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es résultats économiques publiés au mois d’août sur l’évolution de la crois-
sance en Europe ont suscité l’inquiétude des décideurs et conduit à bien des
interrogations sur la réalité de la situation. Un an après le déclenchement de
la crise financière dite du subprime aux États-Unis, malgré les efforts suivis
et répétés des principales banques centrales pour éviter un drame bancaire généralisé,
la conviction tend de plus à plus à se répandre que les difficultés du monde financier
vont finir par handicaper durablement la croissance. Les prévisions économiques fai-
tes par les institutions nationales et internationales de référence ont été ainsi revues à
la baisse depuis l’automne dernier (cf tableau 1). On est passé de fait pour l’économie
française d’une prévision de croissance denviron 2 %, qui constituait le concensus
des conjoncturistes en novembre 2007 à une prévision tournant désormais autour de
1,6 %, le FMI ayant même annoncé en mars dernier un taux de 1,5 %.
LHORIZON S’ASSOMBRIT
Tableau 1 Evolution des prévisions de croissance
Prévision de croissance pour l’année
2008 (en %) États-Unis Zone euro France
Associée à la loi de finances pour 2008 nd 1,8 2,25
Commission européenne
(novembre 2007) nd 2,2 1,9
Révision au moment de la commission des
comptes de la Nation nd nd Entre 1,7 et 2
Commission européenne
(février 2008) nd 1,7 1,6
Note de conjoncture Insee (juin 2008) 1,3 1,6 1,6
OCDE (juin 2008) 1,2 1,7 1,8
FMI (juillet 2008) 1,3 1,7 1,6
sources : Insee, Eurostat, OCDE, FMI
La Note
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JeaN-Marc DaNIeL
Professeur d’économie à ESCP-EAP
3ème trimestre 2008
La croissance est en train de ralentir en France après des années 2006-2007 qui,
malgré la perception courante de l’opinion et la faiblesse objective du taux de crois-
sance constaté, ont été plutôt des années fastes.
En effet, le PIB de la France, selon l’OCDE, était inférieur à sa valeur potentielle
entre 2002 et 2005. Il a ensuite atteint cette valeur potentielle en 2006 puis l’a légè-
rement dépassé (de 0,3 %) en 2007. Jusqu’où pourrait aller ce redressement tout rela-
tif ?
Pour appréhender comment va évoluer la situation dans les mois qui viennent, on
peut soit procéder selon les schémas traditionnels assez systématiquement utilisés
par les conjoncturistes, schémas consistant à se caler sur l ‘évolution de la demande,
soit regarder en ligne directe comment va réagir la production en tant que telle. La
célèbre métaphore sur les « moteurs de la croissance » que seraient la consommation,
l’investissement et la demande extérieure est à bien des égards pratique. Elle se coule
dans les schémas keynésiens jadis très prisés. Surtout, elle a permis de construire
naguère des modèles économétriques intellectuellement séduisants et fournissant de
façon détaillée des prévisions économiques pour le court, le moyen et le long terme.
Néanmoins, bien que toujours très en vogue, cette présentation a, à nos yeux, un
inconvénient majeur, celui de ne pas correspondre à la réalité économique. En parti-
culier, la consommation nest pas un moyen de soutenir la croissance mais le résultat
– et le but – d’une croissance soutenue. Pour s’en convaincre, il suffit de bien vouloir
constater que les politiques dites de relance par la consommation se sont toutes
abîmées dans l’inflation et le déficit extérieur. Et ce tout bonnement parce que leur
fondement théorique était à courte vue pour ne pas dire erroné.
Nous nexaminerons donc pas les tendances actuelles de l’économie française selon
le prisme des « moteurs de la croissance » et de leur possible évolution mais selon
celui d’une analyse de l’offre de produits, cest à dire de ce qui modifie les capacités
productives réelles du pays.
Nous aborderons dans ce contexte trois aspects : le premier sera le positionnement
de l’économie française dans le cycle de moyen terme, le deuxième celui de son
problème majeur qu’est la situation du commerce extérieur et donc le problème de
l’épargne qui lui est intrinsèquement lié et le troisième celui des marges de manœu-
vre dont pourrait bénéficier la politique économique.
Stagationetcycleéconomique
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Les économies développées ont retrouvé depuis le premier choc pétrolier un fonc-
tionnement cyclique qui était déjà le leur au XIXe siècle. Léconomie française semble
connaître une situation en la matière assez analogue à celles de ses partenaires. Elle
obéit à une dynamique cyclique d’une périodicité que l’on peut fixer à environ neuf ans
et qui, lorsquon regarde les séries statistiques depuis trente ans est très dépendante des
économies américaine et allemande. Cette périodicité est évidemment indicative, le
cycle économique n’ayant pas la précision d’une horloge moderne. Néanmoins, tous les
neuf ans environ, l’économie française est en difficulté (elle a été en récession en 1975
et en 1993 et en faible croissance en 1984 et 2003), puis elle se redresse.
HAUTS ET BAS
Tableau 2 Les cycles de l’économie française
Evolution cyclique mesurée
par l’écart entre le PIB réel et
le PIB potentiel
Années défavorables Années favorables
1990 +2,6
1993 -1,4
2000 +2
2003 -0,7
2007 +0,3
Le chiffre inscrit dans chaque case mesure l’écart en % entre le PIB réel et le PIB potentiel
source : OCDE
Selon ce raisonnement, 2007 et 2008 sont des années plutôt favorables et l’économie
française devrait connaître des déboires plus significatifs qu’aujourd’hui en 2009
et 2010. Un des aspects de cette relative bonne situation de l’économie française est
que le chômage poursuit sa décrue. Au deuxième trimestre 2008, malgré une crois-
sance plutôt en berne, l’économie française a poursuivi sur sa lancée et créé en net
près de 80 000 emplois. Le taux de cmage est inférieur à 9 %, qui est le niveau de
chômage structurel calculé par l’OCDE pour la France. Il a même baissé de façon
très sensible pour se fixer aux alentours de 7 %.
Deuxième aspect important qui tient à l’origine du cycle, celui de la situation de
l’investissement. La croissance reposant sur l’accumulation de capacités de produc-
tion, cest à dire sur l’investissement, le cycle les phases de ralentissement comme
les phases d’accélération dépend en premier lieu de ce qui se passe en termes de
formation de capital. Le taux dinvestissement en 2007 était de 21 %, soit un niveau
supérieur même à celui de 2000. Et malgré le repli constaté, ce niveau devrait se
maintenir encore en 2008.
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3ème trimestre 2008
Dernière remarque sur le positionnement cyclique actuel de notre économie, il faut
souligner le fait qu’au fur et à mesure que s’enchaînent les cycles, les périodes de
croissance économique sont moins marquées. Lécart dans l’année la plus faste entre
le PIB potentiel et le PIB réel se réduit de cycle en cycle. Le fait que l’économie
française investisse plutôt moins que ses homologues a pour résultat qu’elle a de
moins en moins de réserve productive à mobiliser, qu’elle est de moins en moins à
même de profiter des périodes favorables et de créer globalement de la richesse. À
force d’avoir centré les politiques économiques sur une vision court-termiste autour
de processus visant à favoriser l’expansion de la consommation, la France a négligé
son appareil productif ; elle a ainsi handicapé son avenir et ses possibilités futures de
croissance.
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Un des éléments qui fonde la remarque précédente sur
l’investissement porte sur son financement, c’est à dire
sur l’évolution de l’épargne. Assez clairement, les affir-
mations selon lesquelles les problèmes de l’économie
française seraient liés à un manque de pouvoir d’achat
sont infirmées par la réalité des chiffres. Le commerce
extérieur dont le déficit se creuse traduit un manque
dépargne et donc un excès de consommation et de pou-
voir d’achat. Si chaque phase favorable du cycle corres-
pond à une remontée du taux dépargne, le niveau atteint
au sommet de ce cycle ne cesse de baisser, creusant un
écart inquiétant entre l’épargne nationale totale et l’in-
vestissement qu’elle devrait financer. Le taux dépargne
global en France était de 18 % en 2000 et de 13 % en 2007. La France assure son
investissement et donc son expansion future grâce aux investissements étrangers.
D’après l’OCDE, le secteur privé non-résidentiel représente 50 % de l’investisse-
ment réalisé en France. Selon les modalités que lon adopte pour tenir compte du
taux de change dans le calcul des investissements directs à létranger (IDE ou en
anglais FDI) dont bénéficie un pays, la France occupe au niveau mondial entre le
premier et le troisième rang parmi les bénéficiaires d’IDE. Vivant au-dessus de ses
capacités productives puisqu’elle accumule les déficits extérieurs, la France réussit
à maintenir son activité économique et à boucler ses comptes en faisant appel au
financement étranger.
Stagationetcycleéconomique
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À CRÉDIT
Tableau 3 Situation extérieure de quelques pays
Situation extérieure
(données de 2007)
Excédent/déficit
commercial
(en milliards de dollars)
Excédent/déficit des
paiements courants
(en milliards de dollars)
Poids du déficit/
excédent courant
dans le PIB (en %)
États-Unis - 810 - 740 - 5,3
Royaume-Uni - 175 - 115 - 4,1
Espagne - 125 - 145 - 9,7
France - 54 - 31 - 1,2
Allemagne + 278 + 254 + 7,3
Italie + 5 - 50 - 2,2
Zone euro + 83 + 38 + 0,3
source : FMI
Les tendances données par le tableau 3 sont plus que jamais d’actualité : les éco-
nomies espagnole, britannique et américaine vivent à crédit et se sont assuré une
forte croissance en important des capitaux de létranger. Avec comme conséquence
préjudiciable que la ponction à venir au profit des autres pays va s’alourdissant. Leur
modèle de croissance atteint ses limites et beaucoup prédisent que ses trois pays vont
devoir peu ou prou mener rapidement une politique d’austérité. Simultanément,
l’Allemagne accumule les excédents tant sur le plan commercial que sur celui des
paiements courants. L’Italie est dans une situation particulière qui traduit à la fois
son redressement et le prix qu’il lui faut payer pour les périodes antérieures de crois-
sance mal maîtrisée. Elle dégage un excédent commercial qui montre son retour
en force comme puissance exportatrice et sa capacité à avoir absorbé la hausse du
prix du pétrole. Sa situation déficitaire en termes de paiements courants vient tout
simplement de la nécessité de rémunérer les capitaux qu’elle a importer naguère
pour financer ses déficits. L’Italie se redresse mais paie ses errements passés. Quant
à la France, elle est en fait dans une situation analogue à celle de l’Espagne ou de
l’Angleterre ; elle connaît la douce insouciance des errements italiens de naguère,
insouciance quil faudra un jour payer. Si son cas est moins grave que celui des États-
Unis, du Royaume-Uni ou de l’Espagne, il nen est pas moins préoccupant.
Ce manque dépargne, qui handicape l’investissement et prépare une période dou-
loureuse, la politique économique devrait le corriger. Ce devrait même être sa pre-
mière priorité.
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