En outre, la recherche et le développement explorent d’autres
modes de propulsion comme l’hydrogène ou la propulsion
vélique. Nous sommes évidemment loin d’envisager un retour
pur et simple à la Marine à voile ! Néanmoins, la recherche
permet d’envisager le vent comme une énergie d’appoint,
pouvant réduire de 20 % la consommation de carburant et
donc les émissions résultantes. Des expérimentations sont en
cours, telles que « Neoline » d’Eric Gavoty, ou « Beyond the
sea », projet de traction par cerf-volant du navigateur Yves
Parlier, auxquelles Armateurs de France apporte son soutien.
Philippe Delebecque : Quelle est la part de la France maritime
dans la politique de défense de l’environnement ?
Éric Banel : La flotte sous pavillon français a été récompensée
en 2013, 2014 et 2015 par le classement du Mémorandum de
Paris comme la plus sûre et la plus respectueuse de l’environ-
nement au niveau international. Ce résultat a été rendu
possible par un profond renouvellement de la flotte et un
recours permanent à l’innovation : nouveaux bulbes d’étrave,
branchement électrique des navires à quai, systèmes de
récupération des hydrocarbures en cas de naufrage ou de
traitement des eaux de ballast pour éviter le transfert d’espèces
invasives d’un port à l’autre, réduction des émissions de soufre
etc. Ce ne sont là que quelques exemples du formidable élan
technologique que nous avons initié pour mieux concilier
développement économique et protection de l’environne-
ment. Pour nous, c’est une question de conviction mais
également de survie. Notre activité est totalement mondialisée
et très concurrentielle : le pavillon français est plus cher que
ses principaux concurrents, y compris européens, et c’est bien
sur le terrain de la qualité que nous essayons de faire la
différence.
« Au fond, ce qui nous manque
aujourd’hui, c’est une vision à
long terme, une véritable stra-
tégie nationale de la mer et du
littoral »
Philippe Delebecque : Les pouvoirs publics semblent – enfin –
attacher un intérêt pour la mer (V. récentes déclarations de
Madame Royal et Rapport Leroy). Comment devrait se traduire
cet intérêt sur le plan économique et juridique ?
Éric Banel : Nos gouvernements aiment à rappeler que la
France dispose, avec 11 millions de kilomètres carrés, du
deuxième espace maritime mondial. C’est un formidable
potentiel mais encore faut-il en faire bon usage. La géographie
ne suffit pas à faire de nous une puissance maritime. Il faut une
volonté politique.
Avec 300 000 emplois directs et près d’un million d’emplois
induits, la France maritime représente déjà une force écono-
mique considérable. Cette réalité a peu à peu créé une prise de
conscience au sein de la classe politique et jusqu’au plus haut
sommet de l’État. La croissance bleue est désormais une
évidence, et c’est une bonne nouvelle. Six ans après le
Grenelle de la mer, le discours de François Hollande au
Havre, le 6 octobre dernier, marque bien cette évolution.
Les axes de développement sont connus : la promotion des
énergies marines renouvelables, d’une pêche et d’une aqua-
culture durables, d’un transport maritime de qualité, une
politique de désenclavement et de reconquête en matière
portuaire, le soutien à l’écoconception des navires, aux
biotechnologies et à la recherche marine. Au fond, ce qui nous
manque aujourd’hui, c’est une vision à long terme, une
véritable stratégie nationale de la mer et du littoral, pourtant
annoncée dès 2012. L’Europe nous montre la voie car elle a,
en 2014, imposé à tous les États membres de mettre en place
une planification stratégique et opérationnelle de l’espace
maritime. C’est une opportunité que nous entendons saisir.
Philippe Delebecque : Faut-il relancer le RIF (Registre interna-
tional français) ?
Éric Banel : Le RIF a été créé en 2005 afin de restaurer la
compétitivité du pavillon français, qui peu à peu se vidait de
ses navires dans une Europe qui, faute d’harmonisation
suffisante, exacerbe la concurrence entre les pavillons. De ce
point de vue, le RIF est parvenu à stopper l’hémorragie,
essentiellement grâce à la mise en place de la taxe au tonnage.
Pour preuve, les États européens qui n’ont pas adopté ce
dispositif fiscal, à l’instar de la Suède, n’ont pas réussi à
conserver une flotte significative.
Malheureusement, le RIF n’est pas allé au-delà de la protec-
tion de nos acquis. Il a manqué d’ambition. L’enjeu
aujourd’hui est de réussir à enclencher une véritable dyna-
mique de développement de la flotte sous pavillon français.
Comment ? Il faut à mon sens s’inspirer des exemples danois
ou norvégiens. Ces pays ont adopté une politique volontariste
de soutien à leur pavillon, à la fois sur le plan du coût du travail
et de la fiscalité, tout en encourageant la responsabilité sociale
et environnementale de leurs entreprises. C’est ce que nous
avons martelé pendant deux ans, et c’est ce que propose
aujourd’hui le député Arnaud Leroy dans sa proposition de loi
sur la croissance bleue.
Une politique de relance du pavillon français doit reposer sur
trois piliers : le salaire net (netwage), un choc de simplification
administrative et le soutien au financement de navires
modernes et innovants. Pour être efficace, il faut frapper fort et
avancer sur ces trois axes en même temps. Mais ce qui nous
fait particulièrement défaut en matière de compétitivité, c’est
bien le salaire net, c’est-à-dire l’exonération totale des charges
sociales patronales. Il constitue assurément le premier levier
d’une politique destinée à redonner de l’attractivité au
pavillon français.
La défense de la filière française rejoint ici les préoccupations
environnementales. Nous avons hissé au fil des ans le pavillon
français au premier rang mondial en matière de qualité et de
sécurité. À quoi sert-il d’être les meilleurs si nous continuons
chaque année à perdre des entreprises et des emplois au profit
de pavillons de libre immatriculation ou de complaisance ?
Philippe Delebecque : La loi « Royal » a défendu et même
étendu le domaine du pavillon national pour les transports de
pétrole. Faudrait-il aller plus loin ?
Éric Banel : La loi de transition énergétique impose à tous ceux
qui mettent à la consommation des produits pétroliers de
justifier d’une capacité minimale de transport maritime sous
pavillon français. Son objectif est d’assurer la sécurité des
approvisionnements stratégiques de la France dans un
contexte géopolitique de plus en plus incertain. Étonnam-
ment, le dispositif ne concerne pas l’outre-mer, qui est
pourtant très dépendante de la voie maritime pour ses
approvisionnements énergétiques, et il ne concerne pas non
plus d’autres produits énergétiques stratégiques comme le gaz.
Il est donc urgent de lancer une réflexion plus globale sur ce
que doit être la flotte stratégique pour un pays comme la
France.
Prenons un exemple. La desserte pétrolière de la Réunion,
longtemps assurée par des entreprises françaises sous pavillon
français, est depuis deux ans confiée à des navires sous
pavillon de Singapour ou des îles Marshall. Outre la perte
d’emplois et de savoir-faire français, qui peut croire que ce
choix sera sans conséquence en cas de crise majeure ?
Mots-Clés : Entretiens - COP21 - Transport maritime - Eric Banel
Infrastructures, transports et logistique - Transport maritime et
fluvial - COP21
Environnement et développement durable - Développement
durable - Changement climatique - COP21
27
ENERGIE - ENVIRONNEMENT - INFRASTRUCTURES - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - NOVEMBRE 2015 Dossier