AVERTISSEMENT : La mission de la Fondation Jean-Jaurès est de faire vivre le débat public et de
concourir ainsi à la rénovation de la pensée socialiste. Elle publie donc les analyses et les propositions
dont lintérêt du thème, l’originalité de la problématique ou la qualité de largumentation contribuent à
atteindre cet objectif, sans pour autant nécessairement reprendre à son compte chacune dentre elles.
Lutte contre
le changement
climatique : la
responsabilité des
progressistes1
Face aux risques que fait courir à l’Humanité un réchauffement climatique à lorigine
anthropique de moins en moins contestée, la responsabilité des forces progressistes
mondiales apparaît à la fois décisive et historique : elles seules, à la difrence des
ultralibéraux, peuvent apporter les réponses évitant la catastrophe.1
Une responsabilité sociale évidente
La responsabilité des progressistes apparaît évidemment dabord comme sociale. La Présidente
du Chili, Michèle Bachelet, la dit excellemment, à loccasion du récent sommet des Nations
unies sur le climat à New York : « En période de désastres naturels, les plus affectés sont toujours
ceux qui sont le moins bien équipés ». Et qui peut nier en effet qu’une maison de bidonville
résiste moins bien aux inondations qu’une maison en dur, ou qu’une ville moderne, dotée dune
eau courante venue de loin, soit moins affectée par une sècheresse récurrente qu’un village
dont lapprovisionnement dépend dun puits où le niveau de leau ne cesse de descendre, jusquà
nalement se tarir.
1. Cette Note reprend et complète une intervention faite à Santiago du Chili lors d’un colloque international
organisé par la Fondation Jean-Jaurès, Chile 21, la FEPS (Fondation européenne détudes progressistes) et la
Friedrich Ebert Stiftung.
*Ancien député,
directeur du secteur
International de la
Fondation Jean-Jaurès
rard Fuchs*
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Note n°240 - Fondation Jean-Jaurès - 8 décembre 2014 - page 1
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climatique : la
responsabilité des
progressistes
Mais les progressistes se doivent daller au-delà de ce constat. Si le premier devoir des responsables
politiques est aujourdhui darriver à convaincre leurs concitoyens que beaucoup de leurs
comportements devront changer pour limiter le réchauffement en cours, encore faut-il que les
concitoyens en question aient véritablement des alternatives. Comment empêcher un paysan
du Sud de couper à regret les arbres de la dernière forêt voisine, si ce bois lui sert à cuire sa
nourriture et quaucune autre solution financièrement accessible n’existe pour lui ? Comment faire
en sorte que le salarié du Nord, qui paye avec difficulté les intérêts des emprunts de la maison
qu’il vient dacheter, s’endette encore plus pour que cette maison soit mieux isolée, même s’il a
été convaincu que cela serait une économie pour lui à moyen terme ?
Le combat contre le réchauffement climatique est inséparable du combat contre les inégalités,
qui est lune des raisons dêtre des progressistes. Et ce nest certainement pas par hasard que les
leaders de la droite américaine la plus dure nient encore la réalité même du réchauffement : ils ont
bien compris, et avant dautres, quelles étaient les conséquences logiques dune reconnaissance qui
entrnerait une redistribution des richesses et mettrait nécessairement en cause leurs privilèges.
Une responsabilité économiqUe à affirmer
Plus profondément, beaucoup des mesures nécessaires pour lutter contre le réchauffement
climatique mettent à mal la doxa ultralibérale établie dans les années 80, dont le principe de
base est que le libre fonctionnement du marché apporte la réponse à tous les problèmes qui
peuvent être rencontrés.
Il n’est pourtant pas nécessaire dêtre docteur en économie pour se convaincre que, les horizons
du débat climatique se situant en 2020, 2050, et même 2100, alors même que les marchés à terme
les plus aventureux ne concernent que les quelques années devant nous et que les générations
concernées ne sont même pas nées, dautres outils économiques que le seul marché doivent être
utilisés pour que les décisions daujourdhui permettent datteindre les objectifs fixés à ces horizons.
Plus profondément encore, le cœur de la difficulté à laquelle nous sommes confrontés est que
les biens publics qui deviennent aujourdhui de plus en plus les objets de notre attention – un
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air pur, c’est-à-dire non chargé exagérément de produits carbonés, une eau propre, c’est-à-dire en
particulier pas trop acide – ces biens fondamentaux sont encore trop souvent considérés comme
dénués de valeur car librement accessibles en quantités illimitées. Or nous savons bien que rien
n’est plus faux et, si jose dire, de plus en plus faux !
Il faut donc donner une valeur à ces biens et, en l’absence de marchés appropriés, cela ne peut
être qu’un centre de décision politique qui la définit, sur la base de la notion dun intérêt collectif ;
introduire dans la gestion de léconomie cette notion dun intérêt collectif, en plus de la notion
dintérêts individuels, a toujours été un élément distinctif de la pensée des progressistes et cet
élément doit une fois de plus être réafrmé.
Mais c’est là que nous nous heurtons aujourdhui à une difficulté fondamentale : les centres de
décision politique existants sont, pour les plus élevés dentre eux, au niveau des États, un niveau
où la pression de marchés financiers mondialisés étrangle toute velléité de politique économique
déviant de la doxa évoquée plus haut. Ce constat apparaît évidemment particulièrement vrai pour
les États trop endettés, les plus nombreux dans la crise actuelle, dont les équilibres financiers
dépendent de façon cruciale des taux dintérêt auxquels il leur faut réemprunter. Face à ce dé,
les progressistes se doivent alors, c’est la thèse que je veux défendre, de hausser leurs ambitions
politiques.
relever Un noUveaU fi politiqUe
Je vais, pour illustrer ce propos, revenir à la question climatique. Parmi toutes les politiques suivies
ces dernres années pour lutter contre le réchauffement climatique qui nous préoccupe, lune
delles me paraît particulièrement réussie, et pour dire le fond de ma pensée, presque exemplaire :
celle de la Suède. Je renverrai ici ceux qui veulent en savoir plus à un article à paraître de Claude
Henry, professeur à la Columbia University et à Sciences Po Paris. En résumé donc, la politique
suédoise a été, il y a près de vingt-cinq ans maintenant, dintroduire une taxe significative sur les
rejets des principaux émetteurs de gaz carbonique et, c’est là que réside loriginalité et lefficacité
de cette taxe, dannoncer quelle serait croissante dans le temps à un rythme aux modalités
de définition explicites. Lobjectif de départ était de lutter contre les pluies acides, le charbon
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utilisé en Suède contenant beaucoup de soufre. Un résultat secondaire, devenu au fil des années
essentiel, a été de réduire de plus en plus substantiellement les émissions de gaz à effet de serre.
Les rythmes de l’évolution de la taxe étaient discutés avec les émetteurs et les plus exposés à la
concurrence étrangère pouvaient se voir accorder un traitement préférentiel. Le résultat alors
est que, selon toute probabilité, en 2050, les émissions suédoises de GES (gaz à effet de serre)
ne seront plus que de 10 % de celles de 1990 !
Ayant une certaine expérience politique, je mesure bien que les succès, actuels et plus encore
futurs, de la politique suédoise, reposent sur deux éléments à ce jour non reproduits au niveau
mondial :
l’existence d’un centre de décision gouvernemental juridiquement en droit de lever
une nouvelle taxe ;
le fait que ce centre soit perçu comme assez légitime pour que sa décision soit
acceptée par tous, citoyens et entreprises.
Étant un progressiste volontariste mais non irréaliste – il nexiste pas aujourdhui de gouvernement
mondial –, je voudrais alors conclure mes considérations en avançant quelques suggestions pour
que les conférences de Lima cette année et de Paris en 2015 permettent cependant de prendre
les décisions nécessaires afin que reste possible latteinte du fameux objectif de « pas plus de +2
degrés délévation de température à partir de 2100 par rapport à lère préindustrielle ».
Un cadre noUveaU poUr la cop 21
Comme progressiste, j’adhère évidemment aux deux concepts fondamentaux qui ont été
admis, parfois non sans difficultés, pour guider les négociations internationales sur le climat :
celui d« équité » – à terme, le niveau moyen démission de tous les citoyens de la planète devra être
du même ordre – et celui de « responsabilité commune mais difrenciée » – les pays actuellement
développés ont été les principaux pourvoyeurs des GES actuellement dans latmosphère, ils
doivent donc être ceux qui feront le plus defforts à lavenir pour inverser la tendance actuelle.
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Il me semble cependant quune mise en œuvre trop mécanique de ces principes a contribué à
instituer entre groupes de pays aux délimitations discutables des rigidités excessives, génératrices
des échecs rencontrés ces dernières années : selon les catégories, des engagements de réduction
des émissions de GES doivent être pris de façon contraignante, ou bien aucun engagement de ce
type n’est obligatoire ; des mécanismes de vérification parfois intrusifs doivent être acceptés par
ceux qui ont besoin de l’aide internationale pour réaliser des projets utiles à la diminution des
émissions ; un dialogue de sourds est trop souvent engagé entre, d’une part, ceux qui n’acceptent de
donner de l’argent, hier au Fonds dadaptation, aujourdhui au fameux Fonds Vert, que sils savent
précisément pour quel projet il va être utilisé, et dautre part, des récipiendaires potentiels qui
attendent de connaître les sommes éventuellement disponibles pour préciser la nature et lampleur
des projets qu’ils aimeraient engager... Arriver dans ces conditions à réunir lunanimité requise
pour toute décision apparaît, et lexpérience passée la bien montré, du domaine de limpossibilité !
La philosophie mise en avant par lun des grands penseurs de tous ces débats, Nicholas Stern,
celle d’une approche beaucoup plus coopérative, me paraît alors devoir en effet être prise en
considération.
Quelques exemples :
Pourquoi ne pas demander à chaque État dannoncer les mesures quil peut prendre,
soit pour réduire ses émissions, soit pour réduire le rythme de leur accroissement par
rapport au passé, soit pour accroitre sa capacité de « pompage » du carbone, dans des
termes tels que laddition de tout cela permette de définir la trajectoire du moment
et de mesurer les efforts supplémentaires à accomplir dans les années suivantes pour
rester dans la limite des fameux 2 degrés ?
Autre exemple dans le même esprit : pourquoi ne pas différencier davantage la
nature des vérifications concernant la mise en œuvre des annonces, en fonction de
celles-ci et de la nature des engagements pris par les pays concernés ? J’avoue navoir
jamais vraiment compris en quoi la signature dun traité international rendait plus
probable latteinte dun objectif, que si celui-ci résultait du vote d’une loi nationale
voire, pour les pays aux engagements les plus modestes, de la déclaration publique
d’un Président.
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