Santé publique
2010,volume 22,3,pp. 325-342
ENVIRONNEMENT
ET SANTÉ PUBLIQUE
Correspondance:
J.-M.Haguenoer
Réception :
19/01/2010
Acceptation :
28/02/2010
42,ruedesBleuets,59700 Marcq-en-Barœul
Les résidus de médicaments présentent-
ils unrisque pour lasanté publique ?
Do pharmaceuticalwasteand drugresidue
poseariskto publichealth?
Jean-Marie Haguenoer(1)
Résu:Une prisedeconsciencerécentedesconséquencesdesrejets derésidus de
dicaments dansl’environnement s’est développée. Ces résidus proviennent soitde
sourcesdiffuses,lesplus importantes,parle rejetdansles urinesetcèsetdonc dansles
eaux uséesdes substancesdicamenteusesetde leurs tabolites,soitdesources
ponctuellesavecparfoisdesconcentrations trèsélevéesdanslesrejets desindustries
chimiquesoupharmaceutiques, desétablissements desoins,maisaussidesélevages
intensifsetdansl’aquaculture. Selon leurs proprtésphysico-chimiques, ces substances
sontplus oumoinsdégradéesnaturellementetdansles stationsd’épuration. L’efficacitéde
celles-ci,trèsaatoire,est globalementde60 % maisavec desvariationsde2à99 % selon
lesmolécules.Lesbouesdeces stationsd’épuration,parfois très richesen substances
lipophiles,sontparfois réutiliséesan épandage agricole,ouvrantlavoie àune possible
contamination decultures.Dautre part,l’utilisation de médicaments vétérinairesconduitles
animaux à contaminerles sols soitdirectement soitparl’interdiairedeslisiers etdes
purins.La contamination atteintégalementleseaux supercielles,leseaux souterraineset
parfoisleseaux destinéesàl’alimentation humaine. LAcadémie nationale dePharmacie a
doncétabli desrecommandationsgénérales sur le bon usage desdicaments,la
surveillancedesmilieux,l’évaluation des risquespour l’Homme etpour l’environnement,la
prévention etlacessitédune réglementation plus scifique. Plusieurs catégoriesde
dicaments sontplus préoccupantes:lesanticancéreux,lesantibiotiquesainsi que les
transfertsdanti-bio-résistance,etlesdérivéshormonaux quicontribuent, à côtédautres
molécules, aux effets perturbateurs endocriniensdéjà démontrésdansl’environnement.
Mots-cs:
Résidus de médicaments - environnement-contamination - santé publique-
gestion des risques.
Summary:
Recently, awareness hasdevelopedof the environmentalconsequencesof drugwaste
and disposal. Theseresiduesare identified ascoming from eitherdiffusesources,the most
significantof which is viathe discharge of theseresiduesin urine andfeces, andthus the sewage
system andwatercontains thesedrugremnants andtheirmetabolites,orfrom point sources,
sometimes withvery high levelsof concentration in waste from chemicalandpharmaceutical
industries,healthcaresettings, but also from intensive livestock farming and aquaculture.
Depending on theirphysicalchemistry properties,thesesubstancesare more orless naturally
biodegradable andeasily treatedin sewage purification plants.The effectiveness of these
treatmentprocessesishighly random andunpredictable, but isoverall around60%,nevertheless
withvariationsof 2-99% according tothe molecules.The siltfrom thesetreatmentplants,
sometimes very rich in lipophilicsubstancesison occasion reusedforagriculturalapplication as
fertilizer,paving the wayforapossible contamination of crops.Furthermore,the use of veterinary
drugsin animalscan lead tosoil contamination eitherdirectlyor through manureandslurry.The
contamination can equally reachand affect surfacewater,groundwaterandsometimes the water
intendedforhumanconsumption. The Nationalacademyof Pharmacyhasestablishedsome
generalrecommendationson the proper use of drugs,environmental monitoring and
surveillance,riskassessmentforhumansandthe environment,prevention andthe needfor
prevention. Severalcategoriesof drugsare moreworrying: cancer treatments, antibioticsas well
as transfers of anti-bio-resistance, andhormonalderivatives which hasbeen previously
demonstratedtocontribute, along with othermolecules,todetrimental effects on endocrines.
Keywords:
Drugresidues- environment-contamination - publichealth - risk management.
(1) Professeur éméritede l’UniversitédeLille 2,Présidentde la Commission SantéEnvironnementde
l’Académie nationale dePharmacie.
J.-M.HAGUENOER
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Laccèsaux soinsetàlasécuritésociale ontétéàl’origine de la
progression considérable de l’esrancedevie etla consommation de
dicaments alargement sapart danscesprogrès.Néanmoins,si notre
attention s’est essentiellementportée, à justetitre,sur lesbénéficespour la
santé,elle aété insuffisantesur lesconséquencesenvironnementalesde leur
usage. Ce n’est quedepuis une vingtaine dannées,etplus récemmenten
France,quecethème est abordé parquelques rareséquipesderecherche.
LAcadémie nationale dePharmacie,soucieusedecesproblèmes, a souhaité
faire le point sur lesconséquencesenvironnementalesethumainesde la
présencede médicaments dansl’environnement, dautantplus qu’il sagitde
moléculesbiologiquementactives.
La consommation de médicaments
Cesontlespays lesplus industrialisésavecle niveaudevie le plus élevé qui
consommentle plus de médicaments.Ainsi 80%decetteconsommation mon-
diale,etdonc des sourcesdecontamination, concernentl’Europe,l’Arique
duNordetle Japon. Cesdicaments concernentaussibien les usages vété-
rinairesqu’humain. Avec25630 M$,la France est le 4 econsommateur mondial
aprèslesÉtats-Unis(197802 M$),le Japon (56 675M$) etl’Allemagne (27 668
M$), daprèsle LEEM [69].Lesplus vendus en France pour l’usage humain (en
valeur)sontlesdicaments pour lesmaladiescardio-vasculairespuisdu sys-
tème nerveux central, du tubedigestif,respiratoires, anti-infectieux,musculo-
squelettiques,etc.De 1992à2002,l’augmentation des ventesen officine aété
de 5,5 % alors quedansle même temps,elle étaitde 10% environ dansles
hôpitaux [5].Pour les usages vétérinaires,troiscatégoriesde médicaments
émergent:lesantibiotiques,lesanti-parasitairesetleshormones.Les statis-
tiquesétantdonnéesen valeur monétaire,lesdonnéesquantitativesfont
souventdéfaut ce qui gêne lesétudesd’évaluation des risques.
Lecycle devie des substancesdicamenteuses
Pour évaluerles risquespour l’homme etpour l’environnement,il est
cessairederépertorierl’ensemble des sources susceptiblesdecontribuer
aux rejets environnementaux :
la conception desmoléculeschimiquesetbiologiquesest issuedes
laboratoiresdescentresderecherche publique (Université, CNRS,
INSERM…) etde l’industrie ;
lafabrication desprincipesactifs,effectuée parl’industrie chimique;
lafabrication des scialitéspharmaceutiquesàusage humain et
vétérinairedansleslaboratoirespharmaceutiquesquirelèventdailleurs
desinstallationsclasséesmaisquisontgénéralementcertifiéesaux
normesISO 9000, comme l’industrie chimique;
les utilisationsen médecine humaine selon lesprescriptionsdicales,les
conseilsdispensésparlespharmaciens,sansoublierl’automédication ;
les utilisationsen médecine vétérinairedesanimaux d’élevage et
domestiques;
les utilisationsen élevage industriel animal oupiscicole, à desfins
trapeutiquesmaisausside promotion de la croissance, dadditifs
alimentaires, d’obtention dune lactation permanente… ;
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le recyclage oule rejetdesdicaments non utilisés(MNU);
le rejetdansl’environnementdecomposésissus dutabolisme des
substancesdicamenteuses;
le comportementdansles stationsd’épuration deseaux uséesoude
potabilisation de l’eaudeboisson ;
le devenir, biodégradabilité oupersistance, dansl’environnementavec
éventuellementbioconcentration danscertainesesces végétalesou
animalesetéventuellement retour àl’homme par son alimentation pour
lesmoléculeslesplus persistantes.
Leconstatde la contamination environnementale
Depuislapremière publication deHignite etAzarnoff en 1976 [54], mon-
trantlaprésencedacidesalicylique etdacideclofibriquedansleseaux
dune station d’épuration deKansasCity,nombrede publicationsont révélé
quetouteslesclasses trapeutiques sontconcernéesparce problème de
leur présencedansl’eauoudansdautrescompartiments de l’environ-
nement.
Lesclasses trapeutiqueslesplus observées sontdonnéesdansle
tableauI.
Généralement,les recherchesconcernentlesmoléculesres, beaucoup
plus rarementlestabolites,maisceux-ci ontautantd’importance, caril
peut sagirde métabolitesbiologiquementactifs.
Les sourcesdecontamination
Il faut distinguerdeux typesdesources.Les sourcesdiffusesqui
intéressentlespopulationshumainesetanimalesen général etles sources
ponctuellesquisontàl’origine d’émissionsplus concentréesmaislimitées
sur le plan géographique.
TableauI : Principalesclassesdesubstancesdicamenteusesidentifiéesdansleseaux
Agents decontraste iodés
Analgésiquesetantalgiques
Antagonistesde l’angiotensine II
Anti-acides
Anti-arythmiques
Antiasthmatiques
Antibiotiques
Anticonvulsivants
Antidépresseurs Anxiolytiques
Anti-ulcéreux
Béta-bloquants
Bloquants descanaux calcium
Bronchodilatateurs
Diurétiques
Produits dediagnostic
Radionucléides
Anti-diabétiques
Antifongiques
Antigoutteux
Anti-hypertenseurs
AINS
Anti-ischémiques
Anti-parasitaires
Antipsychotiques
Antiseptiques
Régulateurs lipidiques
StérdesetHormones
Stimulants cardiaques
Stimulants duSNC
Substancesillicites
–…….
J.-M.HAGUENOER
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Les sourcesdiffuses
Cesontles traitements ambulatoiresquireprésententlaplus grande partie
desdicaments rejetésparl’homme ainsi que les traitements desanimaux
domestiquesdontlapart n’apasété évaluée maisqui,apriori , doitêtre
faible.
En effet,tous lesdicaments fontl’objetdune métabolisation variable
dun médicamentàl’autre,puisdune élimination. Si l’élimination par voie
pulmonaire est faible,il n’en est pasde même pour lavoie digestive parles
cèsetpour lavoie urinaire,pour l’homme comme pour l’animal.
Quantaux dicaments non utilisés(MNU),ils sontparfoisdisperséspar
lesdéchets ménagers ou rejetésdirectementdansleségouts oudansles
toilettes.La part deces rejets danslaprésencedesubstancesdicamen-
teusesdansleseaux aété évaluée parBoundetVoulvoulis[18].Une enquête
aétéréalisée auprèsde 400 foyers dansle sud-est de l’Angleterre,en tenant
compte pour chaquetype de médicament, desatabolisation,que les trai-
tements étaientounon menésàleur terme, du retour danslespharmacies
oudu rejetdansles toilettesouleségouts maisausside la dégradation dans
l’environnementetdansles stationsd’épuration. Àtitred’exemple,pour le
toprolol,pour 100 unités vendues,l’enquêtea déterminé que73,4 % sont
utilisésce quiconduità10%dansles toilettesouleségouts,soit 7,3 unités.
Sur les 26,6% non utilisés,4,4retournentdanslespharmacies,4,4vont
dansles toiletteset17,7partentdanslesdéchets ménagers.Lebilan est
doncle suivant:7,3+ 4,4 = 11,7 unitésarriventdansles stationsd’épuration
dont17% ne sontpasdétruits et seretrouventdansleseffluents, ce qui
représente2 unités retrouvéesdansleseaux desurfacesur les100.Sachant
que le retour danslespharmaciesn’est quede 13% en France etde 1 % aux
États-Unis,le bilany seraitencore plus inqutantcaren Angleterre,il est
d’environ 24 % !
Les sourcesponctuelles
Elles sontliéesàlafabrication des substancesdicamenteusesdans
l’industrie chimiquequi les synttise. Même sicesindustries respectent
lesnormesISO 14000,nous n’avonsaucune information qualitative ou
quantitativesur les rejets aqueux éventuelsquisontcontrôlésparles
autoritésmais sur descritèresgénéraux (DBO, DCO, taux lourds…) qui
n’ont rien àvoiraveclascificitédecesmoléculesbiologiquementactives.
Il en est de même pour l’industrie pharmaceutiquequi metcesmolécules
en formespharmaceutiques.Une étudeallemandearapportédes
concentrationsélevéesde phénazone etdediméthylaminophénazone jusquà
95 µg/L dansle Main dontlavallée est une zone àforteconcentration
d’entreprisespharmaceutiques, alors quedansles vallées voisines,ellesne
dépassentpasen moyenne 0,024 µg/L.De même, des rejets de 45 kg/jde
diclofénac ontété évaluésdansle Rhin, à Mayence,en relation avecla
présencede plusieurs sitesde production [95].
Lesétablissements desoinssecaractérisentpar une forteconcentration
de maladesetparl’utilisation dagents chimiques très vars: biocides,
réactifsde laboratoire, costiques,produits phytosanitaireset, bien
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entendu, desdicaments etproduits dediagnostic.L’élimination deces
produits peut être effectuée directementparlesprofessionnelsdu soin lors
de leur utilisation, de leur préparation oude leur administration,maiselle est
aussi indirecte parlesexcréta despatients.Cesontlesprincipaux respon-
sablesde l’élimination desproduits radiopharmaceutiquesetanticancéreux.
Cesderniers sontpeubiodégradablescomme la bleomycine,le metho-
threxate,le 5-fluorouracil,la cytarabine,lagencitabine oul’épirubicine :ils
sontpeudégradésparlesSTEP etpeuventpersisterassezlongtempsen
gardant un potentiel hautement toxique etmigrerdansleseaux desurface
etleseaux deconsommation. Desconcentrationsde 146et109 ng/L avec
despointesde 500 et 3 000 ng/Lrespectivementpour le cyclophosphamide
etl’ifosfamide oudespointesde3 000 ng/Lpour le platine ontété observées
dansdeseffluents hospitaliers [12,67].Kümmereretal. [81]ontmontré que
l’ifosfamide pouvait résisteràune simulation dedeux moisde fonction-
nementdune station d’épuration. Dautres substancesontété misesen
évidencedansleseaux résiduairesdesétablissements desoin comme des
fluoroquinonesdu type de la ciprofloxacine [7,47]oudesanalgésiques très
puissants comme le métamizole [35].
Lesélevagesindustrielsdanimaux apportentaussiune contribution
locale parfoisimportanteàla contamination desmilieux aqueux.Lesprinci-
palescatégoriesdesubstancesdicamenteusesquiy sont utilisées sont
lesantibiotiques,lesantiparasitairesetleshormones.Certains, comme la
tylosine,sont utiliséscomme promoteurs decroissance. Cesdicaments
vétérinairespeuventêtredispersésdirectementdansl’environnementlors
du traitementdesanimaux d’élevage (porcs,volailles, bovidés, caprins,
chevaux…) ouindirectementen casd’épandage deslisiers etpurinsdansles
solsdestinésàl’agriculture. Leslisiers etpurinspeuventaussi participeràla
dégradation desmoléculescomme l’enrofloxacine sur desriodesassez
longues[80], maispeuventaussiréactiverdautresmolécules.Àtitred’éva-
luation, Sarmahetal. [86]ontestimé quaux États-Unis100 millionsde
tonnesde matrescalesetdurinesétaientémiseschaqueannée parles
60 millionsde porcs.Elles sont retrouvéesdansleschampsetlesprairies
avectoutesles substancesquiy sont véhiculées.La pratiquedutiliserdes
dosesnon trapeutiquesdantibiotiquespour l’élevage desporcs sélec-
tionne aussidesbactéries résistantesdetubedigestif desanimaux etpermet
leur rejetmassif parlesexcréta dansleslisiers,fumiers etpurinspuisdans
les solsetleseaux [2,11,31,44,77,107].Pour preuvedecetteréalité,
l’étudedeSapkotaetal. [85]quiamontré laprésenced’entérocoques résis-
tants àl’érythromycine etàlatétracycline 4 à33 foisplus nombreux que
dansleseaux desurface en amontmaisaussidesentérocoques résistants à
latétracycline etàla clindamycine dansleseaux souterraines.
Lesélevagesindustrielspiscicolesposent un problème particulierparce
que lesdicaments sontdirectementémisdansleseaux doucesetleseaux
marines.Lesmanipulationsde poissonsdanslesélevagesprovoquentdes
stress importants àl’origine de la baissed’efficacitéde leur système immu-
nitaireavec des risquesdecolonisation bactérienne etd’infection. De plus,
lesconditionsd’hygiène incluant une fortedensitéde poissons,lesdiffi-
cultésd’isolementdesanimaux maladesetl’absencedebarrresanitaire
augmententle risquede propagation desinfectionsd’oùl’usage desantibio-
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