Revenons maintenant à la Chaconne de Bach. Celle-ci a été immédiatement admirée et adoptée par
les contemporains du Cantor de Leipzig mais aussi par tous les mélomanes et musiciens des 19ème et
20ème siècles. Jean-Sébastien Bach avait lui-même ouvert la voie de la transcription de son œuvre en
proposant une version pour luth de ses compositions pour violon seul. Il convient de rappeler qu’à
cette époque, la reconnaissance de la propriété culturelle sur une œuvre n’avait pas la même force
qu’aujourd’hui, aussi, il était fréquent que les musiciens s’approprient des thèmes (voire des pièces
entières) écrites par d’autres. Bach lui-même a fréquemment utilisé des thèmes écrits par d’autres
compositeurs, qu’il s’agisse de Buxtehude, de Marcello, ou de Vivaldi. Il fut suivi en cela par de
nombreux compositeurs célèbres comme Mozart qui utilisa dans sa prime jeunesse des compositions
de Schrötter ou de CPE Bach pour composer ses propres concertos pour piano. En ce qui concerne la
Chaconne, trois immenses musiciens en ont effectué des arrangements ou des transcriptions :
Tout d’abord Robert Schumann qui ne fit pas à proprement parler une transcription des six pièces
pour violon seul de Bach (les trois sonates et les trois partitas) mais se contenta d’ajouter à la
partition originale un accompagnement de piano. Sa démarche peut s’expliquer par les habitudes
d’écoute sensiblement différentes entre le début du dix-huitième siècle et le dix-neuvième siècle.
Schumann qui admirait ces œuvres devait estimer que leur audition dans les cercles musicaux
s’avérait trop austère, et qu’un accompagnement de piano pourrait en faciliter leur écoute. La suite
lui donna tort puisque sa version avec accompagnement avec piano a été abandonnée alors que
l’original fait toujours l’admiration d’un public nombreux. Brahms quant à lui, transcrit uniquement la
Chaconne de la deuxième Partita. Contrairement à Schumann il destine l’œuvre au piano seul, et
encore sous une forme réduite puisque cette transcription n’est jouée qu’à la main gauche (quelle
prouesse !). L’idée de Brahms était de respecter scrupuleusement le texte de Bach et de conserver la
pureté de la ligne et du discours, en se gardant de tout artifice pianistique.
Ferruccio Busoni, tout comme Brahms a transcrit uniquement la Chaconne pour le piano, mais à
l’inverse de ce dernier, il reprend l’œuvre pour l’adapter à l’instrument et lui donner une ampleur
monumentale. Busoni qui était un pianiste aux moyens gigantesques (il était un élève de Franz Liszt)
utilise la puissance du piano et toutes les possibilités techniques à sa disposition, pour en faire une
œuvre à la fois lumineuse et puissante. Busoni compositeur, pianiste, chef d’orchestre était
passionné par la musique de Jean-Sébastien Bach. Il a transcrit pour le piano de nombreuses œuvres
de Bach destinées à l’origine à d’autres instruments que ce soit pour le violon comme la Chaconne
mais aussi pour l’orgue comme les célèbres chorals « Nun komm’ der Heiden Heiland » « Ich ruf’ zu
dir, Herr Jesus Christ » « Nun freut euch, liebe Christen g’mein » et aussi la célèbre Toccata en ré
mineur BWV 565. Le style de certaines de ses compositions personnelles sera aussi influencé par
celui de Bach comme par exemple sa Toccata pour piano ou encore sa Fantaisie Contrapuntique.
Après avoir interprété cette imposante Chaconne Bach/Busoni, Vardan Mamikonian choisira trois
études extraites du deuxième cahier des douze études opus 25 de Frédéric Chopin.
Dédiées à Marie d’Agoult, les études opus 25 aurait été composées dans la foulée du premier cahier
des douze études Opus 10 (dédiées à Franz Liszt) entre 1832 et 1837. Même si le prétexte à ces
compositions est didactique, Chopin dépasse largement le cadre de l’étude pour créer autant de
chefs d’œuvre poétiques hautement inspirés. Plusieurs de ces études sont empreintes de nostalgie et
de pathos alors que d’autres montrent le visage d’un Chopin tragique, rebelle et résolu bien éloigné
de l’esthétique qu’il déploie habituellement dans les salons parisiens. On pense notamment à la