D O S S I E R Problèmes ORL d’origine pressionnelle lors de voyages en train ou en avion Ear and sinus diseases due to variation of air pressure during railway or air travels M. François* Résumé : L’état Les voyages des oreilles en TGV ouou des ensinus avionpeut peuvent entraîner être responsables une contre-indication d’une otalgie. temporaire L’atterrissage ou définitive peut,à dans la plongée certains sous-marine. cas, proLa pratique voquer une otite de cebarotraumatique. sport expose auxLes barotraumatismes barotraumatismes ausinusiens niveau desont l’oreille plusetrares. des sinus, Un traitement ainsi qu’àpréventif des accidents peut être de proposé décompression aux sujetsquiprédisposés. peuvent affecter l’oreille interne. Mots-clés : Otalgie Apnée - -Plongée Otite barotraumatique en bouteille - Barotraumatisme - Fistule périlymphatique - Oreille interne - Barotraumatisme - Sinus. sinusien. Summary: Ear Railway and and sinusairpathology travel may may induce contre-indicate otalgia. Landing diving,may temporarily cause barotitis. or definitely. Barosinusitis Diving may is rare. induceFor barotitis predisposed and barotrasinusitis, vellers there butare alsopreventive decompression treatment. sickness affecting the inner ear. Keywords: Otalgia Diving - -Scuba Barotitis diving- Perilymphatic - Barotraumafistula - Inner -ear Barosinusitis. - Sinus. es voyages en avion, et dans une moindre mesure en TGV, induisent des variations rapides de pression entre l’air ambiant et des cavités corporelles semi-closes, en particulier l’oreille moyenne et les sinus. Cela détermine, chez certaines personnes prédisposées, une pathologie otitique ou sinusienne tout à fait spécifique, pendant le voyage, mais pouvant aussi se prolonger à l’arrivée (1, 2). La montée en altitude s’accompagne d’une diminution de la pression atmosphérique. À 5 000 m, la pression ambiante est moitié moindre qu’au niveau de la mer et les volumes gazeux sont multipliés par deux (1). Le passage d’un TGV dans un tunnel s’accompagne aussi de modifications de la pression ambiante. Dans les cavités largement ouvertes sur le milieu extérieur, comme les sinus maxillaires lorsqu’il n’y a pas de pathologie du méat, l’équilibration des pressions entre ces cavités et le milieu extérieur est instantanée. Dans les cavités semi-closes, comme la caisse du tympan ou le sinus frontal, les capacités d’équilibration des pressions sont relatives à l’importance de l’ouverture sur l’extérieur (dans les cas sus-cités, par le biais du cavum et des fosses nasales) et de la vitesse de variation de la pression. Pour le confort des passagers, la montée au décollage d’un avion de ligne est de 152 m/mn et, à l’atterrissage, la descente est de 91 m/mn. De plus, la cabine est pressurisée pour que, à l’altitude de croisière, la pression dans la cabine soit équivalente à celle que l’on trouve à 1 500 m d’altitude (1) et reste toujours supé- L * Service ORL, hôpital Robert-Debré, Paris. rieure à celle qui est présente à 2 500 m (75 kPa) (pour mémoire, la pression atmosphérique au niveau de la mer est de l’ordre de 101 kPa) (3). Il n’y a pratiquement pas de documentation sur les variations de pression lorsqu’un TGV passe dans un tunnel, il n’en reste pas moins que beaucoup de voyageurs ont alors une otalgie ou l’impression d’avoir les oreilles bouchées. L’OREILLE MOYENNE ET LES VARIATIONS PRESSIONNELLES Lors du décollage, les gaz contenus dans l’oreille moyenne sont à une pression plus élevée que dans l’air ambiant, donc plus élevée que dans le conduit auditif externe. La différence de pression entre les deux faces de la membrane tympanique provoque une sensation d’oreille bouchée. Lorsque cette différence atteint 15 à 20 mmHg, la trompe d’Eustache s’ouvre de manière passive (1, 4) et laisse passer de l’air vers le cavum, ce qui rééquilibre les pressions de part et d’autre de la membrane tympanique et fait disparaître la sensation désagréable. En général, la sensation d’inconfort ou d’oreille bouchée est transitoire et il ne se passe rien pendant tout le temps durant lequel l’avion est à son altitude de croisière. Le dysbarisme est plus fréquent et peut être plus sérieux à l’atterrissage. Pendant la descente, les gaz contenus dans l’oreille moyenne sont à une pression moins élevée que dans l’air ambiant (donc moins élevée que dans le conduit auditif externe), d’où une otalgie par rétraction de la membrane tympanique (2, 5). Pour que la membrane tympanique revienne à sa position normale, il La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no 298 - mai-juin 2005 17 D O S S I E faut admettre de l’air dans l’oreille moyenne. Mais cela ne peut pas se faire passivement, il faut une ouverture active de la trompe d’Eustache, par contraction des muscles péristaphyllins. Un œdème préalable de la muqueuse de la trompe, comme en cas de rhume ou d’infection des voies aériennes supérieures (tableau I), rend cette ouverture plus laborieuse (6). Elle peut même devenir impossible si la dépression atteint 80 à 100 mmHg, car alors, d’une part, les parois de la partie fibrocartilagineuse de la trompe d’Eustache se collabent et, d’autre part, la surpression dans le cavum ferme l’ostium tubaire. Des lésions apparaissent alors dans l’oreille moyenne : hyperémie et épanchement, qui compense la dépression dans la caisse (2). L’otalgie devient très vive et peut aller jusqu’à provoquer une syncope, le patient entend moins bien, il a une sensation d’oreille pleine, une autophonie et des acouphènes. Ces symptômes persistent après l’atterrissage et conduisent à consulter. Le diagnostic d’otite barotraumatique repose sur l’histoire clinique d’un voyage en avion récent, surtout s’il a été précédé d’une (de) plongée(s) sous-marine(s) avec un intervalle trop court entre la(les) plongée(s) et le vol en avion (3), l’aspect otoscopique et la constatation éventuelle d’une hypoacousie de type transmissionnel. L’examen otoscopique retrouve habituellement une simple hyperémie le long du manche du marteau et, au niveau de la membrane de Schrapnell, il s’y associe parfois Tableau I. Risques de barotraumatisme au cours d’un voyage en TGV ou en avion. Risque de sinusite Risque d’otite barotraumatique barotraumatique Enfant porteur d’aérateurs transtympaniques – secs et perméables – otorrhée sur aérateur Aucun risque Aucun risque Enfant ayant une otite moyenne aiguë – collectée – perforée spontanément – après paracentèse Aucun risque Aucun risque Aucun risque Enfant ayant une otite séreuse Aucun risque Enfant ayant un tympan rétracté Obstruction nasale – rhume – polypose nasale Risque Risque (d’autant moins élevé que l’enfant est plus jeune) Risque élevé Risque (d’autant moins élevé que l’enfant est plus jeune) Tableau II. Otites barotraumatiques, classification de Haine et Harris (in 1). Stade I Hyperémie le long du manche du marteau et au niveau de la membrane de Schrapnell Stade II Rétraction et hyperémie diffuse du tympan peu ou non mobile à l’otoscope pneumatique Stade III Épanchement rétrotympanique avec des bulles ou un niveau hydraérique Stade IV Hémotympan Stade V Perforation tympanique linéaire, paracentrale 18 R une rétraction de la membrane tympanique (tableau II). Au stade supérieur, il y a un épanchement rétrotympanique, avec une hypoacousie de transmission. Les otites barotraumatiques sont beaucoup plus fréquentes qu’on ne l’imagine. Une étude prospective de Stangerup et al. a montré que, à la descente d’avion, 22 % des enfants ont une otite barotraumatique (7). L’évolution des stades I et II des otites barotraumatiques est spontanément favorable, mais le traitement permet de soulager plus rapidement le patient et d’accélérer la guérison. Au stade III, il y a un risque de surinfection de l’épanchement rétrotympanique. L’examen doit surtout s’assurer que les symptômes du patient ne sont pas dus à la complication des variations de pression atmosphérique, beaucoup plus rare, mais plus grave, que constitue la fistule périlymphatique (7). La fistule périlymphatique est une communication anormale entre l’oreille interne et l’oreille moyenne, avec fuite de liquide périlymphatique. Des cas de fistule périlymphatique provoquée (ou révélée) par un voyage en avion ont été décrits. Les signes les plus habituels sont un vertige et des acouphènes, mais le symptôme amenant à consulter peut être une hypoacousie, d’où la confusion possible avec une otite barotraumatique. En cas de fistule périlymphatique, l’hypoacousie est une surdité de perception. Le diagnostic repose sur l’anamnèse, les examens cochléo-vestibulaires et l’imagerie. Celle-ci doit être précoce, car le signe le plus évocateur – la présence d’air dans le labyrinthe – peut être fugace. Si le faisceau d’arguments en faveur d’une fistule périlymphatique est suffisant, il faut proposer une exploration chirurgicale pour colmater la brèche. À l’inverse, l’existence avant le début du vol d’un épanchement rétrotympanique (otite moyenne aiguë, otite séreuse) ou d’une ouverture du tympan (paracentèse récente, aérateur transtympanique, perforation tympanique) protège contre l’otite barotraumatique (5). LES SINUS DE LA FACE ET LES VARIATIONS PRESSIONNELLES Les cellules ethmoïdales et le sinus sphénoïdal ne posent jamais de problème de dysbarisme car, dans le premier cas, les cavités sont petites, et dans le second, le méat est large et s’ouvre directement dans les fosses nasales. Le sinus le plus exposé au dysbarisme est le sinus frontal parce que le canal nasofrontal qui le relie au méat moyen est long, étroit et tortueux. Ce sinus n’est guère développé avant l’âge de dix ans et seuls les adolescents et les adultes s’en plaignent lors de voyages en avion. Le dysbarisme sinusien peut être favorisé par un obstacle au niveau des ostia reliant le sinus maxillaire ou le sinus frontal à la fosse nasale homolatérale gênant, voire empêchant l’équilibration des pressions (tableau I) (8). En cas d’œdème de la muqueuse pituitaire, comme au cours des rhinites, quelles que soient leur cause, il se produit un phénomène de valve. Les tumeurs endonasales, essentiellement les polypes, peuvent faire clapet. Lors du décollage, l’hyperpression de l’air dans le sinus provoque des douleurs sinusiennes (de la simple gêne à la douleur suraiguë, voire syncopale) et, exceptionnellement, un emphysème sous-cutané par ouverture du sinus. Lors de l’atterrissage (hypopression dans le La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no 298 - mai-juin 2005 sinus), peuvent survenir des douleurs sinusiennes et une rhinorrhée, voire des épistaxis (tableau III). La douleur engendrée par un dysbarisme du sinus frontal siège au niveau sus- ou rétro-orbitaire et donne éventuellement l’impression que l’œil va sortir de l’orbite. Quand c’est le sinus maxillaire qui est en cause, la douleur siège dans la région sous-orbitaire, avec parfois une irradiation dentaire, et peut donner l’impression que la face va éclater. Les lésions muqueuses sont proportionnelles à la rapidité des variations de la pression (tableau III). Tableau III. Les différents degrés de barotraumatismes sinusiens (4). Dépression endosinusienne Lésions observées dans le sinus Stade I 100 à 150 mmHg Œdème et hyperémie de la muqueuse Stade II 150 à 300 mmHg Œdème, hypersécrétion muqueuse, épanchement séromuqueux ou sérohématique Stade III > 300 mmHg Hématomes sous-muqueux, hémosinus TRAITEMENT Il est essentiel de calmer la douleur et de rétablir la perméabilité de la trompe d’Eustache ou des ostia sinusiens par des antalgiques et des anti-inflammatoires, stéroïdiens ou non. Les vasoconstricteurs par voie nasale ne sont autorisés qu’à partir de l’âge de 12 ans, sauf le Rhinofluimucil®, utilisable dès l’âge de 30 mois (mais heureusement il n’y a pas de barotraumatismes sinusiens avant 5-7 ans). Le sérum salé hypertonique, auquel il est possible d’avoir recours à tout âge, a une action très rapide sur l’œdème des cornets. Dans les otites barotraumatiques de stade III, il faut adjoindre des antibiotiques. Dans certains cas rebelles, il convient de proposer une paracentèse pour évacuer, par aspiration, l’épanchement rétrotympanique. PRÉVENTION Celle-ci s’adresse aux sujets qui ont tendance à avoir mal aux oreilles ou aux sinus lors de voyages en TGV ou en avion. La déglutition et les bâillements favorisent la contraction des muscles péristaphyllins et l’ouverture de la trompe d’Eustache. Il y a une déglutition automatique de salive par minute lorsque l’on est réveillé et seulement une déglutition toutes les 5 minutes lorsque l’on dort (la production de salive est moindre pendant le sommeil). La première chose à faire est donc de se réveiller (ou de se faire réveiller) lorsque l’on annonce le début de la descente. Il faut aussi favoriser la déglutition en mâchant du chewing-gum. Si cela ne suffit pas, il est nécessaire d’apprendre à utiliser des manœuvres qui permettent un passage actif forcé d’air du cavum vers la caisse du tympan : manœuvre de Valsalva (inspiration profonde, suivie d’une expiration bouche fermée en pinçant le nez), manœuvre de Toynbee (mouvement de déglutition à vide bouche fermée, en pinçant le nez). Ces manœuvres sont malheureusement cinq fois moins efficaces chez l’enfant que chez l’adulte (7). Certains auteurs (7) conseillent, chez les enfants se plaignant de douleurs en avion, l’auto-insufflation avec Otovent® (le principe est de gonfler un petit ballon appliqué contre une narine en bouchant l’autre narine et en fermant la bouche). Selon ces auteurs, avec un peu d’entraînement, quatre enfants sur cinq y arrivent. Les audioprothésistes vendent des obturateurs d’oreille pour les patients qui ont une tendance à avoir des otites barotraumatiques en avion (1). Ces bouchons de protection, tels que Ear Phone NF EN 352-2, sont munis d’une valve qui ralentit la vitesse de compression de l’air dans la cavité entre le tympan et le bouchon appliqué dans le méat auditif. Cela diminue nettement la sensation douloureuse et les acouphènes. Pour prévenir un barotraumatisme sinusien chez un patient qui en a déjà présenté, il faut conseiller, lors des voyages en TGV et en avion, des applications intranasales de vasoconstricteurs ou O de sérum salé hypertonique. R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Clement P, Raynal M, Briche T et al. Otopathies dysbariques. Encyclo Medico Chir Oto-Rhino-Laryngologie 2002, 20-184-C-10, 9 p. 2. Janvrin S. Middle ear pain and trauma during air travel. Clin Evid 2004;11: 673-6. 3. Vann RD, Gerth WA, Denoble PJ, Pieper CF, Thalmann ED. Experimental trials to assess the risks of decompression sickness in flying after diving. Undersea Hyperb Med 2004;31:431-44. 4. Kanick SC, Doyle WJ. Barotrauma during air travel: predictions of a mathematical model. J Appl Physiol 2005;98:1592-602. 5. Sadé J et al. Barotrauma vis-a-vis the “chronic otitis media syndrome”: two conditions with middle ear gas deficiency. Is secretory otitis media a contraindication to air travel? Ann Otol Rhinol Laryngol 2003;112:230-5. 6. Klokker M, Vesterhauge S. Perilymphatic fistula in cabin attendants: an incapacitating consequence of flying with common cold. Aviat Space Environ Med 2005;76:66-8. 7. Stangerup SE, Tjernstrom O, Klokker M, Harcourt J, Stockholm J. Point prevalence of barotitis in chidren and adults after flight, and autoinflation. Aviat Space Environ Med 1998;69:45-9. 8. Bernard C, Vincey P, Faugère JM, Berthelot B, Bébéar JP. Aspects actuels du barotraumatisme sinusien, incidence sur le traitement, la prévention et l’aptitude. Rev Laryngol 1989;110:261-5. La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no 298 - mai-juin 2005 19