaine de réécriture, qui consiste à vérifier si
ce nouveau savoir permet à l'élève d'améliorer, de
diversifier, de contrôler sa propre écriture.
Nous sommes, ici, dans la phase individuelle de notre procédure (ce qui n'exclut pas quelques productions collectives).
On se reportera à notre « Essai de définition d'une
recherche pédagogique» (3.1.), pour ce qui est du
classement de ce matériau et nous nous contenterons
de faire quelques remarques :
— CE MATERIAU DOIT ETRE VARIE ET DIFFERENCIE, mais on évitera un cloisonnement entre
chaque type. Par exemple on ne considérera pas le
travail sur un poème comme plus noble ou plus
important, et on montrera, au contraire, que tel
phénomène linguistique découvert lors de l'étude
d'une phrase, par exemple, se retrouve dans le
dialogue d'une bande dessinée, dans un poème, dans
une publicité, etc.
— La différenciation du matériel se fera également
en fonction des âges, des niveaux, etc.
— Enfin, ce matériau est évidemment ouvert et
l'on essaiera, chaque fois que cela sera possible, de
le faire choisir par les élèves.
P. CHARAUDEAU.
45
\ .
PROCEDURE
^^PEDAGOGIQUE
^ \ ^
MATERIAU
PRATIQUE
CONNAISSANCE
PRATIQUE
DRAMATISATION
(Tâche)
ELUCIDATION
(Technique)
PRODUCTION
(Consignes)
^ \ .
Phase de groupes
1. Donner ou faire choisir le matériau de travail
2. Consigne de travail
(sit. concurrentielle ou
complémentaire)
3. Exécution du travail
en groupe
MATERIAU
Compte rendu
d'événements
Documents visuels
(sonores)
Ex. :
— Images
— Dessins - photos
— B.D.
— Sketches filmiques
E
46
Phase individuelle
1. Consigne de production - Critique
Consigne de production Réécriture
2. Constitution libre de
dossiers
X
S
E
M
P
L
E
s
—» Fabriquer dialogues/ —> Comparaison - Elu- —> Consignes de trans• récits
cidation critique - Etude formation
de phrases
,
—» Fabriquer une histoi- —> Comparaison - Eluci- —> Consignes d'étude
re à partir d'un sketch dation texte, image
d'un autre sketch
en images muettes.
Corpus à constituer
(ou constitués)
— Article de diction- ——> Comparaison et crinaire
tique de dictionnaire (un
— Listes de
même article)
concordance
— Manuels
— Fautes
—» Sur un corpus, chercher des fautes et essayer
d'expliquer
Textes littéraires ou non
—• Poèmes
— Chansons
— Publicité
— Prose (contes, nou- —> Reconstitution de
texte (particulière)
velles, ...)
— Jeux divers
Phase collective
1. Rapport et confrontation du travail
2. Analyse - Classements
—> Comparaison - Réor- —» Réécriture d'un artiganisation sémantique
cle
—> Comparaison - Elu- —» Auto-correction
cidation - Correction
—> Elucidation lexicale et —> Faire faire une rephrastique (étude des re- constitution par un élève
gistres)
—> Phrases à tons, mots —> Elucidation lexicale et —» Exercices individuels
croisés, etc.
phrastique
divers
EXEMPLES
I. EXERCICE
D'ELUCIDATION SEMANTIQUE
A PARTIR D'UNE PHRASE DONNEE
BUT DE L'EXERCICE
Le professeur semble souvent imposer une analyse
grammaticale des phrases qui n'est pas « sentie » par
les élèves. L'analyse est appliquée mécaniquement
sans que la nécessité en soit comprise. Car cette
nécessité est liée au sens de la phrase, et si ce
sens va de soi pour le professeur, il n'en est pas de
même pour le élèves.
Une phrase isolée, même lorsqu'elle est extraite
d'un texte, n'est pas « reçue » et interprétée de la
même manière par tous les élèves. Selon sa personnalité, ses soucis du moment, la situation de
communication qu'elle évoque ou rappelle, chaque
élève a une « lecture » particulière de la phrase,
même si celle-ci paraît non ambiguë.
Il faut partir de cette « lecture » particulière et
donner à chaque élève l'occasion d'exprimer sa propre interprétation, avant de passer à l'analyse grammaticale.
Entre les différentes « lectures » il y a souvent de
grandes divergences qui ne dépendent pas des événements différents auxquels les élèves se sont référés pour interpréter la phrase, mais d'une structuration différente des divers éléments de la phrase.
Autrement dit, ce ne sont plus des différences de
signification impliquées par les différentes situations de parole imaginées, mais des différences de
sens plus linguistiques liées à des points de vue
différents sur la construction même de la phrase et
sur les rapports qu'entretiennent entre eux les différents éléments qui la composent.
Ces « lectures » différentes du sens classées, il est
alors possible d'aborder l'analyse proprement dite,
afin de voir que ces « lectures » dépendent d'une
compréhension différente des rapports syntaxiques
et sémantiques.
Cet exercice consiste donc à faire prendre conscience
aux élèves qu'une même phrase peut être interprétée différemment et que l'analyse grammaticale
qu'on en fait dépend de l'interprétation qu'on lui
donne, l'analyse de la syntaxe ne pouvant être
séparée d'une réflexion sur le sens.
PROCEDURE GENERALE
Choisir volontairement une phrase ambiguë et
conduire les élèves à expliciter ce qu'elle leur « dit »,
au moyen de paraphrases. Puis regrouper les paraphrases de signification voisine et les distinguer de
celles qui ont un sens différent. Passer à l'analyse
proprement dite en demandant aux élèves la manière dont ils voient l'organisation des différents
éléments de la phrase. Fixer cette organisation-interprétation par des schémas ou des graphiques, si
possible, proposés par les élèves.
DEROULEMENT CHRONOLOGIQUE
1. Ecrire la phrase au tableau, sans commentaire.
2. Demander à chaque élève d'en écrire une paraphrase (ou plusieurs) sur un cahier. Cette phase
doit être silencieuse : une « lecture » donnée à
haute voix, risque d'orienter les autres.
3. Rassembler et classer les paraphrases proposées.
Sous un même sens on peut regrouper des paraphrases de significations différentes. Généralement,
il n'y a pas trop de difficultés, les différences de
sens apparaissent aux élèves (et au professeur)
d'une « nature » différente des différences de signification.
47
4. Analyse « sémantico-fonctionnelle ».
d.
J'ai pensé qu'il était malade.
Appliquer le questionnaire relatif à la situation
énonciative (cf. fiche B).
e.
J'ai eu l'impression qu'il était malade.
f.
Pour moi, il était malade.
g.
J'ai vu que ça n'allait pas.
Classer les catégories « sémantico-fonctionnelles »
[cf. fiche B en commençant par les unités conceptuelles («entités» et «comportements»), puis en
passant aux «relations»].
5. Fixer l'analyse par une représentation visuelle
abstraite (soit celle proposée dans la fiche B, soit
une autre inventée par les élèves).
PREPARATION DE L'EXERCICE
— Recherche des phrases ambiguës à la fois au
niveau du vocabulaire et de la syntaxe.
— Réfléchir aux diverses interprétations possibles
et à leur analyse.
h. Il disait qu'il allait bien, mais moi j'ai découvert
sa maladie.
i.
3.
J'ai découvert qu'il était malade.
Classement des paraphrases
— Sens « recontrer, tomber sur » : a, b, c.
— Sens « estimer, juger » : d, e, f, g.
— Sens « découvrir » : h, i.
4.
Analyse
— Les « unités conceptuelles
62)
malade
trouver
— Les «, relations » dépendent des sens.
RESULTATS A CONSIGNER
— Les paraphrases trouvées.
— Les classes de paraphrases.
— Les schémas de visualisation.
5.
Visualisation
—• Sens « rencontrer »
trouver
EXEMPLE
Sens « estimer »
1. Phrase de départ
(JE)~-^^
trou ver ~ O >
e—
malade
Je l'ai trouvé malade.
Sens « découvrir :
2. Paraphrases (quelques exemples)
a.
Je suis allé chez lui et il était malade.
b. Je l'ai découvert au coin de la rue et il était
malade (un petit chien).
c. Quand je suis arrivé, il était malade.
48
trouver
è
H. BESSE
II. EXERCICE
D'ELUCIDATION SEMANTIQUE
A PARTIR D'UNE « FAUTE
D'EXPRESSION »
— « Les bâtons de dynamite sont incorporés à la
roche... »
— « On incorpore dans la matière des éléments de
granit qui font corps avec elle. »
— « La fibre de verre est incorporée dans le bois... »
(Proposition d'un schéma de travail)
2.
— TEXTE
Observation
Faire découvrir les constantes :
— syntaxiques :
« Verlaine écrivit ce sonnet, qui s'incorpore dans
son œuvre « Jadis et naguère », ... »
soit :
P
Prép. GN
— BUT
Etablir une stratégie pour que l'élève découvre par
lui-même l'inadéquation qui existe entre sa propre
expression et le consensus linguistique découvert à
travers le corpus constitué par lui-même et les autres élèves.
Ainsi le rapport élève-maître (modèle) deviendra
élève-consensus (modèle) dans lequel se trouvent le
maître et les camarades. L'expression correcte deviendra du même coup un problème de communication.
— sémantiques :
A 1 —» «animé», «humain».
A 2 plus petit que A 3 (cf. mettre + dans).
A 2 et A 3 appartiennent au même domaine.
3.
Manipulations
a) TRANSFORMATIONS
SYNTAXICO-SEMANTIQUES
1. Constitution du corpus (A partir de dictionnaire,
de documents, de la production des élèves)
— « Pierre a incorporé un développement nouveau
dans sa rédaction. »
— « Il faudrait incorporer ce paragraphe dans le
premier chapitre. »
— « Ils ont incorporé des territoires étrangers dans
leur empire. »
— « Quand il viendra à Paris, on l'incorporera dans
notre société. •»
— « Tout de suite elle fut incorporée dans la famille. »
— « Je vais bientôt être incorporé dans l'armée
comme médecin. »
— «... puis vous prenez des œufs et vous les incorporerez à la sauce. »
— « Il faudrait incorporer cette indemnité au traitement. »
Il s'agit de savoir si on peut commencer par un
autre actant que A 1, pour révéler des contraintes.
A 2 -» Passif : A 2 est incorporé dans A 3 por A 1.
—» Résultatif : A 2 est incorporé dans A 3.
A 3 - > Impossible à moins de transformer le verbe :
A 3 comprend A 2.
A 1 = A 2 Vision active par transfert de la puissance de A 1 à A 2.
A l - A2
(puissant)
(Sincorpore ®
A3
(n. puissant)
Conséquence : Si A 1 et A 2 sont tous les deux
« animés-humains » on a affaire à un « moyen actif » («Pierre s'est incorporé tout seul à...»).
Si A 2 n'est pas « animé-humain » alors on a affaire
à un « moyen passif » ( « ce paragraphe s'incorporerait fort bien dans ce chapitre »).
49
b) TRANSFORMATION
MORPHO-SEMANTIQUE
: Pierre vient d'être incorporé »
: L'incorporation des conscrits »
Dans tous les cas c'est incorporation qui apparaît
(«l'incorporation de l'Autriche à l'Allemagne»,
« sursis d'incorporation », « l'incorporation d'une
indemnité à un traitement», etc).
donc
comportement
à part.
Dans les autres cas il faut :
— des référentiels :
« Il faudrait y incorporer ce paragraphe »
« Il s'y est incorporé très aisément »
On remarquera que dans tous les cas :
A 1 procède à l'incorporation.
A 2 subit l'incorporation.
c) REDUCTION ACTANCIELLES
•— ur.-j situation contraignante :
(dans le récit) « 11 faut l'incorporer davantage »
(dans une négociation) « Il faudra incorporer ce
territoire »
On remarquera que l'on ne peut supprimer A 3 que
dans le domaine « Armée » :
PREMIER RESULTAT
syntaxico-sémantiques :
/
r1
0
/
i
l
>,
/
/
an.-humain
action
puissant
dynamique
i
i
i
r
-\
i i
A2-£.A3]
»
/""*\
V
'
ment
\
V
J
N^v'
:
i
1
i
•
•
n. puissant
i
•
subissant
Il s'agit d'établir pour chacun des types d'exemples
•
mouve- ^ [
n. puissant
4. Recherche des ensembles lexicaux
et analyse sémique
Schéma des contraintes
statique
(par domaine psycho-socio-linguistique) deux séries
paradigmatiques, celle des synonymes et celle des
antonymes :
incorporer
appeler, enrôler, recruter (dans)
annexer, intégrer, rattacher (à)
libérer, avoir la quille
exempter, réformer
paragraphe développement
insérer, introduire (dans)
rattacher (à)
détacher, séparer
retirer
indemnité, liste
inclure (dans), ajouter (à)
retirer, retrancher
famille, groupe, gens, société
intégrer, introduire, associer
exclure, éliminer, séparer
matière
incorporer, introduire, encastrer
dégager, extraire, retirer.
corps d'armée
territoires, pays, régions
Remarque :
— Dans chaque domaine, existe un terme plus adéquat que les autres (soulignés).
— On remarquera alors que c'est dans les deux seuls
50
détacher, séparer, retirer
domaines Armée et Matière qu'incorporer est le plus
adéquat.
— On posera que les autres emplois sont des transferts du concept d'incorporer à d'autres domaines
(dont la série est ouverte).
Au cours de ces transferts le terme emporte dans
son semantisme une partie du domaine auquel il
appartient. C'est ce qui provoque l'impression de
« trop concret » relevée dans le contexte de la
copie analysée par les correcteurs. Ceci expliquerait
de même l'ironie de « on va à l'incorporation » dit
par le chef du personnel qui va embaucher.
— Enfin on remarquera que les traits de signification constants sont :
/mettre dans/ (qui implique A 2 et A 3 et A 1) et
/dépendance/.
5. Schéma de configuration sémantique
Libérer
Dégager
Avoir la quille
Extraire
Démobiliser
Retirer
Bureau
Recrutement
^Comptabilité.
'x\
\
A /éléments
Constituants/
A
I
f
l/accepter/l y
Inclusion
Intégration
Embauche
rx\ Territ. Géo\ „
A
\
| Annexion
^domination/
x = /mettre dans/
Appeler
Introduire
Enrôler
Encastrer
Recruter
Mettre dans
Insertion
y •= /dépendance/
z t= /sortir de/
Conclusion : Ceci n'est pas encore la version pédagogique du système d'auto-correction, mais représente le soubassement de ce système.
P. CHARAUDEAU.
51
Ill EXERCICE
D'ELUCIDATION DE LA SITUATION
DE COMMUNICATION ET APPROCHE
DU RECIT ORAL
I. REFLEXIONS SUR LES FINALITES
DE L'EXERCICE
Il ne s'agit pas, ici, de développer une analyse
rigoureuse de ce qu'est le récit, mais simplement de
présenter les quelques considérations qui nous ont
conduit à proposer l'exercice de la fiche d'expérimentation donnée en annexe.
1. Quelques caractéristiques de renonciation
du récit oral
1.1. Les dictionnaires définissent le récit comme
« une relation » ou « une histoire », écrite ou orale,
« d'un fait» (Petit Larousse) ou «d'événements
réels ou imaginaires » (Robert, Dictionnaire du Français Contemporain). Les parasynonymes en seraient
«narration», «rapport», «conte», etc.
Ces définitions sont peu satisfaisantes, mais elles
mettent l'accent sur ce qui distingue, dans une
première approche, le récit de types d'enonciation
différents, comme le dialogue, par exemple. C'est
« une histoire » ou « une relation », c'est-à-dire, une
suite plus ou moins longue d'énoncés prononcés par
un même locuteur qui n'est pas ou peu interrompu
par son ou ses auditeurs. De plus, le récit semble
impliquer une certaine successivité temporelle : cette
suite d'énoncés fait référence à un fait ou à des
séries de faits qui se sont déroulés ou auraient pu
se dérouler dans un certain ordre, celui par lequel
nous avons coutume d'interpréter la durée, le temps
vécu. En cela, le récit se distingue de l'exposé, qui
est, lui aussi, un discours continu, mais qui organise
les faits rapportés selon un ordre logique ou conventionnel, pour ainsi dire a-temporel, puisque la successivité selon laquelle ils sont évoqués dans le
discours ne correspond plus à celle selon laquelle ils
ont été vécus. Il est à noter que même les récits
imaginaires reproduisent l'expérience d'un avant et
d'un après (cf. les récits de science fiction).
52
1.2. Toute énonciation suppose un locuteur et un
auditeur (ou des auditeurs), et chez le locuteur
l'intention d'influencer l'auditeur d'une manière ou
d'une autre. Mais il existe des types de communication divers, selon les facteurs qui entrent en ligne
de compte.
Qu'il soit écrit ou oral, le récit est contraint par le
fait qu'il évoque des faits auxquels n'assiste pas
l'auditeur. Dans un dialogue dont les énoncés renvoient à la situation de discours, aux choses qui se
trouvent dans l'environnement du locuteur et de
l'auditeur, la communication peut s'appuyer sur ces
réalités. Il n'en va pas de même dans le récit. L'auditeur ne connaissant pas ce qu'évoque le locuteur,
a besoin de nombreuses indications sur le temps,
le moment où se sont déroulés les événements narrés, leur durée, leur lieu et leurs circonstances ; il
a besoin de savoir à quoi ressemblent les personnages auxquels il est fait allusion, comment ils s'expriment, pourquoi ils agissent ainsi. Il ne peut
s'appuyer sur les circonstances au milieu desquelles
se déroule l'acte de communication du récit ; l'entourage physique de cet acte l'aide mal à saisir ce
qui est raconté : il importe peu à un récit, que les
interlocuteurs soient assis, debout, ou couchés, qu'ils
soient à la terrasse d'un café, dans un appartement
ou dans un train, qu'il fasse froid ou qu'il fasse
chaud, les paroles prononcées n'ont que des rapports très indirects avec la situation réelle et présente des interlocuteurs. Le récit dépayse, entraîné
les interlocuteurs dans un monde qui n'est relié
au ici et maintenant de renonciation que par la
voix du locuteur. Bref, les interlocuteurs ne peuvent
guère compter, dans leur désir de communication,
sur un certain univers perceptif commun, et doivent
s'appuyer avant tout sur des moyens proprement linguistiques. Pour reprendre la distinction classique
du Cercle linguistique de Prague, le récit est beaucoup plus proche du discours explicite et donc autonome, que du discours implicite ou de situation.
Il s'ensuit que le récit doit faire appel à des procédés linguistiques plus complexes et plus structurés que le dialogue.
1.3. Mais si le récit est relativement autonome
par rapport à la situation de discours, il ne l'est
pas par rapport au locuteur sujet de renonciation.
Celui-ci est toujours présent dans les énoncés du
récit : il n'y a pas de récit qui ne soit d'une manière ou d'une autre imprégné par la subjectivité
de celui qui le fait. Tout récit porte la marque personnelle de celui qui l'énonce.
Certes, le plus souvent, le récit se fait à la troisième
personne, à la non-personne, selon E. Benvéniste,
mais, même si le locuteur n'a pas assisté aux événements qu'il relate, par le fait seul de les relater,
il prend position par rapport à eux. Il dit, plus ou
moins ouvertement, ce qu'il en pense, ce que leur
évocation provoque en lui.
Cette marque peut être explicitée dans le récit luimême, par des verbes (J'ai eu l'impression que... ;
je pense que... ; etc.), par des incises (me semblet-il ; à ce que je crois ; etc.), et par de nombreuses
formes dans lesquelles le locuteur affirme clairement que ce qu'il rapporte n'est pas la réalité toute
simple, comme photographiée, mais sa manière propre de rendre compte des événements. Cette attitude
du locuteur par rapport à ce qu'il dit n'apparaît
souvent pas aussi manifestement. Elle se décèle dans
le choix des substantifs (appeler un personnage ce
type plutôt que ce monsieur peut montrer qu'on
entretient à son égard un certain mépris), des adjectifs (il portait une chemise d'une propreté douteuse), des adverbes, ou de certains compléments
(il s'exprimait avec insolence), etc., autant de façons indirectes de dire ce qu'on pense des faits
rapportés, et d'induire l'auditeur à réagir comme on
a réagi.
Les énoncés d'un dialogue de situation portent aussi
la marque des locuteurs, mais plus directement, pas
à travers et sous le couvert de l'évocation d'événements. Le récit met en jeu une sorte d'emboîtement d'une première communication dans une
seconde communication, et le locuteur de renonciation n'est jamais exactement le même que les personnages sujets qui apparaissent dans les énoncés.
Cela est vrai, même dans le cas d'une confession ou
du récit d'un événement dans lequel le locuteur a
été personnellement engagé, le je du moment de
renonciation n'étant plus le je du temps du récit. Un
exemple fera comprendre ce que nous entendons
par emboîtement. Supposons qu'un locuteur ait été
témoin d'un petit dialogue entre deux personnes, et
qu'il relate cette conversation à un auditeur, qui ne
connaît pas ces deux personnes et qui n'a pas été
témoin de cette conversation ; pour que l'auditeur
puisse comprendre le récit, il faut que le locuteur
lui décrive ces deux personnes, le heu et le moment
de la conversation (cf. 1.2.) et qu'il rapporte les
paroles qui ont été prononcées ; mais le locuteur ne
reproduit jamais exactement, il interprète un souvenir, et restitue ce souvenir interprété. L'auditeur
n'a donc qu'une relation imparfaite de ce qui s'est
effectivement dit et il doit interpréter quelque chose
qui est déjà une interprétation. Autrement dit, ce
qu'il entend est un discours sur un autre discours.
L'acte de communication que constituait le dialogue
est relaté, rapporté par un acte de communication
aux caractères très différents.
L'auditeur est donc confronté à un travail de décodage complexe, découvrir à travers une communication à laquelle il participe, une communication à
laquelle il n'a pas participé. Et si l'auditeur ne
veut pas voir l'événement rapporté exactement
comme le locuteur cherche à le lui faire voir, il lui
faudra distinguer constamment ce qui relève de la
première communication de ce qui est le fait de la
seconde.
1.4. Il faut enfin, brièvement, distinguer le récit
oral du récit écrit. Dans le premier, l'auditeur est
présent (si nous excluons les récits enregistrés au
magnétophone ou au magnétoscope), au moment de
renonciation. Il n'en va pas de même dans le second.
Imaginer un auditeur (ou un auditoire) fictif quand
on écrit n'est pas la même chose que d'avoir un
auditeur (ou un auditoire) physiquement en face
de soi. Les réactions de celui à qui est destiné le
récit s'inscrivent instantanément sur son visage, dans
son comportement. Le locuteur sent et voit constamment dans quelle mesure il influence son auditeur.
Celui-ci peut d'ailleurs intervenir, protester, demander le sens d'un terme, exiger une précision complémentaire, ou manifester son incompréhension pour
obliger l'auditeur à reprendre son récit, à mieux
s'expliquer.
Si, dans un récit oral, le locuteur rapporte des
paroles, il peut, par le ton de sa voix, le rythme de
son elocution, ses mimiques, ses gestes, imiter le
personnage qui parle. A l'écrit, il faudra, à l'aide
des mots, de la ponctuation, caractériser la maniere
de parler de ce même personnage. Les éléments
para-linguistiques jouent donc un rôle plus grand
dans le récit oral que dans le récit écrit, et c'est
sans doute pourquoi il est plus spontané, plus facile
que le récit écrit.
Notons enfin que le ton de la voix est très riche
en indications manifestant l'attitude du locuteur par
rapport à ce qu'il relate. On peut, peut-être, découvrir des indications analogues, mais plus délicates
à déchiffrer, dans un récit manuscrit, il n'en est
guère question dans un récit imprimé.
53
Si grossière que soit cette approche un peu phénoménologique du récit oral, elle montre qu'il s'agit
d'un type de discours plus complexe que le dialogue ou la conversation, tant au niveau des conditions d'énonciation qu'au niveau des énoncés euxmêmes, mais que le récit oral offre moins de
difficultés, pour la relation des paroles en particulier,
que le récit écrit, et que par conséquent il peut
constituer une étape pédagogique importante avant
d'aborder les narrations écrites.
2. Le récit oral chez l'enfant
Sans vouloir entreprendre une étude approfondie
du récit oral chez l'enfant, quelques remarques s'imposent. Très tôt, l'enfant, sous une forme fragmentaire, réduite à des séquences de deux ou trois
énoncés, utilise le récit oral. Mais même chez l'enfant de neuf ou dix ans, il paraît présenter des
caractères qui ne sont pas exactement ceux qu'un
adulte donnerait à ce type de discours.
Pour manifester cette différence, il suffit de confronter quelques récits d'enfants à ce que spontanément
un adulte dirait sur le même thème.
2.1.
Voici quelques exemples de récits d'enfants.
Charly, élève de cours moyen, relate ainsi une visite
au Muséum : «Nous sommes partis en autobus...
et puis en métro jusqu'à la gare d'Austerlitz pour
aller voir le Muséum ; alors nous sommes rentrés,
nous avons vu des empreintes de pattes et il y avait
un gros mammouth à l'entrée, euh, il y avait des...
il y avait aussi des poissons et des documents sur
les hommes préhistoriques ; ensuite nous sommes
montés au premier étage, euh... nous avons vu
des mammouths et des grandes bêtes qui avaient
des longues queues et un grand cou, euh !... il y
avait des genres de grenouilles qui étaient dans le
plâtre avec les os qui étaient collés, euh ! Alors on
a vu des... euh... on a vu des ossements... oh ! je
ne me rappelle plus ».
Christine, plus jeune, rapporte sa visite au zoo :
« Et puis... on a vu un petit singe qui était tout
malheureux, il était tout seul et puis nous, on lui
lançait des cacahuètes, et puis il les mangeait pas ;
il voulait une banane, il faisait comme ça [geste] ;
il y avait beaucoup de pigeons, c'étaient eux qui
mangeaient les cacahuètes et les bouts de pain... »
54
Une petite fille de 10 ans rapporte des conversations :
« Tu sais elle est pas coquette. L'autre jour quand
on a quand maman nous a emmenées... heu... chercher les chaussures, alors maman elle nous disait :
vous être contentes mes petites filles ? Alors on dit :
ben bien sûr. Oh ! ben non moi ça m'fait rien tu
sais, ça m'fait comme si j'avais des vieilles chaussures. Tu sais si çà t'ennuie j'en veux pas alors
j'préfère garder mes vieilles. Ça c'est pareil au
moment d'I'été quand on nous achète des robes :
Oh ! non maman ne nous achète pas celle-là, elle
est trop belle tout ça ah ! elle elle est pas coquette
mais est pas comme moi. Moi j'suis très coquette —
Par exemple j'aime pas mettre mon pantalon. J'trouve qu'il gratte... »
Remarquons que ces trois récits sont ceux d'enfants
fréquentant l'école élémentaire. Les enfants d'école
maternelle produisent des récits oraux moins longs
souvent et moins riches que ceux-ci.
2.2. Si on compare ces récits qu'aurait pu tenir
un adulte, on est frappé par les points suivants.
Les circonstances spatiales et temporelles des événements rapportés ne sont pas, ou peu, précisées. On
ne « voit » pas le zoo, ni les cages, ni les fossés ; on
ne « voit » pas le Muséum, ni les salles ; on ne sait
pas à quoi ressemble le magasin de chaussures. Peu
d'indications sur le moment où se déroulent les faits
(ensuite nous sommes montés au second étage, au
moment d'I'été, Pautre jour...). Le passé composé,
l'imparfait situent ces faits dans un passé dont on
ne sait pas très bien si il est proche ou lointain.
Les personnages, les acteurs des événements ou des
dialogues, rapportés, sont réduits aux substantifs qui
servent à les désigner ; quand on essaie de les décrire, c'est par un adjectif (un gros mammouth, un
petit singe, ...). Pas d'opposition ou de relatives
pour tenter de rendre à l'auditeur ce qu'étaient ces
acteurs. « Maman » est maman et cela doit suffir
pour saisir son comportement. Quand le je de renonciation (celui qui fait le récit) coïncide avec le je
de l'énoncé, il est, le plus souvent repris par on ou
par nous, mais sans que ce je ou ce nous passé soit
caractérisé.
Les séquences d'énoncés ne correspondent pas non
plus exactement à la manière dont un adulte les
organiserait.
Elles suivent très généralement le déroulement temporel des événements relatés. Aucune composition,
aucun plan, ne vient bouleverser l'ordre linéaire des
faits tels qu'ils ont été vécus, les uns après les
autres, séparés seulement par des puis, des et puis,
des euh, des il y avait, des alors, qui ponctuent le
récit et assurent sa progression. On trouve extrêmement peu d'emplois du plus-que-parfait qui montreraient que l'enfant peut restructurer des faits
passés, non pas en fonction du moment présent où
il fait le récit, mais par rapport au moment même
des événements relatés.
Les conversations rapportées le sont presque toujours au style direct, sans que souvent l'enfant
prenne la peine d'indiquer qui tient le discours
rapporté. Peu de verbes ou d'expressions permettant
de décrire le sens d'une réplique d'une manière
synthétique : on trouve des Papa, il veut pas pour
Papa a dit de ne pas aller jouer dans la cour, mais
on ne trouve pas de il a refusé, elle l'a complimentée
sur sa robe, elle a accepté, je n'ai pas obtenu satisfaction, etc. L'enfant se contente de reproduire tel
quel ce qu'il a entendu, en essayant d'imiter l'intonation ou les gestes : il répète plus qu'il interpète.
Mais l'enfant intervient dans son récit, tout comme
l'adulte : Christine dit sa compassion à l'égard du
petit singe qui était tout malheureux ; un commentaire inséré vient préciser la manière dont on juge
un personnage (tu sais elle est pas coquette) ; le plus
souvent c'est le ton, le débit de la voix qui indiquent ce que ressent le narrateur par rapport â
ce qu'il rapporte. L'enfant éprouve peu le besoin
de caractériser son attitude face aux faits qu'il relate,
de marquer ses distances par rapport à ce qu'il
raconte.
2.3. Tout se passe comme si l'enfant, même en
fin de cours moyen, ne parvenait pas tout à fait à
faire de son récit oral un discours explicite et donc
autonome. Il ne le détache pas du ici et maintenant
des événements relatés dans le récit, ou du moins,
il le détache moins que ne le ferait un adulte.
La raison en est, peut-être, que l'enfant au moment
même où il rapporte les événements du récit, c'est-àdire au moment de renonciation, revit les événements rapportés, s'il les a déjà vécus, ou les vit,
au fur et à mesure qu'il les invente, s'ils sont imaginaires. L'enfant « voit » le musée dont il parle, il
« voit » sa mère, le zoo, il « entend » encore les
paroles prononcées, le petit singe resurgit avec sa
cage et les badauds, et s'il fait le récit d'un cosmonaute sur Mars, il n'éprouve pas le besoin de décrire
l'homme et la planète parce que l'un et l'autre, au
moment où il en parle, sont comme présents. Le
langage du récit ne serait donc pas pour lui, locuteur, un langage explicite ayant une autonomie presque complète par rapport à la situation dénonciation du récit, mais resterait un langage en grande
partie implicite s'appuyant sur des perceptions imaginaires ou mémorielles, un langage proche du langage de situation qu'il pratique à longueur de journée, ce langage qui ne possède de signification
précise que parce qu'il est dans un certain rapport
avec des circonstances extra-linguistiques particulières.
Autrement dit, accoutumé au dialogue, implicite et
situationnel, l'enfant sentirait confusément que les
conditions de communication changent lorsqu'il passe
au récit, mais, en raison de sa vive mémoire ou vive
imagination, vivant les données extra-linguistiques
entourant les événements relatés, il ne se rend pas
compte que son auditeur (ou son auditoire) ne les
connaît pas. Ne pensant pas que son interlocuteur
est privé des informations situationnelles dont il
bénéficie, il ne pense pas à compenser la perte d'information que le type d'énonciation du récit entraîne. Il fait presque comme si son auditeur pouvait
spontanément revivre ce qu'il a vécu ou ce qu'il
vit. D'où les insuffisances du récit oral enfantin
pour un auditeur adulte habitué à des locuteurs
capables de distinguer entre ce qu'ils savent et ce
qu'ils doivent faire savoir pour être pleinement
compris.
Cette explication sommaire n'a rien de scientifique,
mais elle ne semble pas trop en contradiction avec
ce qu'on sait de la psychologie de l'enfant. Remarquons cependant que lorsque l'auditeur du récit
enfantin est un autre enfant, il ne paraît pas éprouver de difficultés de compréhension. Le récit oral
enfantin paraît plus inadapté aux oreilles d'un adulte
qu'à celles d'un enfant, et on peut se demander si
les exigences de l'adulte ne sont pas liées à des
normes esthétiques ou culturelles n'ayant qu'un rapport incertain avec la communication proprement
dite.
3. Audio-visuel et prise de conscience
des conditions d'énonciation
S'il est vrai que les insuffisances du récit oral chez
l'enfant sont dues d'une part au fait que l'enfant
distingue imparfaitement les conditions d'énoncia55
tion du récit de celles du dialogue de situation, et
d'autre part au fait qu'il ne dissocie pas ou mal
l'implicite de l'explicite, on peut imaginer des procédures pédagogiques qui peuvent favoriser la prise
de conscience de ces distinctions.
Deux étapes nous paraissent nécessaires :
— prendre conscience que dans un dialogue en situation les choses qui entourent le locuteur et l'auditeur jouent un certain rôle dans la communication,
autrement dit, que dans un dialogue oral en situation, il y a un implicite ;
•— voir si cette sensibilisation à l'implicite situat i o n a l peut être réinvesti dans le récit en faisant
prendre conscience au locuteur que l'auditeur ne
peut comprendre cet implicite situationnel que si on
le décrit explicitement.
3.1. La première étape comprend les trois premières phases indiquées dans le déroulement chronologique (voir plus loin).
Le point de départ en est la séquence d'images
(quatre à six images). On sait qu'une image peut
être interprétée d'un grand nombre de façon et
qu'on peut produire à son propos une infinité d'énoncés différents. Pour pallier en partie cette ambiguïté
de l'image, nous avons imposé deux contraintes.
Premièrement, les images doivent toujours présenter une situation de dialogue, c'est-à-dire quelqu'un
s'adressant à quelqu'un d'autre, et l'enfant est invité à « se mettre à la place » des personnages pour
imaginer ce qu'ils peuvent se dire, afin d'éviter tout
discours commentaire ou descriptif de la situation.
Deuxièmement, les images sont en séquences, ce qui
a pour conséquence de restreindre le choix des interprétations possibles, parce qu'on est obligé de ne
retenir que les interprétations communes à quatre ou
cinq images, interprétations dont le nombre est nécessairement inférieur à celui de celles qu'on pourrait faire sur une seule image.
La partie principale de cette étape devrait être la
troisième phase, celle de la discussion entre les différents groupes, parce que c'est au cours de cette
discussion et par elle que les enfants prendront
conscience des circonstances spatio-temporelles, inter-interlocuteurs, auxquelles ils ont spontanément
et inconsciemment prêté attention, lorsqu'ils ont
inventé leur dialogue. Ils se rendront également
compte qu'ils n'interprètent pas tous la réalité de
la même manière.
56
3.2. La phase du récit proprement dit n'est destinée qu'à vérifier si la sensibilisation aux circonstances jouant un rôle dans un dialogue peut inférer
dans le récit que l'enfant fait de ce dialogue. On a
pu constater que, lorsqu'il y a eu véritable discussion, l'enfant reprend et explicite certains détails
situationnels, comme s'il avait mieux conscience
de ce qui est nécessaire à son interlocuteur pour
suivre son récit. On tend donc vers un récit plus
proche de celui des adultes.
4.
Conclusions
4.1. Nous ne nous cachons pas qu'une procédure
comme celle-ci laisse dans l'ombre la question de
savoir si il y a lieu d'entraîner l'enfant au récit
oral, ou si au contraire il est inutile d'essayer, l'évolution vers le récit de type adulte étant directement
liée aux étapes du développement de la psychologie
enfantine. Nous pensons seulement que la procédure
proposée ne risque guère de « traumatiser » l'enfant.
4.2. Les maîtres qui ont tenté cette expérimentation
insistent sur le fait que ce qui est intéressant c'est
la démarche suivie, plus que le détail de l'exercice.
Autrement dit, il faudrait saisir dans les échanges
de la classe tout ce qui peut conduire les élèves à
prendre conscience de l'importance de l'implicite
dans leurs dialogues.
4.3. Enfin, certains maîtres sont partis de bandes
dessinées dont les bulles avaient été occultées : la
motivation des élèves, mêmes ceux de l'école maternelle, a été grande et la discussion qui a suivi n'en
a été que plus enrichissante.
H. BESSE
IL PRESENTATION DE L'EXERCICE
But de l'exercice
Les récits oraux
constitués de séries
données par des il
trouve rarement
des enfants sont généralement
de notations plus ou moins coory a, des puis et des alors. On y
les précisions permettant de
comprendre où, quand, et comment se sont passés les
événements racontés. De même lorsque des discours sont rapportés, ils sont introduits par des
il m'a dit suivis des paroles au style direct : l'intonation, les gestes, les mimiques, l'allure générale
du locuteur, etc., ne sont pas décrits à l'auditeur.
Il semble que l'enfant faisant un récit, revive la
situation évoquée et qu'il n'éprouve pas le besoin de
la recréer verbalement pour un interlocuteur qui
n'y a pas participé. Il s'agit donc d'amener les élèves
à prendre conscience du fait que l'interlocuteur a
besoin d'un certain nombre d'indications spatiotemporelles gestuelles, intonatives, descriptives des
personnages, pour comprendre ce qui est raconté. Il
faut les sensibiliser à l'importance de l'implicite
dans un dialogue en situation, pour qu'au moment
du récit, ils puissent restituer explicitement ce qui
n'était pas dit, mais dont les interlocuteurs avaient
une expérience, laquelle n'a pas été partagée par
l'auditeur du récit.
Noter la réplique sur un carnet, ou l'enregistrer au
magnétophone (l'intonation, le geste, la mimique
accompagnant la réplique sont importants).
Procédure générale
Procéder ainsi pour chaque élève de la classe en
s'efforçant à ce que les autres élèves ne « copient »
pas l'élève questionné.
Sensibiliser les élèves à l'implicite d'un dialogue oral
provoqué à l'aide d'une mise en situation visuelle.
Puis procéder à une certaine elucidation de cet
implicite, afin de voir si cette elucidation conduit
à un enrichissement du récit oral.
2 - Regrouper les répliques ainsi obtenues en les
regroupant en sous-ensembles sémantiques. Dans un
même sous-ensemble, on aura les répliques ayant
des sens voisins, plus ou moins paraphrastiques les
unes des autres.
La mise en situation de dialogue se fait à partir de
petites séquences d'images (trois ou quatre) ; il est
préférable qu'on n'y voie que deux personnages :
un troisième personnage pouvant provoquer une
description de la scène et non pas une réplique en
situation ; la situation peut être émotive, comprendre
des personnages adultes, ou seulement des enfants,
mais elle doit avoir une certaine conventionnalité
(mère et son enfant, une rencontre, l'achat d'un
objet, la visite au médecin, etc.) ; pour simplifier la
pédagogie de l'élucidation, il vaut mieux qu'un seul
personnage parle dans une seule image : on obtiendra ainsi une seule réplique pour la séquence, enfin
il est très important que l'image destinée à simuler,
la situation de dialogue, présente le personnage locuteur comme étant réellement en mesure (et comme
éprouvant la nécessité) de dire quelque chose à
son interlocuteur (un petit enfant qui tombe dans
un bassin pourra crier, mais vraisemblablement ne
dira rien au petit camarade qui le regarde : si
l'élève essaie de se mettre à la place du petit qui
tombe, il imaginera une sorte de monologue inté-
Exemple : à un enfant qui s'est fait mal, sa mère
pourra dire : mon pauvre petit, tu t'es fait mal ;
viens que je te soigne, toutes ces phrases témoignent
d'une certaine sollicitude ou compassion ; on les
regroupera donc dans un même sous-ensemble qui
s'opposera au sous-ensemble : tu ne peux pas faire
attention, c'est de ta faute ; çà t'apprendra, etc.
rieur, ou bien dira : « je ne peux pas parler, j'ai
la bouche pleine d'eau » (sic), ce qui montre que
l'élève a bien senti qu'il n'est pas dans une situation
où l'on parle à quelqu'un).
Déroulement chronologique
1 - Présenter la séquence d'images dans le bon
ordre à chaque élève séparément ; lui dire : tu es
ce petit garçon (cette petite fille, ce monsieur, etc.),
parle à cette petite fille, etc.
Eviter la question : tu es X, qu'est-ce que tu dis ?
qui pourrait amener le style indirect : Je dis que...
ou il dit que...
Remarque : une même phrase, selon l'intonation et
la mimique pourra être dans un sous-ensemble ou
dans l'autre : qu'est-ce que tu t'es fait ? (réprimande,
inquiétude).
Regrouper les élèves selon les sous-ensembles de
répliques.
3 - Montrer aux élèves (en écrivant les répliques au
tableau, ou en les faisant entendre) qu'ils ont interprété différemment la même situation.
Demander pourquoi de manière à faire prendre
conscience que, selon le groupe, ils n'ont pas discerné les mêmes traits pertinents dans la situation
57
simulée. La relation mère-enfant n'a pas été ressentie de façon identique. L'explication peut en être
dans la vie personnelle de l'enfant, mais aussi dans
l'impression laissée par l'image de la mère : si elle
paraît gentille ou pas, par exemple.
4 - Faire faire le récit de la petite histoire à un
autre élève n'ayant pas vu les images. Pour cela
on pourra, avant l'expérience, diviser la classe en
deux afin d'avoir autant de locuteurs ayant vu les
images que d'auditeurs ne les ayant pas vues.
Noter ou enregistrer les récits.
5 - Classe témoin
Diviser la classe en deux (comme en 4).
Une moitié regarde les images (individuellement si
possible) cinq à six minutes. Consigne : regardez
et imaginez ce que se disent les personnages (le
petit garçon, la petite fille...).
Puis faire raconter à un des élèves qui n'a pas vu ces
images, les images ayant toutes été reprises par le
professeur.
Noter ou enregistrer les récits obtenus.
Préparation de l'exercice
— Préparer des images (les dessiner ou choisir des
séquences adéquates dans le matériel pédagogique
existant).
Ces images seront plutôt petites pour que le professeur puisse les présenter à un élève sans que les
autres les voient.
— un magnétophone, si possible.
Résultats à consigner
— Une feuille contenant toutes les répliques produites par la classe mais regroupées selon les sousensembles sémantiques discernés par le professeur.
— Une feuille contenant l'ensemble des récits obtenus.
— Une feuille contenant l'ensemble des récits de
la classe-témoin.
58
—• Il serait bon que chaque réplique soit suivie des
initiales de l'élève ainsi que du récit correspondant.
—• La discussion entre les groupes ayant interprété
différemment les images pourrait être enregistrée ;
cela donnerait d'utiles points de repères pour la
comparaison des récits de la classe où a eu lieu
l'élucidation de l'implicite et la classe-témoin.
ÍII. LA SITUATION DE COMMUNICATION :
L'ORDRE DU DIALOGUE ET L'ORDRE
DU RECIT
1 - La situation de
conditions matérielles
tions qui vont avoir
contraignante sur la
communication représente les
de la communication, condiune influence plus ou moins
communication.
Evidemment, il s'agit des conditions matérielles pertinentes pour la communication. Par exemple, si
deux personnes assises à la terrasse d'un café
commentent des événements politiques, l'environnement matériel « café » ne sera pas pertinent, du
point de vue du réfèrent, mais l'une de ses conséquences pourra l'être, le fait, par exemple, que
les deux interlocuteurs — assis à la même table —
soient présents ; autrement dit, ce qui est ici pertinent c'est la présence matérielle du TU.
Il peut également se faire, par ailleurs, que l'un des
interlocuteurs parle au garçon de café pour lui
commander une boisson. Dès lors, l'environnement
matériel « café » redevient pertinent du point de
vue du réfèrent, mais seulement pour cette instance
de discours.
Ce point est capital, car le questionnaire de situation
de communication que nous proposons à la fin, ne
serait d'aucune utilité s'il ne portait sur la situation
pertinente pour une instance de discours-donnée.
2 - Cette situation de communication repose sur
trois types de composantes : le rapport JE - TU,
le rapport JE - réfèrent, et le canal de transmission
choisi par le JE et permis par l'environnement matériel.
a) Le rapport JE-TU va être conditionné, dans une
certaine mesure, par la présence ou l'absence du TU.
En effet, si le TU est présent, le JE, quel qu'il
soit, se trouve dans un rapport de perception directe
et immédiate avec le TU, ce qui veut dire qu'il utilisera probablement le canal oral pour communiquer
(voir plus loin) mais qu'en plus, il peut utiliser
d'autres moyens de communication — gestes, mimiques, etc. — étant ainsi « à la merci de l'autre »
par son comportement et pouvant en même temps
« agir sur l'autre » par ce comportement. Il s'ensuit
une convention qui est celle de l'Echange. C'est-àdire que JE s'adresse à TU, mais qu'à tout moment,
TU peut devenir JE et transformer son interlocuteur
en TU. Cela a des conséquences linguistiques.
En effet le JE, sachant qu'il peut, à tout moment,
être interrompu par le TU, se trouve plus ou moins
contraint à la « précipitation » dans la transmission
de ses informations ; d'où ce que nous appellerons
la « spontanéité » de la communication.
Dans de telles conditions, les discours produits se
caractérisent par :
— UN ORDRE DE MOTS PARTICULIER (ce qu'on
appelle habituellement! «l'ordre affectif des mots»,
cette mise en tête dans la phrase des éléments d'information jugés intuitivement les plus urgents, voire
les plus importants par le JE).
— UNE SERIE DE PHRASES TRES SEGMENTEES, en accumulation, sans presque de « liens logiques » exprimés, avec énormément de signes à
valeur conative ou phatique (1) (interjection, appellatif, etc.).
— UNE ALTERNANCE DE TERMES GENERIQUES ET DE TERMES PRECIS du point de vue
sémantique. En fait, tous ces caractères linguistiques
répondent à une démarche de la pensée qui se développe en temps forts et temps faibles et qui produit
un discours ouvert, en « redondance progressive »
Ex. : A : « Tu es allé voir Hélène finalement » ?
B : « Oh ! tu sais, j'ai juste été, un petit moment,
un après-midi, chez elle » (2).
On remarquera :
— LA SEGMENTATION de l'énoncé de B, l'accumulation des informations, sans éléments de liaison :
Oh / tu sais / j'ai juste été / un petit moment / un
après-midi / chez elle.
— LA PRESENCE D'APPELLATIF : «tu sais».
— LA MISE EN TETE des éléments apportant une
information restrictive (B veut se justifier par avance en disant qu'il a vu Hélène, mais pas longtemps).
«Oh... tu sais... juste... petit». On remarquera en
revanche, que le moins important de l'information
— « chez elle » — est rejeté à la fin de l'énoncé
puisque cette information a déjà été donnée par A
— « Hélène » — et par B sous son aspect affirmatif «j'ai été».
— L'ALTERNANCE DE TERMES GENERIQUES :
« j'ai été », « un moment », « après-midi » (en partie) « chez elle » et de termes plus précis (3) —
l'intonation de «oh», « t u s á i s » (en partie), «juste», «petit», «après-midi» (par accumulation).
— LA REDONDANCE de l'information restrictive
— intonation de «oh», « t u s á i s » , «juste», «petit», «après-midi» (par accumulation).
Dans des conditions contraires, TU absent, il n'y aurait plus échange et le discours prendrait alors une
autre allure. On remarquerait, linguistiquement, un
ordre des mots progressif, construit, une phrase
beaucoup plus continue dans son développement et
dont la segmentation ne heurte pas la lecture ; sauf
cas d'effets voulus dans le cadre du discours littéraire — une succession de signes précis et concis ;
en effet, cette fois, la situation de non-échange permet une démarche de la pensée plus réfléchie, ce
qui produit un discours à « continuité progressive »
qui tend à se fermer sur lui-même.
Cependant, il faut ajouter ceci : la présence du TU
peut prendre des aspects multiples ; c'est pourquoi
nous pensons qu'il faut se demander si le TU est
(1) Pour ces termes, cf. Jakobson « Essais de linguistique
générale », Editions de Minuit.
(2) Il est évident qu'il s'agit d'une transcription graphique d'un discours oral. A ce titre, cet exemple est choquant à la lecture alors qu'il est banal en situation de
conversation.
(3) « Précis » est une notion relative au contexte.
59
Quant à l'opposition parlé/écrit, c'est en fait une
opposition dont chacun des termes est la résultante
d'une combinaison des composantes dont nous venons
de parler. C'est pourquoi nous préférons, pour notre
part, parler de type de discours x ou y selon les situations de communication X ou Y.
E. Benveniste (1) a déjà proposé d'opposer situation
de dialogue à situation de récit et, en effet, c'est
cette opposition qui est le fondement de la distinction
discours parlé/discours écrit. Mais on ne peut se
contenter de cette seule opposition, tant les combinaisons des composantes sont nombreuses.
On aura donc intérêt à interroger tout discours
sans a priori d'étiquetage d'après le questionnaire
que nous proposons ci-dessous (1).
P. CHARAUDEAU
QUESTIONNAIRE
(JE) - Réfèrent
SITUATION DE COMMUNICATION
•
•
•
•
(JE) - TU
• : Le TU est-il présent ou absent ?
m Y a-t-il échange ou non-échange entre JE et
TU ?
• Le TU est-il unique ou multiple ?
m La communication est-elle directe ou médiate ?
Est-il
Est-il
Est-il
Est-il
présent ou absent ?
commun ou non-commun ?
matériel ou non-matériel ?
événementiel ou non-événementiel
?
Le canal
• Est-il oral ou graphique ?
• Y a-t-il du gestuel ?
• Y a-t-il de l'icônique ?
(1) E. Benveniste, « Problèmes de linguistique générale »,
NRF, Gallimard, Paris, 1966, (chap. V).
61
unique ou multiple. En effet, il peut se faire que le
TU soit présent mais sous forme multiple — un
public, une réunion de travail, etc. —.
Dans ce cas-là, la convention change et l'échange ne
se fait plus ; ou alors il se fait d'une façon organisée
qui, en fait, démultiplie les rapports JE-TU —
c'est le cas des «tables rondes », ce devrait être le
cas de la classe.
Par ailleurs, il sera également utile, voire indispensable, de se demander si la communication est
directe ou médiate. En effet, nous avons un certain
nombre de situations dans lesquelles A échange
avec B, bien qu'ils ne soient pas visuellement présents l'un à l'autre, comme dans la conversation
téléphonique. Et l'on voit que le développement des
mass-media complique et démultiplie ces types de
rapports ; il faudra donc en tenir compte.
b.) Le rapport JE-REFERENT est intimement lié
au précédent, au moins pour une partie.
D'abord, constatons que la présence ou l'absence du
réfèrent permettra au JE d'avoir ou non un support
matériel qui lui sera utile lorsqu'il communiquera
— par exemple, lors de la procédure discursive de
« description » —. Mais il faudra également remarquer si ce réfèrent est commun au JE et au TU, ce
qui n'est pas évident même lorsque le JE est en
présence du réfèrent. (Au téléphone par exemple
A décrit ce qu'il a sous les yeux, que B ne voit
pas.) Si donc, ce réfèrent est présent et/ou commun,
les discours produits sont des discours de l'implicite, alors que dans le cas contraire, ils seront forcément explicites sous peine d'échec de communication.
Voici quelques exemples :
(au jeu de boules) « alors, tu lances ? » (la boule) ;
(au volley-ball) «j'ai» (le ballon) =
à la réception » ;
«je suis
(situation de séparation) « au plaisir » (de vous revoir) ;
(le gendarme à un automobiliste) « permis, s'il vous
plaît» (de conduire).
Mais il faut aussi interroger ce réfèrent d'un autre
point de vue.
Est-il matériel ou non ? Est-il événementiel ou non ?
60
En effet, cela va conditionner les « procédures discursives», car si le réfèrent est un objet matériel,
on peut en faire une description plus ou moins
objective, mais on ne peut en faire un récit, puisqu'il faut une successivité d'événements. Cependant, si le réfèrent est événementiel, on peut procéder à un récit, que l'on peut d'ailleurs compléter
par une procédure de description (ex. : un accident) .
c) Le canal de transmission
Il s'agit essentiellement de l'opposition oral/graphique — qu'on ne confondra pas avec parlé/écrit —
à laquelle on peut ajouter, si l'on veut, mais avec
une importance moindre, les oppositions gestuel/non
gestuel, icônique/non iconique.
L'opposition oral/graphique concerne le choix du
système de signifiants fait par le JE ou imposé
au JE par cet environnement matériel. Le canal
oral utilise un code phonique, le canal graphique
un code graphique (alphabet, idéogrammes, etc.).
Ce choix (ou cette contrainte) a encore des conséquences linguistiques. En effet, le choix du canal
oral permet au JE d'utiliser, par exemple, toutes
les ressources de la prosodie qui lui permettront, par
là-même, d'économiser du discours verbal. (Par
exemple l'utilisation d'une intonation pour signifier
l'indignation qui n'a plus besoin d'être explicitée —
Nous retournons dans le domaine de l'implicite).
Au contraire, la contrainte du canal graphique oblige
le JE, une fois de plus, à être explicite, mais, en
revanche, le discours graphique est un support visuel
qui permet une lecture avec retours en arrière, ce
qui autorisera le JE à utiliser ce que, banalement,
on appelle des digressions.
3 - On lira un tableau résumé de ces trois types de
composantes et de leurs conséquences linguistiques,
et nous concluerons sur cette situation de communication en faisant une dernière remarque.
On voit que l'opposition traditionnelle langue parlée/langue écrite n'est plus recevable comme l'opposition de deux ordres, chacun pur et unique.
Tout d'abord, il ne faut pas confondre, ce qui est
souvent le cas, parlé et oral d'un côté et écrit et
graphique de l'autre ; nous nous sommes expliqué
là-dessus.
0>
\
(TU)
\
Absent
\
JE
1
1
/
/
Présent
TU
CONDITIC
+
du TU
présent
+
du TU
• Canal : graphique
• Réfèrent absent
et non commun
N. échange
• Absence
• Canal : oral
et/ou commun
• Réfèrent
Echange
• Présence
Non-économie
Possibilité
d'effacement
conti-
—» besoin
d'effacement
— Réflexion
: pensée
nue et progressive
—
— Non-perception
de précision
Non-possibilité
— Démarche en « r e d o n d a n ce progressive »
— Spontanéité : temps forts/
temps faibles d a n s la c o m m u nication
— Economie de tout ce qui
est commun dans la situation
— Perception
immédiate
d'un comportement
SITUATION DE COMMUNICATION
ANNEXE
:
segmentée
termes
:
continues
précis
fermer
avec liens logi-
de signes
(construit)
Discours qui tend à se
(digressions possibles)
• Phrases
ques
• Successivité
et
• Effacement des référentiels
• E x p l o i t a t i o n des
faits prosodiques
• Ordre des mots
Explicite
génériques
• Contexte explicitant
Discours ouvert
• Phrase
• Alternance
précis
(affectif)
• Economie de signes
lexicaux et des liens logiques
• Ordre des mots
Implicite
• Prosodie
B. - COMMUNICATION ET EXPRESSION
•
TABLEAU DE REPARTITION DES EXPERIMENTATIONS
•
L'ENQUETE SOCIO-CULTURELLE SUR ET PAR LA CLASSE
•
DISCOURS ET ENUNCIATION
A. Objectif et interprétatif dans l'image
B. Objectif et subjectif dans les textes
•
STRUCTURES NARRATIVES : PREMIERS EXERCICES
63
s
"
"
\
^
^
PHASES
Confrontation - elucidation
Ecrire histoire en B.D.
Critique d'une autre B.D.
Réécriture du texte
Rédaction de titres de
journaux, de dépêches et
articles
Ecrire des « instantanés »
Description d'une nouvelle
image
Faire/critiquer un questionnaire d'enquête
N.B. — L'exercice à partir de la consigne narrative tirée du « K » appartient en fait à la phase de production
comme moment terminal d'une série d'exercices sur les structures narratives. Cet exercice est une anticipation.
Exercice sur B.D.
Exercice de transformation
3. « La modification »
(Butor)
• Structures narratives
Elucidation - discussion
Exercice de transformation
2. « La Plage »
(Robbe-Grillet)
Elucidation - discussion
Etablissement du schéma
conceptuel
Réponse à une consigne
1. Titres de journaux
• Objectif et subjectif dans les
textes
Exercice de description et
représentation
• Objectif et interprétatif
(image)
Confrontation
Echange et mise au point
Elaboration des questionnaires
• L'enquête socio-culturelle
Ph. individuelle
Production
(Consigne)
Elucidation
(technique)
Dramatisation
(Tâche)
Ph. collective
PRATIQUE 2
CONNAISSANCE
PRATIQUE 1
Ph. de groupes
EXPERIMENTATIONS^^
^
\ ^ ^
TABLEAU DE REPARTITION DES EXPERIMENTATIONS
TABLEAU DE REPARTITION
DES EXPÉRIMENTATIONS
• Il s'agit de montrer que chacune de nos expérimentations suit une même procédure pédagogique,
celle que nous avons définie dans la problématique
de l'élucidation du sens (A, II p. 44).
La deuxième phase se caractérise par une « activité
d'élucidation » qui se fait collectivement. Il y faut
une technique d'analyse. C'est la phase d'ELUCIDATION.
« Rappelons seulement que cette procédure consiste
à partir d'une première production de l'élève (PRATIQUE 1), pour lui permettre ensuite de se construire un certain savoir sur l'objet produit (CONNAISSANCE) et aboutir à une nouvelle production
(PRATIQUE 2) au cours de laquelle on peut espérer qu'il y aura réinvestissement de la phase antérieure.
La troisième phase se caractérise par une activité
de « production » de la part de l'élève en répondant
à une consigne destinée à lui faire réinvestir ce
qu'il a découvert au cours de la phase antérieure.
Il y a donc un « savoir faire » particulier dans
l'élaboration de la consigne en question. Cette phase,
individuelle, est la phase de PRODUCTION. Mais
il faut préciser que cette production peut être de
deux ordres :
La première phase se caractérise par une « mise en
situation » des groupes auxquels on donne une tâche
à exécuter, cette « mise en situation » étant de type
« concurrentiel » (chaque groupe ayant même tâche
et même matériau) ou « complémentaire » (chaque
groupe ayant une tâche partielle complémentaire des
autres). C'est la phase de DRAMATISATION.
— Production critique sur un nouvel objet du même
type, pour réinvestir la procédure d'analyse de la
phase antérieure.
— Production de réécriture à partir d'une consigne
générale et prenant l'objet étudié comme point de
référence (sous des aspects divers).
65
L'ENQUETE SOCIO-CULTURELLE
SUR ET PAR LA CLASSE
PRELIMINAIRES
Cet exercice d'enquête a été conçu en fonction d'une
recherche continue sur les circuits de communication
dans la classe. Il comportait en même temps un
travail sur les techniques d'élucidation du sens
pour rendre les élèves aptes à comprendre des questions qui leur étaient posées aussi bien que les
réponses qu'on leur demandait ensuite d'analyser.
Pratiquement on verra que l'exercice consistait à
faire faire une enquête par les élèves sur eux-mêmes
en les divisant en petits groupes ayant chacun la
responsabilité d'un thème (cf. I. Présentation de la
fiche - 2. Procédure).
Notons dès maintenant qu'un travail d'enquête présente des aspects très divers et qu'on rencontre d'autres problèmes que celui des circuits de communication ou celui de l'élucidation du sens. Il demanderait
une bonne connaissance des techniques d'enquête
ordinairement utilisées, une réflexion sur l'interprétation sociologique du comportement des individus, et en ce qui concerne une enquête sur la
culture des élèves, une représentation suffisamment
claire et cohérente des faits de culture. Sur le plan
linguistique, l'enquête soulève aussi beaucoup de
questions différentes : qu'est-ce qu'un thème ?
qu'est-ce qu'interroger ? comment interroger ? peuton reformuler des réponses et les classer ? comment ?
Nous ne pouvions pas pousser très loin l'exercice
dans toutes ces directions à la fois. Il constitue une
sensibilisation aux expérimentations qui doivent faire suite et en cela il y est aidé par l'étendue même
des questions qui se posent. C'est une ouverture à
l'expérimentation des procédures discursives, des
circuits de communication, de la mythologie des
élèves.
D'un autre point de vue l'exercice était destiné à
débloquer la situation pédagogique en permettant
aux élèves de se connaître, et aux professeurs de
mieux distinguer les attitudes individuelles et collectives. De ce point de vue, il était aussi une ouverture vers de nouvelles procédures pédagogiques.
Une fiche d'expérimentation a été proposée aux
équipes d'établissement.
I - PRESENTATION DE LA FICHE
PLAN DE CETTE FICHE : 1. Objectifs - 2. Procédure - 3. Préparation - 4. Déroulement - 5. Résultats et bijlan.
1.
Objectifs
1.1. FOURNIR DES DONNEES SOCIO-CULTURELLES sur les classes dans lesquelles se déroulera
l'expérimentation cette année. L'enregistrement des
résultats de l'enquête dans un fichier ou un tableau
constitue donc l'étape finale indispensable de l'enquête.
1.2. MODIFIER LE CIRCUIT DE COMMUNICATION SCOLAIRE traditionnel. Celui-ci n'est jamais
parvenu à instaurer une communication horizontale
élève «-» élève et il se dégrade en une relation
verticale triangulaire dont le sommet est le maître.
1.3. ADAPTER LES ELEVES AU SCHEMA DE
LA COMMUNICATION. En effet, s'il arrive que les
élèves s'adressent directement les uns aux autres,
il est rare qu'ils tiennent vraiment compte du « tu »
(inadaptation de leur discours, fonction expressive
67
surdéveloppée au préjudice de la fonction « conative » (1) indifférence à l'inversion de la communication, c'est-à-dire à la réponse du « t u » ) . A cet
égard, l'enquête, avec son aspect informationnel, ses
exigences de précision dans le jeu des questions et
des réponses, « branche » le « je » et le « tu » sur
le schéma de communication. L'enquête est un dialogue qui ne peut faire autre chose que se réaliser
pleinement. En outre l'expérience proposée prévoit
des travaux de groupes, des débats collectifs, des
prises de notes qui introduisent des types de discours très divers dans une action pédagogique
unique.
1.4. CREER LE BESOIN DE TECHNIQUES
METAMNGUISTIQUES :
1.4.1. Durant l'enquête plusieurs exercices provoqueront une attitude reflexive sur les questions posées, puis sur les réponses rendues. Ces exercices
permettront l'élucidation et l'amélioration des discours produits.
1.4.2. Après l'enquête, le dépouillement des réponses, leur classement et leur interprétation conduiront les élèves à une analyse sémantique motivée
puisqu'elle est inévitable dans toute démarche sociologique.
b) Intervenir pour faciliter les circuits de communication (par des retouches aux questions, le dévoilement des ambiguïtés et de leur origine soit dans
les questions, soit dans les réponses).
3.
Préparation
3.1. Chaque classe ayant une physionomie propre,
il sera intéressant de choisir celle qui peut le mieux
se prêter à l'expérience. Outre la nécessité de préparer un examen, difficilement compatible avec la
durée de cette expérience, les attitudes de véritable
inhibition qui demanderaient une préparation psychologique délicate peuvent être considérées comme
des obstacles absolus à la réalisation de l'enquête.
3.2. VOIR DANS CETTE FICHE LA DESCRIPTION DES HYPOTHESES LINGUISTIQUES.
3.3. ETUDIER LA POSSIBILITE DE SE FAIRE
ASSISTER PAR UN COLLEGUE pour observer le
travail des groupes, et surtout celle d'enregistrer au
magnétophone des morceaux de séance.
3.4. ANNONCER L'EXPERIENCE EN CLASSE.
3.4.1. Comme une occasion de se mieux connaître.
2.
Procédure
L'expérience consiste à associer les élèves à l'enquête
faite sur eux-mêmes. Ils décideront donc des questions à poser, les testeront par un examen critique,
ils* s'interrogeront et recueilleront les réponses euxmêmes si cela est possible, et en tout cas ils procéderont au dépouillement du corpus de réponses. Ils
seront donc amenés à travailler en petits groupes, à
s'interpeller d'un groupe à l'autre, à se rencontrer
par deux, à prolonger hors de la classe ce qui aura
été fait dans la classe. Cependant le professeur aura
un double rôle très important :
3.4.2. Comme une recherche des centres d'intérêt,
communs ou opposés, dans la classe, en vue de
lectures, de débats ou de productions de textes ultérieurement.
3.4.3. En faisant éventuellement apparaître qu'à
des origines socio-culturelles différentes correspondent des pédagogies différentes.
3.5. RECHERCHER LES DIVERSES RUBRIQUES
OU « THEMES » DE L'ENQUETE.
Les modalités de cette recherche sont nombreuses :
a) Observer le comportement des élèves dans leur
travail de groupe.
(1) Ces termes de Jakobson (Essais de ling, générale,
Ed. de Minuit, Í970, p. 214 à 220) sont employés ici uniquement pour montrer la possibilité de lier l'expérimentation aux recherches linguistiques.
68
3.5.1. Le professeur les énonce lui-même.
3.5.2. Il tient des conversations exploratoires avec
des groupes d'élèves en fin de classe ou ailleurs.
3.5.3. Il les fait apparaître au cours d'un débat en
classe, etc.
4.
Déroulement
Quatre moments peuvent être distingués :
4.1. ELABORATION DES QUESTIONNAIRES (1
ou 2 heures) par groupes.
4.1.1. Constitution d'un nombre d'équipes égal au
nombre des thèmes de l'enquête et prise en charge
élective d'un thème par équipe. Le professeur peut
intervenir dès ce stade en éliminant ou ajoutant des
thèmes d'enquête, pour des raisons variables (risque
de conflits psychologiques, nécessité d'obtenir un
certain type de renseignements socio-culturels, etc.).
4.1.2. Chaque groupe rédige en commun les questions qu'il juge importantes sur le thème qu'il a
choisi.
4.1.3. Il serait utile que le professeur consigne ses
remarques sur le comportement spontané et l'organisation de chaque groupe (Y a-t-il un « ténor » ?
A quoi doit-il sa prépondérance ? Y a-t-il des exclus ? etc.). On peut aussi réaliser des enregistrements en plaçant un micro dans un ou plusieurs
groupes.
4.1.4. De toutes façons, pour mieux connaître les
divers comportements, on demandera autant que
possible à chaque élève de tenir un journal de
l'enquête qui serait complété en une dizaine de
minute à la fin de chaque séance.
4.2. VERIFICATION LINGUISTIQUE DES QUESTIONNAIRES (1 heure + 2 heures + 1 heure).
4.2.1. Echange des questionnaires ainsi élaborés,
deux à deux, entre les équipes (pour des raisons de
commodité le nombre des thèmes, c'est-à-dire des
équipes, pourrait être pair ; sinon on effectuera une
permutation circulaire).
Chaque équipe devra alors vérifier le questionnaire
qui lui aura été remis (1) pour relever les questions ambiguës, rechercher les raisons de l'ambiguïté, préparer la refonte du questionnaire si les
« item » se recoupent : l'équipe établira une liste
courte de points à soulever lors de l'étape suivante.
4.2.2. Séance collective : chaque équipe se placera
successivement devant le reste de la classe et solli(1) Le mieux sera sans doute de demander à ces équipes de « tester » sur elles-mêmes le questionnaire qu'on
leur aura confié.
citera des éclaircissements sur les points relevés
précédemment. Evidemment ces éclaircissements seront fournis par les auteurs du questionnaire incriminé. Les autres élèves seront, à ce moment précis,
seulement témoins.
Pendant cette séance collective, le professeur interviendra fréquemment :
a) pour aider les élèves dans les demandes et les
réponses d'éclaircissement ;
b) pour formuler des avis sur la rédaction du questionnaire (comment interroger, comment définir le
domaine d'expérience encadrant la question (2),
comment faire apparaître les présupposés) ;
c) pour préparer le regroupement et la refonte de
certaines questions ;
d) pour demander aux élèves des prises de notes.
4.2.3. Etablissement définitif des questionnaires :
les équipes initiales récupèrent leur questionnaire.
Elles en reprennent la formulation d'après les critiques faites auparavant. Elles fondent ensemble les
questions trop ouvertes (ex. : « que penses-tu
de... ? ») et celles qui, par exemple, n'aboutissent
qu'à un inventaire (ex. : « quels sports pratiquestu ?» ). Au contraire, elles peuvent interroger sur le
pourquoi d'une préférence, d'une opinion. C'est à ce
moment que se situe l'intervention la plus précise du
professeur pour que ces questions posées débouchent
sur des données socio-culturelles utilisables. Il peut
faire inscrire dans un thème une question qui ne
s'y trouvait pas, et dans ce cas il y aura intérêt à
ce que la question soit « suppositive » (ex. : « que
serait pour toi la classe idéale ? » Moyens, rapports).
4.3.
REPONSE AUX QUESTIONNAIRES.
Diverses méthodes sont possibles :
4.3.1. Si on dispose de locaux vastes et d'un temps
suffisant, chaque groupe peut se répandre à travers
la classe pour faire passer une interview à tous les
élèves (durée minimum : 2 heures X 2). Le groupe
établit une fiche pour chaque élève de la classe.
(2) Ainsi les élèves d'une section technique, à une question qui portait sur leur intérêt pour la technique, ont
fréquemment répondu négativement parce qu'ils ont cru
qu'on les interrogeait sur les disciplines techniques de
l'école. Le domaine d'expérience avait faussé la question parce qu'il n'était pas explicité.
69
4.3.2. On peut également demander aux groupes,
s'ils acceptent, de réaliser ces interviews entre les
horaires de français.
4.3.3. On peut faire polycopier le questionnaire
intégral regroupant tous les thèmes, et demander à
chaque élève d'y répondre par écrit chez soi. Les
fiches de réponse sont nominatives (et non anonymes).
4.4. TRAITEMENT DES REPONSES (2 heures +
2 heures).
4.4.1. Répartition des réponses aux questionnaires
entre les groupes initiaux (ou bien les groupes se
reforment autrement). Chaque groupe reçoit un
échantillonnage équilibré de réponses selon les thèmes qui ont ordonné l'enquête. Ainsi chaque groupe
dépouillera un corpus équivalent (on peut prévoir
de demander aux élèves de répondre à chaque
thème sur une feuille de couleur déterminée). Chaque groupe se concerte pour l'analyse sémantique et
la synthèse des réponses.
On pourra y faire figurer des paramètres tels que :
âge, sexe, origine sociale (père - mère), etc. Aux
professeurs et aux élèves à découvrir les paramètres
pertinents.
• De plus le professeur voudra bien présenter un
bilan répondant aux questions suivantes :
•— Quels sont les obstacles à l'établissement de ces
circuits de communication ?
— Quels sont les problèmes concernant Yélucidation ?
— Quels sont les problèmes qui ont trait au contenu
de l'enquête ?
— Quelles sont vos impressions générales sur la
classe dans le cadre de cette expérimentation ?
— Que faudra-t-il modifier dans la fiche pour la
perfectionner ?
Rémy MARTEL.
4.4.2. Les groupes se succèdent au bureau pour
demander, s'il est nécessaire, et brièvement, des
éclaircissements aux réponses difficiles à traiter.
L'élève désigné donne les éclaircissements, les autres restent témoins!.
II - COMPTE RENDU DES SEANCES
D'EXPERIMENTATION
4.4.3. Après une nouvelle concertation, les groupes
viennent présenter, l'un après l'autre, le bilan du
dépouillement du corpus qui leur a été remis. Ils
définissent les centres d'intérêts dans la classe, les
opinions, etc. [en fonction de certaines variables si
possible (âge, profession des parents, sexe) qui doivent donc figurer sur chaque feuille séparée]. Chaque groupe ayant travaillé sur un échantillonnage
de réponses à des questions identiques, la classe toute
entière pourra confronter les diverses synthèses proposées, une grille générale réunissant toutes les informations sera constituée avec l'aide du professeur.
LES CLASSES
5.
Résultats
• Le journal individuel de l'enquête sera relevé.
• La grille générale consignera les données socioculturelles recueillies.
Sur cette grille les réponses devront être regroupées
par équivalence sémantique sous une même étiquette ( « Méta-réponse »).
70
1. Conditions d'expérimentation
— Une 4e d'enseignement long mais composée en
fait d'élèves très différents par l'âge, le niveau,
l'origine sociale puisqu'on y trouvait aussi des élèves d'enseignement court pour les besoins de l'enseignement des langues étrangères
(a)
— Une 2° AB mixte à majorité de filles
(b)
un atelier interclasses d'explication de textes,
au niveau de la 2°,
(b')
— Une 2° AB mixte avec majorité de filles d'un
établissement parisien,
(c)
— Une 2' C de la banlieue ouest de Paris,
(d)
— Une terminale de garçons, section F 3 de techniciens industriels
(e)
CONDITIONS MATERIELLES
Toutes les classes avaient plus de 30 élèves. Une
seule disposait d'un local vaste (amphithéâtre) facilitant le travail de groupes (e). Aucune n'a utilisé
de magnétophone.
DUREE
L'expérimentation a pris beaucoup de temps dans
toutes les classes. Une fois sur deux les élèves ont
d'abord refusé de se lancer dans ce travail mais
presque toujours ils ont fini par y consentir un peu
plus tard. Ce retard enregistré, l'enquête elle-même
a occupé entre un mois et un trimestre et demi
suivant le temps hebdomadaire de travail : c'est
ainsi que dans une classe le professeur regrette de
n'avoir pris qu'une heure chaque semaine (d).
MODALITES DU DEROULEMENT
Partout l'enquête a débuté avant l'achèvement de
la fiche, ce qui explique qu'elle n'ait pas été exactement suivie. Dans la plupart des cas, la vérification linguistique des questionnaires n'a pas eu
lieu (I. Présentation de la fiche 4.2.). Elle a été
effectuée une fois (c) par échange avec d'autres
groupes comme prévu. Plusieurs classes ont demandé
expressément que les réponses soient anonymes :
dans ces cas-là il a été difficile de faire une vérification linguistique des réponses, mais les élèves ont
regretté à la fin d'avoir choisi l'anonymat (c). Inversement ceux qui avaient accepté d'indiquer leur
nom, ont parfois éludé des questions où ils pouvaient
s'engager (a). Enfin le choix des interviews orales
ou des formulaires à remplir, c'est-à-dire de réponses écrites, orientait le travail dans des directions très différentes. Deux classes ont adopté la
méthode du formulaire (a), (c).
La présentation de l'exercice aux élèves a presque
partout rencontré des difficultés. Deux fois au moins
il a été rejeté (b), en particulier dans une classe
très hostile non mentionnée plus haut. Il est facile
d'en percevoir les raisons : l'aspect inquisiteur d'un
tel travail dans le cadre scolaire peut être dénoncé
par certaines classes. Une autre raison est apparue.
La fiche proposait de présenter l'enquête comme
une occasion de mieux se connaître (3.4.1.). Tous
les professeurs semblent avoir introduit l'exercice
avec ce motif, mais les réactions ont été très différentes. Les classes mentionnées sont divisées, constituées de groupes ou d'isolés rivaux ou pour le moins
étrangers : aucune de nos classes ne fait exception
à cette règle. Les secondes qui rassemblent des
élèves de diverses provenances sont des classes particulièrement critiques. Or nous avons provoqué
tantôt un intérêt visible (c), (e), tantôt une méfiance
et un conflit (b), (d). La réaction de classes apparemment semblables est en fait difficilement pré-
visible et dépend de variables nombreuses telles que
le mode d'insertion du maître dans sa classe, l'existence d'un leader parmi les élèves, le climat général
de l'établissement... Des élèves influents ont jugé que
la proposition de se connaître était trompeuse
(b), (d).
(b) La majorité affirme supporter les camarades imposés par le fait-classe, sans avoir
envie de les connaître mieux... Les relations authentiques se passent ailleurs et sont choisies :
« Je ne vois pas pourquoi il faudrait que je
m'entende avec ceux qui sont là. »
« Ceux qui sont là ne s'intéressent à rien.
— Avec toi il faudrait tout le temps faire de
la politique. »
« Je préfère parler à mes copains. »
Les phénomènes de groupes ont joué un rôle important lors de la présentation de l'exercice aux
classes avec l'objectif de mieux se connaître.
(b) Le débat ne sera vraiment lancé que sur
l'intervention d'une élève (doigt levé, silence
des autres) qui trouve « intéressant de chercher à se connaître». Réplique d'un garçon
(seul fermement opposé d'emblée à l'enquête
mais un des ténors de la classe, grand prestige
auprès des filles) :
« Mais qu'est-ce que tu veux savoir ? »
Dans certaines classes on a pu dépasser le blocage
en créant ou en attendant des circonstances nouvelles et en modifiant la présentation. Dans l'une
(b'), le point de départ a été un atelier « Expérience
de la liberté dans Les Mouches », à la suite de quoi
les élèves ont préparé des questionnaires sur des
thèmes comme «Famille et liberté», «Liberté et
loisirs » ; dans une autre classe, plusieurs semaines
après un premier refus, l'enquête a été entreprise à
la faveur de l'étude de textes qui montraient la
dépendance des types de culture par rapport aux
milieux sociaux (d). Ces modalités différentes d'expérimentation ne relèvent certes pas du projet défini
dans la fiche ; elles attirent cependant l'attention
des expérimentateurs sur un point important : la
classe est une réalité qui résiste, dont il faut suivre
l'évolution, en soupesant tous les aspects en jeu, en
créant les incitations, si l'on veut y instaurer une
situation d'expérimentation.
Choix des thèmes de l'enquête : ils ont parfois été
formulés par le maître (d), (e), mais alors des
71
élèves ont refusé de s'occuper par exemple du thème
de l'école et on a dû refondre les deux thèmes « Loisirs » et « Ecole » en « Distractions » et « Activités
culturelles » (e). Ailleurs les thèmes ont été formulés par les élèves (b') : « Ils ont essayé de recouvrir par une série de questions classées par rubriques la totalité du vécu de chacun » (c). Chaque
groupe propose un thème qui l'intéresse et la coordination s'effectue au cours d'une discussion collective.
Dans tous les cas les équipes se sont formées par
relations des élèves entre eux et non par le choix
commun d'un thème. Cette démarche qui paraît
quasi inévitable n'empêche pas que chaque groupe
rencontre ses difficultés de fonctionnement. Elles
peuvent tenir au thème : un groupe qui avaient
choisi « Les relations sexuelles » a été arrêté dans
son compte rendu final et n'a pu en présenter d'autre (e). Une difficulté supplémentaire tenait à la
répartition des responsabilités dans chaque groupe :
très souvent un ou deux élèves imposent des orientations de travail, ou bien assurent toutes les tâches
de rédaction et de communication avec la classe.
Comment avoir une idée précise des discussions de
chaque groupe ? Le maître en circulant dans la
classe a pu se rendre compte des difficultés que les
groupes avaient à résoudre mais il aurait été très
utile de disposer du corpus complet des interventions des élèves dans les groupes. L'absence du
magnétophone est une des insuffisances les plus gênantes de l'expérimentation. Pour y remédier on
pouvait demander à certains élèves de jouer le rôle
d'observateurs dans leur groupe, mais écrit un professeur, « personne n'aurait voulu se sacrifier en
étant l'observateur de son équipe» (c). Dans une
classe les élèves ont tenu un journal de l'enquête dont
ils ont extrait les éléments pour un rapport individuel final (e) : ces rapports ont l'inconvénient de
s'en tenir à des généralités (critiques contre la
négligence des réponses, voire critique contre le
contenu des réponses) et d'être très pauvres en
indications concrètes sur les faits de discours, les
problèmes de l'élucidation.
Enfin toutes les classes se sont heurtées au problème
de l'utilisation des données recueillies. Partout il en
a été présenté des comptes rendus oraux, par groupe, à la classe. Mais ensuite professeurs et élèves se
sont trouvés devant une espèce de vide. Nous verrons que l'extrême difficulté de réaliser le premier
objectif (cf. I. Présentation de la fiche, 1.1.) en
est une des causes essentielles. Toutefois une procé72
dure intéressante a été adoptée dans une classe pour
atteindre l'objectif (c). Les réponses écrites comportaient une feuille de renseignements sur la situation
sociale et familiale des élèves. Malgré l'anonymat,
ces renseignements étaient utilisables par la numérotation des réponses, un numéro correspondant à chaque élève. Les renseignements ont été collectés par
une équipe tandis que les autres travaillaient au
dépouillement sur les différents thèmes. Tous disposaient ainsi d'une banque de données individuelles
permettant de rapprocher certains types de réponses
des situations de famille, d'âge, etc., connues. Mais
le rapprochement s'est révélé bien entendu très
difficile et aucun tableau systématique n'a été établi.
On prévoyait une incidence de cet exercice sur les
travaux suivants de la classe (lectures, recherches
documentaires, débats). La durée de l'enquête s'étendant parfois à tout un trimestre, des activités parallèles ont eu lieu qui ne tenaient pas compte des
découvertes faites sur la classe. En général, si les
élèves ont eu parfois de véritables « révélations »
(rapport, e) sur leurs camarades, l'impression d'ensemble est moins nette. Rappelons qu'ils ont regretté l'anonymat des réponses au moment des
bilans. Dans les discussions critiques qui accompagnaient ces bilans les auteurs des réponses évoquées
découvraient leur identité, ayant souvent l'impression qu'on trahissait leur pensée. A ce point les positions de chacun s'éclairaient et la classe tout entière prenait conscience d'un certain aboutissement
de l'exercice (e). Du point de vue de l'expérimentateur, le profit tiré de l'enquête doit être apprécié
par rapport aux quatre objectifs de la fiche (I. Présentation, 1.).
2. Commentaire critique des résultats :
réalisation des objectifs
2.1. L'INFORMATION
SOCIO-CULTURELLE
Le tableau recommandé par la fiche n'a donc été
constitué dans aucune des six classes. Pourquoi ?
Les classes ni le maître n'étaient suffisamment armés
pour faire une analyse sociologique des réponses. Il
était évidemment possible de donner lecture de
ces réponses à la classe : par exemple on choisissait
pendant le dépouillement les questions sur lesquelles
les divergences paraissaient les plus caractéristiques
et on esquissait un profil de la classe en soulignant
des types de réponses antithétiques ou voisines (e).
Cependant, même envisagé aussi simplement, l'essai d'analyse n'a pas été très satisfaisant : il
aurait fallu encourager les questions très fermées
et les réponses par oui et par non pour donner des
résultats précis. Or cette méthode était contraire à
notre dernier objectif (techniques métalinguistiques).
Elèves et professeurs ont tous été conscients de cette
contradiction :
(e) Un élève écrit : « Nos questions étaient
trop personnelles et poussées pour pouvoir
faire un sondage style I.F.O.P. : elles étaient
donc impossibles à mettre en chiffres». «Je
crois que la meilleure solution était de prendre
intégralement les réponses plutôt que de vouloir les interpréter par des croix à l'intérieur
de cases. La synthèse n'est donc pas faite à
partir de tous les résultats mais des idées dominantes car le but de cette enquête n'est pas
de faire des statistiques mais de faire l'exposé
à la classe des différentes idées de celle-ci».
(c) Rapport du professeur : « Comment faire
des statistiques avec des questions qui ne prévoient pas le traitement par ordinateur (type
« cocher la bonne réponse », trois réponses
étant suggérées) ? ». Ailleurs (b') : « Les questions du type « es-tu pour ou contre ? » ou ne
provoquant que des réponses par oui ou par
non sont nombreuses, certains élèves affirmant
qu'ainsi les réponses seront plus faciles à classer ».
C'est surtout l'insuffisance des instruments d'analyse qui a rendu impossible la présentation d'un
tableau général. A ce niveau en effet le dépouillement et le classement exigent, en toute rigueur,
de référer les réponses à des variables pertinentes
ou paramètres. Dans certains cas les classes avaient
renoncé à s'interroger sur le milieu socio-professionnel d'origine. On ne pouvait alors que référer
telle réponse d'un élève à d'autres du même type
pour comparer ses diverses attitudes (s'intéresse-t-il
à la fois à la musique classique et à la musique
moderne ? à la lecture, au cinéma et aux sports ?).
Ce travail a été entrepris dans une classe au
moins (e) mais la difficulté d'interpréter des réponses recueillies oralement n'a pas permis de le
mener à bonne fin : les élèves ne sont alors parvenus
qu'à des listes de pourcentages sans essai d'explication (cf. annexe 4 de ce compte rendu).
Lorsque les équipes disposaient de renseignements
sur le milieu social, elles n'en étaient pas moins
embarrassées pour faire des regroupements par ca-
tégories : par exemple, « comment classer les parents sur le plan socio-professionnel ? » (c). A ce
point l'enquête se heurtait à des difficultés techniques qui dépassaient le cadre d'une expérimentation
sur les circuits de communication.
2.2. MODIFICATION DU CIRCUIT
DE COMMUNICATION SCOLAIRE
C'est l'aspect le plus nettement positif de l'expérimentation. Sur ce point les avis sont presque unanimes : il y a eu par exemple des discussions animées
et prolongées avant l'élaboration des questionnaires.
« Activité de tous, nouvelle, écrit un professeur. On
discute avec animation des questions et aussi des
réponses » et à la fin « la classe est un peu lasse
mais le temps heureux de l'élaboration des questions
ne sera pas oublié » (c). Dans une autre classe (e),
l'activité est intense et bien organisée ; le rendement
est bien supérieur à celui qui a été obtenu jusqu'à
présent pour les autres exercices notamment écrits :
la quasi-totalité des élèves, même les plus effacés,
ont pris la parole dans les groupes lors de la préparation des questionnaires. Signalons que la classe
qui a refusé l'enquête (b) y a elle-même gagné
quelque chose sur le plan de la communication :
« Le refus lui-même a instauré une communication
dans la classe, des groupes s'attardant à la fin de
l'heure pour poursuivre la discussion». Cependant
ce déblocage et cette mise en place d'un nouveau
circuit dont le professeur n'était plus le seul pôle
ne pouvait avoir d'intérêt véritable que si les élèves
acceptaient d'actualiser le schéma de la communication.
2.3. SCHEMA DE COMMUNICATION
ET TECHNIQUES D'ELUCIDATION
L'enquête est un exercice contraignant qui crée des
circonstances de communication différentes de celles
du débat dans la mesure où le but principal recherché par l'un des deux locuteurs (celui qui interroge)
est d'obtenir une réponse et de se l'expliquer. Toutefois le questionneur possède un pouvoir évident
qui lui permet de diriger le questionné : il faut qu'il
s'en rende compte.
Or une constatation générale peut être faite : la
phase orale de la préparation des questionnaires, de
même que les interviews (dans le cas des classes
qui ont choisi cette méthode), font souvent oublier
la direction interrogeante de la parole de l'enquêteur. Un élève s'en félicite : « Nous avons eu le
73
plaisir de remarquer que certaines questions lors de
l'interrogation furent l'objet de petits débats passionnés qui s'amorçaient » (e). Ce qu'un professeur
formule autrement : « Pour l'élaboration des questionnaires, les élèves sont plus soucieux de trouver
des « sujets » que de susciter des réponses plus
nuancées. L'important semble même être de trouver
des thèmes de discussion possible avec les camarades plutôt que d'obtenir des résultats permettant
d'esquisser un profil de la classe». Et au cours de
l'enquête : « Parfois longue discussion : l'objectif
de l'enquête est alors perdu de vue » (b'). Les prises
à partie sont très fréquentes pendant cette phase :
l'élève interrogé est contredit, désapprouvé par l'enquêteur (qui lui reproche de ne pas faire de politique, d'avoir choisi l'enseignement technique sans
s'intéresser aux sciences et aux techniques, etc.) :
(b') «Quelle genre de musique aimes-tu?
— Classique.
—• Pourquoi ?
— (Hésitations et interjections) Parce que ça
me plaît.
— Alors tu n'aimes pas la musique moderne ?
La discussion continue, l'élève interviewé se
faisant agresser pour avoir qualifié la « pop »
de «musique casse-tête »... Cette projection
de soi apparaît très souvent au cours de l'enquête. »
La fonction polémique masque dans tous ces cas
(très nombreux) la nécessité de l'élucidation des
formes utilisées, tant pour la mise au point des
questionnaires que pour la réception des réponses.
C'est pourquoi après l'animation des discussions initiales préparatoires, la rédaction des questions et
plus encore leur reformulation ont été péniblement
obtenues : « L'établissement définitif des questions
(chaque équipe ayant récupéré son questionnaire)
est une étape pénible, et à la 3 e heure, il n'y a
plus qu'un ou deux élèves par équipe qui débattent
avec le professeur du maintien d'une question, de
l'addition d'une autre, de la formulation » (c). Il
est vrai que ce professeur voit une autre cause :
« Cette fatigue est due pour une bonne part au
grand nombre des questions ». Le même obstacle
est signalé ailleurs (b') : « Les tentatives pour
reformuler des questions trop générales ont été
trouvées bien contraignantes ». C'est ce qui explique
peut-être le moindre intérêt porté par les classes
au passage à l'écrit chaque fois qu'il était nécessaire
(rédaction des questionnaires, prises de notes sur les
74
réponses orales, composition du tableau des résultat) : l'écrit représente en lui-même un degré d'élu cidation plus grand du discours produit et du discours reçu et se prête peut-être moins au rapport
polémique que les élèves recherchent. Ainsi, dans un
groupe (b'), «la question : vous intéressez-vous à
la politique ? est la seule trace d'une discussion au
sein du groupe sur la participation aux assemblées
d'élèves, le droit d'affichage... ».
Malgré ces difficultés la nécessité de l'élucidation a
été perçue par de nombreux élèves, lors des interviews (qui ont cet avantage précieux sur les questionnaires) ou dans les comptes rendus finaux, quand
ce n'était pas au cours de vérifications linguistiques méthodiques.
Exemples de points ayant suscité une activité métalinguistique (le « Qu'est-ce que tu veux dire par
là ? » est déjà un métalangage) :
FORMES TROP OUVERTES
« La nature t'aide-t-elle à comprendre la vie des
humains ? » (a).
« Penses-tu être utile à l'évolution humaine ?» (e).
« Aimes-tu la vie en société ? »
QUESTIONS AU MOINS PARTIELLEMENT
REDONDANTES
« Est-ce que le sport t'intéresse » -(- « Qu'est-ce que
le sport pour toi ? »
« Vous entendez-vous avec vos parents ?» +
« Comment considérez-vous vos parents ? »
FORMES AMBIGUËS
« Fais-tu partie d'un groupe social ? »
« Pensez-vous être bien informé sur les sciences et
les techniques ? » Les élèves se sont aperçus qu'ils
avaient pris cette question dans deux sens différents : 1. Avez-vous une bonne culture scientifique ?
2. Y a-t-il de bons moyens d'information scientifique ? (e).
Il s'est trouvé des formes non ambiguës qui ont
cependant été l'occasion d'un malentendu général :
« Penses-tu que la religion puisse servir de lien entre les hommes ? ». « Il s'est manifesté ici, écrit un
élève, une curieuse confusion... Ainsi les interrogés
ont pu comprendre : — La religion, est-ce que
c'est bien ? — La religion crée-t-elle des liens ?
Nous pensons que les élèves ont voulu donner tout
de suite leur opinion sur la religion d'où cette
confusion ». Le débat qui a eu lieu sur ce point en
séance collective a surtout montré que les élèves
voulaient juger l'Eglise alors qu'on les interrogeait
sur la religion.
« Vacances est-il synonyme pour toi d'évasion ? »
La connotation tantôt positive tantôt fortement négative du mot a rendu impossible l'interprétation
des réponses.
« Qu'attendais-tu du lycée ? » Réponse (par écrit) :
« J'attendais une bonne éducation et moins de leçon ! J'arrivais d'un C.E.G., pour l'ambiance je
m'y attendais ». Il y a ici supposition d'un réfèrent
commun et perçu de la même manière défavorable
(selon toute vraisemblance) sans que le locuteur ait
cru nécessaire d'élucider son sous-entendu (c).
QUESTIONS RESTRICTIVES
OU IMPOSANT DES PRESUPPOSES
« Pourquoi certains jeunes sont-ils racistes alors
qu'ils forment l'humanité de demain ?» (a). Qu'estce qui compte le plus ici, la question ou l'assertion ?
« Comment considères-tu les relations sexuelles,
comme signe d'amour ou de vice ? »
« Penses-tu que ta pensée sexuelle est saine ?» La
classe a très bien perçu que le groupe qui lui posait
ces questions lui tenait en fait un discours polémique
en vue de l'émancipation et elle a rejeté l'ensemble
de l'enquête sur ce thème (e).
En conclusion un objectif a été pleinement atteint :
la mise en relation par des actes de communication,
d'élèves d'un même groupe, d'une même classe.
Toutefois les appréciations des élèves sont variables,
selon les personnalités, le degré d'intégration à la
classe, le sujet abordé. « J'ai remarqué que ce débat
a permis à la section de se solidariser un peu plus...
Le travail tout entier du groupe a été positif et
intéressant... Il a permis un certain rassemblement
de la classe sur elle-même. » Quelqu'un au contraire
se plaint « qu'il existe des coalitions entre différents
élèves » (e).
L'enquête en elle-même et les objectifs linguistiques ont été moins bien réalisés. Les comptes rendus
d'élèves abondent certes en remarques sur la nécessité de mieux contrôler l'outil linguistique. L'un estime que la grande difficulté est de « faire comprendre parfaitement le sens de la question ». Un autre :
« Nous avons conclu qu'un débat ne peut avoir lieu
qu'avec un choix judicieux de mots basé sur leur
définition exacte, de part et d'autre». Cependant
l'analyse des circonstances de communication, des
circuits, des procédures discursives, a été très sommaire. On n'a guère obtenu plus qu'une sensibilisation.
Pour une reprise de l'expérimentation, il faut prévoir :
— un moyen de consigner toutes les interventions
des élèves soit en groupe soit dans les discussions
collectives ;
—• une insistance sur l'activité métalinguistique. Les
élèves pourraient être avertis qu'ils vont expérimenter les techniques d'expression de l'enquête, par
une sorte d'exercice de simulation ; si au contraire
on veut conserver à cette enquête sa valeur de découverte de faits socio-culturels, une information
préalable de sociologie appliquée est indispensable
autant pour le professeur que pour les élèves.
N.B. Nous donnons en annexes quatre documents :
1. Un texte de présentation des questionnaires destiné aux familles dans un établissement où l'administration a critiqué l'exercice (en raison de son
caractère « indiscret » ).
2. Un formulaire de réponse (fragment) sur les loisirs.
3. Un autre formulaire sur les rapports avec la
famille.
4. Un exemple de renseignements socio-culturels
tirés du dépouillement de réponses (fragments).
ANNEXES
1. Chapeau rendu nécessaire par l'attitude
de l'administration
Cette enquête socio-culturelle faite par les élèves
d'une classe sur eux-mêmes fait partie de l'expérimentation d'un groupe de recherches de 11.N.R.D.P.
et est menée parallèlement dans un certain nombre
de classes de lycée.
Elle doit :
1) FOURNIR DES DONNEES SOCIO-CULTURELLES AUX ELEVES ET AUX MAITRES. Permettre
75
aux élèves de mieux se connaître et se situer ; aider
les maîtres à modifier la conduite de la classe en
fonction de son visage réel et de ses besoins réels.
Des courants, des tendances se dessineront qui permettront de choisir mieux les travaux de lecture,
d'écriture, de parole...
2) APPRENDRE A COMMUNIQUER MIEUX. Les
élèves ont au cours de l'enquête l'expérience d'une
communication horizontale d'élèves à élèves très
difficile à obtenir dans une classe. Ils ont d'autre
part à tenir compte du TU comme on le fait peu
dans le dialogue courant, à dévoiler les ambiguïtés
et les présupposés des questions, à élucider les réponses...
3) FAIRE FAIRE TOUT UN TRAVAIL LINGUISTIQUE, dans la formulation progressive des questions, puis dans le dépouillement des réponses et
leur analyse sémantique pour en faire une synthèse
aussi exacte que possible.
Ce travail qui ne peut se faire que dans une classe
qui l'a toute entière accepté, semble particulièrement justifié dans une classe hétérogène par son
recrutement, et pour des élèves à vocation économique et sociale.
Il se déroule de la façon suivante :
1 - Libre répartition des élèves en équipes qui établissent chacun les rubriques de leur « questionnaire
des élèves par les élèves », puis les questions à poser
à l'intérieur de ces rubriques. Pas d'intervention du
professeur sinon pour noter ce qui se passe dans
chaque groupe (à défaut du journal de bord tenu par
chaque équipe).
2 - Echange circulaire des questionnaires et effort
d'élucidation. Puis devant les autres équipes, demande d'éclaircissements systématiques de chaque équipe
à l'équipe dont elle a étudié le questionnaire.
3 - Etablissement définitif du questionnaire de la
classe, chaque équipe ayant en mains son propre
questionnaire. Les rubriques à retenir se dégagent
par comparaison. Les questions sont refondues, certaines éliminées (trop vagues, inutiles...), d'autres
précisées... Le professeur mène le jeu quant à la
formulation des questions, sans rien changer bien
évidemment au contenu choisi en commun par la
classe, même si l'on est parfois incomplet.
Pour la suite du travail, la classe a choisi de répondre par écrit et anonymement au questionnaire.
Il n'y aura donc pas de demandes d'éclaircissements.
76
Il ne s'agira pas de discuter les réponses. Mais chaque équipe en ayant un échantillonnage ou toute
une rubrique, d'en faire l'analyse, d'en dégager les
grands thèmes, les centres d'intérêts, les opinions,
etc., si possible en fonction de variables à déterminer. Ensuite aura lieu la synthèse de tous les
bilans de dépouillement, et l'essai d'établissement
d'une grille générale.
2. Questions et réponses
10) Comment aimes-tu t'habiller ? Suis-tu la mode ?
J'aime beaucoup le pantalon, les pulls angora.
Je suis la mode.
11) La bonne cuisine, est-ce important pour toi?
J'aime manger de bonnes choses.
Mais cela ne m'ennuie pas de manger des choses
simples.
12) Bois-tu de l'alcool ? Fumes-tu ?
Je ne bois jamais d'alcool.
Je fume un peu.
13) Aimerais-tu vivre ailleurs qu'à Paris ? Pourquoi ?
Non parce qu'il y a de la vie à Paris.
14) Sors-tu en bande ? Quel genre de sortie ?
De temps en temps. Spectacle à Paris.
Pique-nique en vacances.
15) Qu'entends-tu par vacances idéales ?
Etre en bonne compagnie.
Bien m'amuser.
Me reposer.
16) Pars-tu en vacances avec des parents ? avec
qui d'autres ?
Je pars en vacances avec mes parents.
17) Que fais-tu en vacances ? Les vacances, est-ce
important ?
Je me détends. Je visite. Je fais de la marche. Je
lis.
Les vacances sont importantes.
18) Travailles-tu (job) pendant tes vacances ou ton
temps libre ?
A quoi ? Sinon, le voudrais-tu ? pourquoi ?
Je ne travaille pas pendant les vacances.
J'aimerais travailler au mois de juillet cette année.
19) Vas-tu aux sports d'hiver ?
Je n'y suis pas encore allé, mais peut-être à Pâques cette année.
20) Eventuellement, autres activités extra-scolaires ?
Je vais à des visites de musées avec un groupe.
3.
Questions et réponses (second exemple)
1) Ta famille est-elle une famille unie ?
Oui je pense qu'elle est unie mais par contrainte
et superficiellement.
2) Qui est le plus autoritaire de ton père et de ta
mère ? Avec qui es-tu le plus en confiance ?
Cela dépend de ce que vous entendez par autoritaire.
Si c'est une personne qui sait se faire aimer et respecter alors ma mère est cette personne. Mais si
c'est une personne devant qui l'on tremble alors
c'est mon père.
3) Parles-tu librement avec tes parents (problèmes
personnels, politiques, sexualité) ?
Oui avec ma mère.
Mon père considérant que les seuls problèmes pouvant me préoccuper sont ceux du bahut.
4) Comment tes parents te considèrent-ils ? Es-tu
un sujet de discussion ?
Ils me considèrent comme un objet de fierté qu'ils
forgent à la réussite qu'ils ont pu atteindre.
5) Tes parents surveillent-ils tes lectures ?
Non.
Tes fréquentations ?
Non, bien qu'elles ne soient pas souvent à leurs
goûts.
Tes sorties ?
Oui, ils les refusent quelles qu'elles soient la plupart
du temps.
6) Ta position parmi tes frères et/ou sœurs ? As-tu
des responsabilités ?
J'ai un frère aîné qui a 22 ans.
7) T'entends-tu bien avec tes frères et/ou sœurs ?
Peux-tu discuter avec eux ?
J'adore mon frère car il a su me donner tout ce
qui me manquait auprès de mes parents. Il est ma
famille.
4. Résultats en pourcentages
Le type de question posé ne permettait pas de faire
l'explication sociologique des réponses de la classe
(une seule question utile : Est-ce que tes parents
travaillent tous les deux ?
— oui, 60 %
— non, 40 % ) .
Mais des profils psychosociologiques se sont dégagés
dans leurs grandes lignes (réponses à l'état brut).
Exemple de questions et type d'affectations de pourcentages :
Aimes-tu la vie en société ?
— oui, 42 %
— non, 22 %
— guère, 36 %.
La discussion est-elle possible entre toi et tes parents ?
— oui, 70 %
— non, 30 %
— 40 %, refus de l'élève
— 60 %, refus de ses parents.
A qui exposes-tu tes problèmes ?
— père, 10 %
— mère, 90 %.
La TV prend-elle une grande place dans ta famille ?
—• oui, 50 %
—• non, 50 %
Pratique de un ou plusieurs sports, 75 % (dont 24 %
natation, 16 % foot...).
Suivent les émissions sportives (TV, radio), 70 %,
(jeux olympiques, 85 % ) .
77
Lisent des magazines sportifs, 30 %.
Assistent à des matches, 35 %.
Vacances avec les parents, 53 %
avec des amis, 35 %,
seul, 8 %.
de communication qui est dominante, nous proposons dans ce chapitre :
— « Réflexion sémio-linguistique sur la communication (Voir préalables p. 19).
— « Description des circuits de communication mis
en œuvre dans l'expérimentation ».
Partent en voyage, 75 %.
Pour les vacances en groupes organisés, 46 %.
Contre les vacances en groupes organisés, 43 %.
Ne parlent pas d'eux-mêmes de la sexualité, 14 élèves/31.
IV - DESCRIPTION DES CIRCUITS
DE COMMUNICATION MIS EN ŒUVRE
DANS L'EXPERIMENTATION
N'aiment pas du tout en parler, 6/31.
En parlent couramment (?), 9/31.
Refus total, 2.
Il s'agit de décrire les circuits de communication
des différents moments du « déroulement » (fiche A.4.) ; en utilisant le questionnaire de nos hypothèses linguistiques (p. 30).
« Croient » aux sciences occultes, 46 %.
1. Elaboration des questionnaires (4.1.2.)
HI - HYPOTHESES SCIENTIFIQUES :
REFLEXION POUR UNE TYPOLOGIE
DES DISCOURS
Avertissement : Ce chapitre concerne les hypothèses
scientifiques de base sur lesquelles repose l'expérimentation. Pour ce qui est de cette fiche, deux domaines linguistiques, au moins, devraient être développés : le domaine de la technique métalinguistique
d'élucidation — proprement linguistique — et celui
des circuits de communication — psycho-socio-linguistique.
Cependant il nous paraît difficile d'exposer plusieurs
hypothèses au cours d'une même expérimentation,
surtout lorsque chacune d'elles nécessite un développement relativement important. De plus, chaque
expérimentation privilégie un domaine scientifique
particulier, ce qui nous autorise à ne développer que
« l'hypothèse dominante ».
Considérant, ici que c'est l'hypothèse sur les circuits
78
CONCERTATION EN GROUPE et CIRCUITS DE
COMMUNICATION LIBRES (c'est-à-dire sans maître) A PROPOS D'UNE TACHE COMMUNE
DETERMINEE A L'AVANCE.
,
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SITUATION DE COMMUNICATION
— Le TU est présent — Il est multiple et/ou individuel.
Il y a possibilité d'échanges.
La communication est directe.
— Le Réfèrent est présent et commun (c'est le thème, encore appelé « domaine d'expérience » ou
DE).
Il n'est pas matériel.
— Situation de discours :
• L'élève est un TU qui reçoit un discours (le
questionnaire) qu'il va essayer d'élucider.
— Le canal est oral lors de la concertation (interviennent donc des faits prosodiques et gestuels),
et graphique lors de la transcription des questions.
• Cette elucidation « sauvage » (puisque non organisée) se fait à travers une concertation : « qu'est-ce
que tu crois qu'il a voulu d i r e ? » , «moi, je crois
que... ».
SITUATION DE DISCOURS
La fonction polémique existe donc, mais à travers
le métalangage d'élucidation.
— JE-TU. Il s'agit de « camarades de classe » sans
interférence du maître. Donc la distance est faible
(familière) entre JE-TU.
A ce titre chaque élève est un JE engagé dans le
discours qu'il produit, puisqu'il n'a pas à réciter un
savoir qu'il aurait dû apprendre.
Lorsqu'il est TU, c'est un camarade qu'il écoute, mais
il est probable qu'il ait tendance à l'interpréter à
travers son propre univers de signification.
Par conséquent on est bien dans le cas où chaque
individu du groupe voit son interlocuteur d'un certain point de vue (voir Préalables p. 30) et donc la
fonction polémique peut jouer à plein, encore qu'il
est peu probable qu'ils sachent élucider leur propre
discours à l'intention de l'autre ou des autres.
— JE-énoncé : C'est à voir. En principe dans cette
première étape chaque JE devrait prendre en charge
son propre discours.
— JE-énoncé : Cette fois il ne devrait pas y avoir
« prise en charge totale » des discours, parce que
le JE sait qu'il ne fait qu'interpréter (d'où l'abondance des « modalités non assertives » : je crois que,
je pense, probablement...).
—- JE-référent : Le réfèrent, ici, est le questionnaire
étudié.
Le D.E. est donc unique et commun.
Mais le point de vue sur le questionnaire pourra
varier, car étudier chaque question c'est l'envisager
en fonction des réponses possibles qu'imagine chaque
élève et qui l'engagent plus ou moms.
La procédure discursive est, ici, la procédure métalinguistique d'élucidation.
— JE-référent : Le réfèrent est bien limité et structuré par le thème. Il s'agit du domaine d'expérience
à propos duquel vont être produits les discours.
2. SEANCE COLLECTIVE D'ELUCIDATION
(4.2.2. et 4.2.3.)
Ce D.E. est donc unique, et chaque discours produit
est une façon pour le JE de révéler son « univers de
signification » à propos de ce D.E.
Cette fois l'élucidation est organisée :
Quant à la procédure discursive, il s'agit d'une « procédure interrogative » qui correspond précisément à
l'activité d'enquête.
2. Vérification linguistique des questionnaires
— Un groupe (A) répond aux questions d'élucidation que lui pose le groupe (B) :
• Lorsqu'il est questionné, il est TU.
• Lorsqu'il répond il est JE devant un groupe TU,
les autres groupes étant témoins (ce qui est important) .
1. CONCERTATION POUR PRISE
DE CONNAISSANCE DU QUESTIONNAIRE
D'UN AUTRE GROUPE (4.2.1.)
— Le maître est un « archi-témoin » dans la mesure
où il assiste à l'ensemble du débat et doit noter Q
et R. Mais il est aussi un JE multiple lorsque, pour
animer et organiser les échanges il s'insère dans les
différents circuits de communication.
— La situation
qu'en 1.
Il doit être vigilant de façon à ce que le débat, à
ce stade, reste dans le cadre de l'élucidation.
de communication
est la même
79
(A)
(D)
Témoins
N.B. La situation de C est encore la même que précédemment.
ment : « C'est un refoulé » ), il y a des discours
intermédiaires qu'ils doivent élucider.
La situation de D est issue des remarques ci-dessus,
mais on pourra s'interroger d'une façon plus précise sur les rapports qui s'établissent entre les groupes, après observation.
4. Enfin, nous ferons une dernière série de remarques, à propos du dernier moment de cette expérimentation : les résultats (5).
3.
TRAITEMENT DES REPONSES (4.4.)
Les circuits sont à peu près les mêmes qu'en 2
(concertation - séance collective d'elucidation).
On remarquera cependant :
— Le D.E. est multiple, mais limité, dans la mesure
où chaque groupe traite un échantillon de réponses
à plusieurs questions.
— La situation du discours n'est pas tout à fait
identique, dans la mesure où il ne s'agit plus de
questions, mais de réponses aux questions qui fatalement engagent beaucoup plus chaque JE.
— Dans cette phase de travail le rôle du maître
est primordial. Il devra veiller à faire comprendre
aux élèves que, bien souvent, entre les réponses
qu'ils reçoivent et les jugements qu'ils portent (ex. :
R « je ne suis jamais sorti avec une fille »). (Juge-
80
— Au moment de l'établissement de la grille, toujours à travers les circuits de concertation-échangeélucidation intra-groupes ou inter-groupes, la procédure discursive est une procédure d'analyse et de
classification, à propos d'un D.E. de nouveau unique.
S'il est demandé à chaque élève de faire un compte
rendu de l'ensemble du travail, on remarquera que :
— Le TU auquel s'adresse son travail écrit, est
considéré comme anonyme ou multiple. (En aucun
cas ce ne doit être le maître — Il faut que l'élève
soit dans la situation d'un JE-journaliste qui fait
un commentaire.)
— La procédure discursive est donc celle du
commentaire, mais passant par le canal graphique
et étant en situation de JE-(TU) -IL ; il devra en
tirer les conséquences linguistiques (contrôle et organisation du discours).
P. CHARAUDEAU
DISCOURS ET ENONCIATION
A. OBJECTIF ET INTERPRETATIF
DANS L'IMAGE
PRELIMINAIRES
Cette fiche est donc le premier moment de notre
série discours narratif : « Etude sur description objective et description interprétative».
Mais elle-même se décompose en trois temps :
— Description d'image fixe.
— Etude de textes divers.
— Production des élèves.
Il s'agit dans cette fiche n° 2 de la « description
d'image fixe » et d'une première découverte, à ce
propos ; de la différence entre description objective
et description interprétative, que l'on retrouvera dans
les expérimentations suivantes sous des aspects différents.
Précisons donc quelques points en ce qui concerne
les objectifs de cet exercice :
a) Tout d'abord, et malgré sa position d'antériorité
par rapport au récit (dans la tactique de notre expérimentation) cet exercice n'est pas du tout destiné à
laisser croire que la description serait première par
rapport au récit, ni1 que le récit serait une suite de
descriptions.
b) Travailler sur la description ne veut pas davantage dire que cette procédure discursive existe à
l'état pur dans la communication. L'observation de
la réalité du discours nous montre en effet, que la
description se mêle constamment à d'autres procédures discursives et que ce n'est que dans des fragments de discours ou dans des situations très particulières que nous la voyons se manifester comme
telle.
c) C'est précisément pour cette raison que nous
avons imaginé une procédure expérimentale qui
nous oblige à isoler la description pour permettre
aux élèves de mieux l'interroger et ainsi d'en être
moins dupes.
d) Pourquoi « d'en être moins dupes » ? Et bien,
précisément, parce qu'en fait une description n'est
pas, par définition, objective. Elle le sera plus ou
moins selon la façon dont le sujet parlant interviendra dans cette procédure discursive.
C'est pourquoi nous voulons nous interroger, avec
les élèves sur la différence description objective description subjective ou mieux interprétative car
il se trouve que la plupart du temps, c'est celle-ci
qui masque celle-là, en « trompant » ainsi l'interlocuteur (TU).
e) Mais cette opposition objectif-interprétatif
complexe :
est
— Premièrement convaincu que tout discours véhicule une vision subjective {au sens de relatif au
sujet) de l'univers, nous cherchons cependant à
voir ce que serait un discours plus ou moins objectif
et un discours plus ou moins interprétatif.
— Deuxièmement nous voudrions montrer que les
différentes formes de cette opposition relèvent toutes
d'un principe épistémologique général (opposition
sens-signification) et qu'en même temps ces différences sont justifiées par la procédure discursive qui
manifeste cette opposition.
C'est pourquoi nous vous proposons cette fois une
réflexion sur la description de l'image fixe.
Quelques mots sur la procédure d'expérimentation :
Celle-ci (qu'il s'agisse d'exercices, de jeux, etc.) n'est
jamais une fin en soi. Elle est destinée à placer les
élèves dans une double situation d'opposition par
rapport aux uns, de complicité par rapport aux autres, parce que nous sommes convaincus que le
savoir se construit à travers des rapports de communications polémiques (situations conflictuelles) et que
l'école est le lieu, non pas de la transmission d'un
savoir tout fait, mais de la découverte d'une multiplicité de savoirs qui se construisent entre les individus.
81
C'est pourquoi les circuits de communication mis en
œuvre dans cette expérimentation seront décrits succinctement en insistant sur les points les plus importants, d'autant plus que vous avez toujours la possibilité de compléter cette description en utilisant le
questionnaire de la « Réflexion pour une typologie
des discours » de la fiche n° 1.
Nous vous présentons donc le déroulement de l'expérimentation, les hypothèses scientifiques qui la
sous-tendent, les circuits de communications qu'elle
met en jeu et un compte rendu des premiers travaux.
2.
Procédure
2.1. FAIRE DECRIRE UNE IMAGE
La description fera apparaître :
des composantes subjectives,
des composantes objectives.
Jeu de la subjectivité — niveau iconographique de
l'image.
Jeu de l'objectivité — niveau iconique (2).
2.2. SITUATION DE COMMUNICATION
I - PRESENTATION DE LA FICHE
1.
Objectifs
L'image est décrite :
— par un groupe d'élèves qui ne la voit pas et
qui interroge ;
— par un groupe d'élèves qui l'observe et qui répond.
Début d'une expérimentation progressive sur le discours narratif selon le schéma :
Procédure discursive de description. — Procédure
discursive de dialogue et récit. — Etude des structures narratives. — Réemploi.
Cette situation mettra en lumière une des raisons
du blocage de la communication :
— aux questions ou aux réponses subjectives fera
suite l'incompréhension du groupe d'en face et
1' « opacité » de la communication ;
— aux questions ou aux réponses objectives fera
suite une « transparence » de la communication.
1.2. ARTICULATION
DESCRIPTION/NARRATION
2.3. DESSIN DE L'IMAGE
ET CONFRONTATION
Cette distinction est pour l'instant méthodologique.
En théorie, description et narration peuvent être
consubstantielles. En pratique, on cherchera pourtant à éliminer autant que possible les séquences
narratives de la description.
L'image est dessinée par tous les élèves du groupe
qui questionne.
1.1. POINT DE DEPART
Tous les dessins sont ensuite confrontés.
On fait l'étude des variations.
1.3. RECHERCHE DE LA DESCRIPTION
OBJECTIVE
Opposer description objective/description interprétative.
1.4. «TRANSPARENCE» OU
DE LA COMMUNICATION
«OPACITE»
Faire apparaître que l'objectivité du discours permet
mieux « le transfert du sujet d'énonciation sur le
récepteur» (1).
(1) Langue française (Linguistique et société, n° 9, L.
Courdesses (p. 25).
82
3.
Préparation
3.1. CHOIX DE L'IMAGE
Pour ne pas transformer l'exercice en devinette, on
veillera aux conséquences de cette sorte qu'entraînerait le choix d'un dessin humoristique.
Choisir de préférence une image « neutre ». Un dessin trop fortement codifié est immédiatement l'objet
(2) Selon une distinction établie par Umberto Eco (Communication n° 15), voir volet B, page 7.
d'une lecture au niveau iconographique. Il permet
mal d'opposer description objective/description subjective. (On reconnaît vite un personnage célèbre, un
être ou un objet stéréotypé).
3.2.
SENSIBILISATION
On annoncera aux élèves un exercice sur l'objectivité
et la subjectivité du discours.
Si cette préparation risque d'être incomprise on
cherchera des activités de sensibilisation :
— examen rapide d'une affiche (cinéma, publicité)
connue,
— projection d'une image, puis elle est retirée, on
s'efforce de la décrire de mémoire, etc.
Ces jeux feront apparaître la diversité des interprétations. La présente fiche permettra ensuite de mieux
comprendre la raison de cette diversité.
3.3. ENREGISTRER OU NOTER QUESTIONS
ET REPONSES
Il est particulièrement important d'enregistrer Q
et R dans cette expérimentation (cf. 4.2.).
4.
Déroulement
4.1. DESCRIPTION ET DESSINS
DE L'IMAGE
4.1.1. Créer deux groupes
— L'un détient l'image.
— L'autre veut la connaître et doit la dessiner (sans
attacher d'importance à la valeur esthétique de
son dessin).
On recommande les groupes peu nombreux (5 ou
6 maximum). On cherchera toutefois comment pratiquer cet exercice dans une classe nombreuse (créer
plus de deux groupes ? le reste de la classe est témoin ?).
1.2.4. Les deux groupes peuvent se concerter quelques instants auparavant (mise au point d'une tactique commune de description ou d'interrogation).
4.1.3. Questions et réponses
a) Le maître n'interviendra absolument pas dans
cette phase. Il note Q et R et observe le fonctionnement des 2 groupes.
b) Le fonctionnement pourrait se faire de la façon
suivante : un élève du groupe A (sans image) demande à un élève (en le nommant) du groupe B
un renseignement sur l'image. L'élève de B doit
fournir le renseignement (sans chercher à tromper
son interlocuteur), puis un autre de A pose une
autre question à un autre de B de la même façon
et ainsi de suite de façon à découvrir progressivement les détails de l'image.
4.1.4. Dessins
Chaque élève du groupe A doit faire sa propre représentation graphique en utilisant tous les renseignements fournis par les élèves du groupe B.
4.2. CONFRONTATION :
PHASE COLLECTIVE
4.2.1. Comparaison des dessins et relevé des variantes. Essayer d'expliquer d'après les renseignements fournis à quoi tiennent ces variantes :
— formulation de la Q ;
— formulation de la R ;
— interprétation de la R par l'élève questionneur ;
(se servir de l'enregistrement de la séance).
Il s'agit en travaillant sur les discours produits de
montrer :
— ce qui a permis à la communication de passer
(probablement la dimension objective) ;
— ce qui a bloqué la communication dans ce type
d'exercice (probablement la dimension subjective).
4.2.2. Phase proprement interprétative
Cette phase se fera collectivement. Le travail n'est
plus organisé par groupes. Le professeur suscitera
le débat en lançant des questions générales du type :
« Que veut dire le dessin ? Quelle est votre interprétation ? Quelle impression vous laisse le dessin?»
a) Les élèves devront se livrer à une interprétation
personnelle du dessin.
b) Ils devront justifier leur interprétation d'après
les données objectives du dessin (par ce travail il
sélectionnera les traits pertinents dans le dessin qui
concourent à son interprétation).
Le maître, tout en laissant au débat sa liberté, devra
inciter les élèves à justifier leur interprétation.
A l'issue de ce travail un regroupement des interprétations devra être effectué avec indication de l'en83
semble des traits pertinents (du dessin) correspondants.
Mise au point des diverses interprétations de chaque
dessin :
— formulation (verbale) ;
— justification : recherche des signes iconiques
justifiant ces interprétations et classement de ces
signes.
c) Montrer que chacune de ces interprétations trahit
un univers de discours psycho-socio-culturel et en
tant que tel démasque le JE.
4.3. RENOUVELLEMENT :
INVERSION DE LA SITUATION
(facultatif)
5.2. STOCKAGE DES RESULTATS pour la poursuite de l'expérimentation sur le discours narratif.
Choix d'une nouvelle image.
Inversion des deux groupes.
Confrontation des dessins.
5.
5.3. NE PAS OUBLIER L'APPORT CRITIQUE DU
MAITRE SUR L'EXPERIENCE dans son ensemble.
On peut imaginer d'en faire un compte rendu aux
élèves.
Résultats
Ce sera une occasion pour le maître de présenter
son point de vue sur le déroulement et l'aboutissement de l'expérience (moment de mise au point
n'ayant pas le caractère d'une conférence). Ainsi
les élèves pourront devenir autres que de simples
agents de l'expérimentation : c'est-à-dire à leur
tour des observateurs critiques.
Les résultats ne seront que transcription des notes
prises au cours des différentes phases.
5.1. CLASSEMENT SEMANTIQUE
DES DIFFERENTES INTERPRETATIONS
Pour les deux dessins étudiés.
FIG.
1
(Dibujos humorísticos Siglo XXI)
84
« J'ai l'intention de me mettre à vivre très bientôt. »
(Brilliant enterprises)
FIG.
2
FIG.
3
II - HYPOTHESES SEMIO-LINGUISTIQUES
SOUS-JACENTES
à l'adresse d'un certain TU dans une certaine situation énondative.
1. Rappel de l'opposition sens-signification
— Ce discours véhicule à la fois un sens, qui est
le résultat de l'établissement d'un consensus entre
JE et TU, et une signification, qui est le résultat
de la spécificité que le JE investit dans son discours
en fonction de la vision qu'il a du TU et du Monde
(il) — la situation énonciative.
1.1. Nous renvoyons à «réflexion pour une typologie des discours » de la fiche n° 1 pour ce qui est
de l'exposé de notre conception de la communication
linguistique, conception qui fonde cette opposition.
Nous nous contenterons donc de rappeler :
— Tout procès de communication se définit comme
étant la production d'un discours par un certain JE
ENONCE
(usage-consensus)
SENS
-f-
— Méthodologiquement, nous avons donc été amené
à poser :
SITUATION ENONCIATIVE
= DISCOURS
>(spécificité)
SIGNIFICATION
85
1.2. Nous voudrions maintenant préciser un point
en ce qui concerne cet énoncé-sens pour éviter des
interprétations déviantes.
Nous avons dit que « l'Enoncé contenait un sens
global — celui qu'on peut lui donner hors-contexte —•». Or une telle formulation pourrait laisser
croire que l'énoncé serait un degré zéro du sens
qui existerait préalablement à tout discours et au-,
quel se superposerait purement et simplement une
signification.
En fait, il n'existe pas de sens à l'état pur, et ce sens
dépend lui-même du contexte dans lequel est produit
le discours (polysémie du sens). Sans signification
il n'y aurait pas sens et inversement. Cependant, et
malgré cette interdépendance, on peut croire à l'existence du sens (outre sa nécessité sur le plan méthodologique) car il ne peut qu'exister de par le besoin
d'établir des consensus dans une communauté sociolinguistique (sinon pas de communication possible)
et puis parce qu'on peut l'isoler expérimentalement
(cf. : «Réflexion pour un typologie des discours»,
2.1.).
C'est pour cela que nous avons précisé : le sens dépend d'une probabilité d'usage des phrases alternatives » (p. 8). C'est-à-dire que le sens lui-même
répond à une codification, mais codification la plus
générale d'une communauté socio-linguistique donnée qui rend l'énoncé « radicalement objectif et
innocent » comme dirait R. Barthes.
En regard de cela, la signification répond à une
codification idiolectale (c'est-à-dire les composantes
psycho-socio-culturelles de l'individu) qui traverse
le sens de l'énoncé pour rendre le discours, nous
dirons par symétrie, radicalement subjectif et noninnocent. Et, du même coup, si l'énoncé est clair
au TU, le discours est une énigme à découvrir.
2.
L'image
Nous voudrions vous présenter maintenant quelques
définitions des différents « messages » que contient
l'image d'après R. Barthes, en essayant de les raccrocher à notre théorie.
2.1.
L'IMAGE DENOTEE
a) R. Barthes dit
o Elle ne se rencontre jamais à l'état pur.
86
• Elle véhicule le « message privatif » qui reste
après effacement (mental) de toutes les connotations (interprétation symbolique).
• Elle a une « fonction d'identification » comme
premier degré de l'intelligible à travers un « savoir
anthropologique perceptif ». Par exemple, dans le
cas de l'image publicitaire qu'il analyse, ce serait
savoir ce qu'est une tomate.
• Elle est radicalement «objective et innocente».
b) Nous dirons :
— L'image dénotée correspond au sens d'un énoncé.
—• Mais le savoir qui la définit est plus large que
celui du sens puisqu'elle s'adresse à nous par le
canal perceptif. Par conséquent le savoir qui la
définit correspond plutôt à une codification anthropologique comme le dit R. Barthes, mais nous n'irons
pas jusqu'à dire, comme lui, que c'est « un message
sans code ».
— A la suite de U. Eco nous dirons qu'il s'agit de
la dimension « iconique » de l'image (R. Barthes
parle de « message littéral » et réserve le terme
« iconique-codé » au message symbolique de l'image).
c) La description objective de l'image consistera
donc à inventorier les élément présents dans une
image en les qualifiant par des termes qui les identifient indépendamment des autres éléments.
Ex. : Fig. 1 (1) — Il y a un homme qui porte
chapeau haut-de-forme, lunettes, moustache, etc.
Fig. 2 — Un personnage est assis devant une table,
sur laquelle se trouve un livre, etc.
Fig. 3 — Il y a un personnage avec un balai, il porte
une casquette à carreaux, etc.
C'est donc essayer de « parler le sens littéral » de
l'image privée de la spécificité des situations énonciatives particulières qui pourraient la signifier.
2.2. L'IMAGE CONNOTEE
a) R. Barthes dit :
e Elle véhicule un message symbolique, culturel
dans des signes discontinus qui traversent l'image
dénotée.
• Elle dépend d'interprétations qui sont variables
selon les individus, mais interprétations non-anar(1) Pour les figures, voir à la fin de cette étude.
chiques car dépendant chacune du type de savoir
investi (pratique, national, culturel, esthétique).
b) Nous dirons
— L'image connotée correspond à la signification
du discours.
— Le savoir qui la définit est de type idiolectal et
dépend de composantes psycho-socio-culturelles, ce
qui n'exclut pas que la spécificité de ce savoir appartienne au groupe. On s'en rend bien compte avec
des dessins fortement codifiés. Par exemple la figure 3 peut être lue à travers une grille (codification) socio-politique, et la symbolisation qui en
résulte n'appartient pas en propre à tel ou tel individu, mais à l'ensemble de ceux qui ont cette grille
en commun.
—• A la suite de U. Eco nous dirons qu'il s'agit de
la dimension « iconographique » de l'image.
c) La description interprétative de l'image consistera à mettre en relation les éléments précédemment
nommés au niveau objectif pour en tirer une symbolisation :
Ex. : Fig. 1 — Un grand capitaliste est assis sur
ce qui représente le fardeau du travailleur. L'oppresseur écrase l'oppressé.
Fig. 2 — Le personnage essaie de fuir la prisonculture en essayant d'atteindre par le rêve la liberténature.
Fig. 3 — Lénine balaie ce qui représente la bourgeoisie-aristocratie capitaliste.
Mais il ne faut pas oublier que cette interprétation
symbolisante dépend d'une situation énonciative,
[c'est-à-dire des composantes psycho-socio-culturelles de l'individu qui interprète], et que, de plus,
cette interprétation est un acte de discours qui
s'adresse à un certain interlocuteur (TU). On se
reportera, à ce propos, au volet C de cette fiche,
et on constatera que certaines interprétations
n'étaient que la marque d'une opposition d'un élève
vis-à-vis d'autres.
Ainsi dans ces trois figures, selon le rapport II
(— JE —) TU on pourrait avoir :
Fig. 1 — Un riche propriétaire terrien est assis sur
une énorme pomme de terre (on voit que dans ce
cas, pomme de terre est plus du côté interprétatif
qu'objectif, ce qui nous rappelle la valeur du contexte) qui écrase le pauvre agriculteur. Celui-ci ne tire
pas les bénéfices de son travail.
De plus surgit l'ironie si l'on dit que cette pomme
de terre a un « visage humain ».
Fig. 2 — Voir interprétations des élèves : « c'est un
bohème », « c'est un romantique ».
Fig. 3. — « Plus précisément il s'agit des conflits au
Moyen-Orient », etc.
EN RESUME : Pour un type d'image donné dire :
« il sourit » c'est de l'iconique-objectif ; dire : « il
est heureux», c'est de l'iconographique-interprétatif. Dire : « il a les yeux bridés » c'est de l'iconiqueobjectif, dire : « c'est Lénine ou Ho Chi-Minh »
c'est de l'iconographique-interprétatif.
On remarquera enfin que cette description interprétative peut faire surgir des procédures discursives
variées :
— narrative : une histoire induite de l'image avec
son avant et son après ;
— evaluative : les jugements portés sur l'image ;
— analogique : le paysage c'est la liberté, etc.
3. Remarques en rapport avec l'expérimentation
• A PROPOS DU CHOIX DES IMAGES, on
constatera qu'un dessin trop fortement codifié présente un double inconvénient :
— L'interprétation a tendance à passer en même
temps que la description (ex. : il est plus facile de
dire « Lénine » que « personnage aux yeux bridés», «à casquette et barbiche» ou bien «gros
capitaliste » que « gros bonhomme à chapeau hautde-forme... ».
— Du même coup, la phrase interprétative n'a plus
de raison d'être et ce d'autant plus que l'image est
plus fortement codifiée, car elle fait obstacle à la
projection de situations énonciatives variées.
— D'autre part, bien que l'expérience n'ait pas été
tentée, une image de type surréaliste ou onirique,
risque de présenter les mêmes inconvénients car la
lecture de l'image ne peut se faire qu'au niveau
interprétatif-symbolique.
•— Enfin, on doit pouvoir essayer avec une photo (1) (non truquée) encore que souvent l'abondance
des éléments et la couleur soient un obstacle à la
description.
(1) Sur la différence photo-dessin, du point de vue image,
voir R. Barthes : « Rhétorique de l'image », in Communication 4.
87
• A propos de la description objective, on ne
confondra pas « nomination et qualification objective des éléments du dessin » avec « figures ».
Dire d'un personnage : «c'est un capitaliste», c'est
interpréter le dessin, dire «il a un gros ventre»,
c'est le décrire objectivement, mais dire : « il y
a une boule ronde et en-dessous deux traits verticaux terminés par deux petits traits horizontaux »,
c'est livrer des « figures » du dessin au sens de
composantes perceptives n'ayant aucun sens en soi
et dont la combinaison seule, forme une unité d'ordre
supérieure qui, elle, a un sens.
P. CHARAUDEAU
Nous avons affaire, ici, à deux groupes A et B :
— Le groupe A n'a pas d'image. Aucun des membres
du groupe A n'a de renseignements sur l'image, on
peut donc considérer qu'ils n'ont pas besoin de se
concerter.
De plus, chacun des membres du groupe doit exécuter un dessin individuel, donc il n'est pas affecté
à une tâche collective, ce qui fait que ce groupe
n'est qu'une juxtaposition d'individus qui ne travaillent pas en commun. Leurs seuls points communs :
• Ils cherchent tous à obtenir la même information
(mais pour le compte de chacun d'eux).
e Ils tirent parti des réponses fournies par le groupe B à chacun des autres membres du groupe.
n i - DESCRIPTION DES CIRCUITS
DE COMMUNICATION MIS EN ŒUVRE
DANS L'EXPERIMENTATION
Ce groupe se définit donc par une situation imposée
et il ne forme pas un véritable NOUS, bien que chacun des membres ne soit pas séparé des autres.
-^ Le groupe A est un groupe à JE
Il s'agit de décrire les circuits de communication
des deux phases principales de l'expérimentation :
la phase de description (et exécution du dessin) et
la phase de confrontation (et interprétation du dessin).
N.B. Pour les composantes de la situation de communication et de la situation de discours, nous renvoyons aux hypothèses scientifiques de la fiche n° 1 :
« L'enquête socio-culturelle dans et par la classe »
(cf. : surtout le questionnaire final).
individuel.
— Le groupe B a une image. Autrement dit tous les
membres de ce groupe possèdent le même stimulus
(nous n'osons pas dire le même réfèrent parce que
nous ne savons pas si chaque membre du groupe
perçoit — et donc structure — le dessin de la même
façon).
Les quelques instants de prise de connaissance du
dessin ne constituent pas une véritable concertation
puisque les membres du groupe ne doivent pas arriver à résoudre un problème, ni à construire un
savoir.
1. Description et dessins de l'image (volet A.4.1.)
Il faut comprendre que la plupart de ces expérimentations prévoient un circuit de communication théorique que le comportement des élèves modifie quelque peu. C'est pourquoi nous sommes amené à
distinguer une situation théorique et une situation
de fait (qui n'est qu'un ensemble de suppositions
quant à la modification de la description théorique,
ce qui ne détruit pas pour autant l'existence de ce
circuit de communication).
1.1.
SITUATION THEORIQUE
a) Réseau de communication
C'est pour nous l'organisation des rapports dans
lesquels se trouvent les individus à l'intérieur d'un
groupe ou les groupes les uns vis-à-vis des autres.
88
Chacun des membres sera seul à répondre à la
question du groupe A et par conséquent, malgré
l'impression de plus grande cohésion donnée par le
stimulus commun, c'est un groupe identique au précédent.
—» Le groupe B est un groupe à JE individuel.
— Le rapport Gr. A («s-») Gr. B : La véritable
communication s'établit entre ces 2 groupes de la
façon suivante :
• Le groupe A est demandeur d'informations par
chacun de ses membres.
• Le groupe B est donneur d'informations par chacun de ses membres, mais étant donné que ces informations ont une même source, on considère qu'il
s'agit là d'un réseau centralisé, ainsi représenté :
Q
Gr. A
b) Situation de communication
Nous nous contenterons de faire remarquer :
• Pour les 2 groupes, le TU (représenté par un
membre de l'autre groupe) est présent et pris individuellement.
• Il y a possibilité d'échanges et la communication
est directe.
• Le réjérent est connu du groupe B, inconnu du
groupe A (donc non-commun). Il est matériel c'està-dire perceptible physiquement.
a Le canal est oral lors de l'échange (interviennent
donc des faits prosodiques et gestuels dans la
communication-réponse de B vers A, dont A aura
à tirer parti pour sa représentation dessinée).
c) Situation de discours
On fera les remarques suivantes :
• A et B échangent sans interférence du maître,
donc la distance JE-TU est faible (familière).
• La possibilité de rapport polémique entre JE et
TU est cependant presque inexistante dans cette
phase. En effet :
JE-A ne considère TU-B que comme une source
d'information sur laquelle il n'a d'ailleurs aucune
prise.
JE-B livre son information à TU-A sans savoir ce
que celui-ci va en faire (puisque JE-B ne voit pas
le dessin qu'exécute TU-A).
Mais voir aussi la situation de fait (1.2.).
1.2.
SITUATION DE FAIT
Elle concerne principalement la situation de discours.
Gr. B
a) Cependant pour le réseau de communication, on
pourrait faire la remarque suivante :
Si on décide que le groupe B se concerte un long
moment et prépare et organise sa description, il
pourrait alors se faire que chacun des membres qui
répondra aux questions de A se soumette à la vision
du groupe (qui formerait un NOUS), auquel cas
chacun serait un JE-porte-parole du groupe NOUS.
b) Pour la situation de discours on se reportera au
volet C, et on remarquera, à travers les différents
dialogues des élèves, que ces lois du genre ne sont
pas strictement respectées. En effet :
— tantôt un membre du groupe A et un membre
du groupe B se heurtent parce que A ne comprend
pa (ou ne voit pas ce qu'il peut faire de) l'information de B ;
— tantôt les membres du groupe B ne sont pas
d'accord entre eux sur l'interprétation (objective ?
interprétative ?) du dessin et « s'empoignent ». Un
très fort rapport polémique (qui peut aller jusqu'à
la rupture) s'instaure entre eux ;
— tantôt le maître peut intervenir (encore que ce
ne soit pas souhaitable dans cette phase) et alors le
réseau et les rapports se trouvent modifiés.
2. Confrontation et interprétation de l'image
(volet A.4.2.)
Cette phase est d'une extrême importance car elle
correspond à l'objectif précis de l'expérimentation :
— Prendre conscience de la double « lecture » objective interprétative.
— Prendre conscience que la « lecture interprétative » engage totalement le JE qui la produit en s'y
révélant.
2.1.
a)
SITUATION THEORIQUE
Réseau de
communication
Ce réseau est assez complexe, mais on doit y trouver,
réalisés différemment ces trois temps principaux :
• Premier temps : Echange général des interprétations dans un réseau circulaire (il n'y a plus de
Gr. A ni B).
— d' « agression » par rapport à ceux qui n'ont pas
la même interprétation que lui ;
— de « complicité » par rapport à ceux qui ont la
même interprétation.
Tout JE se trouve donc dans le rapport triangulaire.
IL
• Deuxième temps : Regroupement des interprétations par affinités (sous une étiquette sémantique) .
• Troisième temps : Justification pour chaque nouveau groupe de ses interprétations en rapport avec
les données objectives de l'image.
TU
Mais il n'arrivera à prendre conscience de cela que
lorsqu'il se rendra compte que son interprétation
du IL dépend des TU avec lesquels et contre lesquels
il s'inscrit, c'est-à-dire dépend des rapports de son
système « idéologique » à celui des autres et que
selon la « force d'action » des autres sur lui, il est
amené ou non à modifier son interprétation du IL.
2.2. SITUATION DE FAIT
Elle sortira du déroulement effectif de l'expérimentation et il est difficile de prévoir les modifications apportées par cette situation à la situation
théorique précédemment décrite.
Mais c'est ici, que nous voudrions nous interroger
brièvement sur le rôle du maître.
En effet, celui-ci sera amené à jouer tel ou tel
rôle selon la classe dans laquelle il se trouve, selon
les rapports qu'il entretient avec ses élèves (c'est-àdire aussi bien du point de vue du maître sur les
élèves que des élèves sur le maître).
Essayer de convaincre les autres groupes de la
cohérence de leurs interprétations (donc plusieurs
réseaux centralisés successivement sur le ou les groupe(s) à influencer).
b) Situation de
communication
Elle est identique à celle de la phase précédente à
cette différence près que le réfèrent est cette fois
commun à tout le monde.
c) Situation de discours
Cette fois la fonction polémique du discours devrait
jouer à plein puisque chaque élève s'insère dans un
double circuit :
90
• Dans cette phase il aura un rôle très délicat à
jouer, car tout en ne s'imposant pas (c'est-à-dire
n'imposant pas son « univers de pensée » à lui)
c'est lui qui devra amener les élèves à la prise de
conscience dont nous avons parlé. Il doit veiller à :
— bien installer les différents circuits de communication ;
— amener discrètement les élèves à leur faire prendre conscience de la double lecture ;
— provoquer la « situation conflictuelle » finale tout
en maintenant les circuits de communication ;
— faire prendre conscience de la relativité du savoir
aux univers de pensée qui sont derrière les différents JE et TU, que le savoir naît de ces rapports,
qu'il existe donc, mais qu'il a des aspects multiples
et féconds.
IV - COMPTE RENDU
DES PREMIERS RESULTATS
1. Conditions matérielles
1.1. CLASSES INTERESSEES
PAR L'EXPERIMENTATION
Le travail a été expérimenté en :
Terminale B (Argenteuil, 10 élèves), dessins 1, 2.
Seconde (Meudon, 34 élèves), dessins 1, 2, 3.
Quatrième (Gonesse, 24 élèves), dessin 1.
Cinquième (Gonesse, 24 élèves), dessin 1.
Sixième (Edgard-Quinet, 2 groupes de 16), dessin 3.
Toutes les classes se sont intéressées à l'expérimentation sauf la 4e de Gonesse qui a refusé le travail
parce que c'était «bébé».
1.2.
MATERIEL ET SITUATION
Toutes les classes sauf la seconde de Meudon disposaient d'un magnétophone. Les 6e8 sont enregistrées
en cassette, l'écoute est presque inaudible. En terminale, la cassette est efficace parce que le groupe
est très petit. En 5e pour la phase préparatoire (préparation par groupe) deux groupes travaillent dans
le couloir pendant que le professeur écoute le
3* groupe se concerter et enregistre. En seconde
l'expérience est menée deux fois. La première sans
magnétophone, les questionneurs rédigent. La seconde avec sept magnétophones et sept groupes
travaillant de manière autonome.
1.3. DUREE DE L'EXPERIENCE
Terminales, 3 heures. Deux heures pour la description-interprétation, une heure pour l'écoute.
Seconde, 3 heures. 1 h description, 1 h confrontation
interprétation par groupe, 1 h présentation des diverses interprétations.
Cinquième, 1 h réemploi une semaine après.
Sixième, 1 h dans chaque groupe ; description et
interprétation collective. Réécoute impossible. Il sera
possible d'étudier un passage de la transcription
faite par le professeur.
2.
Commentaire critique des résultats
L'objectif du travail est double. L'un porte sur la
différence entre l'objectif et l'interprétatif, l'autre
sur l'établissement de circuits de communications
divers dans la classe. Nous présentons ci-dessous,
les résultats des travaux dans les classes intéressées
ainsi qu'une analyse détaillée des circuits de communications qui se sont établis dans la seconde de
Meudon.
2.1.
OBJECTIF-INTERPRETATIF
L'expérimentation prévoit une brève présentation
aux élèves des notions. En terminale les élèves ont
compris d'emblée les termes proposés. En seconde
le professeur a sensibilisé ses élèves en leur montrant une affiche Lewi's. En 6e aucune présentation
n'a été faite, seule la consigne : bien décrire pour
qu'on puisse dessiner. Les termes ont été prononcés
au moment des interprétations mais semble-t-il pas
très bien compris.
Conclusion : Il semble préférable de sensibiliser
avant. La publicité Lewi's semble bien rendre.
a. La description
Toutes les descriptions comportent des éléments interprétatifs.
Quand les questions démarrent sur un détail la description demeure très longtemps descriptive. Des
réponses par oui et non font durer la description très
longtemps, presque l'heure. L'interprétatif surgit
souvent par une question :
ex. : il réfléchit ?
il est heureux ?
il est communiste (dessin 3) ?
On peut remarquer dans ce dernier cas que l'interprétation vient de ce qu'une réponse objective précédente a fait naître par association une notion
précise que la question « Est-il communiste ? » veut
vérifier.
Quand la question démarre sur une question générale, la réponse (reliant des éléments divers) est
interprétative :
ex. : Quelle est la situation du dessin ?
R. Spatiale.
91
Les questions suivantes impliquent que le questionneur pense aux astronautes (dessin 2).
Certaines réponses font intervenir des éléments narratifs :
ex. : Est-ce qu'il donne un ordre (dessin 3).
R. Non, mais il en a donné.
A propos de la description, il faut remarquer :
— Que les élèves répondeurs se libèrent mal des
réponses par oui et non.
— Que les questions contraignantes ne donnent pas
de réponses riches.
— Que les répondeurs n'osent pas sortir du terrain
délimité par la question.
— On peut se demander si le groupe qui a le dessin
ne devrait pas commencer par donner avant toute
question un élément de renseignement.
— Que les élèves les plus jeunes partent d'un détail
et s'y maintiennent si bien que l'erreur du dessin
vient non d'une interprétation mais de l'intervention
tardive du renseignement qui donne la synthèse.
Ex. : dans le groupe de 6e on a parlé 3/4 d'h d'un
seul personnage (dessin 3) et tous les dessins minimisent la boule.
b. Confrontation des dessins, recherche
de la cause des erreurs
C'est l'étape la plus importante pour qu'on comprenne que la non objectivité est cause de la non transmission du savoir.
C'est la plus difficile parce qu'elle suppose la réécoute de toute la description.
En terminale les élèves ont tout réécouté, très passionnés par leur propre texte.
En 6e une partie du texte était inintelligible.
En 2e au cours de la deuxième expérience les élèves
aidés du professeur ont tout réécouté, transcrit et
commenté. Il s'agit-là d'une réussite limite qui a
demandé un très gros effort mais qui a donné des
résultats assez exceptionnels (voir annexe).
Remarques : à ce stade se déclenche aussi bien chez
les grands que chez les petits une procédure d'accusation réciproque, cherchant à établir la faute
du groupe adverse, c'est le moment polémique (voir
analyse des circuits de communication en seconde).
92
c. Interprétation du dessin
Elle s'est faite de manière différente.
En terminale, collective.
En 6e, collective.
En 2e par groupes, les groupes ont discuté ensemble
de leurs interprétations et ont à leur tour présenté
chacun les diverses interprétations et les justifications « iconiques ».
En 5e chaque élève a fait ses remarques par écrit,
donnant souvent beaucoup d'interprétations chacun.
Les 6e" donnent peu de précisions à partir du dessin,
elles ¡inventent.
Les terminales arrivent confusément à repérer qu'ils
interprètent à partir de leur propre situation.
Une seconde constate qu'il ne peut interpréter Lénine parce qu'il ne le connaît pas.
En général les différentes interprétations sont attribuées au caractère ouvert du dessin plutôt qu'à des
différences socio-culturelles. Une prise de conscience
qu'une interprétation venait d'un camarade issu d'un
C.E.G. et très attaché à des explications techniques
et souvent opposées à celles du groupe, s'est faite
en l'absence du camarade.
Conclusion
— On a bien compris ce qu'est une description objective.
— On a bien vu que l'interprétation bloque la
communication.
— Bien recherché les éléments iconiques justifiant
les diverses interprétations mais presque pas entrevu
quels éléments subjectifs jouaient dans l'interprétation.
d. Apport non prévu
— La création spontanée et extra-rapide de petits
récits (en 6 e ).
— Des questions ou réponses portant sur le caractère du dessin, le style, son caractère achevé ou
inachevé, la caricature, etc. (partout).
— L'apparition d'un discours collectif non polémique, ou chacun prélève dans le discours qui précède un élément qui l'aide et qu'il complète ; chaque
Je se comporte alors comme élément d'un Nous.
— La difficulté pour le professeur de rester un
élément passif. Tentation de faire aller l'exercice
plus vite ; tentation d'intervenir chaque fois qu'un
bloquage se manifeste ou un conflit violent.
— Découverte sur la procédure questions-réponses :
le groupe répondeur a le savoir et les références,
mais ne peut s'en servir parce qu'il est soumis au
groupe questionneur. Le groupe questionneur ne
pose jamais de questions ouvertes mais des questions
qui impliquent une réponse supposée et déjà acquise
(voir analyse des circuits de communication).
ANNEXE I
Exemples de questions contraignantes
D. n° 1
Un paysage ? Non.
Un animal ? Non.
Un personnage ? Non.
Il a des poils ? Non.
Un chapeau ? Non.
Un short ? Non.
C'est un homme ? Oui.
Est-il assis ? Oui.
Sur une chaise ? Oui.
Est-il devant une chose ? Oui.
Il a de la barbe ! Non.
Cinquièmes
Remarques : les questions se poursuivent ainsi
pendant une cinquantaine de questions. Jamais
les réponses ne sortent du « oui » ou du
« non ».
— C'est Hochi-min ?
R. Non.
— Il est mort?
R. Oui. Il est très connu (est-ce que je le dis ?).
C'est Lénine.
— Est-ce qu'il tient quelque chose ?
R. Oui, un balai.
— Alors il balaie les capitalistes.
Terminales
Remarques : la réponse objective donne plusieurs éléments objectifs dont l'ensemble
connote objectivement Lénine {pour l'auteur
Mayakovski dessinant pour des russes). Pour
l'élève, les éléments connotent le Vietnam
(yeux bridés).
Lénine plus balai donne directement la bonne
interprétation sans qu'on ait besoin de passer
par la description du capitaliste.
Processus de symbolisation
—- Le sol est un socle.
— Les rayons du soleil : un météorite libérateur.
— Le matelas représente la terre soutenue par l'ouvrier.
— Le socle : la route du temps.
— Un tapis volant.
— L'ouvrier s'envole vers un horizon meilleur, le
capitaliste va tomber.
Deuxièmes
Remarques : construction non polémique.
Recherche d'une erreur
Passage à l'interprétatif
D. n° 2
— Il est habillé comme celui qui est sur la terre ?
R. Il a une casquette à carreaux, un complet noir,
des yeux bridés.
— C'est un vietnamien ?
R. Non.
D. n° 3
(on constate que les dessins ont tous un très gros
soleil)
— On a dit qu'il y avait un gros soleil alors que
c'est un tout petit soleil !
— C'est un gros soleil, parce que, enfin il est tout
petit sur le dessin mais il doit être grand, puisqu'il
n'y a rien comme paysage, il doit être chaud.
93
— Mais nous, on pense à la grandeur ! et tu vois
ce qu'on a mis, alors tu vois la différence ?
Sixièmes
Justification d'une interprétation
D. n" 3
C'est un Anglais.
Pourquoi, à quoi tu le vois ?
Il en a l'air, il a le chapeau ; il a la tête aussi ;
une cravatte.
C'est pas obligé parce que les Français aussi.
Sixièmes
Exemples d'une interprétation écrite
par chaque élève seul
D. n° 1
Cette image fait penser à un poème de Prévert,
Page d'écriture.
Car c'est un enfant assis à un pupitre qui regarde
par la fenêtre les oiseaux qui volent.
Remarques : importance du contexte culturel.
Il doit se trouver là car il a des leçons ou des
devoirs à faire. Il tourne la tête pour voir un paysage vallonneux. Il imagine peut-être qu'après ses
leçons il pourra aller jouer dans les collines ou
alors il a un devoir à faire sur une description et
il se base sur le paysage qu'il voit, ou alors il
réfléchit à quel jeu il pourrait jouer.
Remarques : l'élève isolé, sans interlocuteur
produit plusieurs interprétations.
Exemples de création narrative
D. n" 3
— Ils peuvent faire du cinéma tous deux ou c'est
un dessin ?
— C'est un esclave qui porte son maître.
—• Un film exagéré.
94
— Un prisonnier ou un paysan.
— Un domestique.
— Un premier ministre ou un député.
— Un monsieur qui est arrivé dans un nouveau
pays, il n'a pas envie de marcher sur la terre de
peur de rentrer dans la terre ; il a pris une pierre,
il est monté dessus, ou bien c'est une éponge, oui
une grosse éponge, une éponge géante c'est possible.
Il dit à son esclave « toi tu marcheras et moi je
verrai ».
— Ou alors, il est trop petit et il veut voir le paysage.
-— Une grosse éponge, on s'enfoncerait, une grosse
éponge ça n'existe pas !
— Ou alors un rêve. Il arrive dans un pays, d'autres hommes viennent souvent les embêter ; il arrive
dans le pays ; alors il les a sauvés et depuis ce
jour-là il a été élu par tout le monde, c'est lui qui
commande ; il est porté parce qu'il est fatigué.
•— Ça peut être un homme pauvre, un clochard qui
vient de gagner dix francs, on lui a mis dans son
sac, parfois il y a des gens qui mettent leur chapeau ;
il a dix francs, il fait un rêve qu'il était riche, il
achetait un beau costume, il est roi, et il a dû
rêver.
— Une personne qui veut dominer le pays et tout
voir.
— L'image d'une histoire, une histoire sans parole.
— Un esclave qui en a marre de porter son maître
et rêve qu'un jour c'est lui qui le portera, alors il
se voit déjà sur la grosse pierre.
Sixièmes (groupe 1)
Remarques :
On voit apparaître l'idée qu'il y a une fabulation, dessin, livre, cinéma.
Peu de polémique sauf à propos de l'éponge
énorme qui n'existe pas.
Il se bâtit aussi là un texte commun sur le
personnage qui arrive et devient roi. Chaque
élève reprend un élément précédent pour y
ajouter et le modifier.
Les deux dernières histoires font apparaître
une inversion comme si les élèves gênées devant le personnage assis voulait le justifier ;
elles le supposent pauvre et prenant une revanche. L'autre groupe plus âgé et de milieu
socio-culturel plus simple a bien vu le pauvre
qui « subit » le riche.
2.2. ETUDE DE LA SITUATION
DE DISCOURS DANS LA DESCRIPTION
DE L'IMAGE
a. Description de l'image et exécution des dessins
1. Rapports groupe A - groupe B :
Le dialogue n'est pas toujours facile à établir et
l'échange se fait parfois assez mal.
Le groupe A ne voit pas très bien comment poser
les questions. Il s'interroge pour savoir ce qu'il faut
demander.
Le silence peut s'établir et les autres interviennent
en demandant de poser des questions sur le lieu,
les personnages, etc.
Ces tâtonnements au départ risquent d'orienter les
questions dans trois voies différentes :
a) Le groupe A essaie de déterminer les composantes du dessin : s'ensuivent des questions du type :
« est-ce qu'il y a tel ou tel objet, personnage... ? ».
Le catalogue étant infinitif ces questions risquent de
durer. De plus elles enferment souvent le groupe B
dans une attitude agressive et narquoise. Le groupe B refuse de donner des informations complémentaires et se contente de répondre oui ou non.
Lorsque ce type d'échange est établi, il est difficile de s'en dégager. On pourrait peut-être inciter
les élèves détenteurs de l'image à formuler dès le
départ, avant toute question, une phrase descriptive qui éviterait ces longues investigations et ce
jeu de devinettes.
b) Le groupe A au mépris de toute consigne,
commence par poser des questions interprétatives
sur le sens du dessin ou même sur le genre du dessin,
ce qui est très souvent compris par le groupe B de la
même façon :
« est-ce une caricature ? »
« est-ce un dessin politique ? »
« est-ce symbolique ? ».
Le groupe B a le choix entre trois attitudes :
— soit il condamne ce type de questions et peut
refuser d'y répondre ;
— soit il se consulte pour essayer de répondre mais
bien souvent se trouve en désaccord ;
— soit il répond, sans hésiter, sûr de son savoir
et de sa toute-puissance, et affirme alors des choses
curieuses et inattendues. Un membre du groupe peut
ainsi imposer une interprétation qui sera reprise par
tous pendant toute la durée de l'exercice.
Remarque : Bien souvent, le type d'échange décrit
précédemment dans a) entraîne cette attitude du
groupe B, car lassé des longues investigations, il
essaie d'expliquer, mais de manière détournée, le
sujet du dessin.
Ces deux échanges sont toujours agressifs et manifestent plus ou moins le désir du groupe B de ne
pas se départir de sa supériorité.
Enfin, après que les élèves questionneurs aient exprimé à de multiples reprises leur incompréhension,
ils attaquent le groupe B et demandent directement
ce qu'il y a dans le dessin. Ils veulent que les
autres prennent parti, la réserve du groupe B étant
souvent ressentie comme une prudence excessive.
A quoi répond la perplexité des autres qui se retournent vers le professeur et demandent ce qu'il'
faut dire. On se retrouve en quelque sorte au point
de départ.
Bien sûr, le groupe B ne se montre pas toujours
aussi réservé. Parfois au contraire les informations
données dépassent largement les informations demandées. Le groupe A peut s'enfermer dans le mutisme, risquant de temps à autre une timide interrogation. La supériorité des autres s'affirme alors dans
leur attitude protectrice, leur désir de voir les élèves
du groupe A exécuter un beau dessin.
Finalement on peut voir deux types d'échanges :
— les échanges où le groupe A s'exprime le plus, les
autres essayant d'en dire le moins possible, alors que
les questions pleuvent ;
— les échanges où le groupe B s'exprime le plus,
analyse l'image et réduit plus ou moins les autres à
de simples exécutants.
Entre ces deux extrêmes, toutes les modalités sont
possibles. On peut également passer d'un type
d'échange à l'autre, mais ceci est rare.
95
2.
Rapports des élèves du groupe A entre eux.
Les élèves enquêteurs échangent peu de propos,
chacun s'efforce de comprendre seul ce dont il s'agit
et exécute seul son dessin.
Néanmoins une certaine rivalité s'instaure entre
eux surtout lorsque le groupe B réserve ses informations et se contente de répondre par oui ou par
non. Il faut pour chacun faire preuve de perspicacité,
de flair, d'ingéniosité. Ce sera à qui trouvera le
premier les éléments du dessin, à qui tirera les
conclusions les plus logiques des réponses données.
Ainsi, après avoir posé les questions :
« les personnages sont-ils face à face ?» — réponse :
« non » ;
« les personnages sont-ils dos à dos ? » — réponse :
« non » ;
les élèves dessineront les personnages dans le même
sens, soit tournés vers la gauche ou vers la droite.
Un seul dessinateur ne fera pas la déduction et sera
traité d'idiot lorsque les dessins seront comparés.
Les élèves sont souvent fixés sur l'idée qu'ils ne doivent pas commettre d'erreurs et confondent interprétation et faute, ce qui les gênera lorsqu'ils verront
d'où viennent les différences de leurs dessins.
3. Rapports des élèves du groupe B entre eux.
Ils sont plus nombreux. Les élèves se concertent
lorsqu'une difficulté survient. Ils peuvent s'opposer
sur deux plans :
— dans l'interprétation, s'ils ne sont pas d'accord ;
— dans la conduite à adopter vis-à-vis des autres
(voir rapports groupe A - groupe B).
Il faut signaler à quel point l'interprétation donnée
par un élève peut s'imposer aux autres. Si la difficulté de communiquer entre les deux groupes est
forte, le groupe B se sent solidaire et préfère souvent
convenir d'une interprétation abusive ou en tout
cas discutable plutôt que révéler des oppositions en
son sein.
b. Comparaisons et examen critique de l'enregistrement des questions et des réponses
1. Lorsque l'on compare les dessins exécutés, le
groupe B fait figure de censeur. Il note avec éclat
ce que untel a oublié, comment telle ou telle réponse
a été déformée.
96
La relation entre les membre du groupe A n'est
pas plus calme. Chacun fait valoir son destin.
2. Ces oppositions s'apaisent dans la seconde
confrontation. Le groupe A confronte les dessins
exécutés à l'original. Il demande des comptes au
groupe B, l'accuse d'avoir dissimulé des informations
« importantes », d'avoir fait des erreurs. Ce dernier
se réfugie en général dans le fait qu'aucune question n'a été posée sur le sujet en cause. Il paraît
nécessaire à cette étape d'écouter et de commenter
de manière critique les questions et les réponses. La
présence du professeur est ici indispensable. Si les
élèves perçoivent assez bien après coup ce que
leurs propos comportaient d'interprétatif, ils analysent très mal leurs rapports.
c.
Interprétations
Paradoxalement, les oppositions semblent s'atténuer
à cette étape de l'expérience. Chacun en effet possède
le même réfèrent maintenant. Chacun explique le
sens qu'il lui accorde. On parle à tour de rôle, on
justifie chaque interprétation.
A partir de cette consigne les élèves cherchent dans
le dessin de qui peut aller dans leur sens, et ils sont
prêts à admettre que le dessin peut donner lieu à
plusieurs interprétations, que le choix de l'une ou
de l'autre dépend de leur univers psycho-culturel,
mais que le dessin porte en lui les éléments des interprétations données.
Aussi la recherche des interprétations se fait-elle
non seulement parfois en opposition aux autres mais
surtout avec l'aide des autres. Chaque découverte
permet une recherche, chacun procède à partir des
remarques déjà faites.
Les oppositions peuvent disparaître à la fin de
l'exercice, toutes les interprétations étant justifiées,
les élèves sont conduits à penser qu'on peut toutes
les admettre.
Il faut signaler à ce propos le cas où les oppositions sont artificiellement maintenues. Dans les
discussions, les élèves jouent parfois trop bien le
jeu. Leurs camarades connaissent « leurs opinions »
et veulent les faire ressortir à tous prix. Les élèves
s'attendent, surtout lorsque le dessin se prête à une
interprétation politique, à ce que soient révélées
leurs idées en ce domaine. A moitié dupes d'euxmêmes, ils vont forcer leur rôle.
ANNEXE II
Exemple de travail critique exécuté à l'audition
de l'enregistrement des questions et des réponses
Les élèves écoutent avec le professeur leur enregistrement. On arrête l'audition à chaque fois que du
discours interprétatif apparaît, ce qui explique pourquoi l'information n'est pas passée. On essaie :
— de déterminer à quel genre de discours on a
affaire (narration, commentaire...) ;
•—• d'analyser les relations entre élèves.
Dans cette perspective, une élève découvre que si
la réponse qu'elle a donnée n'a été perçue que par
un seul camarade, c'est parce qu'elle s'est particulièrement adressée à lui à ce moment, établissant
ainsi une relation privilégiée entre eux (commentaire des élèves sur le rôle du regard).
Ceci est un travail difficile que les élèves n'accomplissent pas toujours avec enthousiasme : il faut
revenir sur quelque chose d'accompli, d'achevé. Il
faut d'autre part se trouver dans des conditions
matérielles favorables, ce qui n'est pas le cas lorsque
plusieurs groupes travaillent sur leur enregistrement tous ensemble dans une même salle. D'autre
part, le professeur ne peut être présent partout à la
fois. L'exercice est néanmoins très bénéfique. On
peut en moduler les applications :
— l'exercice peut être exécuté après la confrontation des dessins, il servira alors essentiellement
à en expliquer les différences. Inversement, on
peut attendre que l'ensemble du travail d'interprétation soit achevé et laisser les élèves oublier un
peu leurs propos et leur comportement ;
— plutôt que d'écouter l'ensemble de l'enregistrement, on peut examiner avec la classe entière des
passages choisis par le maître, de préférence ceux où
la communication semble avoir été difficile.
Un rapport est ensuite demandé par le professeur
(voir feuilles ci-jointes).
Rapport d'un groupe d'élèves D. n° 2
DIALOGUES ENTRE LES DEUX GROUPES
ET CRITIQUES
Question : Les hommes sont-ils debout ?
Réponse : Deux sont debout.
Commentaire : Les dessinateurs ont conclu sur le
moment que les cinq hommes pouvaient se diviser
en deux groupes plus ou moins opposés par leur
position, deux étant debout, trois ne l'étant pas.
En outre, réponses imprécises de l'autre groupe qui
aurait dû donner des renseignements sur la position
de ces trois derniers hommes.
Question ; Est-ce que les hommes ont une occupation caractéristique ?
Réponse : Oui on en voit un avec un balai.
Commentaire : Et les quatre autres ? manque de
précision.
Question : Est-ce que les 4 hommes qui ne tiennent
pas le balai sont actifs ?
Réponse : Oui ils sont actifs, ils font quelque chose.
Commentaire : Manque de précision de la part du
dessinateur.
Qu'entend-il par actif ? De plus, il est assez difficile
de répondre sachant que les quatre hommes tombent ; tomber est-il un état ou une activité ?
Question : Est-ce que les quatre hommes ont une
activité caractéristique ?
Réponse : Ils courent, un lève les bras, un tombe, il
y en a même trois qui tombent.
Commentaire : Les hommes tombent-ils ou courent-ils ? la réponse est évasive...
Question : Est-ce que quelque chose provoque la
chute des trois hommes ?
Réponse : Le balai.
Commentaire : Le dessinateur a été aiguillé sur une
fausse voie, il a déjà admis d'après une réponse
inexacte donnée antérieurement qu'il y avait trois
hommes qui tombaient.
La réponse est exacte mais trop imprécise.
Question : Est-ce que l'homme pousse les trois
autres ?
Réponse : L'homme balaie les quatre autres, trois
tombent et un court.
Commentaire : Précision tardive de la part du
2e groupe :
Le fait qu'un homme court est sans importance du
fait qu'il s'apprête lui aussi à tomber. Il eût donc été
plus simple de répondre que les 4 hommes tombaient. D'autant plus que les dessinateurs peuvent
97
croire que l'homme qui court lève les bras car il a
échappé au «balayage», ce qui est faux.
Question : Est-ce que l'homme qui lève les bras
s'apprête à tomber ?
Réponse : C'est possible, c'est possible mais disons
qu'il a pied dans le vide.
Commentaire : Cette question n'aurait jamais dû
être posée, si le deuxième groupe avait donné les
renseignements précis nécessaires.
Question : Est-ce que les quatre hommes sont en
« short » ?
Réponse : Non pas du tout (cette réponse est suivie
de données assez précises sur la tenue vestimentaire
des quatre hommes — et plus particulièrement sur
leur coiffure.
Commentaire : L'un des dessinateurs a été conduit
à croire qu'il s'agissait d'une publicité en faveur
d'une marque de chaussure de sport (les 3 hommes
n'étant pas chaussés de chaussures de la marque
vantée par la publicité, ne passe pas l'obstacle du
balayeur, le 4° qui lui est bien chaussé ne tombe
pas lève les bras en signe de joie et de victoire avant
de tomber tout de même). Le dessinateur aurait dû
demander au préalable les précisions sur la tenue
vestimentaire des quatre hommes et ne pas demander tout de suite s'ils étaient en short.
Question : Est-ce qu'on voit l'homme au balai en
vue plongeante ?
Réponse : L'homme au balai se trouve en haut du
globe et pousse les hommes en les regardant tomber.
Commentaire : L'interlocutrice décrit la scène assez
précisément mais ne sait manifestement pas ce qu'est
une vue plongeante.
98
Il s'agit ici de prolonger cette expérience en étudiant la différence entre objectif et interprétatif
dans des textes descriptifs. (On emploiera désormais
le terme subjectif pour l'opposer à objectif, en
réservant le terme interprétatif à l'une des procédures discursives du subjectif). — La différence entre objectif et subjectif est repérable à partir des
divers types de procédures utilisées par le JE •—
qu'il soit narrateur ou simple locuteur, présent explicitement ou implicitement dans son discours —
pour produire son discours. Les différents exercices
proposés ont pour buts de permettre une découverte des marques linguistiques de ces procédures
discursives, et de sensibiliser les élèves à la situation
du JE-narrateur par rapport à ses personnages et à
son discours.
Trois textes de base ont été choisis, qui présentent
des aspects différents du subjectif :
— Des titres de journaux.
— Un « instantané » de Robbe-Grillet : La Plage.
— Un extrait de La Modification de Butor.
Ces textes ont donné lieu à des consignes et à des
expérimentations différentes. Dans le cas des titres
de journaux, on a eu recours à un travail de groupe
chaque fois que les conditions le permettaient. Les
textes de Robbe-Grillet et de Butor ont plutôt favorisé un travail individuel, menant à la découverte,
par diverses pratiques de l'écriture (exercices de
transformation, de re-création), de l'opposition entre
objectif et subjectif en fonction de la situation du
narrateur locuteur.
Les résultats ont été présentés et discutés collectivement et parfois réinvestis dans des exercices de
réemploi.
B. OBJECTIF ET SUBJECTIF DANS LES TEXTES
PRELIMINAIRES
La procédure de description d'une image fixe devait
mener à la découverte de la différence entre description objective et description interprétative.
I. HYPOTHESES SEMfO-LINGUISTIQUES
SOUS-JACENTES
Il s'agit de reprendre la distinction objectif/interprétatif à propos de textes descriptifs.
Soucieux que nous sommes de montrer la cohérence
de nos hypothèses de travail, nous ferons quelques
rappels tout en suivant notre réflexion.
1. Discours et modèle de fonctionnement
de la communication
1.1. Rappelons tout d'abord que nous définissons
le discours comme le produit d'un énoncé et d'une
situation énonciative dont le résultat constitue un
acte de communication.
Rappelons aussi que ce discours véhicule une signification spécifique (et non un sens) qui dépend des
points de vue que le JE a sur le TU et le IL (situation de discours), d'où le questionnaire de l'article :
«Réflexion pour une typologie des discours».
1.2. Ce qui nous occupe maintenant, c'est de chercher à savoir comment se manifestent ces différents
points de vue, et par quoi ils sont marqués linguistiquement.
Nous ferons l'économie d'une démonstration qui partirait d'une série d'observations pour aboutir à la
construction d'un modèle de fonctionnement de la
communication, et nous nous contenterons (et nous
permettrons) de procéder par assertions successives.
Nous remarquerons donc (et poserons) que renonciation d'un discours est formulée d'au moins deux
façons :
a) Par des marques qui révèlent le JE explicitement
et donc par lesquelles le JE s'énonce en tant que
tel.
Ceci est très net dans les exemples du genre (1)
« Je ne pense pas qu'il ait tort », où :
— par l'emploi du pronom personnel « je » le locuteur s'énonce comme /prenant-possession-de-laparole/ et donc se pose comme JE en face de son
interlocuteur ;
— par l'emploi du verbe « penser » en liaison avec
la « négation » et le « subjonctif » le locuteur exprime clairement une modalité de /doute/.
Ces marques, chaque langue se les constitue à sa
façon. Pour le français ce sera par exemple : les
pronoms personnels, les marques de temps, les diverses modalités exprimées par des verbes ou des
adverbes («probablement»), les démonstratifs, les
possessifs, l'interrogation, l'injonction, etc. Mais il
ne faut pas perdre de vue que ces catégories n'ont
rien d'universel — chaque langue ayant ses solutions
formelles propres —. En revanche on peut se demander — fidèle à notre démarche qui consiste à
se demander quelles sont les composantes sur lesquelles repose un phénomène linguistique — quels
sont les différents « points de vue » du JE qui soustendent ces marques de façon à classer celles-ci non
plus d'après des critères morphosyntaxiques (verbes
auxiliaires de modalité, phrases interrogatives, imperatives, oplatives, etc. ; adverbes, verbes impersonnels, déterminants (articles, démonstratifs,
possessifs, etc., etc.) mais d'après des critères sémantico-fonctionnels ( « fonctionnel » au sens de « fonctionnement de la communication ») qui regrouperont
dans une même classe des catégories formelles différentes.
Sans pousser trop loin notre classification (1) (p. 1)
nous proposons les deux « points de vue » suivants :
(1) POINT DE VUE POLEMIQUE ET RAPPORT
JE-TU.
(2) POINT DE VUE SITUATIONNEL ET RAPPORT JE-IL (2).
Dans (1) nous trouvons tous les procédés d'[appropriation] et d'[allocution] (c'est-à-dire du JE au
(1) On aura intérêt à consulter «Présentation de la
linguistique », de B. Pottier, mais dans la nouvelle version qui va paraître chez Klincksieck, car notre réflexion
en est issue.
(2) Pour justification de ces deux rapports, voir : «Réflexion pour une typologie des discours ».
99
TU) sous forme de « pronoms personnels », « modalités d'[ordre] et de [supplique], «statuts de phrases interrogatives, exclamatives, imperatives, etc. » ;
« appellatifs »i, etc.
Et c'est pour éviter une confusion avec les définitions habituelles de « rhétorique » qui se réfèrent à
discours.
Dans (2) nous trouvons les procédés de [situation
spatio-temporelle] sous formes déictiques, temporelles, aspectuelles, et les procédés de [situation notionnelle] qui se subdivisent en divers types d'[assertions] sous forme de modes, verbes de modalité,
négation, supposition, etc.
1.3. Nous résumerons à présent nos propositions
de la façon suivante r.
— Cette formulation explicite de renonciation, nous
l'appellerons formulation externe.
b) Cependant nous remarquerons que renonciation
d'un discours est formulée d'une autre façon, beaucoup plus discrète, celle-là : il s'agit du choix d'expression et d'organisation du discours qui est révélateur d'un point de vue énonciatif du JE.
Ainsi dans notre exemple précédant ce serait le
choix de l'expression « je ne pense pas » qui, opposée à par exemple « je doute » pourrait signifier
/une plus grande prudence/ de la part du JE ou bien
un désir de laisser à son interlocuteur /le bénéfice
du doute/, cela dépendra de la situation précise de
discours.
En fait on trouvera dans cette deuxième formulation qu'on appellera formulation interne, tous les,
procédés qui président à la mise en forme d'une
substance du signifié dont l'ensemble constituerait
une sorte de rhétorique générale ; précisons cependant qu'il ne s'agirait pas ici d'une rhétorique de
l'écart, mais d'une rhétorique du choix et de la
contrainte (l'un ne peut aller sans l'autre) par rapport à une intention de communication. C'est pourquoi nous y trouverions, de notre point de vue, aussi
bien le choix d'une phrase passive, au lieu d'activé
(qui peut être la marque de l'effacement volontaire de l'agent et, partant, deviendra un acte polémique :
Ex. : «Ils ont été frappés, roués de coups, puis
décapités») que le choix de tel transfert sémantique de type métaphorique ou métonymique (ex. :
l'écart que nous proposons le terme : technique de
dans les titres de presse ci-joints en annexe, on
constatera que le concept /gens/ est exprimé par
«paires d'yeux», «fans», «foule», «visiteurs»,
etc.).
100
a) Tout discours se compose d'un énoncé et d'une
situation énonciative.
b) L'énoncé est le contenu « sémantico-conceptuel »
d'une information à l'état le plus « constatif » (il est
donc « fictif » ou « construit » pour les besoins de la
cause, puisque tout acte de communication se faisant
en situation énonciative, on ne le trouve jamais à
l'état pur).
c) La situation énonciative, dont les composantes
sont les différents « points de vue » qui reposent
, .
JE
sur le rapport triangulaire I L
rjrg , est marque
par deux types de formulation : une formulation
externe, une formulation interne.
d) D'où la représentation suivante :
¡(1)
1
1
1
I
F. externe
JE
/
i
ENONCE
/
TU
i
r
i
! (2)
F. interne
i
e) Exemple simplifié : « ouvre l'œil et le bon ! ».
Enoncé : /toi surveiller/.
F. externe : /rapport allocutif-injonctif/ par un
« impératif».
F. interne : choix de l'expression lexicalisée avec
son transfert métonymique, dont la signification dépendra de la situation de discours.
1.4. Mais, par ailleurs, si nous regardons de près
les structures d'un roman, par exemple, nous remarquons, à un autre niveau, l'existence de ces deux
types de formulation énonciative.
a) Ainsi, dans un roman, le JE-narrateur peut
s'énoncer en tant que tel lorsqu'il prend la parole et
se révèle comme narrateur. Il peut le faire systé-
Nous ne nous étendrons pas sur cet aspect qui est
assez complexe, d'autant que nous y reviendrons
lors de notre travail sur les structures narratives.
matiquement tout a u long d e son r o m a n et devenir,
à la limite u n narrateur-personnage au milieu des
autres personnages ou ne faire q u e quelques a p p a ritions à la « Tom Jones » créant ainsi u n effet de
distanciation — ironique ou d'humour — complice
selon les cas. Dans le « Petit Prince » de S a i n t - E x u péry le n a r r a t e u r est tantôt personnage, dans
ses rencontres avec le Petit Prince, tantôt n a r r a teur-effacé, tantôt n a r r a t e u r s'adressant directement
au lecteur — « quand le mystère est trop i m p r e s sionnant, on n'ose pas désobéir ».
b) Mais le J E - n a r r a t e u r p e u t ne pas s'énoncer et
transparaître cependant dans la façon dont il organise son récit et manie ses personnages ( « vision du
dedans » / « vision du dehors » ) .
x
\
Ce que nous voudrions retenir c'est Phomologie qui
semble s'établir entre « énoncé — formulation e x terne - formulation interne » d'une part, et « récit
— n a r r a t e u r s'énonçant — n a r r a t e u r racontant »
d'autre part, si l'on veut bien nous accorder que le
récit soit comme l'énoncé u n concept qui recouvre
u n e réalité fictive, à savoir : le contenu sémanticonarratif à l'état le plus « constatif » (ou « référentiel»).
Nous proposerons alors la représentation suivante
pour le « code narrationnel » qui structure u n r o man :
Code narrationnel du discours
(1)
Narrateur
Narrateur
(**)
Récit s'énonçant
Personnage 1
Personnage 2
Personnage 3
h.
J
(«w)
Récit raconté
Lecteur
(2)
— U N P R O P O S (1) : contenu sémantico-conceptuel-constatatif (énoncé ou récit selon les cas).
énonciative par une technique de discours. C'est à
travers la conjonction de ces trois composantes que
l'on saisira l'univers de signification véhiculé par le
discours, univers de signification l u i - m ê m e révélateur d'un « système de pensée » ou « idéologie »
du JE.
— UNE FORMULATION EXTERNE : révélatriceexplicite des points de v u e du J E dans la situation
énonciative par des catégories formelles.
2.
1.5. A u vu de cette homologie nous voudrions
conclure à u n modèle de fonctionnement unique de
tout acte de communication, du fait d e discours dont
les composantes seraient :
— UNE FORMULATION INTERNE : révélatriceimplicite des points de vue du J E dans la situation
(1) Au sens où l'emploie B. Pottier à l'heure actuelle.
Description de l'image :
objectif/interprétatif
2.1. Au cours de l'exposé des problèmes de description de l'image (cf. : « hypothèses scientifiques »
p. 87) nous avons défini :
101
— LA DESCRIPTION OBJECTIVE comme l'inventaire des éléments qui constitue la dimension iconique de l'image, révélatrice d'un message dont le
sens correspond au « savoir anthropologique perceptif » établi par une communauté socio-linguistique donnée (consensus).
— LA DESCRIPTION INTERPRETATIVE comme
la mise en relation de ces éléments constituant ainsi
la dimension iconographique de l'image, révélatrice
d'un message symbolique (R. Barthes) dont la signification est fonction de la situation énonciative qui
lie l'individu qui interprète à l'image.
2.2. On voit donc, que pour l'image, lorsque l'individu interprète, c'est une vision globale qu'il
projette sur cette image, vision qui véhicule un
univers de pensée particulier en fonction d'une
situation énonciative particulière.
Ce que nous voudrions étudier à présent, c'est, non
plus le rapport du discours à une image, mais le
discours lui-même, lorsqu'il se veut descriptif, pour
essayer d'y repérer les marques de l'objectif et de
l'interprétatif.
3.
L'objectif et le subjectif dans la description
3.1. S'agissant du discours verbal — et plus particulièrement du discours littéraire — l'intuition nous
incite à retrouver l'opposition objectif/interprétatif
à travers des oppositions du genre « il a vingt ans »
(objectif) « il doit avoir une vingtaine d'années »
(interprétatif).
Mais très vite, une observation un peu plus fine,
nous oblige à constater que l'interprétatif a luimême des visages multiples. Il suffit de comparer :
« il doit avoir vingt ans », « il a presque vingt ans »,
«il a une vingtaine d'années», «il a l'âge de l'insouciance et de la folie » pour se rendre compte que
nous n'avons pas affaire à de l'objectif mais que
l'interprétatif nous propose à chaque fois une vision
différente.
Aussi nous ne parlerons plus d'interprétatif, pour
le discours verbal, mais de subjectif comme terme
générique qui s'opposera à objectif, et nous réserverons le terme « interprétatif » pour désigner l'une
des procédures discursives de ce subjectif (voir cidessous 4).
102
3.2. En fait, ce à quoi nous voulons arriver c'est
à définir cette opposition objectif/subjectif par le
modèle de fonctionnement de tout acte de communication que nous avons proposé ci-dessus (cf. 1).
L'OBJECTIF c'est le propos, le contenu sémanticoconceptuel-constatif de l'énoncé ou du récit.
LE SUBJECTIF c'est la manifestation linguistique
de la situation énonciative sous son double aspect de
formulation externe et formulation interne.
Si l'on admet qu'il soit aisé de dépouiller un discours
de son subjectif tel que nous venons de le définir,
il faudrait en revanche une étude très détaillée et
minutieuse pour déterminer la spécificité de ce subjectif. Et cela suppose que l'on connaisse :
— d'une part toutes les ressources de la langue
(catégories sémantico-formelles) dont dispose le JE
pour se manifester par une formulation externe,
•— d'autre part toutes les ressources de la technique
de discours dont dispose ce même JE pour se manifester à travers une formulation interne.
L'exposé de ces procédés n'est pas l'objet de cette
fiche et d'ailleurs la linguistique est loin d'en avoir
fait une étude complète.
Aussi nous contenterons-nous, fidèle à notre démarche interrogative de proposer un certain nombre
de distinctions et de définitions qui devraient nous
permettre, dans un premier temps, d'interroger un
texte pour en dégager quelques-unes de ses composantes.
4. Les procédures discursives
Tout d'abord, posons que l'on peut repérer l'objectif
et le subjectif aux types de procédures discursives
mises en œuvre par le JE pour produire son discours,
et que ce sont ces mêmes procédures discursives qui
nous permettront de distinguer les différents aspects
du subjectif.
4.1. LE CONSTATIF est la procédure discursive
caractéristique de l'objectif que l'on trouvera dans
«il a douze ans», cette phrase étant prise comme
un énoncé car il se pourrait que dans une certaine
situation énonciative elle véhicule un implicite particulier (exemple : A « tu l'aimes ? », B « oh, il a
douze ans ») et soit donc, pour une part, de l'ordre
du subjectif.
4.2. L'EVALUATIF est une procédure discursive
caractéristique du subjectif sous son aspect : « appréciation », que celle-ci soit marquée par un jugement invérifiable d'une autre personne que le JE,
parce qu'il n'y a pas de critère externe au JE (ex. :
« c'est vraiment beau ! » ) ou que celle-ci soit marquée par un jugement d'approximation (ex. : « il a
presque douze ans » ou dans « La Plage », de A.
Robbe-Grillet - « ils ont sensiblement la même
taille... une douzaine d'années ».
4.3. L'INTERPRETATIF est une procédure discursive du subjectif sous son aspect « jugement déductif ou inductif » fait à partir de prémisses posées
ou d'une observation de départ. Elle est donc différente de la précédente puisque l'interprétatif est
le résultat d'un raisonnement implicite, absent de
l'évaluatif (ex. : [d'après sa barbe et ses cheveux]
« il doit avoir quarante ans » ; et dans « La Plage » :
«... et sans doute aussi le même âge » ; et dans
l'extrait de « La Modification » : « il fait effort pour
garder les yeux fixés... pour aller vite dans sa lecture mais sans rien laisser échapper d'important... ce
texte doit lui servir à préparer quelque chose, un
cours sans doute... qu'il doit donner... un cours de
droit probablement, etc. » ).
4.4. L'ARGUMENTATIF est une procédure discursive dont on pourrait penser qu'elle appartienne au
domaine de l'objectif, mais en fait, linguistiquement (1) il n'existe pas de façon objective de développer une argumentation. Le choix des différentes
propositions d'une argumentation, leur articulation,
leur formulation rhétorique sont relatives au JE et
donc subjectives. C'est un sujet d'étude que nous
reprendrons lors de notre travail sur le « discours
polémique » ; contentons-nous pour l'instant de définir cette procédure comme un acte de discours
destiné au TU, dans un rapport « polémique » de
persuasion. Elle se différencie donc de la précédente
en cela que l'argumentatif est exocentrique (vers
le TU) alors que l'interprétatif est endocentrique
(pour le JE).
(Ex. dans le texte de M. Butor : « ...non qu'il manque d'excellents lycées dans cette ville... » [c'est la
prise en considération par anticipation d'une objection éventuelle du TU], de même la parenthèse un
peu plus loin : « c'est une réaction très sotte, c'est
(1) Nous utilisons toujours ce ternie dans le sens large
d'un linguistique de la Communication, dans le cas contraire nous précisons.
entendu, mais il est sûr que vous auriez préféré que
votre premier-né fût un garçon »).
4.5. LE RHETORIQUE, est la procédure discursive
qui couvre tous les faits de la technique de discours
et qui, à ce titre, est caractéristique du subjectif
sous divers aspects que nous proposons de recouvrir
sous le terme « emphase » ou « séduction » si l'on
estime que toute « emphase » ou « jeux de langage » a une fonction de séduction dans la communication. Les exemples sont légions, on ne citera que
la variation «paires d'yeux», «fans», «foule»,
«entrées», «visiteurs» pour le même concept
/gens/ de l'annexe p. 109.
5. Les points de vue du narrateur
Nous ne voudrions pas, dans un premier temps, multiplier les concepts qui nous permettraient d'analyser
ce phénomène si complexe du subjectif dans le discours, mais nous voudrions quand même rappeler le
concept de points de vue proposé par certains sémioticiens (2).
Il s'agit en fait de ce à quoi nous avons fait allusion
dans le chap. 1 (et que nous avons développé dans
« réflexion pour une typologie des discours »), sur
la situation énonciative de discours et les différents
points de vue du JE et qui est appliqué ici à la
poétique.
Il faudra s'interroger, si l'on veut faire le tour du
subjectif dans un texte, sur les rapports qui s'établissent entre :
— Le narrateur et le récit.
— Le narrateur et les personnages.
— Le narrateur et le lecteur ;
et ne pas perdre de vue que ces différents points
de vue sont marqués par :
— LE CHOIX DE LA PROCEDURE DISCURSIVE.
Ex. : « il y a encore eu changement de pouvoir !
Décidément on ne peut plus être sûr de rien ». La
deuxième partie soulignée est une procédure interprétative qui a pour rôle d'établir un lien direct
particulier entre narrateur et lecteur.
(2) T. Todorov, « Qu'est-ce que le Structuralisme », Le
Seuil, 1968, p. 116 («Les visions dans le récit»).
103
— LE CHOIX DU SYSTEME NARRATIF « PERSONNEL / A-PERSONNEL » au sens où l'entend
R. Barthes (2) et qui « ne bénéficie pas forcément
des marques linguistiques attachées à la personne
(je) et à la non-personne (il) » et dont le critère
distinctif semble être la possibilité de transformation
du récit en instance du JE sans « que cette opération n'entraîne aucune autre altération du discours
que le changement même des pronoms grammaticaux».
Ex. : dans l'extrait de « La Modification », la transformation de (1) « ...et qu'il doit donner cet aprèsmidi... » en (2) « ...et que je dois donner cet après-
midi... » est la marque d'un système narratif a-personnel puisque le « doit » de (1 ) qui signifie [incertitude] devient [obligation] dans (2). (C'est le sens
de nos exercices de transformation — cf. : volet A).
Ainsi Va-personnel est la marque d'un point de
vue externe au récit alors que le personnel est la
marque d'un point de vue interne.
— LE CHOIX DE L'ORGANISATION LOGIQUE,
TEMPORELLE ET SPATIALE DU RECIT au sens
de T. Todorov (1).
P. C.
I!. EXERCICES
H a - EXERCICES SUR LES TITRES DE JOURNAUX
1. Présentation de la fiche
COMPARAISON DE QUATRE TITRES DE
PRESSE
TITRES
ARTICLES
I - 650 000 paires d'yeux pour la plus grande kermesse aérienne (1™ page).
III - C'est une foule immense, évaluée à plus de
650 000 personnes qui a défilé en 2 jours au salon
du Bourget (1™ page).
II - Apothéose au Bourget : plus d'un demi-million
de fans en deux jours pour admirer les évolutions
de 200 appareils venus du monde entier (page 27).
IV - Le chiffre officiel des entrées au Bourget était
hier de 350 000. Ajoutons à ce total du dernier jour
les 300 000 visiteurs de la veille, puis tous ceux
qui sont venus ici la semaine, les jours où il n'a pas
fait beau, voilà donc plus d'un million de personnes
qui sont allées admirer en tout désintéressement des
machines qu'aucune d'elles ne peut rêver de jamais
posséder (p. 27).
Exercices :
on s'assurera que les relations entre les phrases
comparées permettent au mieux de faire ce travail.
1er TEMPS
Il est évidemment possible de faire l'exercice avec
d'autres textes de presse que ceux qui sont cités :
(1) T. Todorov, « Qu'est-ce que le Structuralisme » ; voir
aussi, « Rhétorique générale ».
(2) R. Barthes, « Communication 8 », p. 20.
104
a) Préparation
Distribution des documents à chaque élève.
Consigne : « Ces textes disent une même chose.
Résumez ce qu'ils disent, en employant les termes
les plus généraux possibles ». Toute autre formule
permettant de rapprocher l'élève du schéma conceptuel peut être retenue : on évaluera sa pertinence
ensuite d'après les réponses des élèves.
b) Travail collectif
L'exercice étant bref, il ne paraît pas nécessaire
de demander aux élèves d'y réfléchir d'abord par
groupes.
Chaque élève qui désire répondre avance une formule de résumé qui est immédiatement discutée par
l'ensemble de la classe avec l'avis du maître. Celui-ci
note (au tableau), ou fait noter les réponses, les
termes-clés qui conduisent au schéma conceptuel.
La discussion portera vraisemblablement sur le
caractère plus ou moins générique des termes avancés.
Etablir le schéma conceptuel, d'après nos hypothèses
(cf. : annexe p. 112 et 113) mais aussi dans le prolongement des idées sorties de la discussion qui a
précédé.
2e TEMPS
a) Consigne : « A partir du schéma qui a été réalisé, recherchez les variantes correspondant à chacun
des éléments de ce schéma. Situez-les en les classant
dans un tableau sous le schéma. »
On amènera ainsi à la découverte des spécifications
que chaque phrase donne à la base sémantique
commune.
b) Travail de groupe sur cette consigne
c) Examen des réponses, discussion
Les hésitations qui se produiront au moment de
situer les spécifications dans le tableau tiennent à
la structure sémique de chaque mot. Il est donc
très souhaitable de terminer ce travail par une étude
simplifiée mais exemplaire de quelques mots dont
le rapprochement et la comparaison peuvent faire
ressortir l'existence des sèmes (ex. : « entrée » :
— animé humain,
— visiteur).
Si les textes étudiés posent des problèmes trop
complexes, on s'en servira pour sensibiliser les élèves à cette structure sémique du mot et on pourra
compléter la sensibilisation par tout autre exercice,
toute autre étude qui permettent une analyse sémique et une découverte de la combinatoire.
Enfin on montrera dans les titres examinés la rupture entre des volontés d'objectivité (cf. : « chiffre
officiel», les estimations arithmétiques) d'une part,
et le jeu interprétatif que permettent les différentes
spécifications («paires d'yeux» ; «fans»), d'autre
part.
La progression de ce travail et des suivants sera
ainsi assurée.
2.
2.1.
Compte rendu des premiers résultats
Conditions matérielles des expérimentations
Notre compte rendu porte sur des expériences tentées dans trois établissements différents, par trois
professeurs différents, dans des classes de seconde.
Il s'agit dans chaque cas d'un exercice de réemploi,
à partir de la consigne précédemment donnée (l'objectif et le subjectif dans les textes cf. p. 106).
Ces exercices obéissant à des consignes différentes,
il nous a paru préférable de présenter des remarques
sur chaque expérience séparément et successivement, avant d'essayer de dégager des éléments
comparabbes ou communs et de faire un bilan.
2.2. Commentaire critique
1" EXPERIMENTATION
— Consigne : rédiger, un titre et un article courts
(pour une 1" page de journal) puis un titre et un
article plus détaillés (pour l'intérieur du journal)
sur un événement librement choisi.
Tenir compte du public auquel on s'adressera en
adoptant un « style » particulier.
— Déroulement : ce travail a été fait par groupes,
immédiatement à la suite de l'exercice qui vient
d'être proposé. Toutes les équipes ont pris des sujets
différents, sauf deux qui ont choisi une transplantation cardiaque, mais l'ont traitée de façon différente
(une version « sérieuse », une version humoristique). Voici les sujets retenus, à titre indicatif :
— Voyage gastronomique du Président de la République en CHINE.
— Le putsch au CHILI.
— Une transplantation cardiaque.
— Un homme vient d'accoucher.
— Explosion près de OKLY.
105
— Un sous-marin en perdition.
— Drame de l'alcoolisme (version comique).
— Quelques
observations
Dans certains groupes, on a su adopter un « style »
bien déterminé et s'y tenir. Dans d'autres, la volonté
de présentation objective est contrariée par des fantaisies peu appropriées, ce qui fausse le jeu des rapports objectif-subjectif. Cela paraît dû à plusieurs
raisons, et en tout cas moins à la pratique peu assidue
de la lecture des journaux, qu'à l'énoncé trop vague
d'une consigne qui ne définissait pas, a priori, le
public auquel on s'adressait.
C'est sans doute l'examen des rapports entre les
titres et les articles qui peut permettre de mesurer
la tension entre l'objectif et le subjectif dans cet
exercice.
A travers les productions des élèves, on n'a pas trouvé d'exemple d'un schéma conceptuel repérable à
partir des 4 énoncés. Par contre, il est arrivé que
l'article de l re page se présente comme une simple
expansion du titre le précédant.
Exemple :
— « Nouvelle tentative des chirurgiens français, suivie de près par des millions de gens » (titre).
— Des millions de français attendent avec impatience des nouvelles de l'opéré du cœur » (article).
Parfois l'article de 1™ page n'ajoute qu'une information supplémentaire au titre ; parfois au contraire,
les titres et les articles ont des contenus totalement
différents : il n'y a pas entre eux de lien explicite.
Certains élèves ont donc bien vu qu'un titre est rarement le résumé fidèle d'un article et ils ont étendu
le procédé : dans leurs productions, les deux titres
d'une part, les deux articles de l'autre se répondent.
Exemple : « Explosion en plein ciel près d'ORLY »
(titre de l re page).
« Après 1/2 heure de vol ; le Boeing 757 de la PAMPAM s'est désintégré en plein vol » (titre à l'intérieur) .
Certains groupes ont su trouver un titre et un article
de r e page suffisamment « ouverts » et « objectifs » pour que la curiosité du lecteur ne soit satisfaite que par le 2e titre et le 2e article.
Exemple : un chirurgien victime de sa transplantation (titre de 1™ page).
106
« Il y a une semaine, dans les environs de PARIS,
une transplantation cardiaque aux graves conséquences a été effectuée sur un jeune homme de
20 ans par le professeur X » (article de I ro page).
Ce n'est qu'à l'intérieur du journal que l'on apprend
la « vérité » : on a greffé sur le jeune homme un
cœur de singe. Fou furieux, il a sauvagement assassiné le chirurgien.
Conclusion
— Cet exercice, pour être efficace, doit être proposé
à la suite de « Variations sur un thème » et bénéficier ainsi préalablement, d'une procédure rigoureuse.
— La consigne n'est sans doute pas assez contraignante, pour permettre ensuite une confrontation
critique, très précise, des résultats. La diversité des
sujets n'aide pas les élèves à dépasser une vision
assez impressionniste de l'exercice.
2e EXPERIMENTATION
— Consigne. A partir d'un événement choisi par le
professeur, plusieurs groupes rédigent un titre, un
sous-titre, et un article complet. L'événement choisi
était celui-ci :
« Castor et Pollux, les deux satellites français, retombent dans l'Atlantique».
QUELQUES OBSERVATIONS
— Choix d'une orientation. Le sujet pouvait prêter à
interprétation(s). De fait, sur 8 productions, on
dénombre deux versions « pseudo-objectives » (la fin
des articles indique une prise de position favorable
à l'expérience en question), pour G versions fortement interprétatives (4 articles humoristiques, 2 articles polémiques, l'un sur le mode : « c'est un échec
et un scandale », et l'autre : « non ce n'est pas un
échec »).
•— Remarques sur les traces du subjectif
Elles sont multiples et rarement discrètes.
Dans les articles «pseudo-objectifs », le titre ne dit
rien de l'événement lui-même (la chute) et attire
simplement l'attention sur l'expérience Castor et
Pollux.
Dans les articles « ironiques », le titre repose le plus
souvent sur un jeu de mots (ex. : « à l'eau, j'égoutte ? ») qui révèle le point de vue adopté par l'auteur.
Le sous-titre et l'article ne feront que confirmer.
Il arrive qu'en livrant l'information que le titre
avait escamotée, le sous-titre dénonce par là l'usage
du subjectif camouflé sous une apparence d'objectivité par le titre.
Exemple : « Réalisation de l'expérience Castor et
Pollux » (titre « neutre » ) est dénoncé par :
« Les deux satellites Castor et Pollux, après un
vol spatial exceptionnel, ne purent accomplir le
programme fixé et durent amerrir finalement dans
l'Atlantique».
Conclusion
— Le subjectif est présent de façon surabondante et
complexe dans ces productions et un relevé fait
selon des critères systématiques permettrait d'en mesurer mieux les traces.
— Ce relevé serait facilité par une consigne tenant
compte de la spécificité du ou des publics au(x)quel(s) on s'adresse.
3e EXPERIMENTATION
Parfois titre et sous-titre, en attirant l'attention du
lecteur sur un événement secondaire distinct de
l'événement principal (ex. : « Un banc de thons à
moitié anéanti par la retombée de C. et P. ») ou en
généralisant l'échec de C. et P. (ex. : « Nouvel échec
de la politique spatiale française »), s'avouent comme
une interprétation, avant l'article lui-même, toujours
envahi par le subjectif.
— Consigne : Des groupes choisissent dans des journaux trois événements et classent par ordre d'importance.
— Remarques sur les rapports titres - sous-titres articles
QUELQUES OBSERVATIONS
Dans presque tous les cas, titres, sous-titres et articles apportent des indications différentes et parfois
contradictoires. A une exception près, les titres et
les sous-titres sont de « mauvais résumés » des articles.
Dans la catégorie «urgents», on trouve des événements habituellement classés comme politiques (la
République proclamée en GRECE), économiques (la
famine dans le Sahel) ou faits divers (le Tupolev
s'écrase au BOURGET).
Les sous-titres jouent un rôle de transition ambigu :
— soit qu'ils reprennent une partie du contenu du
titre et ajoutent un élément supplémentaire qui sera
développé par l'article (c'est rarement le cas),
— soit qu'ils mettent l'accent sur un point ignoré
par le titre et que l'article va reprendre et amplifier
(c'est le cas général).
Dans la catégorie «ordinaires», on trouve des informations scolaires, sportives, des revendications
sociales, des problèmes diplomatiques, des faits divers.
Le plus souvent, l'énoncé de l'événement est donné
non par le titre, mais par le sous-titre.
Les articles se présentent avec une structure narrative très marquée (il s'agit en général des circonstances de la chute) et le commentaire interprétatif
s'y déploie largement, soit par l'humour, soit par
l'intervention d'éléments extérieurs à l'affaire, soit
par la conclusion tirée du récit lui-même. Dans un
cas, le récit paraît fait d'éléments informatifs relativement neutres, mais la dernière phrase montre
que ces indications avaient pour fonction de venir
à l'appui de la thèse selon laquelle il faut « plus
de crédits pour le prochain projet».
Ensuite ils rédigent trois dépêches courtes (trois
lignes environ), en tenant compte du fait que, dans
la plupart des cas, les titres sont de mauvais résumés.
— Choix des
événements
Dans la catégorie « peut attendre », on trouve un
sondage sur une question considérée comme secondaire (Les Français et le théâtre) et surtout diverses
informations régionales.
En somme,
« Urgent »
et/ou
« Ordinaire »
et/ou
-^ qui concerne beaucoup de
gens
—> qui présente un caractère de
gravité évident (mort, oppression réelles/virtuelles)
-^ épisode n o n déterminant
dans un processus suivi
—> événement concernant un
secteur ressenti comme « secondaire »
107
« Peut attendre »
et/ou
—> information sur un sujet mineur
—» information
ne
pouvant
concerner qu'une catégorie
de gens restreinte.
CONCLUSIONS
Il est possible de dégager un certain nombre de
traits communs à ces expérimentations.
— Rapports titres - articles
— Tous ces exercices de réemploi ont pu être réalisés en groupe, sans difficulté particulière.
Parfois le titre, très vague, ne présume pas du
contenu de l'article (ex. : « Le capitaine » pour
parler d'une rencontre sportive où l'on a remarqué
le Ministre de l'Economie et des Finances).
— Quand il y avait liberté dans le choix de l'événement à traiter, on observe la très grande diversité
des sujets retenus et l'influence de l'actualité immédiate.
Dans un certain nombre de cas, l'article ne fait que
répéter le titre, en l'amplifiant à peine, avec une
ou deux informations supplémentaires, ou un
commentaire.
•—• Le plus souvent, priorité a été donnée à des événements à forte coloration dramatique.
Il est rare que les articles apportent une information
différente de celle que le titre proposait. Ex. :
« 37 % des Français ne vont jamais au théâtre »
(titre) est suivi d'un article où l'on parle des Français qui trouvent le prix des places trop élevé, de
ceux qui suivent la critique, etc.
— Remarques sur les traces du subjectif
Elles sont beaucoup plus discrètes que dans la 2' expérimentation, ce qui s'explique aisément : les titres
sont empruntés à des journaux (surtout Le Monde),
les articles sont courts (tentation de la redondance),
les événements de référence sont réels.
Néanmoins un certain jeu du subjectif et de l'objectif peut être décelé. Ainsi, à partir d'un titre
« neutre », « Le 1er bar-toilette pour chiens à Montmartre», on trouve un article fortement teinté de
subjectivité («Cette heureuse initiative... »). Inversement, à partir d'un titre subjectif («Il faut introduire davantage de liberté et d'initiative dans le
travail scolaire»), on trouve un article qui insiste
sur le cadre et les circonstances du congrès d'une
Fédération de Parents d'Elèves.
Conclusion
— A partir d'une consigne précise et contraignante,
les productions obtenues semblent permettre une
comparaison, une confrontation critique et un bilan
plus faciles que dans les cas précédents.
— Les critères permettant de déterminer les raisons
du choix d'un événement et du classement par urgence restent à trouver.
108
— Il semble que le choix d'un événement « sérieux » limite la présence du subjectif, tandis que
le choix d'un événement « mineur » la favorise.
Dans ce dernier cas, l'humour et l'ironie s'imposent
fréquemment.
Par rapport aux objectifs visés, il semble que les
élèves ont été sensibles aux diverses possibilités
qu'offrait le jeu interprétatif, à partir de la présence d'un « auteur » s'énonçant de façon plus ou
moins discrète (formulation interne). C'est surtout
visible dans les textes humoristiques. En revanche,
certaines difficultés doivent être signalées :
— Le travail de confrontation critique a été le plus
souvent malaisé, parce que les élèves manquent de
recul par rapport à leurs productions et en restent
à un point de vue teinté d'impressionnisme. Le problème de l'acquisition d'un outillage critique en
liaison avec ce type d'exercices se pose donc.
— La vérification linguistique de la différence entre
objectif et subjectif a été problématique dans le
cas des consignes trop «ouvertes». Cette vérification — comme le travail d'élucidation critique —
ne paraît praticable et possible que lorsque la consigne est suffisamment «fermée».
Enfin il est évident que des exercices de cette nature sensibilisent les élèves aux problèmes de la
presse et de l'actualité, et apportent un matériau
socio-culturel et mythologique qu'il faudrait approfondir en vue de nouvelles expérimentations.
B. MURCIER
au salon
du
Bourget
au
Bourget
ici
II
III
IV
plus de
un million
M)
tous ceux
<-B
300 000
(+)
350 000
personnes
entrées
visiteurs
ceux
personnes
plus de
un demimillion
au
Bourget
foi de
fans
650 000
0
I
immense
plus de
650 000
paires
d'yeux
Beaucoup
Salon
du Bourget
Enoncés
sont allées
admirer
entrées
visiteurs
sont
venus
a
défilé
admirer
yeux
pour
machines
au salon
du
Bourget
la plus grande
Succès
plus de
650 000
personnes
en 2 jours
apothéose
en ,2 jours
kermesse
les
évolutions
de 200
appareils
aérienne
— VOIR — —=> avions
Variation sur un thème : proposition d'organisation du schéma actantiel
ANNEXE
en tout désintéressement
des machines
qu'aucune d'elles
ne peut rêver
de jamais posséder
Je chiffre officiel hier
ajoutons à ce total
du dernier jour
la veille
la semaine
les jours où il n'a pas
fait beau
évaluée
venus du monde entier
0
Résidu
• Les titres de presse : Variation sur thème — Explicitation du tableau.
Notre propos était de montrer comment le même
scheme de base commun aux quatre textes pouvait
être configuré linguistiquement.
Ce que l'on trouvera donc dans le cadre supérieur
ce sont des concepts généraux et la relation qui
s'établit entre eux. Chaque bande inférieure correspond à chacun des textes, et les mots ou séquences de ces textes sont répartis selon leurs correspondants conceptuels. C'est pour cette raison
qu'il peut se faire qu'un même mot corresponde
à plusieurs concepts (ex. : « yeux » correspond à
/gens/ en combinaison avec « paires » et à /voir/
en combinaison avec « pour » ).
Enfin on remarquera :
— L'affinité entre le quantificateur /beaucoup/ et
le concept /succès/.
— L'affinité entre /salon du Bourget/ et /avions/.
— Le « résidu » qui n'est résidu que par rapport
à ce scheme de base mais peut être récupéré au
niveau de la « fonction emphatique » du titre de
presse.
II b - EXERCICES SUR « LA PLAGE »
1. Présentation de la fiche
LA PLAGE
Trois enfants marchent le long d'une grève. Ils
s'avancent, côte à côte, se tenant par la main. Ils
ont sensiblement la même taille, et sans doute
aussi le même âge : une douzaine d'années. Celui
du milieu, cependant, est un peu plus petit que les
deux autres.
Hormis ces trois enfants, toute la longue plage est
déserte. C'est une bande de sable assez large, uniforme, dépourvue de roches isolées comme de trous
d'eau, à peine inclinée entre la falaise abrupte qui
paraît sans issue et la mer.
Il fait très beau. Le soleil éclaire le sable jaune
d'une lumière violente, verticale. Il n'y a pas un
110
nuage dans le ciel. Il n'y a pas, non plus, de vent.
L'eau est bleue, calme, sans la moindre ondulation
venant du large, bien que la plage soit ouverte sur
la mer libre, jusqu'à l'horizon.
Ils sont blonds, presque de la même couleur que le
sable : la peau un peu plus foncée, les cheveux un
peu plus clairs. Ils sont habillés tous les trois de
la même façon, culotte courte et chemisette, l'une
et l'autre en grosse toile d'un bleu délavé. Ils marchent côte à côte, se tenant par la main.
Alain ROBBE-GRILLET
« Instantanés »
(La Plage - 1956)
Exercices :
a) SUBSTITUTION DE
«JE» A
«IL»
Trois personnages sont posés dans le texte. Ils sont
désignés par la 3e personne. L'un d'eux sera introduit à la 1™ personne. La transformation sera
faite par un travail de groupe ou individuel. On
recherchera ensuite le mode le plus intéressant de
dépouillement des productions d'élèves. Ils peuvent
donner lecture, tour à tour, du nouveau texte. Ils
peuvent être invités à classer les modifications qu'ils
ont apportées au texte initial, etc.
Objectifs particuliers : il faut faire apercevoir que
l'organisation du texte (narratif) dépend de la situation que se réserve le narrateur et des possibilités qui en découlent au point de vue de l'interprétatif et de l'objectif. Ainsi dans ce texte,
l'introduction de « je » fonde les indications objectives à propos de l'âge («douzaine»), mais laisse
une grande place au subjectif ( « presque de la même
couleur que le sable »,).
b)
«EXPANSION»
NARRATIVE
Consigne : « Garder la première phrase de chaque
paragraphe et la compléter par trois ou quatre lignes
de récit, ou plus » (travail de groupe ou individuel).
Objectif particulier : montrer que tout morceau
descriptif est en fait un « appel de narration » (ce
qui confirme d'ailleurs que toute différence entre
description et narration relève d'une méthode et
non d'une théorie).
Il sera donc nécessaire de rechercher avec les élèves
ce qui a orienté leur récit dans la description de
Robbe-Grillet.
2. Compte rendu des premiers résultats
2.7. CONDITIONS MATERIELLES
CLASSES D'EXPERIMENTATION :
5e, C.E.S. Gonesse
4e, C.E.S. Saint-Denis
4e C.E.S. Gonesse
4" DA, C.E.G. Paris
4e AE, C.E.G. Paris
2e C, Gonesse
2 A, Maisons-Alfort.
CONSIGNES ADOPTEES
Des deux consignes présentées sur la fiche, c'est la
seconde («expansion narrative») qui a été unanimement retenue. Dans une seule classe (4e, Paris)
il a été demandé « d'essayer d'employer la première personne » dans les récits. Notons que deux
élèves de la classe ont fait cet essai. Néanmoins, le
ou les points de vue adoptés par les élèves dans leurs
narrations ont permis de faire un compte rendu
critique des conséquences dues à la différence de
situation du narrateur.
2.2. COMMENTAIRE CRITIQUE
DES RESULTATS
A. LA SITUATION DU NARRATEUR
A.l. LA DISTANCE PRISE PAR RAPPORT
AU RECIT
1.1. JE ne s'énonce pas
Beaucoup d'élèves ont adopté — au moins dans les
premières lignes — le point de vue choisi par RobbeGrillet : celui du narrateur extérieur au récit, observateur qui tout en se voulant objectif, laisse apparaître sa subjectivité : (ex. : « ils ont sans doute le
même âge » ). Loin de s'effacer, ce narrateur est
inscrit dans le récit par les termes de modalisation
(sembler, paraître), par les appréciations qu'il
porte...
Ex. : « L'un est grand, très mince. Son nez fait
penser à Cassius Clay, un vrai nez de boxeur.
Il semble habitué à commander... (élève de 2 e ).
Cette présence du narrateur se marque aussi dans
les récits par des questions telles que « Où allaientils ? », «Qui peuvent-ils bien ê t r e ? » , chargées de
souligner le caractère étrange, mystérieux qu'il attribue aux personnages.
1.2. JE s'énonce
DEROULEMENT
Ce que nous avons dégagé précédemment devient
encore plus explicite grâce aux marques de la première personne et à la transcription directe des
réactions du narrateur («je fus frappée par...»,
« ils venaient d'éveiller en moi une vive curiosité»...). Les quelques récits d'élèves racontés par
un JE introduisent un élément nouveau : celui de
la proximité, sur cette plage, du narrateur et des
enfants. Loin de permettre un rapprochement, cette
proximité rend le trio encore plus énigmatique puisque le mutisme des enfants ou le sentiment d'étrangéité qu'il éprouve à leur égard, empêche le narrateur d'en savoir plus que ce qu'il voit ou entend.
Respect de cette « vision du dehors » poussée dans
ses dernière conséquences.
La rédaction individuelle des récits a été suivie d'un
commentaire collectif animé par le professeur.
A.2. ABOLITION DE LA DISTANCE
ENTRE LE NARRATEUR ET LE RECIT
La consigne même d'expansion narrative a été assouplie. Tous les travaux dont nous rendons compte
ont consisté à inventer une suite au texte de RobbeGrillet ou à « extraire du récit deux phrases que
vous intégrerez dans un récit mettant en scène les
trois enfants» (2e, Gonesse) (1).
(1) Il est significatif que les phrases choisies par la presque totalité des élèves soient de caractère constatif, mais
à forte connotation de mystère : « Trois enfants marchent
le long d'une grève ». « Hormis ces trois enfants, toute
la longue plage est déserte ».
Cette suppression de la distance peut se marquer
de différentes manières :
2.1. Le narrateur est l'un des enfants lui-même
Ex. : « La plage s'étend très loin et j'aime à m'imaginer que le monde s'arrête avec elle. Nous ne
111
parlons jamais quand nous marchons ainsi. Nous
écoutons le cri des mouettes et regardons les reflets
du soleil sur l'eau. J'ai envie de courir et de me
jeter dans l'eau fraîche, mais je ne veux pas troubler
mes deux amis dans leur recueillement. Cette plage
est le seul endroit que nous aimions... Je sais que
nous pensons tous les trois la même chose au même
moment » (4 8 ).
L'organisation de ce récit, presque unique en son
genre, est entièrement centré autour du JE qui
raconte, commente et s'approprie un NOUS indifférencié dans sa vision unique.
2.2. Dans les récits à la troisième personne
Le narrateur utilise essentiellement deux procédés
pour faire pénétrer le lecteur dans l'univers des enfants : le dialogue, qui permet d'avoir accès aux
secrets, et le changement de point de vue ; le narrateur n'est plus alors l'observateur-interprète intrigué
et ignorant, mais celui qui est « avec » ses personnages. Des expressions telles que « ils s'étonnent... »,
«ils décident de...», «l'envie leur prend de...»,
traduisent ce type de point de vue. Dès que le narrateur se met à expliciter, nous quittons le domaine de
l'étrange pour entrer dans celui du récit d'aventures.
Eléments descriptifs du texte
112
de Robbe-Grillet
Pour ne pas alourdir ce compte rendu, nous n'étudierons pas en détail les rapports que les élèves ont
instauré entre le narrateur et ses personnages et
entre le narrateur et le lecteur. Nous nous contenterons de deux remarques : lorsque l'un des enfants
se détache comme acteur principal, il s'agit souvent
du plus petit des trois (sous l'influence de la signalisation faite par la description de Robbe-Grillet) ;
ensuite il pourra être fructueux d'amener les élèves
à s'interroger sur les remarques à portée « moralisatrice » ou « philosophique » ( « personne ne peut
les comprendre », « comme l'été sur la plage, la
beauté et l'innocence passent trop vite » ) , pour leur
faire chercher qui parle et leur signaler l'une des
formes possibles que le narrateur emploie pour
s'adresser au lecteur.
B. LE FONCTIONNEMENT
ENTRE DESCRIPTION ET
B.l.
DES RAPPORTS
NARRATION
Les appels à la narration
Si, dans les récits, presque tous les détails de ce
texte court ont été retenus avec plus ou moins d'insistance, on peut néanmoins en dégager quelques-uns
qui sont à l'origine des questions fondamentales formulées ou implicites ayant suscité l'organisation de
la narration.
Enigmes à résoudre
Trois enfants... Ils ont sensiblement la même
taille...
Qui sont-ils ? que sont-ils ?
Ils sont blonds... Ils sont habillés tous les trois de
la même façon...
Pourquoi se ressemblent-ils ?
côte à côte se tenant par la main
Quels liens les unissent-ils ?
ou contre quoi ^
, .,
. „
ou pourquoi
) sont"lls u m s ?
marchent.... s'avancent...
D'où viennent-ils ?
Où vont-ils ?
Hormis ces trois enfants, toute la longue plage est
déserte.
Que font-ils seuls ici ?
Ces énigmes nées du texte appellent des qualifications (traits « psychologiques, références sociales...) et des séquences narratives qui vont les articuler — voire les résoudre — dans une série de
combinaisons plus ou moins riches. Par la narration, les enfants sont réintroduits dans la temporalité (histoire individuelle, suite chronologique de
leurs actions...) pendant qu'ils prennent possession
de l'espace-plage (jeux, baignades, aventures...) intégré alors dans la logique narrative.
Eléments fournis
par le texte
Nouveaux éléments
B.2. Organisation du passage du descriptif
au narratif
La richesse des récits produits par les élèves ne
permet pas de les intégrer tous. Nous allons donner
quelques exemples de l'utilisation des éléments fournis par le texte, des qualifications sémantiques et de
la mise en place des schémas narratifs qui en résultent.
Qualifications
sémantiques
Schémas narratifs
celui du milieu est un
peu plus petit
il pleure
il est faible
aide des deux autres
ils s'avancent côte à côte
+ douzaine d'années
présence de malfaiteurs
ce sont des amis redresseurs de torts
élimination
chants »
ils s'avancent côte à côte
+ ils sont habillés tous
les trois de la même façon
errance
ce sont les pensionnaires
d'un orphelinat en fugue
découverte de la famille
plage déserte -f- lumière
verticale et violente
arrivée des Martiens +
rayon laser, explosion
atomique à des milliers
de km
c'est un lieu agressé
mort des enfants
sable
accident de terrain
c'est l'emplacement
trésor
faille découverte
c'est un endroit inexploré qui doit receler des
richesses
falaise abrupte
1)
2)
Ces quelques exemples donnent les éléments de la
chaîne de raisonnement de certains récits sans qu'il
nous soit possible d'en déterminer avec assurance
le fonctionnement. Il semble néanmoins que les
éléments ajoutés soient consécutifs aux qualifications sémantiques apportées ou à la résurgence de
schémas narratifs connus.
a) Rôle des qualifications sémantiques
Ex. : « Trois enfants marchent le long d'une grève
Celui du milieu paraît triste, les deux autres sem-
du
des
« mé-
recherche et découverte
du trésor
escalade
découverte du trésor
blent le consoler et lui apporter un réconfort... Le
soleil brille ; l'eau est pure et transparente. Ces
garçons ne profitent ni de l'eau ni de l'espace ; ils
marchent doucement, rapprochés les uns des autres,
leur visage est grave. Le plus petit, quelques jours
auparavant a perdu son chien. Non loin de là, sur
une petite falaise, il l'a enterré... Quelques larmes
coulent le long des joues du cadet, celui-ci pense
aux moments heureux qu'il passait avec son chien...
L'aîné cherche à le consoler et à le faire rire... »
(élève de 4 e ).
113
Pour cet élève, « plus petit» par lequel A. RobbeGrillet a qualifié l'enfant situé au milieu, a fonctionné semantiquement comme terme d'une opposition
non pas tant avec « grand » qu'avec « âgé » et
« fort », et a été investi comme « plus faible »,
« plus vulnérable ». On peut donc supposer que ce
sont les qualifications sémantiques qui ont motivé le
schéma narratif : douleur-consolation.
b) Résurgence de schémas narratifs connus
Ex. : « Les trois enfants escaladent la falaise. Tout
à coup ; ils s'arrêtent. Ils ont aperçu une étroite
ouverture dans la falaise. Ils ramassent une pierre
et la lancent, puis une deuxième, une troisième. Et,
l'instant d'après, ils entendent le bruit de quelque
chose qui se brise. Un trésor. Ils voient déjà une
caverne pleine d'or comme celle d'Ali-Baba. Alors,
ils se précipitent tous vers l'entrée... » (élève de 4 e ).
La falaise abrupte, à l'accès difficile, rappelle les
récits de chasse au trésor (la référence à Ali-Baba
est significative). Il suffisait de trouver une « faille »
pour introduire la séquence « découverte du trésor ». Le récit décomposé dans l'avant-dernière ligne
du tableau procède de la même manière. Le sable
(creuser) d'une plage mystérieuse, hors du monde
quotidien, fait resurgir les mêmes schémas. Là encore il fallait un signe : l'uniformité suggère alors
l'anomalie signifiante du tas de sable.
Dans tous les récits, le passage à la narration s'est
accompagné d'un enrichissement de la description.
B.3.
Descriptif et narratif dans les récits d'élèves
Ce travail de création « contrôlée » a permis aussi
de faire sentir aux élèves l'importance complémentaire dans un récit de la description et de la narration. On peut cette fois, comme le propose un professeur de 4°, partir du narratif en faisant un
découpage en séquences de quelques récits d'élèves :
récit ;1 :
— départ en barque des trois enfants
— tempête
— accostage en catastrophe en un lieu inconnu (la
plage)
— secours apporté par un vieux marin
— arrivée des parents
récit 2 :
— départ en hors-bord
— tempête
114
•— accostage en un lieu inconnu
— aide apportée par un paysan
— retrouvaille avec la mère
a) Ce découpage élimine, bien sûr, les éléments
descriptifs, pourtant présents dans les récits. Il est
donc intéressant de comparer et de différencier les
deux séquences « tempête » telles qu'elles sont racontées et de faire apparaître que description et
narration s'impliquent mutuellement dans la dramatisation du récit.
b) On peut aussi superposer ces deux ensembles singulièrement identiques et amener les élèves à s'interroger sur la « nature » de leur récit. Chacun des
deux groupes de séquences peut, en effet, se réduire
à quatre fonctions : départ — épreuve — aide —
retour. Il est alors possible de faire intervenir les
autres récits et de marquer les différences. Cette
méthode a permis dans une classe de 2* de dégager
des constantes narratives nées de ce texte descriptif
et de distinguer les récits à forte narrativité et les
récits « d'atmosphère » essentiellement qualificatifs.
C. INVESTISSEMENT
AFFECTIF,
CULTUREL... DES ELEMENTS DU
TEXTE
Ce passage à la narration ouvre une troisième perspective : les prolongements donnés aux détails du
texte ne sont pas arbitraires et l'investissement
sémantique des « appels à la narration » laisse
apparaître des différences selon la classe d'âge, le
sexe, la classe sociale et les références culturelles
(lectures), la situation familiale de l'élève. Faute de
méthode d'analyse, nous nous contenterons de donner les interprétations les plus courantes.
1) La plage comme lieu clos
a) Pour l'ensemble des récits du premier et du
second cycle, la plage frappée par la lumière violente, l'absence de vent suscitent des images d'angoisse (rencontre avec des animaux effrayants, ombres de matelots disparus), de menaces devant le
déchaînement des éléments trop calmes (orages, cyclones, tempêtes), de mort.
L'atmosphère de ce texte clos ressentie comme
étouffante peut expliquer que des élèves, surtout
les plus jeunes, aient introduit dans leurs récits des
éléments sécurisants (adultes bienveillants, maison
sur la plage dans laquelle habite la mère ou les
parents).
b) La moitié des élèves d'une classe de 2e (Gonesse) a ressenti la plage déserte comme refuge
dans une série d'oppositions avec la ville ou plus
généralement avec le « monde » tel qu'ils se le représentent :
plage / ville
enfance / adultes
innocence / course au profit
beauté / bêtise humaine
aube d'une civilisation / monde ancien en décomposition nouvelle
rêve / réalité
2) La plage (-f- la mer) comme lieu ouvert de
l'aventure
Pour les élèves jeunes, la plage est un lieu privilégié
pour les jeux et l'aventure (découverte de trésors,
secours apporté à des oiseaux blessés...).
A travers ces récits, il est donc possible de voir
transparaître les goûts des élèves, leurs aspirations
et leurs habitudes de lecture.
côté mais pas derrière eux pour chercher des yeux
un abri, une grotte, une cabane de baigneurs, un
trou. Rien, il n'y a rien du tout. Alors affolés, ils
courent de plus en plus vite, se tenant toujours par
la main.
Enfin, à 500 mètres ils aperçoivent un trou, un grand
trou. Repartant de plus belle, ils se dirigent vers
cet abri précaire. Toujours derrière eux le hurlement qui déchire l'air s'amplifie et se rapproche. Le
trou n'est plus qu'à 100 mètres. Vite, plus vite.
Mais le plus petit de tous trébuche sur les restes
d'une vieille barque recouverte depuis longtemps
par le sable de la plage. Il tombe lourdement et péniblement se relève pour recommencer avec ses
camarades la course folle.
Enfin le trou ! Ensemble ils sautent dedans. Au
moment où ils se jettent dans le trou, un crépitement
se fit entendre. Quelques secondes plus tard, on
voyait dans le trou trois petits corps inanimés se
tenant par la main, les vêtements rouges de sang. Les
avions ennemis qui avaient accompli leur odieux
massacre pouvaient maintenant repartir vers de nouveaux carnages.
En produisant des récits à partir de l'instantané
de A, Robbe-Grillet, les élèves ont actualisé le narratif que la description portait à l'état latent et
ont mis à jour ce que les éléments constatifs euxmêmes, bien qu'apparemment impersonnels, comportaient d'appel à la subjectivité. Qu'il s'énonce ou
pas, c'est un JE qui parle le « monde » (IL) et qui
se parle en même temps. Dans le texte suivant
extrait de La Modification, les rapports entre JE et
IL vont être marqués linguistiquement de façon
plus nette encore grâce à une procédure interprétative.
Voici, chers téléspectateurs, le deuxième épisode des
massacres de la guerre 39-45, qui vient de se terminer. J'espère vous retrouver demain pour la suite
de notre feuilleton. » (C.E.S. Gonesse.)
M.-M. BEAULU
CLASSE DE 2e AB2 — 32 élèves «faibles», qui
préfèrent les exercices de création à tous les autres.
ANNEXE
Voici, à titre d'exemple, le récit produit par un
élève de 4e auquel le professeur avait demandé
d'imaginer une suite au texte de A. Robbe-Grillet.
« Un hurlement strident retentit soudain derrière
eux. Pris de panique, ils se mettent à courir se
tenant toujours par la main. Ils regardent de tout
EXPERIENCE AU LYCEE
FRANÇOIS-VILLON - 14»
(P r D. BURGOS)
TRAVAIL PREPARATOIRE : Lecture du texte (distribué) :
La Plage de Robbe-Grillet (instantanés). Les élèves
remarquent son caractère étrange, son « vide d'événements ». Mis au passé, il est entièrement à l'imparfait : c'est une description, même la l re phrase
( « Trois enfants marchent le long d'une grève » ) —•
très objective : il ne semble y avoir de trace du
narrateur que dans « sans doute » (2e ligne) — « une
douzaine d'années » (3e ligne) — « assez large »
(2e paragraphe).
115
CONSIGNE : Choisir trois éléments (trois phrases)
du texte — les inclure dans un récit libre. Le passage du présent au passé est permis.
DUREE : 2 heures, le travail préparatoire compris.
OBSERVATION DES TEXTES PRODUITS :
Les éléments choisis : tows les éléments du texte,
avec une fréquence variable. Ils ont quelquefois
réellement déclenché l'imagination. D'autres fois, ils
semblent avoir été intégrés plus ou moins laborieusement à une histoire banale, souvenir de vacances
ou fragment de roman feuilleton.
— La plage n'a au total été que le lieu d'une fuite,
d'une poursuite (il n'y a alors qu'une simple dramatisation du paysage)
— ou d'une histoire de mort (action même du récit
ou souvenir)
— ou d'une histoire d'amour — ou de jeux et autres
activités liées à la mer.
Dans 7 devoirs la plage, a totalement disparu au
profit d'opposés (?) : 2 histoires de montagne —
2 histoires de forêts — 3 histoires dans une ville
ou un village... Restent le beau temps et/ou les personnages de Robbe-Grillet. Parfois îa mer a pris
pratiquement toute la place (histoires de naufrage,
de pêche). Deux fois la plage a été éliminée au
profit de la falaise, là où elle n'a plus de plage à
ses pieds (ou se jette ou tombe dans la mer).
— Les trois enfants sont quelquefois devenus très
adultes — une fois, trois rochers ! Deux fois, à la
fin de l'histoire ils sont trois fantômes, ou trois ombres (le chiffre 3 des contes).
Plus remarquable est le passage à deux : deux enfants de sexe différent — deux amoureux — un
chien et son maître.
Deux fois on passe à plus de trois : une sortie d'école,
les gens d'un village...
— « Ils s'avancent côte à côte se tenant par la
main » est l'élément le plus utilisé (dans 20 récits)
parce qu'il créait un lien entre les personnages que
toute l'histoire expliquerait (c'est ce qu'on dit les
élèves).
116
— « Une douzaine d'années » : en syntaxe libre,
l'expression a été utilisée une fois dans le sens de :
« il y a longtemps, une douzaine d'année»...
-— « Celui du milieu, cependant, est un peu plus
petit que les deux autres. »
Elément utilisé réellement pour trois rochers — et
un groupe : un enfant entre l'homme et la femme.
— « Il fait très beau. »
« Le soleil éclaire le sable jaune d'une lumière violente, verticale. »
« Il n'y a pas un nuage dans le ciel. Il n'y a pas
non plus de vent. »
« L'eau est bleue, calme, sans la moindre ondulation
venant du large... »
Tous éléments utilisés presque toujours avant ou
après le moment le plus dramatique. En opposition — une fois le calme et la sérénité du ciel
ont été ceux de la nuit !
— « Ils sont blonds, presque de la même couleur
que le sable... »
Elément peu utilisé, toujours pour un couple.
— Ils sont habillés tous les trois de la même façon,
culotte courte et chemisette... »
Elément peu et mal utilisé — trop contraignant.
On peut noter encore que tous les récits sont à la
3" personne sauf trois.
COMPTE RENDU EN CLASSE. 1 heure.
Essentiellement lecture de devoirs permettant de
voir l'essentiel de ce qu'avaient « donné » les éléments du texte de Robbe-Grillet et de chercher
pourquoi.
PROFIT TIRE ET CRITIQUE
Le rapport description-narration est apparu tout à
coup comme très étroit. En même temps qu'il a
semblé clair qu'un même élément objectif pouvait
s'intégrer très bien à quantité d'univers différents.
Pour être plus poussé, le travail devrait peut-être
être fait sur des éléments fixés pour toute la
classe — ou être une suite à tout le texte ?
Les « histoires » autour des éléments du texte de
Robbe-Grillet :
II c - EXERCICES SUR « LA MODIFICATION »
— Deux amants seuls, avant la fin du monde.
— Trois enfants en fuite — prennent une embarcation — meurent. Leurs fantômes à minuit...
— Tournage d'un film.
— Deux enfants qui s'aiment et découvrent leur
nudité.
— Trois enfants — une partie de bain, des jeux...
(3 fois).
— Elle — amour déçu — se jette dans la mer
depuis la falaise.
— Trois enfants perdus qui viennent de la forêt —
marchent vers un pêcheur (deux fois).
— Trois enfants poursuivis pour avoir souri à l'ennemi — on les assassine.
— Trois enfants découvrent un livre dans une
épave.
— En montagne des gens passent une frontière pendant la guerre.
— Trois enfants en mer —- un noyé.
— Deux amoureux.
— Sortie de l'école — beau temps — on part vers
des jeux.
— Un conte : découverte d'une amphore magique —
le nain qui vivait à l'intérieur se venge — les trois
enfants sont changés en fantômes.
— Une femme archéologue •— découverte de trois
rochers — s'endort, — rêve.
— Trois noirs (dont un enfant) fuient un lynchage.
— Dans une ville trois personnes que suit le narrateur vont voir un mort (victime de la ville).
— Trois enfants en pèlerinage sur la plage : un
4e était tombé de la falaise.
— Deux enfants, un garçon et une fille jouent sur
la plage = rêve du garçon.
— « Je » pleure un amour mort en mer.
— Dans les bois des enfants découvrent une maison.
— Trois enfants font naufrage, puis sont sauvés.
— Départ pour la pêche (3 jeunes).
— Trois pêcheurs en mer.
— Trois jeunes — excursion en montagne.
— Monologue d'un chien dont le maître s'est noyé.
— Trois enfants trouvent un homme blessé.
1. Présentation de la fiche
LA MODIFICATION
Il fait effort pour garder les yeux fixés sur les
lignes agitées par le mouvement du wagon, pour
aller plus vite dans sa lecture mais sans rien laisser
échapper d'important, un crayon dans sa main droite, marquant de temps en temps une croix dans la
marge, parce que ce texte doit lui servir à préparer
quelque chose, un cours sans doute qui n'est pas
prêt et qu'il doit donner cet après-midi, un cours
de droit probablement puisque, si le titre courant
danse trop pour que vous puissiez le déchiffrer à
l'envers, vous êtes pourtant capable d'identifier les
trois premières lettres L, E, G, du premier mot qui
doit être « législation », vraisemblablement à Dijon
puisqu'il n'y a pas d'autre université sur la ligne
avant la frontière.
Il porte une alliance à son doigt effilé et agité ; il
doit venir faire ses cours deux ou trois fois par
semaine, une seule fois peut-être s'il s'est bien
débrouillé, s'il a un pied-à-terre là-bas ou un hôtel
assez bon marché qui lui convienne, parce qu'il ne
doit pas être royalement payé, et laisser sa femme
à Paris où il habite comme la plupart de ses collègues, avec ses enfants, s'il a des enfants, qui sont
obligés d'y rester à cause de leurs études, non qu'il
manque d'excellents lycées dans cette ville mais
parce qu'ils ont déjà peut-être leur baccalauréat,
l'aînée du moins, ou l'aîné (c'est une réaction très
sotte, c'est entendu, mais il est sûr que vous auriez
préféré que votre premier-né fût un garçon), car,
s'il est certainement plus jeune que vous de quelr
ques années, il s'est peut-être marié plus tôt, et ses
enfants, mieux suivis, n'auront pas eu de difficultés
à faire des études plus brillantes que Madeleine, par
exemple, qui n'en est qu'à sa première à dix-sept
ans.
Il tourne la page avec fébrilité, il revient en arrière ;
il n'a pas la conscience tranquille ; il doit se reprocher d'avoir reculé jusqu'à ces dernières minutes
un travail qu'il aurait dû terminer depuis longtemps
en toute tranquilité ; ou bien une difficulté soudaine a-t-elle surgi et s'est-il brusquement obligé à
reprendre complètement tout ce qu'il avait en effet
préparé, cette leçon dont il croyait ne plus avoir
à s'occuper et qu'il recommençait tous les ans sans
117
histoires depuis l'obtention de son poste ? Il y a
une distinction véritable chez lui, et, on le sent, de
l'honnêteté.
Michel BUTOR
«La Modification»
• 1 A, Maisons-Alfort où, après la lecture du texte,
il est laissé un temps de réflexion avant la mise en
commun des résultats.
• 4e, C.E.S. Saint-Denis.
• 4e D A, C.E.G. Paris.
Exercices :
— Par rédaction individuelle suivie d'une confrontation collective en 2" A et 2e AB, Gonesse.
a) TRANSFORMATION DE «IL» EN « J E »
C'est un exercice proche du précédent {La Plage,
exercice a). Mais le texte ayant un caractère interprétatif très marqué, les élèves pourront remarquer
des différences avec celui de Robbe-Grillet. Alors
que ce dernier se contente d'appels de narration,
Butor amorce nettement la narration par le jeu de
l'interprétatif et trace la voie de toute production
de récit.
Remarques :
— On peut se contenter du premier paragraphe ou
étendre l'exercice à tout le texte.
— On avertira les élèves du cas de « vous », sans
toutefois leur dire nécessairement qu'il disparaît, ce
qu'ils auront à découvrir.
Certains détails qui disparaissent avec « je » peuvent être conservés à une condition, qu'il s'agisse
d'un récit au passé, de souvenir. Les élèves saurontils retrouver cette condition ?
Proposition d'approche
Pour des élèves de 4e (Saint-Denis), le professeur
a ressenti la nécessité de préparer la classe par
l'observation-interprétation d'une photographie reproduite dans l'ouvrage utilisé. Devant les deux
personnages de l'image dont ils doivent dire « ce
qu'ils sont», les élèves emploient spontanément les
formes de modalisation et les termes introduisant
l'interprétation ( « je l'imagine »..., « je me le représente... »). Le professeur fait alors procéder à l'inventaire de ce vocabulaire et relever les éléments
icôniques qui motivent les différentes interprétations. La transformation du texte de M. Butor se
trouve alors en terrain connu.
2.2. COMMENTAIRE CRITIQUE
DES RESULTATS
I.
LA TRANSFORMATION
DE IL EN JE
1.1. La logique du nouveau récit
b) RE-ECRITURE DU TEXTE
Consigne : « A, B et C » sont dans un compartiment.
A et B décident de décrire C.
A décrit C et montre ce qu'il a fait à B. C'est le
texte de Butor.
B déclare qu'il n'est pas d'accord avec cette description et réécrit le texte de Butor en y introduisant son interprétation.
2.
Compte rendu des premiers résultats
2.1. CONDITIONS MATERIELLES
L'expérimentation s'est déroulée selon les procédures
et dans les classes suivantes :
— Oralement, l'enseignant consignant les résultats
de la discussion collective en :
118
Le travail de transformation entraîne pour tous les
élèves la disparition des formes de modalisation
(doit, sans doute, probablement...) et des alternatives. Toutefois, la réduction des interprétations proposées par M. Butor dans « il doit venir faire ses
cours deux ou trois fois par semaine... » a posé quelque problème. Plusieurs élèves de 2e n'ont pas hésité
à écrire : « Je viens faire mes cours deux fois
par semaine parce que je me suis bien débrouillé;
que j'ai là-bas un pied-à-terre... ». Ces élèves, pour
qui faire cours et venir faire cours étaient identiques, superposaient sur un professeur du supérieur
les schémas professionnels du 1er et 2* degré ; venir
à Dijon deux fois par semaine leur semblait donc un
allégement.
Presque toujours les liens de causalité ont été rétablis par l'introduction de «car», «puisque»... à
la place de «si».
La transformaion de IL en JE a enfin entraîné des
changements de registre dans le langage : « je me
reproche de... » devient pour certains « je m'en veux
de... », «je n'ai malheureusement pas...») et des
investissements sémantiques ( « s'il a... » est devenu
pour quelques élèves « car j'ai loué... »). Ces transformations sont ressenties comme étant moins impersonnelles. Le souci de rétablir une logique discursive plus « naturelle » a même parfois mené
à un retournement du schéma de base, ex. : au lieu
de «je viens faire mes cours une seule fois par
semaine parce que je me suis bien débrouillé», un
élève (2e) écrit : « je me suis débrouillé pour ne
venir qu'une seule fois parce que je ne suis pas
royalement payé».
1.2.
Elucidation
La nature de certaines expressions ou la façon dont
les élèves les ont intégrées dans leur nouveau texte
a nécessité des phases d'élucidation.
Le mélange, dans une même phrase, d'éléments
constatifs et évaluatifs a prêté à des discussions'
qu'il n'était pas nécessaire de trancher pourvu que
les élèves en sentissent la pertinence. Alors que tous,
par exemple, ont éliminé « il porte une alliance à
son doigt... », certains acceptent très bien de dire
ou d'écrire : « je tourne les pages avec fébrilité »,
car l'évaluation subjective de « avec fébrilité »
compense la distance que suppose le détail constatif « je tourne les pages ».
Le maintien de certains détails objectifs a obligé les
élèves à préciser dans quel(s) contexte(s) telle expression pourrait être effectivement maintenue et
à découvrir la nouvelle fonction que revêtent ces
détails. Que JE précise qu'il tient son crayon dans
la main droite et droite devient insistance significative sur ce qui peut être le masque d'un criminel
gaucher, ou sur la présence suggérée d'une main
gauche menaçante... Il en est de même pour le maintien d'une expression telle que « puisque il n'y a
pas d'autre université avant la frontière » (2 e ). JE
se révèle alors comme un universitaire trafiquant
de drogue ou relai d'une organisaton étrangère pour
lequel un poste à Dijon est à la fois une couverture
et un moyen. Cette elucidation met les élèves en
situation de discours et a mené par exemple une
élève de 2* à constater que « finalement tout a un
sens»... dans un certain contexte.
IL
RE-ECRITURE
Une ré-écriture du texte, peu expérimentée, a présenté un double écueil : celui de la pauvreté, si les
élèves s'en sont tenus aux détails du texte qui
ferment de plus en plus les possibilités d'interprétation (les variantes concernent essentiellement la nature de la lecture, roman policier, pornographique...),
ou celui d'une très grande dispersion si d'autres
détails sont intégrés.
III.
RE-EMPLOI
Consignes proposées : — décrire le personnage d'une
photographie et imaginer ce qu'il peut être (4°,
Saint-Denis).
— Dans la rue, dans le métro, un passant vous intrigue. Vous l'observez et vous essayez de déterminer
qui il peut bien être (4e, Paris).
Dans les deux cas, les travaux montrent qu'il est
difficile, surtout pour de jeunes élèves, de maîtriser
la verbalisation et l'interprétation de signes gestuels,
vestimentaires, icôniques... Les récits sont souvent
confus, voire incohérents car l'exercice exige une
rigueur très contraignante. Dans la seconde consigne,
« intrigue » oriente presque tous les récits vers une
forte narrativité (style de l'enquête), et « porte
même certains élèves à oublier le jeu descriptioninterprétation pour passer à l'assertion catégorique.
Si les consignes de ré-écriture et de ré-emploi ont
permis aux élèves de se heurter directement aux
difficultés de ce procédé d'écriture, il semble néanmoins que les obstacles aient été trop grands pour
que les travaux aboutissent à des résultats encourageants et positifs. Par contre, bien que la transformation de IL en JE, liée à la longueur des phrases
demande un effort de concentration non négligeable,
l'exercice a été bien accueilli et a prêté à des discussions fructueuses.
M.-M. BEAULU
119
STRUCTURES NARRATIVES :
PREMIERS EXERCICES
PRELIMINAIRES
Nous présentons, ici, le premier temps d'une série
d'expérimentations sur les structures narratives.
On n'oubliera pas, en prenant connaissance de cette
expérimentation, que notre propos est de faire découvrir les composantes d'un phénomène pour mieux
les recomposer ensuite dans une totalité. L'expérimentation qui suit portera donc essentiellement sur
la différence fonctions/qualifications ; d'autres exercices ultérieurs, porteront sur d'autres distinctions.
Enfin on n'oubliera pas, non plus, notre cadre d'activité pédagogique en trois phases — Pratique-dramatisation / Connaissance-élucidation / Pratiqueproduction — (voir A, Problématique, II), et l'on
constatera que cet exercice correspond aux deux
premières phases, la dernière ne pouvant se faire
que lorsque l'on aura recomposé la totalité de la
« narrativité ».
I - Présentation de la fiche :
différence entre fonction et qualification
1.1.1. .Repérer les structures et le sémantisme
du récit
Les « personnages » peuvent être identifiés à des
types (par généralisation) ou «actants». Ils relèvent alors des structures. Ils ont une « psychologie »,
un portrait physique, etc. : ces propriétés relèvent
du sémantisme particulier à chaque « histoire ». II
en va de même dans le récit pour les actions de ces
personnages, les moyens qu'ils utilisent, les objets :
tous ces éléments peuvent être désignés de manière
générique ou particulière (cf. Propp). Il existe sans
doute une continuité entre les structures et le sémantisme. Mais dans la perspective structurale il
importe de percevoir les différences.
1.1.2.
OBJECTIFS
Distinguons les objectifs généraux par lesquels cette
fiche se rattache à une série d'expérimentations sur
les structures narratives (elle en est le premier
temps),
l'objectif particulier rapporté à un genre (et un
certain sens de ce mot) : la bande dessinée.
qualification
Il faut montrer aux élèves que certains énoncés
servent au récit ( « font progresser l'histoire ») alors
que d'autres affectent aux personnages, aux objets,
des qualités sans conséquence pour le récit : les
premiers énoncés sont des fonctions, les autres des
qualifications.
1.2.
1.
Distinguer fonction et
OBJECTIF PARTICULIER
On fera percevoir aux élèves la différence entre
les fonctions et les qualifications dans des séquences
de bande dessinée. Dans ce cas, la différence ne joue
pas sur des énoncés. Elle porte sur les éléments
graphiques représentant le décor, l'air et l'attitude
des personnages. On évitera de travailler sur ce
qu'ils disent : il est plus commode de ne travailler
que sur l'élément graphique.
1.1. OBJECTIFS GENERAUX
On pose le problème des structures en narration :
telle est la visée théorique de cette fiche (1). Cet
objectif peut au moins être formulé de deux façons.
(1) Cf. Annexes théoriques (infra) : Eléments pour une
description des structures narratives (C. Chabrol).
2.
PROCEDURE
2.1. On donne aux élèves une image de B.D. extraite de sa séquence et on leur demande de l'observer de façon à laisser de côté les éléments descriptifs inutiles et à réécrire un contexte, une
séquence qui tienne compte des éléments utiles,
c'est-à-dire des fonctions.
121
2.2. Comme pour les expérimentations précédentes, on fait travailler les élèves en groupes de 4 ou 5.
Chacun des groupes a la même tâche. Les résultats
auxquels ils parviennent sont confrontés en séance
collective. La présentation à la classe de la séquence
alimente la réflexion collective sur l'opposition qualification/fonction.
3.
PREPARATION
Rappelons que l'usage du magnétophone est de loin
le meilleur moyen de réfléchir après coup à l'exercice et d'en tirer des conclusions pédagogiques et
théoriques.
Avec cette fiche, des images de B.D. sont à la disposition des maîtres. S'ils veulent faire d'autres choix,
notons que plusieurs points sont à considérer :
— Certaines images sont peut-être trop pauvres
en éléments narratifs et trop riches en qualification. Elles suggèrent une seule séquence et annulent
l'intérêt d'une situation compétitive entre les groupes.
— On doit pouvoir supprimer les bulles et autres
textes sans préjudice pour l'exercice.
— Les images en couleur ne peuvent être convenablement reproduites.
Cette fiche ne nécessite pas de sensibilisation particulière des élèves : on peut l'utiliser comme un
point de départ.
4.
4.1.
DEROULEMENT
LA CONSIGNE
Distribution de l'image à chaque équipe.
1) Enumérez dans le détail tous les éléments que
vous voyez dans l'image.
2) Que font les personnages ? Que faisaient-ils
avant ? Que feront-ils après ? (Que viennent-ils de
faire ? Que vont-ils faire ?).
3) Barrez dans l'énumération les éléments qui ne
servent pas dans votre récit.
Cette consigne est précise. Cependant on peut prévoir des difficultés. Signalons-en deux, peut-être
saura-t-on mieux répondre aux groupes s'ils posent
des questions sur la consigne :
— les élèves risquent de raconter une histoire
n'ayant que des liens très vagues avec les « fonctions » visibles dans l'image. Mais cette éventualité
122
est justement une chose que l'on veut connaître par
l'expérimentation ;
— ils peuvent raconter des séquences situées à un
autre niveau de la structure narrative (Barthes, la
«syntaxe narrative subrogeante», Communications
n° 8) que la séquence choisie. Toutefois s'ils tiennent
compte des fonctions de l'image, il n'y a pas de
raison de les en empêcher.
4.2. TRAVAIL DE GROUPES
On proposera aux groupes de désigner leur rapporteur.
Les descriptions et les récits seront portés sur des
feuilles différentes.
Si les élèves ne peuvent se mettre d'accord dans
leur groupe, ils feront leur propre récit.
Enfin il est possible de demander d'abord à certaines classes (l Br cycle ?) de dessiner les images qui
précèdent et celles qui suivent l'image observée.
Mais il est indispensable ensuite de leur demander
de faire un récit verbal d'après leur dessin.
4.3. ELUCIDATION PAR CONFRONTATIONS
Chaque groupe lira tour à tour :
— l'énumération des traits relevés dans l'image,
— son récit.
Un second tour de classe aura lieu pour que les
groupes donnent lecture des éléments qu'ils n'auront
pas barrés dans l'énumération.
On présentera enfin la B.D. originale aux élèves.
Cette discussion collective sera notée soigneusement
(ou enregistrée) : les résultats en sortiront.
5.
RESULTATS
Ils peuvent être présentés dans un tableau comme
celui-ci :
Description
de l'image
Groupe
Groupe
Groupe
Groupe
1
2
3
4
Eléments
retenus
Actions
imaginées
..
..
..
..
Les tableaux et le compte rendu de l'élucidation
collective seront très utiles au groupe de conception.
II - Exercice de production :
élaboration d'une consigne et compte rendu
des résultats
4) S'éloigne et se rapproche ont été préférés aux
termes attraction - répulsion beaucoup plus marqués sémantiquement.
a) ELABORATION DE LA CONSIGNE
Voici un exemple de travail préparatoire à l'étude
du récit
b.
Le récit choisi étant une nouvelle de Buzzati « le
K » ; le groupe de conception en a fait une analyse
des structures narratives.
Puis il a utilisé le schéma narratif de cette nouvelle
pour élaborer une consigne que les élèves devront
suivre pour produire leur propre récit (ils n'ont
pas encore connaissance de la nouvelle).
Le problème est de trouver une consigne qui na
soit ni trop vague, ni trop précise, ni trop directement liée au récit de la nouvelle. On s'est vite
aperçu en travaillant sur la formulation de cette
consigne que la tâche n'est pas aisée, car, en fait,
il n'y a pas de structures narratives purement formelles ; le contenu sémantique des signes engage
toujours dans une direction « interprétative ».
RESULTATS
CONDITIONS MATERIELLES
Les travaux ont été réalisés à partir de cette consigne dans les classes de :
— 5e, C.E.S. Gonesse
— 4% C.E.G. Paris
— 4e, C.E.G. Paris
— 4e C.E.S. Gonesse
— 1™ Saint-Denis
à partir d'une consigne différemment formulée, en
classe de 2e (Gonesse) ; nous ne rendrons pas compte
ici des résultats et noterons simplement que les
termes choisis ont orienté tous les récits vers le
fantastique — confirmation apportée par l'expérience de l'importance du contenu sémantique pour
les structures narratives.
Dans deux classes (2" et 1") la rédaction des contes
a été faite en groupe. Tous les travaux ont été
commentés collectivement.
Consigne
1) X et Y partent ensemble.
2) Ils rencontrent Z être (mystérieux
non naturel).
b.l.
COMPTE RENDU DES
/ fabuleux I
3) Y raconte à X qui est Z et lui dit que Z cherche
à lui nuire (à lui, X).
4) Les rapports entre X et Z : tantôt X s'éloigne,
tantôt il se rapproche de Z.
X se décide à établir le contact avec Z.
Z lui apprend qu'il ne cherche pas à lui nuire.
5) X transmet un don à Z.
Remarques sur le choix des termes soulignés
1) Partent en mer a semblé trop engagé sur le
plan sémantique et trop directement en rapport avec
«le K » .
2) Animal surtout combiné avec fabuleux engageait
trop dans le fantastique.
Fabuleux, mystérieux sont également engagés, mais
non naturel est tout de même orienté sémantiquement.
3) Révèle : trop marqué, dit a semblé préférable.
Le suit a semblé trop marqué par son sémantisme
de «constance», «régularité», voire «fatalité».
b.2. COMMENTAIRE CRITIQUE
DES RESULTATS
Le caractère ouvert de la consigne a permis d'obtenir un éventail de récits fort variés : récits sentimentaux, merveilleux, récits d'espionnage, de science-fiction... La « nature » de ces récits ne dépend pas
tant d'un fonctionnement différent du schéma narratif que du lieu, du temps, des caractéristiques prêtées
aux personnages, de tout ce que les élèves ont investi dans cette trame commune.
Contenu et rôle de la première
séquence
X et Y y sont nommés, sauf dans quelques récits
de 5e et plus particulièrement dans les récits de
science-fiction où les lettres semblent être conservées comme signes d'un univers technologique où la
« personne » est un matricule. Ils sont situés socialement (pauvre, riche, remarié, jeune marié...), professionnellement (espion, cosmonaute, paysan...). En
donnant aussi les raisons du départ (voyage de noces, mort accidentelle du père en Afrique, mission
spéciale...) et la destination du voyage, cette séquence situe le récit dans un temps et dans un
123
espace définis, lui donne ses caractéristiques et les
conditions d'une vraisemblance à laquelle est attachée toute une tradition romanesque.
Enfin cette séquence donne la nature des rapports
établis entre X et Y. L'expression « partent ensemble » a fait créer parfois entre les deux personnages de fort liens dus à la situation (cosmonautes enfermés dans un vaisseau spatial, spéléologues prisonniers de la terre à la suite d'un éboulement...)Ceci aura des conséquences importantes pour la troisième séquence.
Exemples de 1™ séquence :
« Deux amis, Axelle et Jacques, profitèrent de leurs
vacances (1) pour se rendre en Afrique (2) où le
père de Jacques, qui venait de mourir (1), exploitait
une plantation (1) » (4 e ).
«Nous sommes au XXIII' siècle (1). Depuis très
longtemps déjà les voyages interplanétaires sont pratiqués (1) par l'humanité.
X et Y partent dans un vaisseau spatial qui décolle
dans un bruit assourdissant en direction d'une planète lointaine (2). Après un long voyage, X et Y
atterrissent sur une terre nue, dépourvue de verdure,
au sol rocailleux et déchiqueté (2) » (4°).
Chacune de ces séquences prend soin de souligner
la vraisemblance de l'histoire (1) tout en ménageant
les signes (2) que nos habitudes de lecture nous
permettent de reconnaître comme amorces d'aventures.
Contenu et rôle de la deuxième
séquence
Elle ferme l'éventail des possibilités d'aventures ouvert par la séquence 1 en choisissant une seule
aventure parmi d'autres probables.
Elle renforce les signes de suspens donnés dans la
séquence 1, que la rencontre soit attendue ou non.
Exemple 1 : rencontre attendue (il y avait eu
rendez-vous).
le climat de mystère, de méfiance dans lequel baignent les récits d'espionnage.
Exemple 2 : rencontre due au hasard (suite du
2* exemple supra).
« Tout semble désert, rien ne trouble le silence
lorsque surgit, comme par enchantement, dans un
bruit de tonnerre et dans une lumière aveuglante,
Z, le robot. D'une stature gigantesque, son corps
d'acier est surmonté d'une tête massive et carrée
avec deux antennes. Trois lampes clignotent à la
place des yeux J. (4*).
Cette apparition donne forme à l'inquiétude suscitée
par le dénuement et le silence d'un lieu inexploré.
L'apparition, dans l'univers quotidien, d'un génie
sorti d'une lanterne, ou l'arrivée dans une forêt du
chevalier à l'armure d'or fixe le caractère merveilleux des récits.
Dans cette séquence, X et Y sont réduits au rôle de
témoins.
Contenu et rôle de la troisième séquence
C'est la première séquence qui pose des difficultés
aux élèves car elle est un nœud du récit qui relie
les signes distribués précédemment afin de rendre
cohérent et vraisemblable que X soit seul visé et que
Y ait des raisons de prétendre connaître les intentions de Z. C'est sur elle aussi que repose le déroulement des deux autres séquences.
Certains élèves ont surmonté la difficulté en préparant cette séquence. Ex. : Qualifié de menteur
dans la séquence 1, Y prétend savoir qui est le
génie apparu. Tout en s'inscrivant dans une vraisemblance « psychologique », son intervention va attirer
les soupçons (séquence 4).
— Y rapporte à X les propos tenus par Z dans un
entretien où X était absent.
— Y interprète des informations reçues au sujet
de Z :
« Plus tard, cependant, XT 15 reçut des détails
sur Archer. Il les communiqua à son collègue (X, cf.
supra) en ces termes : «il se pourrait qu'Archer soit
un agent double ». »
Deux espions, XT 15 (Y) et KT 14 (X) arrivent à
New York où ils rencontrent Archer (Z), 3 e espion :
«... dans un bar tranquille de la 23* avenue vers
neuf heures du soir. Là leur agent les mit au courant
d'une nouvelle invention concernant les sous-marins
atomiques. Les renseignements avaient l'air valables ; il n'y avait aucune raison de se méfier, semblait-il» (4 e ).
L'élève fait l'économie de ces détails mais le lecteur
retient surtout l'interprétation motivée par la méfiance soulignée dans la séquence 2, qui déclenche la
suite du récit dans lequel l'enquête concerne désormais les activités de Z.
La négation du doute, capitale pour la suite, souligne
— X a nui, il y a longtemps, à Z que Y reconnaît.
124
— Y reproduit un savoir antérieur venu des fonds
de la tradition (comme dans la nouvelle de Buzzati) .:
« Oh, dit Jean (Y) en voyant arriver le chevalier
à l'armure d'or ? Je le reconnais. Sauve-toi vite.
Il va nous capturer pour se servir de nous comme
esclaves. »
Certains élèves ont limité cette séquence à la formule même de la consigne.
Ex. : Deux explorateurs, Castel (Y) et Midon (X),
pris dans un éboulement, ont vu apparaître Boreno (Z).
« Castel apprend à Midon que Boreno lui veut du
mal» (4').
Pourquoi Midon peut-il prétendre savoir cela ?
Pourquoi Castel serait-il seul visé alors que tous deux
éprouvent la même peur devant l'animal fantastique ? ¡Nous n'en saurons pas davantage.
Ces ellipses que l'on retrouve dans la plupart des
récits où X et Y, enfermés dans un lieu clos, sont
tous deux concernés par la même menace, montrent
que cette consigne, malgré la liberté qu'elle laisse,
demande l'élaboration d'une logique du récit assez
serrée. On peut voir aussi dans ces manques le résultat maladroit d'une intuition intéressante : une menace, un mystère sont d'autant plus grands que le
narrateur ménage des zones d'ombre, des parts d'inconnu. Maladroits ou pertinents, les silences pèsent
lourd dans un récit. C'est lors de la confrontation des
travaux que peut être faite cette sensibilisation.
L'absence d'investissement sémantique pour l'expression « cherche à lui nuire » a eu aussi pour
conséquence de rendre inopérant le rôle d'opposant
présumé donné par Y à Z. Le personnage, « être
de papier » est donc lui aussi un tissu sémantique.
Jusqu'à la fin de cette séquence, Y puis Y et Z sont
les acteurs principaux l'un étant le détenteur d'un
savoir que X se contente pour l'instant de recevoir,
et l'autre l'objet d'une communication truquée entre Y et X.
Contenu et rôle de la quatrième séquence
Orientés par l'expression « se décide à », tous les
élèves ont fait douter X de ce qu'a dit Y. Temps
faible dans la suite narrative, le début de cette
séquence prépare la vraisemblance de la décision
prise par X. Dans le mouvement de va-et-vient
attraction-répulsion, les rapports entre X et Z vont
progressivement se modifier, entraînant par là-même
une modification des rapports entre X et Y (qui dis-
paraît du récit ou qui se montre de plus en plus
jaloux, voire franchement hostile).
Comme l'invitait à le faire la fin de la séquence
donnée, le retournement de la situation ne tient
presque jamais à un changement de rôle de Z
(un exemple de journaliste effectivement rival devenu allié) mais à la rectification du faux savoir
transmis par Y qui restitue à Z sont rôle d'adjuvant
motivé par la transmission du don. Cette fin de
séquence apparaît comme le deuxième nœud du récit.
Contenu et •iôle de la cinquième
séquence
Alors que dans la nouvelle de Buzzati cette séquence
joue un rôle bien plus important que la précédente,
il n'en est pas de même dans les récits d'élèves.
Le don ponctue le plus souvent les révélations faites
par Z sans apporter une dimension nouvelle à la
signification du récit. En fait, il n'est pas facile de
trouver un don qui s'inscrive parfaitement dans
l'ensemble du récit. Cette séquence laisse place aux
plus grands prodiges, même dans les récits réalistes
(l'ex-mari, par exemple, qui a harcelé le nouveau
couple de Tahiti en Allemagne et d'Allemagne en
Suisse, voulait lui faire cadeau de... 50 000 F...).
Les élèves qui ont choisi un récit merveilleux ont
eu la tâche plus facile (don de l'immortalité, de la
richesse recherchée faits par le chevalier-magicien,
la fée...). Cette séquence est alors capitale. Ceci
nous montre donc que le terme « don » rappelle un
type de récit bien particulier (le conte de fées) et
suscite des fins merveilleuses plus ou moins bien
intégrées dans la narration.
Dans quelques copies, la transmission du don (un
diamant magique par exemple) déclenche une nouvelle séquence :
— Y essaie de s'emparer du diamant ;
— mort des trois personnages.
Cet exercice est donc une approche — qui ne saurait
suffire — des relations entre des formes, des modèles
narratifs généraux et le sémantisme d'un récit. Il est
à intégrer dans les exercices préparatoires à la difficile distinction entre fonctions (et séquences de
fonctions) et qualifications.
Des élèves de l re ont écrit — toujours sur la même
consigne — des parodies de roman sentimental en
vidant les séquences du contenu sémantique voulu
par ce type de récit.
Cet exercice permet aussi, à partir d'une pratique
réelle, de sensibiliser les élèves au rôle que joue
125
chaque séquence dans la progression du récit et aux
liens nécessaires qu'entretiennent entre eux les détails distribués sur plusieurs séquences.
Enfin cet exercice a fait naître non seulement le
désir de connaître la nouvelle de Buzzati et d'en
dégager toutes les séquences mais celui d'étudier le
schéma narratif de récits plus longs comme La Mare
aux diables. A Saint-Denis, une classe de 2e a composé des récits sur le schéma narratif dégagé du Petit
Chaperon rouge par une autre classe de 2e. Autant
de prolongements que la consigne comportait, même
sans formulation explicite.
M. M. BEAULU
ANNEXE
Voici deux exemples de récits produits par un élève
de 4e (C.E.G. Paris) et par un élève de 5e (C.E.S.
Gonesse) à partir de la consigne.
« Deux amis, Axelle et Jacques, profitèrent de leurs
vacances pour se rendre en Afrique où le père de
Jacques, qui venait de mourir, exploitait une plantation. Ils furent surpris, en débarquant, de rencontrer un certain monsieur Henri qui leur propose de
les héberger.
Axelle, fouillant sa mémoire, se rappelle qu'il était
l'associé du père de Jacques, ce qu'ignorait son
ami.
Il le mit au courant et lui demanda de se méfier
de monsieur Henri, le soupçonnant de vouloir s'accaparer le bien de Jacques et se demandant jusqu'à
quel point il n'aurait pas provoqué l'accident qui
fut fatal au père de son ami pour devenir le seul
maître de l'exploitation, ignorant l'existence de ce
fils.
D'un côté comme de l'autre s'installait un climat de
méfiance car ce monsieur Henri ignorait également
les intentions de Jacques. Monsieur Henri leur donna
un boy pour les diriger à travers les plantations
et les aider dans un pays dont ils ignoraient les
dangers. Jacques fut convaincu que le boy était là
pour le surveiller et se montra nerveux. Cependant
l'attitude de monsieur Henri, l'amour que lui portaient les Noirs, la renommée qu'il avait dans le
pays, tout prouvait que c'était un honnête homme
et Jacques se trouvait ridicule de le soupçonner ;
mais dès qu'il essayait de se rapprocher de lui, il
se souvenait des avertissements d'Axelle et il imaginait les pires hypothèses.
126
Un jour, cependant, sa curiosité et son impatience
le poussèrent à aller voir monsieur Henri et à se
faire raconter l'accident de son père ; celui-ci le
fit sans gêne. Il lui confia qu'il était inquiet de voir
ce jeune homme arriver, peut-être décidé à vendre
l'exploitation pour obtenir sa part et à rentrer
immédiatement en France alors que lui et son père
avaient eu tant de mal à tout mettre en œuvre.
Il lui offrit tous les domaines, lui demandant de
lui en laisser la direction, Jacques accepta avec
joie et lui demanda de rester à ses côtés pour apprendre ce métier et le seconder » (élève de 4 e ).
« L'histoire se déroule il y a bien longtemps, en
120 000 av. J.-C.
X est un skorgliz, venant de Skorgle. Sa peau est
rose, il mesure 8 m 75 et pèse 350 gr. Il n'a pas
de tête mais il possède six bras articulés et douze
pieds.
Y est un tégoratus de Tégoro ; sa peau est bleue,
il mesure 35 mm et pèse 15 kg. Il a huit têtes,
pas de bras et cinq pieds. Y a sauvé X d'un mamouthus dinosaurus qui allait l'écraser, et depuis,
ils sont amis. Un jour ils partent à la chasse sur leur
auto-fusée-aéro-jeep avec leurs missiles de poche.
En chemin ils se trouvent soudain devant un terrifiant horrorus. Il mesure 1 m 85, pèse 80 kg. Il a
une tête, deux bras, deux jambes et sa peau est
blanche. Y a déjà vu un de ces êtres et il raconte
à X que Z est très dangereux et qu'il va les manger.
X veut partir mais sa curiosité le retient. Il approche
de deux pas et recule de trois. Puis, prenant son
courage à deux mains, il avance résolument vers Z.
Pendant ce temps, Y s'enfuit de ses cinq pieds. X, finalement, arrive devant Z qui lui parle en ces termes : « Je ne suis pas un monstre, et je ne te mangerai pas. Comme tu es courageux et que tu ne
t'es pas enfui, je fais te faire le don qui te revient
de droit et que j'avais gardé pour moi depuis
700 années. Ce don est celui de pouvoir faire la
cuisine comme un grand chef ».
X saisit le don, qui était une araignée migale, sort
son pistolet thermique et, d'une rafale de gaz mortelle, envoie Z dans l'hyper-espace à jamais, réduit
en poussière à jamais. « Bon débarras », dit-il. Puis,
il revient vers Y celui-ci, resté à quelques mètres
de là, a tout vu. Il saisit son laser et appuie sur la
détente en direction de X. Celui-ci meurt, une
expression d'ahurissement dessinée sur le visage. La
migale s'étant échappée pique Y de son dard empoisonné. Y, après des souffrances atroces, mourra
à son tour » (élève de 5°).
C. - ANNEXES
THÉORIQUES
•
ELEMENTS POUR UNE DESCRIPTION DES CIRCUITS DE COMMUNICATION ET
DES COMPORTEMENTS INDIVIDUELS DANS LE GROUPE
•
ELEMENTS POUR UNE DESCRIPTION SEMANTIQUE DES ENONCES D'UN DIALOGUE
•
ELEMENTS POUR UN CLASSEMENT SEMANTIQUE DES CATEGORIES GRAMMATICALES
•
ELEMENTS POUR UNE DESCRIPTION DES STRUCTURES NARRATIVES
ELEMENTS POUR UNE DESCRIPTION
DES CIRCUITS DE COMMUNICATION
ET DES COMPORTEMENTS INDIVIDUELS
DANS LE GROUPE
Il s'agit, ici, d'un ensemble de remarques à propos
des circuits de communication, et non point de l'exposé de telle ou telle théorie psycho-sociologique.
Conscient, que le maître ne peut être à la fois un
spécialiste en psychologie, en linguistique, en sociologie, etc., nous voudrions cependant, lui fournir les
quelques éléments pertinents de l'appareil psychosociologique qu'il pourra utiliser avec profit. Et,
soucieux que nous sommes de ne pas appliquer des
concepts scientifiques à la pédagogie, mais bien
d'interroger ces concepts à la lumière d'une problématique pédagogique, il convient de dire à ce propos,
que notre exposé n'est pas tributaire de la seule
psycho-sociologie, mais aussi de la sémio-linguistique.
I. DESCRIPTION DES CIRCUITS
DE COMMUNICATION
1.
L'INFORMATION
Celle-ci doit être considérée sous deux aspects :
— l'orientation des échanges d'information ;
— la dominante de ces échanges.
Au confluent de ces deux aspects, les échanges —
conscients ou pas — se constituent en réseaux de circulation de l'information qui peuvent se combiner
dans une successivité (par phases) et aboutir à plusieurs situations.
Un groupe peut se définir par :
— l'information qui s'y produit ;
e
LES RESEAUX (1) SONT :
— la situation matérielle de communication dans
laquelle il se trouve ;
—
—
—
—
circulaire,
diagonal,
centralisé,
complet.
•
LES PHASES (1) SONT :
— la consigne de tâche qui est donnée ;
— le comportement de fait des membres du groupe.
Les trois premières composantes nous permettent
de décrire les circuits de communication qui naîtront de l'exécution d'une tâche donnée (I).
La quatrième composante nous amènera à interroger
le comportement de fait des membres du groupe (II),
comportement qui pourra remettre en question la
description a priorique des circuits de communication.
1) Echange général d'information.
2) Constitution de la majorité.
3) Action de la majorité sur le déviant.
(1) Cf. Flament, «¡Réseaux de Communication et Structures de Groupe », Dunod.
129
• LES SITUATIONS DE RESEAU
SONT :
Le canal :
•— Est-il oral ou graphique ?
— Réseau complet : Il se constitue à l'issue des trois
phases précédentes.
L'ensemble se constitue en NOUS, puisque, après
la phase 2, la majorité agit sur le déviant (X).
— Y a-t-il du gestuel, de Yicônique ?
— Réseau centralisé sur A (XAB)
Phase 1 : B et X ne peuvent échanger leurs informations que par l'intermédiaire de A.
Phase 2 : Se constitue normalement entre A et B.
Phase 3 : C'est A qui agira sur le déviant (X) mais
en tant que JE porte-parole du NOUS (A-B).
3. LA CONSIGNE DE TACHE
— Réseau centralisé sur X (AXB)
Phase 1 : Cette fois, c'est A et B qui ne peuvent
échanger leurs informations que par l'intermédiaire
du déviant (X).
Phase 2 : A et B n'étant pas en contact la majorité
peut se contituer, du moins par l'échange d'information. Il n'y aura pas, ici, de NOUS.
Phase 3 : A et B peuvent agir sur le déviant (X)
mais en tant que JE individuels qui auraient même
opinion mais pas sentiment de leur communauté.
Dans cette situation, le déviant se défend mieux et
peut conserver son indépendance, voire rallier à lui
A et B.
Celle-ci détermine, chez les sujets qui reçoivent la
consigne, une attitude a priorique vis-à-vis de l'objet
sur lequel ils travaillent et vis-à-vis de leurs interlocuteurs.
Il s'agit donc des points de vue (ou vision) que tout
sujet-JE peut avoir sur l'objet-référent d'une part
et sur le ou les interlocuteurs-TU d'autre part.
Nous retrouvons donc ce que nous avons défini
comme étant la situation de discours (3), que nous
simplifions ici pour la description des circuits de
communication :
JE-TU :
Quel type de distance le JE établit-il vis-à-vis du
TU?
Quel type d'agression utilise-t-il ?
Comment, aux termes de la consigne, le JE doit-il
voir le TU ?
2. LA SITUATION! MATERIELLE
DE COMMUNICATION
Nous nous référons, ici, à la situation proprement
linguistique, et nous reprenons donc notre questionnaire de situation de communication (2), réduit à
ses éléments pertinents pour notre étude.
(JE)-TU :
— Le TU est-il présent ou absent ?
— Y a-t-il échange ou non entre JE et TU ?
— La communication est-elle directe ou médiate ?
(JE)-objet-référent :
— Est-il présent ou absent ?
— Est-il commun ou non au JE et au TU ?
(2) Voir : p. 67.
130
JE-objet-référent :
• Quel type de distance JE établit-il vis-à-vis du
réfèrent (prend-il en charge son discours ou s'en
désolidarise-t-il ?).
• Est-ce que les termes de la consigne (par ses
présupposés, sous-entendus et implications) oblige
le JE à voir le réfèrent d'une certaine façon ?
Ces premiers éléments nous permettant de décrire
d'une façon a priorique (c'est-à-dire nous permettant
de prévoir) les circuits de communication qu'impliquent les exercices que nous imaginons, il faut
maintenant se donner un moyen de décrire le
comportement de fait des élèves, lors du travail en
groupe.
(3) Voir : p. 26.
II. DESCRIPTION
DES COMPORTEMENTS
INDIVIDUELS
ciper à un travail de groupe (motivation éthique) et
vouloir cependant des moyens pour réussir une
tâche.
DANS LE GROUPE ET DU GROUPE
EN TANT QUE TEL
b) Le leader-animateur : Il se définit comme l'individu ayant une action particulière à l'intérieur du
groupe. Cette action en fait, n'est pas unique ; elle
peut prendre des aspects différents, mais elle se
caractérise par une dominante d'influence, ou autorité, qui peut provenir de la personnalité de l'individu — le leader se dégage du groupe — ou qui
peut être imposée de l'extérieur -— le leader est
affecté d'un attribut institutionnel —.
0. En fait, on le devine, il y a interaction constante
entre l'individu et le groupe.
Dans l'exécution d'une tâche (quand bien même il
y aurait refus d'exécution), le comportement de
l'individu est la manifestation de la façon dont il se
situe par rapport et dans le groupe, et inversement
le comportement du groupe dépend du jeu des interrelations qui s'établissent entre ses membres.
Mais il est possible de dégager les composantes de
cette interaction, composantes que l'on peut regrouper autour de trois pôles : l'individu, le leader-animateur, le groupe.
a) L'individu : Il se définit comme appartenant à un
groupe par :
— UNE «CONSCIENCE D'APPARTENANCE»,
dont il est difficile de percevoir les motivations, mais
dont on peut penser que celles-ci seraient de trois
ordres :
• Hédonique, c'est-à-dire le plaisir d'appartenir au
groupe est ressenti dans l'instant même de cette
appartenance.
• Ethique, c'est-à-dire que l'appartenance au groupe
est posée comme un devoir antérieur à l'exécution
de la tâche elle-même.
• Pragmatique, c'est-à-dire que l'appartenance au
groupe est jugée, cette fois, comme meilleur moyen
d'obtenir un certain résultat.
De ce fait, à un moment ou à un autre, il y a centralisation du réseau de communication sur lui, mais
à des degrés divers et par des procédures qui peuvent être très différentes les unes des autres.
c) Le groupe, lui, se définit au carrefour de deux
tensions inverses :
— LE « DEGRE DE COHESION » qui nécessite que
les membres du groupe s'attachent à trouver des
procédures de travail qui permettent l'information de
circuits dans un réseau complet et qui permettent
à ses membres de se réaliser pleinement. C'est ce
que l'on appelle la « régulation » du groupe.
— LE « DEGRE D'EFFICACITE » qui nécessite que
les membres du groupe se préoccupent du contenu
de la tâche, de l'atteinte de l'objectif, de la réussite,
les procédures n'étant mises en place que pour servir
au mieux cette préoccupation. C'est ce que l'on appelle la « rentabilité » du groupe.
On voit donc que, dans le premier cas, le contenu,
et l'objectif cèdent le pas aux procédures, alors que
dans le second cas, c'est l'inverse qui se produit.
De la détermination et de la définition de ces trois
composantes se dégagent donc trois types d'observations, par lesquels nous allons proposer maintenant
des questionnaires.
— UNE «DETERMINATION DES OBJECTIFS»,
qu'il ne faut pas confondre avec la motivation
d'ordre éthique. Il s'agit, quel que soit le type de
« conscience d'appartenance», du besoin qu'a l'individu de concevoir des objectifs pour concrétiser
l'existence du groupe.
1. QUESTIONNAIRE POUR OBSERVATION
DU COMPORTEMENT DE L'INDIVIDU
— LES MOYENS qu'on lui donne ou qu'il se donne
pour atteindre l'objectif, et qu'il ne faut pas non
plus confondre avec la motivation d'ordre pragmatique. On peut en effet se faire un devoir de parti-
• Attitude-silence :
— Silence complet (ce qui ne signifie pas obligatoirement non-participation).
131
• Attitude-action :
— Recherche d'informations.
— Apport d'informations.
— Propositions-suggestions.
— Commande, ordonne, règle, organise (voir leader) .
— Distrait, amuse, blague.
— Démontre.
— Juge.
— Illustre (avec ses moyens matériels ou non).
— Aide, défend — soutient l'opinion d'un autre.
• Attitude-question :
— Questionne pour avoir des informations.
— Demande qu'on exécute des tâches (sollicitation).
— Propose objections et sollicite réponses.
• Attitude-réponse :
— ¡Refus simple
I
— Refus actif, polémique \
— Indifférence vrai (non concerné) (
\
— Doute (incertitude)
— Acceptation simple
— Acceptation active, polémique
NON
NI OUI
NI NON
OUI/NON ?
OUI
2. QUESTIONNAIRE POUR OBSERVATION
DU COMPORTEMENT
DU LEADER-ANIMATEUR
• Centrage sur le contenu :
— Définit la tâche.
— Définit les objectifs.
— Donne la méthode.
— Découpe la tâche.
— Donne des solutions.
• Centrage sur la procédure :
— Donne et répartit les rôles.
132
—
—
—
—•
—
—
Juge les résultats (critique/approuve).
Réduit/augmente les conflits.
Stimule/freine l'exécution.
Accepte/refuse un travail, une proposition.
Interroge/interprète/synthétise.
Aide/refuse d'aider.
• Du point de vue
de sa participation/non-participation, il peut être :
— Autoritaire et rester à l'extérieur du groupe.
— Coordinateur et rester à l'extérieur du groupe.
— Coopératif et être à l'intérieur du groupe.
— Laisser faire et être observateur (il se montre
comme tel).
— Laisser faire et être absent (evanescence).
3. QUESTIONNAIRE POUR OBSERVATION
DU COMPORTEMENT DU GROUPE
• GROUPE CENTRE
PRESQUE EXCLUSIVEMENT
SUR LE CONTENU
A la limite, ce groupe, totalement centralisé, ne
fonctionne que par son ou ses leaders.
• GROUPE CENTRE
PRESQUE EXCLUSIVEMENT
SUR LA PROCEDURE
A la limite, ce groupe, n'obtenant aucun résultat
quant à la tâche qui lui a été confiée, éclate.
• QUELLES ETAPES A SUIVI LE GROUPE
Objectifs, propositions, critiques, décisions, etc.
• Í D'OU
— d'une
— d'une
— d'une
— d'une
EST VENUE LA DECISION
autorité individuelle ?
minorité ?
majorité ?
unanimité ?
P. CHARAUDEAU
ÉLÉMENTS POUR UNE DESCRIPTION
SÉMANTIQUE DES ÉNONCÉS D'UN DIALOGUE
Un énoncé peut être décrit à différents niveaux :
phonétique, phonologique, morphologique, syntaxique, sémantique, stylistique, etc. Chacun de ces
niveaux peut être abordé à l'aide de concepts différents intégrés dans des théories différentes.
Dans cette étude, nous nous attacherons au niveau
sémantique, mais en l'abordant dans une perspective
particulière : sans nier l'importance de l'analyse du
sens des mots d'un énoncé, nous voudrions montrer
que cette analyse ne nous donne que peu d'indications sur les conditions d'emplois réelles de cet
énoncé.
Or, pédagogiquement, qu'il s'agisse de langue maternelle ou de langue étrangère, il semble bien
qu'un énoncé ne puisse être considéré comme
« compris » par les élèves que lorsque ceux-ci se
montrent capable de le réemployer, tel quel ou avec
quelques variations, à bon escient, c'est-à-dire selon
les conventions d'emplois suivies par la communauté
linguistique dont il relève.
Avant d'analyser, dans cette perspective, un petit
dialogue, il est utile de préciser rapidement les
concepts qui sous-tendront cette analyse.
1. Sens et communication
(quelques définitions)
1.1. Tout acte de communication suppose un locuteur, un auditeur (ou un auditoire) et l'intention,
chez le premier, d'influencer le second d'une manière ou d'une autre (dans le cas considéré, à l'aide
de messages linguistiques ou para-linguistiques :
gestes, mimiaues, ...). Cet acte de communication
se situe dans certaines circonstances spatiales et
temporelles auxquelles le locuteur et l'auditeur ne
peuvent être totalement indifférents et qui jouent un
certain rôle dans la transmission des messages.
Parmi les conditions d'un acte de communication,
certaines sont très générales, d'autres sont plus particulières.
Les premières relèvent de ce que nous appelons
les types de communication. Elles sont assez abstraites parce qu'elles sont liées à des comparaisons implicites entre différentes enunciations, comparaisons qui
sont à la base de la typologie traditionnelle qui distingue le dialogue, le récit, l'exposé, l'information
radio, etc. Les critères qui permettent de distinguer
ces différents types d'énonciation sont assez hétérogènes, et notre propos n'est pas, ici, d'en proposer
de nouveaux et de plus homogènes. Nous voudrions
simplement en rappeler quelques-uns.
Parmi les conditions nécessaires à ce type de communication particulier qu'est un dialogue, on peut ainsi
distinguer : présence physique obligatoire de l'auditeur ; possibilité pour celui-ci d'intervenir à tout
moment pour donner la réplique ; la faible distance
entre les interlocuteurs ; la possibilité d'utiliser les
gestes, les mimiques, l'intonation, parce qu'il est
difficile de dialoguer par écrit ; la perception d'un
univers commun ; etc. Dans ce type d'énonciation,
il est possible de distinguer des sous-types ; par
exemple, le dialogue de situation, et le dialogue
hors situation ; si, assis à la terrasse d'un café, je
commande une bière au garçon, en levant la main
et en disant : — Un demi, s'il vous plaît !, il s'agit
d'un dialogue de situation ; si, à la même terrasse,
en buvant ma bière, je discute, avec un ami, du film
qu'on vient de voir ou des prochaines vacances, il
s'agit d'un dialogue hors situation. Autrement dit,
il y a dialogue de situation quand il existe un rapport
direct, physique, entre ce qui se dit et l'environnement spatial et temporel, entre ce qui se dit et le
133
comportement des interlocuteurs ; il y a dialogue
hors situation quand il n'y a pas de rapports directs
entre ce qui se dit et l'environnement physique (si
on parle, par exemple, d'événements passés ou futurs) , entre ce qui se dit et ce que les interlocuteurs
font (ils peuvent rester assis et discuter des exploits
sportifs les plus mouvementés). Au cours d'un même
dialogue, il arrive évidemment souvent qu'un énoncé
relève du dialogue de situation et que le suivant
relève du dialogue hors situation.
Une situation de discours est l'actualisation particulière et unique d'un type ou d'un sous-type de communication. Elle dépend de l'entourage physique et
social, réellement présent ou évoqué, au moment de
l'acte de communication (tel genre de table, telle
chaise, tel café, telle rue, etc.) ; de l'image que les
interlocuteurs se font de cet entourage (pour moi
ce café peut être chic, pour quelqu'un d'autre vulgaire...) ; de l'identité des interlocuteurs (c'est un
garçon particulier auquel je m'adresse : il a un
âge défini, il est habillé de telle façon, il porte la
moustache, etc. ; de l'idée qu'ils se font l'un de
l'autre ; des événements antérieurs à l'acte de
communication (je ne demanderai pas de la même
façon une bière, si je le fais parce que j'ai un
moment à passer ou pour lire mon journal, ou si
je le fais parce que j'ai passé une heure ou deux
à chercher quelque chose dans les magasins) ; des
relations entre les interlocuteurs (je peux être un
habitué de ce café ou m'y asseoir pour la première
fois) ; etc. Il y a donc autant de situations de discours que d'actes de communication. Mais même si
deux situations de discours ne sont jamais tout à
fait semblables, elles peuvent être analogues et
donc comparables, si par exemple, elles ont un effet
identique sur l'interprétation sémantique d'un même
énoncé. A partir d'un énoncé donné, il est possible
d'imaginer des situations de discours différentes et
de regrouper ensemble celles qui, pour des locuteurs-auditeurs compétents, imposent une interprétation sémantique semblable (ou très voisine) de
cet énoncé. On peut, ainsi, à partir de chaque énoncé
induire une sorte de classification des innombrables situations de discours, en regroupant dans la
même classe celles qui conditionnent l'interprétation
sémantique d'un énoncé donné, de manière identique.
Deux situations de discours qui infléchissent de la
même manière l'interprétation d'un énoncé donné,
seront dites analogues ; les traits communs à l'ensemble de la classe de ces situations de discours
pourront être appelés traits pertinents de ces situations de discours.
134
1.2. Le problème est maintenant de savoir ce que
nous entendons par interprétation sémantique d'un
énoncé et en quoi une situation de discours peut infléchir cette interprétation. L'interprétation sémantique pourrait être grossièrement définie comme la
valeur d'information ou de communication que nous
donnons à un énoncé donné, ou bien quelle est l'intention de communiquer qu'il prétend traduire. Or,
pour un même énoncé, cette valeur de communication peut changer considérablement selon le type
d'énonciation et selon la situation de discours. Un
exemple suffira à le montrer.
Prenons l'énoncé : Jacques est à la pêche. Hors type
d'énonciation et hors situation de discours, les locuteurs-auditeurs qui savent le français, peuvent en
fournir une interprétation sémantique. Nous supposerons, pour simplifier, que tous tombent d'accord
sur l'interprétation la plus probable : « Quelqu'un
qui s'appelle Jacques, est parti essayer de prendre
du poisson ». Mais il serait également possible, dans
certains idiolectes, d'interpréter cet énoncé : « Jacques est parti à la recherche de vieux meubles {chez
des brocanteurs) », par exemple. Cette interprétation
globale qui correspond à l'interprétation que, spontanément, font les locuteurs-auditeurs compétents
d'une communauté socio-linguistique donnée de cet
énoncé, hors environnement énonciatif et situationnel, nous l'appelons sens de l'énoncé. Le sens de
chacun des mots de l'énoncé correspond au sens
global que l'on peut reconstituer à l'aide d'un dictionnaire, en choisissant pour chaque terme le sens
qui convient quand il y a polysémie. Quand l'énoncé
n'est pas ambigu, c'est-à-dire quand il ne comprend
pas de mots polysémiques, le sens de l'énoncé est le
même pour tous les locuteurs-auditeurs ayant même
compétence. Ce sens est constant, présent dans toute
utilisation de cet énoncé, quel que soit l'environnement. Il correspond sans doute à une « trame •» d'interprétation sémantique essentielle à toute langue et
que consignent les ouvrages lexicographiques. Il relève d'une compétence sémantique.
Mais le sens d'un énoncé peut être infléchi par le
type d'énonciation et la situation de discours, on
parlera alors de signification de l'énoncé.
Ainsi Jacques est à la pêche dans un dialogue de
situation ne traduira pas la même intention de
communiquer dans les situations de discours suivantes. Quatre personnes se connaissant jouent aux
cartes autour d'une table ; Jacques, l'un des joueurs,
ne fait pas très attention au jeu ; on sait que c'est
un grand amateur de pêche ; son partenaire dit
l'énoncé en question, la signification en sera quelque
chose comme : « Jacques ne fait pas attention, il
est encore en train de penser à ses histoires de
pêche ». Deuxième situation de discours : une jeune
femme ayant pour mari Jacques l'émet devant un
jeune homme, qui est un copain de Jacques et qui
vient d'entrer en demandant si Jacques est là ; la
signification sera à peu près équivalente à « Jacques
n'est pas là». Troisième situation : mêmes personnages, mais le jeune homme est l'amant de la
jeune femme ; l'intention de communiquer et partant
la signification sera évidemment différente : « nous
avons tout notre temps », par exemple. Quatrième
situation : le jeune homme a rendez-vous avec
Jacques pour partir jouer au football, l'énoncé
pourra alors avoir la signification : « il a oublié son
rendez-vous ». Et on pourrait ainsi imaginer de
nombreuses autres situations de discours qui donneraient à cet énoncé des significations particulières.
Changer de type de communication change souvent
la signification de l'énoncé. Supposons que l'énoncé
en question n'apparaisse plus dans un dialogue,
mais dans un récit écrit et que ce soit la première
phrase de ce récit. Sa signification sera alors voisine
de : « je vais vous raconter une histoire, il y a un
personnage qui s'appelle Jacques, et au moment où
commence l'histoire, il se trouve au bord de l'eau
en train de pêcher ».
Pour un même énoncé quelle est la relation entre
son sens (ou ses sens s'il est ambigu) et ses diverses significations ? Nous n'avons pas de réponse
précise, mais on peut remarquer d'abord qu'il n'est
pas possible de donner n'importe quelle signification
à un énoncé de sens donné, du moins si on s'en
tient à l'utilisation habituelle de la langue. Jacques
est à la pêche, dans un message codé de guerre,
pourrait certes signifier « envoyez des avions » ou
« vous avez été dénoncés » ou n'importe quelle autre
chose, mais seuls les auditeurs ayant connaissance du
procédé de codage pourraient saisir cette signification artificielle, tandis que les significations de cet
énoncé citées, plus haut peuvent être comprises de
tout locuteur-auditeur francophone. Dans l'utilisation
habituelle de la langue, cet énoncé, quelle que soit
la situation de discours, ne peut avoir la signification : « Jacques se marie dimanche prochain » ou
«Jacques roule beaucoup trop vite», etc. Ensuite,
il est aisé de voir que les diverses significations possibles de cet énoncé peuvent être regroupées en deux
grandes classe : celle où Jacques est présent et
celles où il n'est pas présent. Emettre cet énoncé en
sa présence ou en son absence change les sousentendus mis en jeu par renonciation : dans le
premier cas on sous-entend qu'il n'est pas présent
mentalement là où il est présent physiquement, sinon
l'énoncé devient non-sens ; dans le second cas on
sous-entend que quelque chose est possible ou n'est
ra^ possible puisqu'il est absent pour raison de
pêche. Enfin, on pourrait illustrer ce que nous avons
avancé à la fin de 1.1. sur les situations de discours
analogues, en montrant, par exemple, que la signification : « nous avons tout notre temps » pourrait
apparaître dans des situations de discours différentes de celles que nous avons décrites.
1.3. La manière la plus ancienne et la plus répandue de manifester la signification d'un énoncé
est de traduire la signification de cet énoncé au
moyen d'autres mots, soit de la même langue, soit
d'une langue étrangère : dire la même chose, autrement. La réaction comportementale de l'auditeur à
un énoncé ne peut manifester que la signification
des énoncés tels que les ordres ou les questions.
Pour tous les autres, il n'est guère d'autre moyen
que le transcodage à l'aide d'autres mots.
Parmi les transcodages servant à manifester la
compréhension du sens et de la signification d'un
énoncé, trois nous paraissent particulièrement utiles
pédagogiquement, ce sont la paraphrase, le discours
rapporté et la création de situations analogues.
Nous ne pouvons, dans le cadre de cet article, étudier les différentes sortes de paraphrases. Nous définirons seulement ce que nous entendons par paraphrases d'un énoncé donné : c'est l'ensemble des
énoncés qui, utilisés dans le même type de communication et la même situation de discours que l'énoncé
de départ, traduisent sensiblement la même intention
de communiquer, ou bien ont même valeur d'information pour un auditeur compétent (1). Ainsi, soit
(1) Cette définition intuitivement simple implique cependant des problèmes théoriques difficiles. La plupart
des linguistes qui travaillent actuellement sur la paraphrase cherchent à raisonner les opérations qui permettent de passer de la phrase paraphrasée à une phrase
paraphrasante ou à un ensemble de phrases paraphrastiques, sans tenir généralement compte des contraintes
contextuelles ou situationnelles qui interdisent ou autorisent, au niveau du discours, telle ou telle paraphrase.
Notre définition repose sur une démarche inverse : ce sont
les contraintes contextuelles et situationnelles qui sélectionnent l'ensemble des phrases paraphrastiques, sans que
nous cherchions à élucider par quelles opérations il est
possible de passer d'une paraphrase à une autre paraphrase.
135
la situation de discours suivante (type de communication : dialogue de situation) : deux personnes dans
une salle, l'une près de la fenêtre fermée, l'autre en
train de travailler dans un coin, il fait très chaud ;
la seconde dit à la première : Ouvre la fenêtre ;
seront considérées comme paraphrases de la signification de cet énoncé, par exemple, les énoncés :
Ah ! si tu pouvais me donner un peu d'air !, J'ai
chaud, Avec cette chaleur, Comment veux-tu travailler, Tu voudrais ouvrir, Il fait meilleur dehors
que dedans, Pourquoi veux-tu laisser cette fenêtre
fermée, etc. D'après sa définition même, la paraphrase ne change pas le type de communication.
Il n'en va pas de même du discours rapporté. Sauf
lorsqu'il rapporte un discours déjà rapporté, il suppose toujours le passage d'un type de communication
à un autre type plus complexe. Entendre un dialogue de situation ou le rapporter à un auditeur
qui ne l'a pas entendu n'implique pas les mêmes
contraintes d'énonciation. Le discours rapporté, sous
ses formes les plus simples, regroupe ce qu'on appelle ordinairement le style direct, le style indirect,
et le style indirect libre, mais il comprend également
l'ensemble des termes, expressions, énoncés qui permettent de commenter des paroles, des attitudes, des
actes de communication. Il a refusé peut-être le
discours rapporté de non ; elle la complimente de
Vous avez une bien jolie robe aujourd'hui ; elle
s'exprime avec distinction de certaines formules
choisies. Le discours rapporté, tel que nous l'entendons, ne se confond pas avec le passage à la troisième
personne. Je peux rapporter que j'ai accepté sa
proposition avec empressement, alors que j'avais dit :
— oui, avec grand plaisir. Si quelqu'un dans un
type d'énonciation comme un exposé dit : — Je
prétends que le gouvernement a fait son devoir et
que je le rapporte sous l'énoncé : il a prétendu que le
gouvernement a fait son devoir, je ne me montre pas
rapporteur fidèle. Le discours rapporté devrait être
quelque chose comme : il a affirmé avec force que
le gouvernement a fait son devoir. Le discours rapporté peut manifester les sous-entendus : il a dit
qu'il serait contre mais, en fait, il est pour ; expliciter
ce qui est implicite dans un dialogue de situation,
par exemple ; synthétiser de longs développements :
il exposa longuement ses arguments; préciser le
sens d'une intonation : elle lui a dit, d'un ton ironique et attristé, ils sont bien élevés tes enfants ! ;
etc. Le discours rapporté est, comme on le voit, une
sorte de glose, de commentaire sur un autre discours.
Il se différencie, par là, de la paraphrase ; il ne
cherche pas à traduire la même intention de commu136
niquer, mais plutôt à dire ce que le locuteur du
discours rapporté pense d'un autre discours et la
manière dont il l'interprète, non pas, pour l'auditeur
du discours de base mais pour celui du discours rapporté.
La troisième manière de manifester si on a compris
la signification d'un énoncé est de le réemployer
dans des situations analogues, sans en modifier sa
signification. Il est souvent difficile de réemployer
l'énoncé tout entier tel quel, le changement de situations de discours entraînant dans l'énoncé même
des substitutions paradigmatiques pour l'adapter aux
nouveaux referents présents ou évoqués. Ainsi Jacques peut être remplacé par Pierre, Paul, Valérie,
etc., et la pêche par le travail, la messe, la piscine,
etc. Le sens de l'énoncé change donc bien, mais sa
structure ne change pas, et, curieusement, les significations obtenues ne sont guère différentes : que
Jacques soit à la messe, au travail ou à la piscine,
ne change pas l'intention de communiquer de sa
femme quand elle reçoit son amant.
Notons que la paraphrase, telle que nous l'avons
définie, ici, le discours rapporté et les situations de
discours analogues manifestent des significations plus
que des sens. Les situations analogues ne peuvent
d'ailleurs que manifester des significations, que celles-ci coïncident avec les sens ou en diffèrent. Mais
le discours rapporté, et la paraphrase, sous une
forme proche de la définition du dictionnaire pour
les mots, peuvent également manifester le sens des
énoncés. Il suffirait de ne traduire que l'interprétation sémantique qui reste valable dans toutes les
ré-utilisations de cet énoncé. Mais une telle interprétation, si elle est possible pour les mots, existet-elle toujours pour les énoncés ?
2. Analyse de la signification
des énoncés d'un dialogue
2.1. Il s'agit d'un dialogue tiré du cours audiovisuel Voix et Images de France (C.R.E.D.I.F., Didier,
Paris, 1962, p. 116). Les types d'énonciation et les
situations de discours sont visualisés à l'aide de
dessins que l'on projette sur un écran : ces dessins
sont au nombre de cinquante trois. Vingt images
visualisent le type de communication du dialogue. On
y voit à la fois la locutrice-auditrice et le locuteurauditeur. A ces vingt images s'ajoutent quinze images
qui ne présentent qu'un seul des personnages du
dialogue, mais comme les images sont lues en séquences, on a aucune peine à restituer le second
personnage hors-champ du dessin. Dix-huit images,
enfin, visualisent un type dénonciation très différent
du dialogue : l'héroïne remplit sa fiche d'hôtel, elle
lit les énoncés inscrits sur la fiche, puis écrit ce
qu'on lui demande, en le prononçant. Par rapport
à ce qui est écrit sur la fiche, elle est en position
d'auditrice (lecteur, en fait) ; par rapport à ce
qu'elle écrit, elle est en position de locutrice (et, en
même temps, de scripteur). Quand elle écrit, l'auditeur qui est en face d'elle (l'employé de l'hôtel) n'est
normalement pas le destinataire de ses messages : le
véritable destinataire est absent, et les énoncés écrits
renvoient à des événements qui n'ont pas de relation
directe avec les événements et l'entourage physique
de renonciation. Les images ne présentent, pour ce
type de situation, que les mains gantées, le stylo et
la fiche.
Certaines images contiennent des ballons dans lesquels sont dessinés les referents possibles de certains
mots ; nous n'en tiendrons pas compte dans cette
analyse.
L'employé — Voulez-vous remplir cette fiche ?
Une cliente — Est-ce que c'est vraiment nécessaire ?
L'employé — Mais certainement, Madame. Tenez,
voilà un stylo.
Une cliente — Nom et prénom : eh bien, mettons...
Durand Lucienne.
Née le... ? 26 mars 1933.
Née à... ? Née à Paris, naturellement.
Profession... couturière, par exemple. C'est gentil
d'être couturière, n'est-ce pas ?
L'employé — Mais oui, Madame.
Une cliente — Nationalité : française.
Numéro de la carte d'identité : j'ai perdu ma carte.
Date d'arrivée : le 9 mars 1957.
Date de départ : je ne sais pas.
Moyen de transport : l'avion.
C'est tout ?
L'employé — Non, Madame. Vous avez oublié d'écrire votre adresse.
Une cliente — Ah ! c'est vrai. Rue Lafayette... Los
Angeles. Voilà.
L'employé — Merci, Madame. Ah ! voilà le patron.
Le patron — Vous voudriez une chambre, Madame ?
A L'HOTEL
Voix : une cliente, l'employé de l'hôtel, le patron.
Une cliente — Bonjour, Monsieur. Avez-vous une
chambre, s'il vous plaît ?
L'employé — Mais oui, Madame. Nous en avons une
très jolie au cinquième étage et une autre, plus petite, au deuxième.
Une cliente — Je prendrai celle du cinquième.
L'employé — Le garçon va monter vos valises.
Une cliente — Mais oui, naturellement...
Le patron — Mais... vous ressemblez à quelqu'un que
je connais ! Ah ! vous êtes actrice de cinéma !...
Une cliente — Chut ! Ne le dites pas. Je viens me
reposer. Je ne veux voir personne.
Le patron — Vous pouvez comptez sur moi, Madame.
Nous n'analyserons que les énoncés qui nous paraissent présenter quelques problèmes, quant à leur
signification (2). Pour alléger la présentation, paraphrase sera réécrit P ; discours rapporté D R ; situations analogues, S A.
Une cliente — Merci, je n'ai pas de valises.
L'employé -— Combien de jours pensez-vous rester,
Madame ?
Une cliente — Je ne sais pas encore... deux jours
ou un mois.
(2) Une analyse de ce dialogue avait été entreprise, il y a
quelques années par le Bureau Pédagogique de Kaboul,
sous la direction de M. ¡Roquemaurel. Cette analyse se
situait dans une perspective d'explication à des élèves
étrangers. Notre optique est ici différente, mais nous reprenons quelques points de cette analyse.
137
2.2. AVEZ-VOUS UNE CHAMBRE, S'IL VOUS
PLAIT?
— Je voudrais (louer) une chambre ?
Au niveau du sens, cet énoncé est ambigu à cause
de la polysémie de chambre, qui peut être « une
pièce pour coucher », « une chambre à air d'un
pneu », « une chambre noire pour photographe amateur », « le mobilier d'une chambre à coucher », pour
ne tenir compte que des acceptions les plus courantes. Certes la plupart des locuteurs-auditeurs
compétents choisiront spontanément le premier, mais
les autres ne sont pas exclus dans des situations de
discours particulières : un garage devant lequel on a
arrêté sa voiture avec un pneu crevé, un magasin
de matériel photographique pour amateurs, un magasin de meubles pas très fourni...
— Etc.
Sélectionner le sens « pièce pour coucher » est donc
déjà une sélection liée à la situation de discours ;
ici, sur l'image, le hall d'entrée d'un hôtel de bonne
catégorie.
Le verbe avoir n'est pas ici un auxiliaire, ni une
copule, comme dans tu as mal, il a faim, il a son
sens plein, mais est-ce qu'ici, selon la définition du
dictionnaire, il « indique la possession » ?
Hors situation du discours, le sens de cet énoncé
pourrait être : «Etes-vous possesseur ou propriétaire d'une chambre ». Mais la signification actualisée ici serait plutôt : « Pouvez-vous me louer une
chambre ».
Quant au s'il vous plaît, est-ce que dans ce dialogue
il n'est que « la formule de politesse employée pour
une demande, un conseil, un ordre » ? Ou bien
joue-t-il un rôle sémantique dans l'énoncé.
En se situant, au niveau du sens, on voit que cet
énoncé apparemment très simple à décoder, laisse,
pour peu qu'on s'interroge sur la ou les interprétations qu'on lui donne, une impression de flou : l'auditeur lui donne une sorte d'interprétation sémantique générale, mais aux limites incertaines, et ne
peut dire exactement quelle est l'intention de
communiquer qu'il est censé véhiculer.
Au niveau de la signification (dans la situation de
discours présenté par l'image), l'intention de communiquer paraît beaucoup plus précise.
Des P de cet énoncé pourraient être :
— Pouvez-vous me louer une chambre, je vous
prie ?
138
— Est-ce qu'il vous reste quelque chose ?
Le D R donnerait :
— Elle demande à l'employé s'il y a une chambre à
louer.
— Elle demande à l'employé s'il a une chambre
à lui louer.
— Etc.
S A possibles :
— Chez l'épicier, une cliente : — Avez-vous du
beurre normand, s'il vous plaît ?
— Un fumeur qui n'a plus d'allumettes : — Avezvous du feu, s'il vous plaît ?
— Etc.
Supposons qu'un professeur ou un élève arrête son
analyse au sens de l'énoncé et ne cherche pas à
déceler l'intention de communiquer mis en jeu par la
situation de discours actualisée ici. Il ne produira
que des P approximatives. Au D R, il admettra :
elle demande s'il a une chambre qui est possible
mais imprécis. Enfin le s'il vous plaît, par un élève
étranger qui apprend le français par exemple, risquera d'être compris comme une forme postiche ne
jouant aucun rôle sémantique important dans l'énoncé, et l'élève ne saura distinguer la différence de
sens qu'il y a entre Avez-vous un crayon ? et Avezvous un crayons, s'il vous plaît ? La première question, selon les situations de discours, peut entraîner,
en cas de réponse affirmative, soit Oui, j'en ai un,
soit Oui, en voilà un, mais la seconde ne peut admettre que la réponse : Oui, en voilà un (le Oui,
j'en ai un sera ressenti comme ironique — «j'en ai
un, mais je le garde», si la réponse n'est pas
accompagnée d'un geste de présentation du crayon).
Quant au professeur qui voudrait travailler, sous
forme d'exercice structural, la structure de cet énoncé, s'il s'en tient au sens, il aura tendance à bâtir
son exercice sur — Avez-vous une chambre ? — Oui,
j'en ai une avec substitutions paradigmatiques, alors
qu'ici la structure sémantico-syntaxique intéressante est — Avez-vous.., s'il vous plaît ? — Oui, je
peux vous en donner...
— MAIS OUI, MADAME.
Le sens de ce Mais peut être interprété comme une
particule destinée à renforcer le oui et pourrait être
paraphrasé par : Bien sûr, Madame, Bien entendu,
Assurément, etc.
On peut se demander si ce sens correspond bien à la
signification de l'énoncé ici. Remarquons que dans
cette situation de discours, l'employé en cas de refus,
ne dirait pas Mais non, Madame, mais sans doute
Je regrette Madame, nous n'en avons plus. Bien
sûr, bien entendu, assurément ont, dans cette situation de discours, quelque chose d'insolent, leur signification est voisine de « pourquoi poser cette question, puisqu'il est évident que dans un hôtel il y
a des chambres » ou « vous demandez ce qui va
de soi ». Le sérieux du visage de l'employé, son ton,
démentent cette interprétation.
L'opposition Mais oui / Je regrette est, pour un
Français, liée à ce que Bally appelait « une évocation de milieu », autrement dit, elle est connotée. Elle
évoque des rapports de service, on l'entend chez les
marchands, dans les hôtels, les agences, etc. D'autres S A appropriées à cette signification du Mais
oui, seraient, par exemple, chez l'épicier : — Avezvous des œufs frais ? — Mais oui, Madame, ou
dans une agence : — Auriez-vous des billets pour
l'Opéra ? — Mais oui, Monsieur, etc.
— NOUS EN AVONS UNE TRES JOLIE AU
CINQUIEME ETAGE ET UNE AUTRE PLUS
PETITE AU DEUXIEME.
Cet énoncé pose des problèmes de syntaxe liés aux
pronominalisations : nous en avons une, une autre,
au deuxième, mais il est aisé d'en vérifier la compréhension en demandant de développer l'énoncé en
établissant tous les antécédents. Le sens en semble
clair, mais sa signification est délicate à déterminer
sur deux points : Nous et petite.
Ce nous n'est ni un je -j- ils, ni ce qu'on appelle un
nous de majesté (Nous, Président de..., décidons...)
ou un nous de modestie (Nous traiterons les points
suivants...). Nous signifie ici l'ensemble des gens de
l'hôtel qui sont au service des clients. Le patron de
l'hôtel dirait, sans doute : — J'en ai une... S A possibles pour ce nous. Une employée de grand magasin
à un client : — Je regrette, nous n'en avons plus.
Dans une banque : — Nous sommes fermés, le samedi.
Petite n'a pas nécessairement ici le sens habituel de
«moindres dimensions». Cet adjectif est lui aussi
connoté par la situation de discours. Sa signification
est une autre moins bien, plus modeste, moins chère,
etc. C'est une sorte d'euphémisme, par lequel l'employé cherche à influencer la cliente, en suggérant
que si elle choisit cette petite chambre, elle sera
considérée comme quelqu'un qui n'a pas les moyens
de s'en payer une autre. Et il est courant de craindre
le mépris des employés. Réemplois possibles : un
vendeur de voitures, d'appartements, etc.
— JE PRENDRAI CELLE DU CINQUIEME.
Deux nouvelles pronominalisations, mais quelle est
la signification de ce futur (même oralement on
ne peut le confondre avec un conditionnel présent :
celui-ci supposerait une intonation de phrase inachevée, un mais... sous-entendu).
Le sens habituel du futur voudrait que le fait de
retenir la chambre soit postérieur à renonciation.
Or, en fait, quand la cliente dit je prendrai, elle retient, à ce moment même et par l'emploi de ce
mot, la chambre. C'est une sorte de performatif :
il sert par son énonciation à effectuer l'action qu'il
signifie. Ce futur morphologique a donc une valeur
de présent. Une P possible serait : — J e prends celle
du cinquième. Je prendrai atténue seulement l'affirmation en la reportant en quelque sorte dans
l'avenir, par un procédé un peu symétrique à celui
qui nous fait dire : — Je venais vous dire... S A possibles : dans un café (— Que prendrez-vous ?) ;
dans un magasin (— J'en prendrai deux mètres).
— LE GARÇON VA MONTER VOS VALISES.
— MERCI, JE N'AI PAS DE VALISES.
Passons sur la polysémie de garçon : dans un hôtel
il ne peut s'agir que du sens « employé subalterne »,
puisque nous sommes ni au bar, ni au restaurant.
Mais l'énoncé, au niveau de sa valeur de communication, est intéressant parce qu'en fait il a deux
destinataires différents (tous les deux sur l'image),
et comme la relation entre le locuteur et ses deux
auditeurs n'est pas du tout la même, la signification
de l'énoncé change. Pour le garçon, c'est un ordre ;
P : — Montez les valises de Madame. Pour la cliente,
c'est une simple information ; P : — On va s'occuper
de vos bagages.
139
Le sens de merci est soit une interjection de politesse employée pour exprimer sa gratitude, soit une
particule destinée à renforcer une acceptation ou
un refus : — Oui, merci ; Non, merci. Ces deux
sens ne sont peut-être pas absents du merci de cet
énoncé, mais sa signification n'est pas exactement
Non merci et pas exactement je vous en remercie.
L'un est trop «sec», l'autre trop poli. Des P possibles seraient : — Ce n'est pas la peine ; — C'est
inutile ; etc. D'autres S A : on propose du feu à
quelqu'un qui en a (— Merci, j'ai ce qu'il me fout) ;
grève du métro, on vous propose une voiture, mais
vous devez déjà partir avec quelqu'un (— Merci,
j'ai déjà une proposition). L'idée de remerciement
subsiste mais elle est secondaire.
— COMBIEN DE JOURS PENSEZ-VOUS RESTER,
MADAME ?
Cette question dans la bouche du réceptionniste
pourrait être une question très conventionnelle, mais
dans ce dialogue elle entretient, implicitement, un
rapport logique avec la réplique précédente (— Merci, je n'ai pas de valises). Elle cache un Alors ou
Dans ce cas... D'autres S A sont aisées à découvrir.
— JE NE SAIS PAS ENCORE : DEUX JOURS OU
UN MOIS.
On peut donner à cet énoncé deux significations
différentes. Deux jours ou un mois peut être paraphrasé par Deux jours, trois, une semaine, un
mois, je verrai ou par si je suis bien, un mois, si
je suis mal, deux jours. Dans le premier cas ou
signifie «entre deux jours et un mois», dans le
second il signifie « ou bien deux jours, ou bien
un mois ». C'est un ou excluant nécessairement
l'une des possibilités. Le premier ou n'est pas exactement le et/ou des logiciens ; compte tenu de la
situation de discours (en particulier la psychologie
et le comportement de la cliente), nous pensons que
c'est lui qui est actualisé dans cet énoncé : en fait,
elle ne veut pas répondre. Autres S A : après la
location d'un appartement (— Vous pensez rester
ici longtemps ? — Je ne sais pas, une année ou
dix ans) ; projet de grand voyage (— Vous parlez
toujours de partir, mais quand allez-vous le faire ?
— Oh ; je ne sais pas, dans six mois ou dans vingt
ans).
140
— VOULEZ-VOUS REMPLIR CETTE FICHE ?
— EST-CE QUE C'EST VRAIMENT NECESSAIRE ?
Répondre à une question par une question est une
manière de ne pas y répondre.
Remplir une fiche a ici un sens qui coïncide avec
sa signification. C'est le sens répertorié dans les
dictionnaires : « inscrire les indications nécessaires
dans les espaces laissés en blanc. Exemple : remplir
un questionnaire, un mandat, une fiche, etc. ». Remarquons que la question est ici un ordre poli.
La seconde réplique demande une analyse plus
poussée. Son sens serait : — Est-ce qu'il est absolument obligatoire de la remplir ? ou — Est-ce que
c'est bien vrai qu'il s'agit là d'une formalité obligatoire ? Cette cliente est française, elle a voyagé,
elle sait qu'en France remplir sa fiche est une obligation. Cette question réponse signifie donc quelque
chose d'autre que son sens : on ne pose pas une
question simplement pour demander ce qu'on sait,
surtout quand on a parfaitement conscience que l'interlocuteur sait fort bien qu'on en connaît déjà la
réponse. La signification de cet énoncé est un sousentendu qui pourrait se traduire ainsi : « Ayez
l'amabilité de me dispenser de cette obligation, je
n'y tiens pas ».
Autres S A : on part pour un séjour sous les Tropiques (— Emporte quelque chose de chaud ! —
Est-ce que c'est vraiment nécessaire ?) ; discussion
avec un garagiste (— Il faudrait changer le moteur,
— Est-ce que c'est vraiment nécessaire).
— MAIS CERTAINEMENT, MADAME. TENEZ,
VOILA UN STYLO.
Mais n'a pas ici la signification qu'il avait dans
mais oui, il a un de ses sens répertoriés dans les
dictionnaires, il vient renforcer le certainement.
Tenez, de même, est ici très proche de son sens
«prendre avec la main».
— NOM ET PRENOM : EH BIEN, METTONS :
DURAND LUCIENNE.
Nous avons signalé plus haut que Nom et prénom
relève d'un type d'énonciation qui n'est pas le dialogue, mais la lecture d'un texte écrit (sous-type :
lecture à voix haute). Nous n'en n'analyserons donc
pas les significations dans le cadre de cette étude.
Deux remarques seulement. La situation de discours,
visualisée dans le film par la main gantée de brun,
celle de la cliente, tenant un stylo pointé sur la
fiche d'hôtel, entraîne des modifications syntaxiques
particulières (Nom et prénom donnerait dans un
dialogue : Quel est votre nom et votre prénom ? La
situation permet une « économie » ; on peut penser à
un gendarme dressant une contravention!). La
cliente pourrait lire en silence, si elle le fait à
haute voix, c'est qu'elle veut maintenir un certain
contact, un certain dialogue, avec son interlocuteur.
Les commentaires qu'elle insère dans sa lecture,
s'adressent d'ailleurs autant à l'employé qu'à ellemême.
Eh bien, mettons en est un bon exemple. Le type
d'énonciation n'est plus la lecture, mais comme dans
la lecture, il n'y a pas d'auditeur présent, on se parle
à soi-même (monologue extériorisé). Dans ce type
d'énonciation, et dans cette situation de discours, la
signification serait : — Ecrivons, ou — Bon, j'écris...,
ou Bon, je mets... Mais ce type d'énonciation se
complique ici, du fait qu'il n'annule pas celui du
dialogue. Et dans le dialogue actualisé ici, mettons
a une autre signification. P : Eh bien, si vous
voulez, je peux écrire... ; S'il faut absolument remplir cette fiche, admettons que je m'appelle Durand.
D R : Puisqu'il lui faut remplir sa fiche, elle propose
de donner un faux nom. La désinence de la première personne du pluriel (ons) implique d'ailleurs
un nous, que l'employé admet une certaine complicité : — Vous êtes d'accord avec moi, n'est-ce pas,
pour que je mette... Mettons, ici, a donc une ambiguïté liée au fait que deux types d'énonciation se
chevauchent. Sa signification peut donc être déchiffrée sur deux plans. Autre S A : on vous questionne pour un sondage, vous n'aimez pas les sondages (— Etes-vous favorable à... ? — Oh ! vous
savez, moi, les sondages ! Enfin, si vous voulez,
mettons...).
Durand est un nom propre évidemment connoté par
sa fréquence en France. Lucienne serait plutôt actuellement connoté comme un prénom vieillot pas
très distingué : ce n'est pas un prénom à la mode,
comme Corine, Stéphanie, Véronique ou Adeline !
vu ci-dessus, il prend deux significations différentes. Dans le monologue extériorisé, on peut l'interpréter par les P suivantes :
— A Paris, c'est normal après ce que j'ai écrit (le
raisonnement suivi serait : j'ai pris le nom de
Durand qui est très courant, donc je dois habiter à
Paris, là où vit un Français sur cinq). Dans le
dialogue avec l'employé, l'intention est sans doute
différente, et un peu ironique : c'est un faux nom,
Paris est grand, on ne pourra pas vérifier les indications de la fiche, d'où le choix « tout naturel »,
logique, de Paris. Autre S A : un mari cherche à
s'excuser d'un retard (— Qu'est-ce que tu vas
dire à ta femme ? — Que j'ai eu une panne, naturellement) .
— PROFESSION... COUTURIERE, PAR EXEMPLE. C'EST GENTIL D'ETRE COUTURIERE,
N'EST-CE P A S ?
Par exemple également s'inscrit dans les deux types
d'énonciation. P du monologue extériorisé : — Pourquoi pas, couturière, ou bien — je ne sais pas, couturière est un exemple de profession, n'est-ce pas,
Monsieur ? Autrement dit, elle feint, en sachant
que le réceptionniste n'est pas dupe, de comprendre
que Profession sur la fiche signifie : « citez une profession » et non « donnez votre profession ». D'un
questionnaire d'état civil, elle fait un questionnaire
de vocabulaire. Cette « erreur » n'est pas comique
parce qu'elle la fait volontairement pour tourner
en dérision des formalités qu'on lui affirme absolument nécessaires.
Gentil, ici, a une signification juste à mi-chemin
de deux des sens répertoriés de cet adjectif, d'une
part un gentil métier peut être un métier « délicat,
faisant appel au goût », d'autre part la construction
c'est gentil évoque des énoncés comme C'est bien
gentil tout ça, C'est gentil, chez eux, mais petit,
autrement dit ce qui « se dit d'une œuvre ou d'une
chose dont on ne fait pas grand cas». Le premier
sens nous semble plus relever du monologue extériorisé que le second plus ironique. Le n'est-ce pas
invite d'ailleurs l'interlocuteur à accepter ce qualificatif mi-moqueur, mi-juste.
— NEE LE... ? 26 MARS 1933.
NEE A... ? NEE A PARIS, NATURELLEMENT.
— MAIS OUI, MADAME.
Naturellement a, ici, son sens de «par conséquence
logique», mais fonctionne, à notre avis, dans deux
types d'énonciation superposés, comme le mettons
Dans la bande enregistrée du dialogue, l'intonation
est ici celle de quelqu'un qui « joue » le rôle qu'on
veut bien lui faire jouer. Ce mais oui est proche du
141
premier que nous avons vu, il se situe dans un
rapport client-serviteur, mais l'intonation en change
la signification, elle souligne que le réceptionniste
accepte le jeu pour mieux laisser entendre qu'il
refuse de s'y laisser prendre. L'intention est, à peu
près, identique dans les S A suivantes : une femme
et son mari (— Ecoute, chéri, tu pourrais m'aider
à faire la vaisselle, ce serait gentil, n'est-ce pas ?
— Mais oui, chérie) ; on propose comme avantageux
quelque chose qui n'est pas considéré comme tel par
l'interlocuteur (— Tu ferais une affaire, si tu m'achetais cette voiture — Mais oui, mon vieux (c'est toi
qui en ferait une).
Nous sautons les trois répliques suivantes qui, dans
la perspective que nous suivons, présentent moins
d'intérêt, encore qu'il y faudrait analyser la valeur
du c'est tout ? et les connotations de Rue Lafayette
et Los Angeles. La « logique » des fausses indications
semblent les suivre : Lafayette évoque La Fayette,
le « libérateur » des Etats-Unis, qui, eux, évoquent
Los Angeles, capitale du cinéma qui fait rêver la
couturière-actrice (les lunettes noires, son assurance,
un incognito aussi volontairement maladroit nous
avaient déjà mis sur la piste de la véritable personnalité de ce personnage).
— MERCI, MADAME. AH ! VOILA LE PATRON. "
Le merci a, ici, une signification qui ne diffère en
rien de son sens habituel, mais on peut le comparer
à Merci, je n'ai pas de valises. Patron n'a, sans
doute, pas ici la connotation populaire et parfois
péjorative de la patronne du bar, ou le patron, j'ai
pas confiance en lui. On peut se demander d'ailleurs
si dans un hôtel comme celui-ci, un réceptionniste
désignerait ainsi le directeur devant une cliente...
On imagine, en revanche, fort bien cet énoncé entre
deux employés de l'hôtel occupés à bavarder au lieu
de travailler, par exemple.
— VOUS VOUDRIEZ UNE CHAMBRE, MADAME ?
Le conditionnel présent utilisé pour exprimer un
désir, un conseil, une demande, un refus, marque
conventionnellement une réserve polie : il permet
de présenter comme une simple éventualité ce qui,
en fait, n'en est pas une (par une sorte de distanciation comparable à celle que nous avons vu pour
je prendrai). La signification est plus proche de
142
la P : Est-ce que vous désirez une chambre ? que
de : Est-ce que vous voulez une chambre ? Autre
S A : à un ami pour demander un service (— Tu
voudrais m'aider, Pierre ?).
— MAIS OUI, NATURELLEMENT.
C'est le troisième mais oui et le quatrième mais. Le
mais renforce le oui de réponse, comme dans mais
certainement (cf. plus haut). C'est le second naturellement, son sens est sans doute le même que le
premier, mais la signification est un peu différente,
il renvoie à un raisonnement logique, mais comme
télescopé en une évidence ( « Si je suis dans un
hôtel, c'est forcément pour demander à y loger » ).
On reproche à l'interlocuteur le fait de poser une
question dont la réponse est évidente. Autres S A :
un jour de pluie, une mère et son fils qui part pour
l'école (— Dis maman, je mets mon imperméable,
— Mais oui, naturellement) ; (— J'éteins les lampes,
en partant, — Mais oui, naturellement). Ce reproche est agressif ou moqueur ou indulgent, selon
l'intonation.
— MAIS... VOUS RESSEMBLEZ A QUELQU'UN
QUE JE CONNAIS !
Cinquième mais du dialogue ! Ce mais est classé dans
les dictionnaires comme « entrant dans les phrases
exclamatives ou interrogatives ». Il exprime «le
doute, l'hésitation, la suspension et aussi l'étonnement », dit Littré. La signification dépend donc de
l'intonation : ici, vraisemblablement, il renvoie à
un moment d'hésitation dans la reconnaissance. Autre S A : quelqu'un arrive chez vous, il ne vous
semble pas inconnu (Mais... c'est Jacques!).
Sans vouloir nous attarder sur les dernières répliques, nous tenons à signaler l'intonation de Ah ! vous
êtes actrice de cinéma ! qui au D R pourrait donner :
il se rappelle soudain qu'il l'a vue en photo (l'image
montre le patron faisant un signe de la main vers
une affiche collée sur le mur et sur laquelle on lit
Cinéma).
— CHUT ! NE LE DITES PAS. JE VIENS ME
REPOSER. JE NE VEUX VOIR PERSONNE.
Ne le dites pas, en dialogue, peut entre autres,
apparaître dans deux types de situation de discours :
soit le locuteur le prononce quand un de ces inter-
locuteurs est prêt à dire quelque chose que lui,
locuteur du Ne le dites pas, ne veut pas entendre,
soit dans des S A comme celle du dialogue étudié.
Au D R, dans le premier cas, l'énoncé pourra donner : — X... l'arrêta en lui demandant de ne pas
dire ce qu'il avait l'intention de dire ; dans le second
on pourra avoir : — Il lui demanda (le pria, lui
ordonna) de ne pas le dire ou bien — Il lui demanda
de ne pas le répéter. Celui-là implique de ne pas
le dire aux personnes présentes au moment de
renonciation, celui-ci de ne pas le dire aux personnes que l'auditeur pourra rencontrer.
Je ne veux voir personne pose un problème de signification amusant. Une analyse syntaxico-sémantique
de cet énoncé conduit à dire que le sujet de l'infinitif voir est je et que son objet est personne. Le
sens serait donc : « mon intention, ma volonté est
que moi, je ne vois personne». Mais ici, la signification semble différente, elle est : «Je veux que
personne ne me voit». L'objet syntaxique devient
donc le sujet sémantique de l'infinitif et le sujet
syntaxique, son objet sémantique. Comme P possibles, on peut imaginer : — Que personne ne vienne
me déranger ; — Personne ne doit savoir que je
suis ici ; — Je ne reçois personne. Il est vrai que
quand on voit on risque d'être vu.
3. Remarques sur la conduite
de cette analyse
et sur ses applications pédagogiques
possibles
3.1. Pour ne pas compliquer l'analyse, nous avons
fait comme si ce dialogue était un dialogue dont
nous aurions été témoins. Or, en réalité, ce dialogue
s'emboîte dans un type de communication très différent de celui du dialogue. Le professeur de langue
étrangère qui le découvre dans le sous-type de communication : lecture muette. Le locuteur du discours
qu'il lit n'est pas présent : c'est l'auteur créateur de ce
dialogue. De plus le professeur lecteur le lit dans
une situation de discours particulière : pour faire son
cours, ou par curiosité pédagogique. Les énoncés,
dans ce type d'énonciation et dans cette situation,
prennent alors d'autres significations qui se surajou-
tent à celles que nous avons analysées. L'énoncé —
Je prendrai celle du cinquième sera décodé comme
incitation à travailler en classe la pronominalisation
par celui, celle, ceux, celles ; pensez-vous rester,
voulez-vous remplir, je ne veux voir comme le prétexte à aborder et à systématiser la construction :
verbes autres qu'auoir ou être suivis d'un infinitif ;
etc. Le professeur de langue, habitué à ce cours
audio-visuel, découvre donc des intentions qu'un
lecteur peu informé ne découvrira pas. Or, ces intentions de communiquer étaient pourtant celles de
l'auteur du dialogue qui l'a écrit dans un but, avant
tout, pédagogique. Pour lui, ses auditeurs étaient
d'une part les professeurs utilisateurs du cours, d'autre part les élèves. Ce qui explique en partie que la
cliente lise à haute et très distincte voix ce qui est
écrit sur la fiche. Il est vrai, comme nous l'avons
vu, qu'elle veut maintenir un contact avec l'employé : elle veut qu'il soit au courant de ce qu'elle
fait. La lecture à haute voix se justifie donc, non
seulement par des raisons pédagogiques (que les
élèves puissent connaître la prononciation de ce
qui est écrit), mais aussi par des raisons internes
au dialogue.
Ainsi, il peut y avoir plusieurs « lectures » des significations d'un dialogue aussi simple, et nous nous
en somme tenus aux intentions de communiquer
« conscientes » des personnages ou de l'auteur du
dialogue, mais on pourrait également — ce que font
de nombreux professeurs — chercher les indices des
intentions masquées, « inconscientes », de l'auteur
par exemple. Pourquoi avoir choisi cette française
un peu snob ? Pourquoi un hôtel de bonne catégorie ? Quelle est l'idéologie mise en jeu par ce
dialogue ? Quelle image l'auteur a-t-il voulu transmettre de la civilisation française Quelle image,
involontairement, livre-t-il de lui-même ? Etc. Mais
comme les méthodes pour analyser les idéologies
ou les mobiles sous-jacents à un texte demeurent mal
maîtrisées, malgré les progrès que leur a fait faire
la psychanalyse, le risque d'une interprétation à ce
niveau est qu'il n'y ait plus de communication et
que le décodeur ne fasse du texte un miroir où il
lit ses propres phobies et ses propres désirs, sans trop
tenir compte de ce qui est réellement dit et des
raisons, conscientes ou non, qui ont pu amener l'auteur à le dire ainsi.
3.3. D'un point de vue pédagogique, c'est la « lecture » que nous avons longuement analysée qui nous
paraît la plus intéressante.
143
Dans un enseignement de langue étrangère s'appuyant sur une méthodologie audio-visuelle, elle
est indispensable, s'il est vrai que ce qui importe
le plus dans l'apprentissage d'un idiome nouveau
ce sont, dans un premier temps, les significations,
les sens se constituant peu à peu à partir des diverses
significations de discours. Vouloir s'en tenir aux sens,
tels que les classent plus ou moins spontanément les
locuteurs-auditeurs francophones compétents, revient
à ne pas tenir compte des conditions d'énonciation
et de discours qui font que tel énoncé peut être
réemployé ou ne pas l'être. Or la connaissance de
ces conditions est nécessaire à l'élève étranger qui
veut faire un usage du français voisin de celui qu'en
font les Français. De plus nous savons, par de nombreux travaux portant sur la comparaison des langues, que chaque langue découpe l'univers sémantique à sa manière et que ces découpages mettent
souvent en jeu des distinctions beaucoup plus fines
que les distinctions répertoriées dans les dictionnaires
sous le nom de sens ou acceptions. Un Français ne
distinguera pas deux voilà dans Voilà l'autobus
(«qui arrive») et voilà Madame X... ( « j e vous la
présente ») ; un étranger, selon sa langue maternelle,
le fera, parce que dans cette langue la formulation
sera tout à fait différente dans un cas et dans
l'autre.
Pour la pédagogie de la langue maternelle, une
analyse des significations des discours non littéraires nous paraît pouvoir apporter une contribution
intéressante aux techniques d'elucidation du sens.
On pourrait procéder plus systématiquement que
nous l'avons fait ici (de crainte d'être trop long),
énoncé par énoncé, en demandant d'abord les paraphrases (le professeur ou les élèves écartant celles
qui ne semblent pas convenir au type d'énonciation
et à la situation) ; puis en demandant d'imaginer
des situations analogues de réemplois, soit de l'énoncé tel quel, soit de l'un ou l'autre de ses éléments
(ceux qui posent problème) ; enfin en passant au
discours rapporté qui permettra d'expliciter à l'aide
d'un lexique et d'une syntaxe différents les cir-
144
constances d'emploi des formes et la signification
véhiculée par ces emplois. Un tel travail nous paraît
pouvoir être profitable comme entraînement au
compte rendu, à la narration, mais aussi comme
approche de la grammaire.
H. BESSE
BIBLIOGRAPHIE
AUSTIN J.-L., Quand dire c'est faire, Le Seuil,
Paris, 1970.
BENVENISTE E., Problèmes de linguistique générale, Gallimard, Paris, 1966.
— L'appareil formel de renonciation, in Langages
n° 17, mars 1970, Didier-Larousse, Paris, 1970.
BESSE H., Paraphrases et ambiguïtés de sens in
Cahiers de lexicologie I, 1973, Didier-Larousse, Paris, 1973.
CHOMSKY N., La forme et le sens dans le langage
naturel, in Hypothèses, Collection Change, SeghersLaffont, Paris, 1972.
CHARAUDEAU P., Sens et signification, in Cahiers
de lexicologie II, 1972, Didier-Larousse, Paris, 1973.
DUCROT O., Dire et ne pas dire, Collection Savoir,
Hermann, Paris, 1972.
TODOROV T., Problèmes d'énonciation, in Langages
n° 17, mars 1970, Didier-Larousse, Paris, 1970.
ÉLÉMENTS
POUR UN CLASSEMENT SÉMANTIQUE
DES CATÉGORIES GRAMMATICALES
INTRODUCTION
de lui fournir un tel « savoir interroger » que nous
lui proposons cette étude.
1. Il ne s'agit pas, ici, de parler méthodologie de
l'enseignement grammatical, on l'aura compris par
avance, mais il ne s'agit pas davantage de donner
une description complète des catégories grammaticales du français.
4. Nous commencerons donc par un rappel de quelques bases théoriques (I) de notre réflexion linguistique, celles qui concernent :
— le schéma de communication (1.1.) ;
— les fonctions du langage (1.2.) ;
— la hiérarchie de ces fonctions (2.).
2. Si l'on se reporte à notre « Essai de définition
d'une recherche pédagogique pour « Sens et Communication», on se rappellera que notre méthodologie
essaye d'éviter le cloisonnement des différentes approches de la langue française tel que enseignement
grammatical, enseignement lexical, enseignement littéraire, etc., et qu'au contraire nous essayons de
placer l'élève au cœur des problèmes de découverte
du sens d'une façon plus globale.
C'est pourquoi cette courte étude, si elle concerne
plus particulièrement les catégories grammaticales
du français cherche plutôt à fournir le cadre d'une
réflexion sémantique qui permette d'accéder à une
« nouvelle » grammaire, celle de la communication.
3. Et si l'on se reporte également à notre première
partie sur 1' « Elucidation du sens » (I), on se rappellera que notre méthodologie part toujours de procédures de discours (récit, sketches, fautes, etc.), car
nous ne croyons pas à une récurrence possible de la
découverte des structures sur la pratique du langage, si cette réflexion sur les structures se fait
pour elle-même.
Il faut, cependant, pour que puisse se faire cette
récurrence dans une méthodologie de l'élucidation,
que le maître dispose d'un « savoir interroger » ces
procédures de discours. Et c'est donc dans l'intention
Puis nous donnerons les composantes de structuration (II, 1.2. et 3), un exemple de structuration :
la quantification (4) et enfin une ébauche de structuration sémantico-grammaticale (5).
I. RAPPEL DES BASES THEORIQUES
« Fonctions du langage et points de vue énonciatifs du JE (locuteur). »
1. SCHEMA DE COMMUNICATION
ET FONCTIONS DU LANGAGE
1.1. Rappelons d'abord que nous définissons l'acte
de communication en général, comme un acte qui
met en œuvre un processus double de « symbolisation-transmission » et que, du même coup, tout
145
sujet communiquant (JE) se livre à une double
activité de symbolisation du réel, et de transmission
de cette symbolisation à un interlocuteur (TU) qui
réagit et avec lequel il est obligé de compter.
a) L'activité de « symbolisation » place le JE au
carrefour du monde (IL) et du code linguistique
dont il dispose, code qu'il peut d'ailleurs modifier
en se donnant une technique que nous appelons
« technique de discours ».
Ainsi placé, le JE se construit, par l'acte même de
communication, une vision linguistique — un savoir
sur le monde —, cette vision étant manifestée d'une
façon plus ou moins explicite par le discours produit.
b) L'activité de « transmission » oblige le JE à
prendre en considération le TU parce que les réactions du TU sont les seules preuves de la trans-
mission effective d'une communication. Or le TU
peut manifester qu'il comprend ou ne comprend
pas, ou comprend mal le discours produit par le JE
ce qui va faire prendre conscience à ce dernier de
la spécificité de son discours et va l'inciter à rechercher un consensus avec l'aide du TU. Cela veut
donc dire que tout interlocuteur ne saisit qu'une
partie (V'L') de la vision linguistique du JE (VL)
que celui-ci, par ses elucidations (techniques; métalinguistiques), essaie d'agrandir. Et si l'on sait que
les rôles des protagonistes de la communication sont
interchangeables, on dira que toute communication
repose sur une dualité « consensus/spécificité » qui
est la marque de la différence des codes du JE (Code L) et du TU (Code L'), et qui nous fait poser
l'hypothèse que toute communication repose sur un
rapport de surenchère polémique JE-TU et que c'est
en fonction de ce rapport que se façonne la vision
linguistique du monde (IL).
c) D'où le « schéma de communication » suivant :
.-—-"©'
VL
\
Monde
IL
JE
z:
Discours
®r
Enunciation
»*••
Code L'
m
V'L'
Compréhension
1.2. Cette situation du JE, au carrefour du mondeIL, du Code et du TU, se livrant à une double activité de « symbolisation-transmission » nous permet,
du même coup, de mettre en évidence les différentes
fonctions du langage (1).
(1) Nos fonctions ne sont pas tout à fait celles de R. Jakobson bien qu'elles s'en inspirent. L'honnêteté voudrait
que nous nous en expliquions, mais le lecteur comprendra que ce n'est pas ici le lieu.
146
a) Rapport JE-TU et « fonction polémique »
Elle se compose de trois types d'activité : « discrimination», «mise à distance», et «agression/
complicité ».
• ACTIVITE DE «DISCRIMINATION». Car le
JE doit manifester par son discours (ou son comportement non-verbal) à quel TU ou à quel type de
TU il s'adresse, pour se mettre « en prise » avec
lui.
A cet égard, il dispose de signes linguistiques — les
« appellatifs » — (tu, vous, noms de famille, prénoms, titres, formules de salut et autres expressions
de début ou fin de dialogue) — qui lui permettent
d'alerter son interlocuteur et au besoin de le discriminer dans un ensemble de locuteurs possibles ;
on peut, à ce titre, les appeler «termes d'adresse».
• ACTIVITE DE « MISE A DISTANCE ». Car lorsque le JE s'adresse à quelqu'un, il ne peut éviter
de manifester, à travers son discours — et donc à
travers le choix des signes auquel il s'est livré pour
fabriquer son discours — un certain type de rapport qu'il établit avec le TU du point de vue de ce
que l'on pourrait appeler la «familiarité». Ainsi
dans « mon cher, vous m'ennuyez ! », mon cher ¡et
vous, en même temps qu'ils sollicitent un interlocuteur particulier («Termes d'adresse»), sont l'indice d'une certaine distance, difficile à caractériser,
mais que l'on perçoit différente de celle que signalait
l'énoncé « mon vieux, tu m'ennuies ! » dans lequel
on peut considérer que mon vieux et tu réduisent
cette distance (de même la série « mec ! toi ! vous !
monsieur ! Excellence ! Majesté ! » montre, pour un
type de contexte donné, une mise à distance chaque
fois plus grande).
Mais cette « mise à distance » ne se manifeste
pas qu'à travers les appellatifs. Elle peut tout aussi
bien se manifester dans le choix des structures syntaxiques correspondant à une même classe sémantico-grammaticale (il ya plusieurs façons de donner un
ordre ou de poser une question), ou bien encore
par le choix des termes lexicaux («je ne puis»/
«des clous », ou «casser les pieds» à la place de
« ennuyer » ce qui réduirait davantage la distance
JE-TU).
vis du TU, et essaie, par là-même, de lui imposer
son « univers de discours ». En quelque sorte il
« agresse » le TU. Celui-ci, à son tour prend la
parole et retourne le rapport d' « agression » en
devenant JE, et ainsi de suite. C'est cette surenchère, nous l'avons dit, qui fonde la communication
en général comme reposant sur un rapport dialectique JE-TU, et c'est elle qui fonde plus particulièrement cette fonction polémique, c'est pourquoi
nous prenons ici cette activité dans un sens plus
strict.
Sans entrer dans le détail, nous dirons que cette
activité peut revêtir deux aspects discursifs : l'aspect «injonctif» et l'aspect «persuasif».
— L'aspect « injonctif » ne laisse aucune alternative
au TU ; c'est ce que l'on voit se manifester, à des
degrés divers dans les modalités d'ordre.
— L'aspect « persuasif » — avec son complémentaire le « dissuasif » — est plus intéressant du point
de vue d'une analyse du discours puisque, dans ce
cas, le JE, cherchant à enfermer habilement le TU
dans un certain système de pensée, met en œuvre
une « technique de discours » qui va des stéréotypes
les plus grossiers à une fine rhétorique.
b) Rapport JE-IL : « fonction situationnelle »
Il s'agit pour le JE, de se situer par rapport
monde qu'il conceptualise. Par exemple, lorsque
dit «viens ici» ou «je te retrouve là-bas»,
manifeste, à travers le choix de certains signes,
situation dans l'espace par rapport à un point
référence donné.
au
JE
il
sa
de
Une remarque importante : C'est dans cette « mise
à distance » que l'on retrouve une partie des fameux
« niveaux ou registres de langue » — qui sont en
fait le résultat d'une certaine « mise à distance »
et d'une certaine « situation de communication ».
Ces termes nous ont habitué à concevoir ce phénomène comme une stratification verticale de niveaux autour d'une référence-norme (on voit bien
là, la tradition positiviste), alors que sa seule justification linguistique réside dans le type de rapport
qui s'établit entre JE et TU.
Evidemment on pourrait objecter que cette fonction
dépend aussi du rapport JE-TU puisque le JE, en fin
de compte, sait toujours quelle est sa situation et
n'a donc besoin de la préciser que pour la « signifier » au TU. En fait, nous pensons que cette « signifiance » tient à ce qu'est d'une façon plus générale l'aspect « transmission » de la communication,
et l'on pourrait dire, alors que toutes les catégories
ou signes linguistiques ont ce rôle de « signifiance ».
Il nous apparaît cependant que tout « point de vue
situationnel » appartient au rapport JE-IL puisque
c'est le JE, et lui seul, qui décide du point de référence.
• ACTIVITE D' « AGRESSION/COMPLICITE ». Car
tout JE, dès l'instant qu'il « prend possession de la
parole», se met en position de supériorité vis-à-
Nous dirons donc que cette fonction situationnelle
repose sur deux points de vue : spatio-temporel et
notionnel.
147
— POINT DE VUE SPATIO-TEMPOREL, c'est-àdire la situation dans l'espace et dans le temps pour
laquelle chaque langue dispose de systèmes appropriés (déictique, temporel, aspectuel, etc.).
— POINT DE VUE NOTIONNEL, c'est-à-dire la
situation du JE du point de vue de ses « prises
de position » de tous ordres (intellectuel, affectif,
etc.) par rapport à ce monde perçu, symbolisé et
transmis. Là aussi, chaque langue dispose de systèmes appropriés pour permettre au JE de manifester ce que nous appellerons, après d'autres, la
« modalisation » de la vision du monde : verbes de
modalité (je peux, je crois, je nie, j'interdis, etc.),
adverbes {peut-être, sans doute, évidemment, etc.) ;
des procédés d'emphases, de reformulations, de répétitions, etc.
• FONCTION RHETORIQUE. Mais il peut se faire
que le JE utilise la technique de discours au premier
degré ( « premier » par rapport au discours métalinguistique) ; soit pour agir sur le TU (rhétoriquepolémique), soit pour projeter sur le monde une
vision particulière (rhétorique-poétique), soit pour
les deux à la fois.
Du même coup il y a une technique propre à la
fonction rhétorique qui, en principe, ne se confond
pas avec la technique de la fonction métalinguistique
mais se trouve souvent en intersection avec celle-
2. HIERARCHIE DES FONCTIONS
DU LANGAGE
Ce rapport met en œuvre deux fonctions que l'on
peut réunir sous un même intitulé, « technique de
discours», parce qu'elles se caractérisent toutes les
deux par les deux points communs suivants :
Rappelons qu'en fait de hiérarchie, il ne s'agit pas
d'établir un ordre d'importance, ni même peut-être
de dire quelle fonction prédomine sur l'autre —
puisque c'est précisément ce fait qui serait la marque d'un type de discours —, mais il s'agit d'essayer
de voir comment elles se situent l'une par rapport
à l'autre lors d'un acte de communication.
•— prise de conscience — plus ou moins intuitive,
plus ou moins raisonnée — par le JE des structures
du code dont il dispose et des possibilités de modification de ces structures ;
R. Jakobson (2), par exemple, les a distribuées selon
leur appartenance aux différents facteurs fondamentaux de la communication (p. 214), ce qui lui a
permis d'établir le schéma suivant (p. 220).
c) Rapport JE-code : « technique de discours »
— action sur les structures de ce code lors de la
production du discours et dons l'instant de production.
Ces possibilités et cette action relèvent d'une technique que se donne le JE.
Cependant cette « technique de discours » se différencie selon l'objectif poursuivi par le JE, ce qui
donne naissance à nos deux fonctions : métalinguistique et rhétorique.
• FONCTION METALINGUISTIQUE. Répondant
au besoin qu'éprouve tout JE de bien faire passer
la communication, celui-ci va utiliser le langage
pour élucider son propre discours à l'adresse du TU.
Et dans la mesure où cette utilisation se fait selon
une certaine technique qui cherche à ne pas confondre ce deuxième discours avec le premier — lui
conférant ainsi une valeur d'objectivation — nous
dirons après R. Jakobson que ce discours a « fonction
métalinguistique ».
148
Emotive
Référentielle
Poétique
Phatique
Métalinguistique
Conative
Etant donné que nous avons défini nos fonctions en
termes de rapports (JE-TU, JE-IL, JE-code) nous
ne pouvons pas en faire la même distribution.
• Et d'abord la « fonction référentielle » que nous
ne prenons pas tout à fait dans le sens de R. Jakobson.
Pour nous, c'est l'entier de l'acte de communication
qui est un « processus de symbolisation référentielle », en même temps qu'il est un « acte de transmission ». Or ce processus de symbolisation est une
résultante dont les composantes sont les différentes
(2) R. Jakobson, < Essais de linguistique générale », 1963,
Ed. de Minuit.
fonctions. Nous avons vu cependant que ces fonctions étaient d'ordre subjectif dans la mesure où
elles procédaient d'un « point de vue énonciatif »
relatif au JE.
Il reste donc à constater qu'en plus de ces fonctions, il existe deux autres activités sans lesquelles
la mécanique de la communication ne serait pas
complète. Ces activités sont plus particulièrement
tournées vers l'organisation du monde, et d'une
façon plus indépendante du JE, ce qui leur donne
un caractère plus objectif. Il s'agit de 1' « organisation
narrativo-descriptive » et de la « catégorisation sémantique » de l'univers.
— L'ORGANISATION NARRATIVO-DESCRIPTIVE. Il s'agit de ce qui permet à une langue de
manifester un certain nombre d' « opérations de pensée » — et inversement, il est probable que ces
« opérations de pensée » ne soient possibles que
dans la mesure où il existe un langage —. C'est de
cette interdépendance « opérations de pensée formelles-langage verbal » que naît une structuration
du monde en un certain nombre de relations logicoconceptuelles archétypiques. Et ceci apparaît aussi
bien — encore que de façons différentes •— chez
les linguistes préoccupés de définir des structures
profondes (générativistes) ou des relations logicoconceptuelles de base (quelques sémanticiens et logiciens), que chez les sémioticiens qui cherchent à
établir des structures narratives formelles, lesquelles se situeraient en-deçà de la manifestation.
— LA CATEGORISATION SEMANTIQUE peut
être conçue, dans la mécanique de la communication,
comme une sorte de « remplissage » des structures
formelles, « remplissage » qui dépendrait lui-même
de la mise en œuvre des différentes fonctions.
Evidemment, l'observation des faits de langage montre qu'il y a une forte interdépendance entre les
structures formelles et le contenu sémantique et que
tout compte fait l'un dépend de l'autre. On peut
cependant remarquer que le contenu sémantique
est lui-même structurable dans sa partie « consenssus » d'un groupe socio-linguistique, ce qui lui donne
un caractère objectif — ce qui n'empêche pas au JE
de subjectiviser ce contenu sémantique, en utilisant
la « technique de discours » (rhétorique-poétique) —.
Cette catégorisation sémantique va du plus générique ( « sèmes génériques » de type : « animé, humain, animal, etc. ») au plus spécifique d'une langue
et même d'un contexte ( « sèmes spécifiques » ).
Autre point délicat de la mécanique de la Communication : la « technique de discours ». En effet
celle-ci est également indissociable du reste puisqu'elle est ce qui permet à la symbolisation de se
faire — donc au code de se constituer —, et ce qui
permet également aux fonctions de se manifester.
Son omniprésence lui donne une place à part des
fonctions polémique et situationnelle.
Enfin on remarquera que les fonctions émotive,
phatique et conative de R. Jakobson se trouvent pour
nous dans le rapport JE-TU sous l'intitulé « fonction
polémique».
C'est pourquoi nous dirons :
Tout acte de communication véhicule un « processus de symbolisation referentielle » qui résulte, à la
fois, d'une double catégorisation formelle et sémantique (« organisation narrativo-descriptive » et « catégorisation sémantique ») et de la position que le
JE occupe par rapport au TU (« fonction polémique »), au IL («fonction situationnelle»), au code
(« fonctions métalinguistique et rhétorique »), toute
cette mécanique s'incluant dans une « situation
énonciative ».
C'est ce que nous représentons par le schéma suivant :
Situation énonciative — —
Fonction polémique
Fonction situationnelle
Symbolisation referentielle
(narratif) (Semant.)
0
Technique du discours
(Fonction métalinguistique)
(Fonction rhétorique)
149
II.
ferons une ébauche de restructuration de la grammaire du français (3).
STRUCTURATION
O. Voici donc, après ces rappels théoriques, l'ébauche d'une structuration sémantico-fonctionnelle à
propos du français.
1. NIVEAU DES CLASSES CONCEPTUELLES
De quoi s'agit-il exactement ?
Celles-ci sont issues, pour nous, de la mécanique
de l'acte de communication et c'est pourquoi il était
important d'en rappeler les éléments essentiels dans
le chapitre précédent.
1) De déterminer les classes conceptuelles de base
dont pourrait dépendre toute langue naturelle (L.N.),
autour desquelles s'organiseraient les différents systèmes de chaque langue (ex. : « classe d'interlocution»).
Puisque, pour nous, le signe se construit en même
temps qu'il se réalise dans l'acte de communication,
il est bien normal que les systèmes dont dépend
chaque signe dépendent eux-mêmes des composantes de la communication.
2) De déterminer, à l'intérieur de ces classes, quels
sont les différents axes sémantiques qui caractérisent chacun de ces systèmes (ex. : l'axe de l'injonction, l'axe de la quantification, l'axe du temps,
etc.).
1.1. Les classes d'organisation narrativo-descriptive ( « Symbolisation référentielle »•)
3) De restructurer la grammaire d'une langue, en
regroupant autour de chaque axe sémantique — et
donc de chaque classe conceptuelle — les catégories
morpho-syntaxiques qui lui correspondent (ex. :
certains indéfinis, les numéraux, les adverbes de
quantité, certains suffixes et préfixes, et certaines
locutions appartiennent à l'axe de la quantification
dans une classe de «situation notionnelle »).
Elles se composent des relations logico-oonceptuelles
de base telles qu'a pu les définir B. Pottier.
Il s'agit des trois relations-noyau : — Relation
existentielle ( « i l pleut»), relation attributive ( « I l
est grand », « il a une voiture »), relation active ( « Il
démolit le mur») auxquelles il faut rajouter d'autres relations-cas qui entourent le noyau, comme
causal, agentif, instrumentif, datif, bénéficiaire, final (4).
Nous nous proposons donc de donner quelques exemples pour chacune de ces opérations, après quoi nous
E
(10)
Loc.
T
(9)
(7)
Caus.
Agt
(1) [ ] <
(2)
Inst.
(8)
%^
(4)
<
(3) ® -Wfc»
(3) Cette étude s'inspire des travaux de B. Pottier, bien
que notre propre recherche nous ait amené à modifier,
justifier, voire contredire certains aspects de ses classifications. Aussi renvoyons-nous à sa «Présentation de la
150
Final (6)
Dat.
-•
Ben.
(5)
Linguistique », Klincksieck, dans sa nouvelle version très
remaniée qui sortira prochainement.
(4) Voir ici-même «Elucidation du Sens» (I).
EXPLICATIONS
— En (1), (2) et (3) il s'agit de relations-noyaux
dont la description a été donnée dans notre exposé
« Enseignement d'une grammaire du sens » (p. 41).
— Nous ne donnerons que quelques exemples d'illustration :
(1) «Voici Pierre», « il y a beaucoup de voitures
aujourd'hui ! ».
(2) «Pierre est professeur», «Pierre est grand»,
« Pierre dort ».
(3) « Pierre a frappé Paul ».
(4), (5) (6) «Pierre a donné un livre à Jean (4)
pour Paul (5) pour qu'il le lise» (6).
1.3. Les classes énonciatives
(Rapports JE-TU et JE-IL)
Elles dépendent des points de vue énonciatifs du
JE sur le TU et le IL. On obtiendra donc :
— LES CLASSES D'INTERLOCUTION qui correspondent à la « fonction polémique » et sont le
lieu de la « structuration interpersonnelle ».
Ex. : l'injonction.
— LES CLASSES DE SITUATION REFERENTIELLE qui correspondent à la « fonction situationnelle » et se trouvent être le lieu de la « structuration des points de vue référentiels ».
Ex. : La déixis, l'époque, la quantification, l'assertion, etc.
(7) «Pierre a tué Paul avec (7) un couteau».
(8) « Pierre a rencontré Jean grâce à (8) (malgré)
Paul ».
(9) « Tu as tort parce que (9) j'ai raison ».
(10) Il s'agit du cas locatif dans lequel peut se
trouver situé tout noyau.
Ce cas se décompose essentiellement en localisation
spatiale (E) et localisation temporelle (T).
Ex. : « Il m'a donné rendez-vous à dix heures (10.T)
place du marché (10.E).
1.2. Les classes de catégorisation sémantique
(« Symbolisation référentielle »)
Il faudrait renvoyer à une étude qui n'est pas encore
faite tant le travail est immense et délicat. En
effet, autant il est relativement aisé de trouver des
constantes dans les relations — ce qui est le cas
de l'organisation narrative — autant il est difficile
de trouver les composantes sémantiques que chaque
langue se donne en structurant l'univers.
Pour donner cependant un exemple, rappelons ce
que B. Pottier appelle les « classes d'identification »
qu'il groupe en oppositions binaires : matériel/nonmatériel, vivant/non-vivant,
humain/non-humain,
sexe (genre - sexe - mâle/femelle), puissant/nonpuissant, continu/discontinu, etc.
2. NIVEAU DES AXESÍ SEMANTIQUES
C'est le niveau de l'organisation interne aux systèmes qui se trouvent appartenir à telle ou telle classe
conceptuelle.
2.1. A l'intérieur de l'organisation narrativo-descriptive et de l'une de ces classes de relation, par
exemple l'attribution, il faudrait étudier les degrés
d'inhérence de cette relation.
Par exemple entre / ê t r e / et /avoir/ il y a différence
d' « inhérence » dans l'attribution alors que entre
/être à/ («il est à Paris») et /être/ («il est Parisien » ) il y a une différence de « qualification ».
/Etre/ est la marque d'une «identité», alors que
/être à/ est la marque d'une « localisation ».
2.2. A l'intérieur de la catégorisation sémantique
se trouvent ce que l'on appelle habituellement les
« champs sémantiques ».
2.3. A l'intérieur des classes énonciatives, il faudrait également étudier les axes qui caractérisent
chacun des systèmes qui appartient à chaque classe.
Par exemple, la classe injonction, se caractérise,
entre autres, par un axe « d'agression » qui va du
plus iau moins.
151
(«Prise à témoin, sollicitation, ordre, invective»),
et par un axe « d'engagement » dont les pôles seraient «promesse» et «intention».
Par exemple, la classe d'assertion, se caractérise,
entre autres, par un axe de « conviction » dont les
pôles seraient « certitude » et «non-certitude».
Exemple : la répétition est un procédé de discours
qui peut appartenir à une classe d'emphase et donc
de structuration interpersonnelle, ou à une classe
de quantification et donc de structuration référentielle.
Dans notre tableau de structuration nous n'y ferons
que quelques allusions.
3.2. Deuxième remarque
3. NIVEAU DES SYSTEMES
MORPHO-SYNTAXIQUES
C'est le niveau de l'organisation de la grille morphosyntaxique qui caractérise chaque langue maternelle. Mais, ici, deux remarques sont nécessaires :
3.1. Première remarque : la liste des catégories
morpho-syntaxiques qui s'attachent à chaque classe
sémantico-conceptuelle, n'est pas fermée.
En effet, on n'oubliera pas que, dans tout processus
de communication, renonciation du discours peut
être formulée d'au moins deux façons :
a) par des marques qui révèlent le JE explicitement et donc par lesquelles le JE s'énonce en tant
que tel. Par exemple dans « je ne pense pas qu'il
ait tort » le locuteur :
— se pose comme JE en face de son interlocuteur,
en prenant-possession-de-la-parole ( « je ») ;
— exprime une modalité (verbe « penser » en liaison avec « négation » et « subjonctif ») ;
b) par des procédés de discours qui appartiennent
à la technique rhétorique tels que transformation
passive, transfert sémantique de type métaphorique
ou métonymique, etc.
Une question se pose alors : faut-il faire entrer
dans la classification des catégories morpho-syntaxiques en fonction des classes sém<antico-fonctionnelles des procédés de discours ?
La réponse est délicate car, étant donné l'interaction
fonctionnement-contitution du langage, on constate
qu'il y a des procédés qui sont déjà fixés en catégories de langue, d'autres qui sont en passe de se
fixer, d'autres enfin qui restent au niveau du seul
contexte.
152
Les catégories morpho-syntaxiques sont souvent des
catégories syncrétiques de plusieurs classes sémantico-fonctionnelles. Et bien qu'il soit possible de déterminer, la plupart du temps, laquelle de ces classes
est dominante, cela ne rend pas aisée la tâche de
classification.
Ainsi en est-il de l'interrogation qui véhicule à la
fois du /doute/ et de 1'/injonction/ (intimer l'ordre
de répondre).
Cela remarqué, nous dirons que dans l'ordre de
l'organisation narrativo-descriptive, les classes de
relations sont configurées par des systèmes morphosyntaxiques tels que des types de phrases (verbales,
nominales, avec ou sans sujet, avec ou sans objet,
etc.), que dans l'ordre de la catégorisation sémantique, les champs sémantiques sont configurés par
telle ou telle combinaison de morphèmes lexicaux et
que dans l'ordre des classes énonciatives, les classes
sémantico-grammaticales sont configurées par des
systèmes de morphèmes grammaticaux tels que articles, pronoms, relatifs, indéfinis, etc.
4. UN EXEMPLE :
«LA QUANTIFICATION»
Avant de donner le tableau de structuration sémantico-fonctionnelle, qui ne sera nécessairement qu'un
cadre de classification, nous voudrions illustrer ces
propos en prenant comme exemple la « quantification ».
4.1.
Observation
a) Soit une phrase au singulier :
«Aujourd'hui, j'ai fait une faute dans ma dictée»,
t
QUESTION : De quels moyens d'expression linguistique disposons-nous pour quantifier cette expression ?
D'autres sont sentis comme le résultat d'un transfert
(exemple du partitif) c'est-à-dire comme appartenant à la technique du discours.
REPONSE :
— Numéraux : deux, trois, quatre... vingt, etc.
— Indéfinis : plusieurs, quelques, des, etc.
— Adverbes de quantité : beaucoup de, trop de,
bien des, etc.
— Partitif : « il y a de la faute ».
• Les procédés de quantification varient selon ce
qui est à quantifier :
On ne peut pas quantifier le substantif par très.
On ne peut pas quantifier l'adjectif par trois.
On ne peut pas quantifier le substantif viande par
deux (sauf contexte particulier).
b) Soit cette autre phrase :
4.2. Proposition de classement
sémantico-fonctionnel
« Aujourd'hui, à midi, j'ai mangé de la
de saignante ».
vian-
t
t
• ESSAYONS DE QUANTIFIER
LE SUBSTANTIF :
— Adverbes de quantité : beaucoup de, trop de,
etc.
— Indéfini : tout ( + complémentation).
— Numéraux : une tonne de, 3 kg de, 500 g de,
etc.
— Locution : une grande quantité de.
• ESSAYONS DE QUANTIFIER
L'ADJECTIF :
— Adverbes de quantité : très, assez, trop, bien,
etc.
— Préfixes : archi-, ultra-, etc.
— Suffixe : -issime ? (en tout cas «richissime»).
— Locutions : on ne peut plus, à souhait, etc.
a) NIVEAU CONCEPTUEL
• Dans la « mécanique » de la communication, la
quantification résulte du « point de vue » que le JE
a sur le monde-IL quant à son aspect quantitatif.
Nous dirons donc que la Q appartient, dans le cadre
du rapport JE-IL, à la «fonction situationnelle».
Et nous dirons que, dans le cadre de cette fonction
situationnelle, la Q appartient à un point de vue
de « structuration notionnelle ».
• En quoi consiste cette «structurationnotionnelle»,
autrement dit quelle est la définition de la quantification à ce niveau conceptuel ?
La Q peut être considérée comme une opération
qui s'applique au contenu sémantique du signe.
— Si ce contenu implique une vision de disconti~
nuité, c'est-à-dire la saisie d'un concept limité,
l'opération consistera en une « multiplication externe » de l'unité.
Ex. : « J'ai acheté 3 timbres à 50 c ».
c) REMARQUES
• Des signes tels que adverbes, indéfinis, articles
et numéraux, et qui sont habituellement classés dans
des catégories grammaticales différentes se trouvent
ici groupés autour d'une même classe conceptuelle :
la quantification (Q).
— Si ce contenu implique une vision de continuité,
c'est-à-dire la saisie d'un concept non limité, l'opération consistera en une « intensification interne »
du contenu sémantique.
Ex. : Il boit beaucoup de vin».
« Il est très intelligent ».
a Les procédés de quantification n'ont pas tous la
même importance d'emploi.
b) NIVEAU DES AXES SEMANTIQUES
Certains sont sentis comme appartenant à une catégorie déjà fixée en langue (ex. : les numéraux).
Rappelons qu'il s'agit de l'organisation interne aux
systèmes en rapport avec une langue particulière.
153
Sans entrer dans le détail on remarquera que, pour
le français, il faudrait étudier les axes suivants :
— Le degré de quantification : peu, assez, beaucoup,
trop, etc.
La discrimination (l'un... l'autre, les autres/le reste,
les trois-quarts, etc.).
La comparaison (le plus, le moins).
N.B. :
— Les partitions globales :
— Deux : bi, duel.
— Trois : tri, triel.
— Moitié : semi, mi, demi, etc.
— Groupe : suffixes (at, aie), lexemes, etc.
— La distribution, la discrimination, la comparaison.
c) NIVEAU MORPHO-SYNTAXIQUE
C'est le lieu d'étude des conditions d'emploi des
formes, conditions d'emploi qui dépendent aussi
bien des contraintes de type formel que des
contraintes de type sémantique.
Ce qui fait, qu'au bout du compte, l'organisation
de ce niveau est, morpho-sémantico-syntaxique.
Voici un classement des quantificateurs, classement
qui ne tient compte que des contraintes sémantiques
et qu'il faudrait donc compléter par une étude de
combinatoires syntaxiques.
— MULTIPLICATION EXTERNE (correspondant
à la « vision de discontinuité » )
Indéfinis (plusieurs, quelques, etc.).
Numéraux (deux, dix, etc.).
Adverbes de quantité (beaucoup de, etc.).
Locutions (un grand nombre de).
— INTENSIFICATION INTERNE
à la « vision de continuité » )
(correspondant
1) On peut, par la « technique de discours », utiliser
un opérateur du « continu » pour l'appliquer au
« discontinu » à des fins de quantification emphatique.
Ex. : « Il y a de la voiture, dans la rue ! ».
2) On peut, à l'inverse, utiliser un opérateur de
quantification du « discontinu » pour l'appliquer au
« continu », à condition que celui-ci soit découpé au
préalable par un « opérateur de mesure ».
Ex. : « J'ai mangé 3 kg de viande en une semaine ».
3) Enfin, on n'oubliera pas que la technique de
discours peut avoir recours à d'autres procédés
comme :
— La répétition («très, très joli» ou «joli, joli»).
— La prosodie ou la graphie ( « Il est eNOORRme ! »).
5. EBAUCHE DE STRUCTURATION
SEMANTICO-GRAMMATICALE
5.1. Rappelons le cadre conceptuel de base des
classes d'énonciation :
Rapport JE-TU : « Fonction polémique »
Lieu de la « Structuration interpersonnelle » par
classes d'interlocution.
Rapport JE-IL : « Fonction situationnelle »
Adverbes de quantité (beaucoup de, très, bien, etc.).
Indéfinis totalisants (tout).
Suffixes (-issime).
Préfixes (archi-, hyper-, super-, etc.).
Locutions (on ne peut plus).
Lieu de la « Structuration des points de vue référentiels » par classes de situation.
— QUANTIFICATION ET RELATIONS (catégorie
complexe du point de vue sémantique)
JE-TU : « Structuration interpersonnelle »
La distribution (chaque, n'importe qui, etc.).
154
5.2.
Structuration
Elle se décompose essentiellement en deux classes
d'interlocution : l'allocution et la délocution.
Nous donnerons quelques exemples d' « axes sémantiques » et de «catégories formelles» (au sens
catégories grammaticales traditionnelles) correspondant à chacune de ces classes.
AXES SEMANTIQUES
ALLOCUTION :
— « Exclamation »
— « Injonction » (sollicitation — ordre —
invective)
— « Interrogation » (complexe puisque à la
fois, «injonction» et «assertion»)
DELOCUTION :
— « Discrimination » des protagonistes de la
Communication
— « Ordre/supplique »
— « Engagement/soumission »
— « Position/présupposition »
CATEGORIES FORMELLES
— Exclamatif
— Impératif, injonctif, optatif, appellatif
— Interrogatif
— Pronoms personnels et appellatifs
— Verbes de modalité
— Verbes de modalité
— Articles
N.B. : Grâce à la « technique de discours » il se forme des « lois du discours » qui nous permettront d'ajouter
à ces catégories :
— Les verbes performatifs
— Les signes de présupposition
— Les maximes, proverbes et autres procédés rhétoriques polémiques.
JE-IL : « Structuration des points de vue référentiels »
Elle se décompose essentiellement en deux classes de situation : spatio-temporelle
Nous en donnerons un aperçu :
AXES SEMANTIQUES
SITUATION SPATIO-TEMPORELLE :
— « La Deixis » (ici, là, là-bas)
— « L'époque » (maintenant, avant/après)
— « L'aspect » (déroulement, initial/final)
SITUATION NOTIONNELLE
— « L'assertion » :
• Eventuel/effectif
• Certitude/non-certitude
• positif/négatif
• affirmatif/suppositif
et notionnelle.
CATEGORIES FORMELLES
— Démonstratifs, adverbes, prépositions
— Temps verbaux, adverbes
— Auxiliante, locutions
—
—
—
—
Modes verbaux, adverbes
Verbes de modalité
Affirmation, négation, adverbes
Verbes de modalités
155
— « Le jugement » :
• Appréciation
• Justification
Verbes de modalités et adverbes
• Approximation
etc.
— « La volition »
— « L'obligation »
— Verbes de modalités
— Auxiliaires et semi-auxiliaires
— Adverbes et périphrases
SITUATION NOTIONNELLE 2 :
— « La quantification » (voir 4.)
— Indéfinis, adverbes, numéraux, locutions,
etc.
— « La confrontation » (comparaison, identification, coordination)
N.B. On aura remarqué que la même catégorie
formelle correspond à plusieurs classes sémantiques.
Cela est bien normal ; ce sont des catégories syncrétiques qui véhiculent plusieurs contenus sémantiques selon le type de contexte dans lequel elles
se trouvent employées. Par exemple le mode « subjonctif » dans tel type de contexte pourra véhiculer
à la fois un contenu d' « éventuel », de « non-certitude », et de « suppositif » ( « supposons qu'il soit
reparti»). De plus on le voit apparaître en combinaison avec l'Optatif ( « qu'il vienne ! » ), ou avec
une modalité d'ordre («j'ordonne qu'il se retire ! »)
ou même avec l'interrogatif ( « croyez-vous qu'il
vienne ? »), catégories appartenant à des classes sémantiques qui font partie de la « structuration interpersonnelle*.
Voilà pourquoi un classement grammatical par catégories formelles est impossible à admettre lorsque
l'on cherche à déterminer les structures de fonctionnement sémantique d'une langue ; mais voilà aussi
pourquoi nos grammaires traditionnelles n'ont jamais enseigné à « mieux parler français » ; c'est parce qu'elles sont totalement déconnectées du processus
de production linguistique qui repose essentiellement,
nous l'avons vu, sur des composantes sémanticofonctionnelles.
156
— Le comparatif, le superlatif, les coordonnants, adverbes d'identification
III.
INCIDENCES PEDAGOGIQUES
Nous terminerons par quelques réflexions destinées
à montrer l'intérêt d'une telle structuration pour
l'enseignement de la langue, et nous renvoyons à
nos recherches futures pour en voir l'exploitation
précise.
1) Une telle « grammaire » est une grammaire du
locuteur, car elle lui permet :
— De voir quels moyens d'expression sont à sa
disposition pour exprimer une intention de communication donnée. C'est une grammaire de co-disponibïlité des moyens d'expression par rapport à une
classe sémantique donnée.
—- D'étudier la différence entre ces moyens d'expression, et de saisir plus sainement les différences
de registres, puisqu'il n'y a différence de registres
que par rapport à une même intention de communication référentielle.
— D'étudier, du même coup, les procédés de la
« technique de discours » rhétorique, et de mesurer
par là-même l'interaction qui se fait entre la procédure rhétorique et le contenu d'intention de
communication.
— d'une part elle plonge l'élève au cœur du « sens »
dont il est seul responsable, ce qui permet au maître
de tenir compte du contenu sémantique que l'élève
investit dans un discours produit ou reçu ;
2) Une telle grammaire est une grammaire de description sémantique parce qu'elle permet à l'interlocuteur de découvrir sous l'agencement des catégories formelles les composantes de l'intention de
communication du locuteur et de saisir quel est son
« point de vue » par rapport aux pôles de la communication (TU et IL).
— d'autre part cette grammaire est une « manière
d'interroger » le discours et non un modèle métalinguistique rigide qui imposerait par avance un type
de structuration formelle de la phrase.
3) Enfin une telle grammaire permet une démarche
pédagogique véritablement inductive, car :
Ici, au contraire, l'élève, utilisant cet instrument
d'interrogation, aboutira à une formalisation qui lui
sera propre et qu'il pourra, à la limite, avoir inventé.
P. CHARAUDEAU
157
ELEMENTS POUR UNE DESCRIPTION
DES STRUCTURES NARRATIVES
Le sujet est vaste et les méthodes d'approche variées.
Aussi nous contenterons-nous de proposer un questionnaire élaboré à partir des études de Cl. Brémond (1) et destiné à permettre de déterminer les
rôles que jouent les différents « personnages » (pris
au sens large) d'un récit.
C'est par la détermination de ces rôles que les
personnages deviennent actants et c'est par là que
l'on pourra du même coup procéder à l'ordonnancement des séquences narratives et à la nomination des fonctions qui les composent.
QUESTIONNAIRE SUR LE PERSONNAGE
(HUMAIN OU ANTHROPOMORPHE)
—• Subit-il une action ?
— Agit-il ?
• S'il subit, est-ce :
— comme victime ? (il est frustré, il a des craintes,
il n'a pas d'information).
— Comme bénéficiaire ? (il est satisfait, il a des
espoirs, ïl a des informations).
• S'il agit, est-ce :
— Volontairement? (il décide).
— Involontairement? (il ne décide pas).
• S'il agit involontairement :
— Quelles sont les circonstances qui ont causé son
influence ?
(1) « La logique des possibles narratifs », in Communications, n° 8, Seuil.
(*) « Logique du récit », Seuil.
• S'il agit
— Comme
— Comme
—• Comme
— Comme
volontairement, est-ce :
agresseur ?
adversaire d'un agresseur ?
allié ?
justicier ?
• S'il agit volontairement comme agresseur, se livre-t-il à :
— Une agression directe? (par quel processus?).
— Une agression indirecte ? (par quel processus de
tromperie ? tromperie — dupe — faute — exploitation).
• S'il
— La
— La
— La
allié).
agit comme adversaire, que choisit-il :
fuite? (par quel processus?).
riposte ? (par quel processus ?).
négociation ? (par quel processus ? Voir :
• S'il agit comme allié, est-ce :
— En agressant directement l'adversaire de celui
qu'il aide ?
— En aidant le personnage qui le prend pour allié ?
• Dans ces deux cas, agit-il :
— Fortuitement ? (par quel
concours de circonstances ?)
— Volontairement et directement ?
' V. Agresseur
(par quel processus ?)
— Volontairement et indirectement ? (par quel processus ?)
• L'alliance donne-t-elle lieu à une négociation ?
(Processus de séduction — Pacte — Engagement.)
• S'il agit comme justicier-rétributeur, est-ce :
— En punissant ? (quel châtiment ?).
— En récompensant ? (quelle récompense ?).
15»
Dépôt légal n° 5109 - 3e trim. 1974 - Imp. BIALEC, Nancy
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ARRAS - C.D.D.P. : 39, rue aux Ours - 62022 Arras
AUCH - C.D.D.P. : rue Boissy-d'Anglas - 32007 Auch
AVIGNON - C.D.D.P. : 8, rue Frédéric-Mistral - 84000 Avignon
BEAUVAIS - C.D.D.P. : 22, avenue Victor-Hugo - B.P. 321 - 60030 Beauvais Cedex
BESANÇON - C.R.D.P. : 16 et 17, rue Ernest-Renan - B.P. 1153 - 25003 Besançon Cedex
BORDEAUX - C.R.D.P. : 75, cours d'Alsace-Lorraine - 33075 Bordeaux Cedex
BOURG-EN-BRESSE - C.D.D.P. : 6, rue Jules-Ferry - 01000 Bourg-en-Bresse
BOURGES - Antenne du C.R.D.P. : 9, rue Edouard-Branly -18000 Bourges
BREST - C.D.D.P. : 108, rue Jean-Jaurès - 29200 Brest
CAEN - C.R.D.P. : 21, rue du Moulin-au-Roy -14034 Caen Cedex
CAHORS - Antenne du C.R.D.P. : Cité Administrative - quai Cavaignac - 46000 Cahôrs
CARCASSONNE -C.D.D.P. : 56, avenue du Docteur-Henri-Goût -11012 Carcassonne
CHALONS-SUR-MARNE - Section du C.R.D.P. : Cité administrative - 51036 Châlons-sur-Marne Cedex
CHAUMONT - C.D.D.P. : 20, rue Haeusler - 52000 Chaumont
CHARLEVILLE/MEZIERES - C.D.D.P. : 18, rue Voltaire - 08100 Charleville'Mézières
CLERMONT-FERRAND - C.R.D.P. : 15, rue d'Amboise - 63037 Clermont-Ferrand
DIGNE - C.D.D.P. : Ancien lycée de jeunes filles - place des Cordeliers - 04000 Digne
DIJON - C.R.D.P. : Campus universitaire de Montmuzart, boulevard Gabriel - B.P. 490 - 21013 Dijon Cedex
FOIX - C.D.D.P. : 31 bis, avenue du Général-de-Gaulle - 09008 Foix
FORT-DE-FRANCE (Martinique) - C.D.D.P. : 49. rue Victor-Sévère -97200 Fort-de-France
GAP - Antenne du C.R.D.P. : 4, avenue du Maréchal-Foch - 05000 Gap
GRENOBLE - C.R.D.P. : 11. rue du Général-Champon - 38031 Grenoble Cedex
LAON : C.D.D.P. : 27, rue Ferdinand-Thuillard - impasse de l'Eglise - 02000 Laon
LA ROCHELLE - C.D.D.P. : rue de Jéricho - 17000 La Rochelle
LE MANS - C.D.D.P. : 31, rue des Maillets - 72000 Le Mans
LILLE - C.R.D.P. : 3, rue Jean-Bart - 59046 Lille Cedex
LIMOGES - C.R.D.P. : 44, rue Gay-Lussac - 87031 Limoges Cedex
LYON - C.R.D.P. : 47-49, rue Philippe-de-Lassalle - 69316 Lyon Cedex 1
MARSEILLE - C.R.D.P. : 55. rue Sylvabelle - 13291 Marseille Cedex 2
MENDE - C.D.D.P. : 12, avenue du Père Coudrin - 48000 Mende
MONTAUBAN - C.D.D.P. : 9, rue du Fort - 82000 Montauban
MONT-DE-MARSAN - C.D.D.P. : Cité Galliane, avenue Cronstadt - 40000 Mont-de-Marsan
MONTPELLIER - C.R.D.P. : allée de la Citadelle - 34064 Montpellier Cedex
NANCY - C.R.D.P. : 99, rue de Metz - 54000 Nancy
NANTES - C.R.D.P. : 17, rue Gambetta - B.P. 1001 - 44036 Nantes Cedex
NEVERS - C.D.D.P. : Ecole du Château - 58000 Nevers
NICE-C.R.D.P. : 117. rue de France -06000 Nice
NIMES - C.D.D.P. : 10, Grand' Rue - 30000 Nîmes
NIORT - C.D.D.P. : 1. rue Jules Ferry - 79000 Niort
ORLEANS - C.R.D.P. : 55, rue Notre-Dame-de-Recouvrance - 45012 Orléans Cedex
PARIS - C.R.D.P. : 29. rue d'Ulm - 75230 Paris Cedex 05 - Librairie : 13. rue du Four - 75270 Paris Cedex 06
PAU - C.D.D.P. : Villa Nitot - avenue Nitot - B.P. 299 - 64016 Pau
PERPIGNAN - C.D.D.P. : 24, rue Emile-Zola - 66020 Perpignan Cedex
POINTE-A-PITRE (Guadeloupe) - C.D.D.P. : rue du Gouverneur-Félix-Eboué - 97154 Pointe-à-Pitre
POITIERS - C.R.D.P. : 6, rue Sainte-Catherine - 86034 Poitiers Cedex
REIMS - C.R.D.P. : 47, rue Simon - B.P. 387 - 51063 Reims Cedex
RENNES - C.R.D.P. : 92. rue d Antrain - B.P. 158 - 35003 Rennes Cedex
RODEZ - C.D.D.P. : ENI - 1 2 , rue Sarrus -12000 Rodez
ROUEN - C.R.D.P. : 2, rue du Docteur Fleury - 76130 Mt-St-Aignan
• Adresse postale : Cedex 3038 - 76041 Rouen Cedex
SAINT-DENIS (La Réunion) - C.D.D.P. - 97489 Saint-Denis
SAINT-ETIENNE - C.D.D.P. : 16, rue Marcellin-Allard - 42000. Saint-Etienne Cedex
STRASBOURG - C.R D.P. : 5, quai Zorn - B.P. 279 R7 - 67007 Strasbourg Cedex
TARBES - C.D.D.P. : rue Georges-Magnoac - B.P. 205 - 65013 Tarbes
TOULOUSE - C.R.D.P. : 3, rue Roquelaine - 31069 Toulouse Cedex
TOURS - C.D.D.P. : 1, rue Gutenberg - 37000 Tours
TROYES - C.D.D.P. : 1. rue Bégand -10014 Troyes Cedex
VALENCE - C.D.D.P. : " A n c i e n n e Préfecture", place Le Cardonnel - B.P. 498 - 26010 Valence
INSTITUT NATIONAL
DE RECHERCHE
ET DE DOCUMENTATION
PEDAGOGIQUES
SERVICE D'ÉDITION ET DE VENTE
DES PUBLICATIONS
DE L'ÉDUCATION NATIONALE
29 RUE D'ULM
75 230 PARIS • CEDEX 05
Posant comme principe que la pédagogie n'est pas un « lieu
d'application » des sciences humaines (linguistique, sémiotique
littéraire, psychologie, sociologie, psychanalyse), mais un « lieu
de réflexion » autonome qui tire parti de ces sciences (dans
un mouvement inverse à ce qu'est la science appliquée), ce
numéro présente à la fois :
— une réflexion sur le statut de notre recherche ;
— une réflexion sur l'activité pédagogique en français à travers des exercices expérimentés en classe ;
— une réflexion sémio-linguistique sur la communication, ces
trois ordres de réflexion s'articulant l'un sur l'autre.
Quel que soit le niveau d'enseignement, la réflexion sémiolinguistique est la même et c'est elle seule qui peut fournir un
certain « savoir-faire » à l'enseignant, c'est pourquoi elle se
trouve présente tout au long des différents exposés.
La réflexion pédagogique, elle, s'appuie sur deux pôles :
— l'un, plus phrastique (« elucidation du sens » et « grammaire
du sens »);
— l'autre, plus textuel (« communication et expression »).
Brochure n° 2369
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