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Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (IX), n° 4, juillet/août 2005
Crise aiguë thyrotoxique
Thyrotoxic storm
M. Klein*
Définition
La crise aiguë thyrotoxique (CAT)
est une exacerbation aiguë d’une
hyperthyroïdie pouvant mettre en
péril le pronostic vital. Elle est
généralement fatale en l’absence de
traitement. La mortalité de cette
complication reste comprise entre
10 et 30 % malgré le traitement.
Cadre de survenue
La CAT peut survenir dans trois
circonstances :
elle correspond à l’évolution spon-
tanée d’une hyperthyroïdie méconnue
ou négligée, éventualité rare ;
elle est secondaire à un événement
qui interfère avec l’état hyperthyroï-
dien, exacerbant la symptomatologie
de façon brutale, paroxystique.
Cet événement peut, lui-même,
représenter une épine irritative thy-
roïdienne :
– geste chirurgical thyroïdien ;
– irathérapie, ces deux circonstances
ne se rencontrant plus guère compte
tenu d’une meilleure préparation des
patients ;
– arrêt d’un traitement par antithy-
roïdiens ;
– traumatisme thyroïdien (palpation
trop vigoureuse) ;
– surdosage en hormones thyroï-
diennes.
Cet événement peut correspondre
à une pathologie extrathyroïdienne:
– infection ;
– poussée auto-immune ;
– complication aiguë d’un diabète ;
– traumatisme physique (fracture,
intervention chirurgicale extrathy-
roïdienne, etc.) ;
– stress psychologique ;
– complication cardiovasculaire
(infarctus du myocarde, décompen-
sation cardiaque aiguë, accident
vasculaire cérébral, etc.);
– toxémie gravidique.
La pathogénie de la CAT peut, dès
lors, refléter une libération brutale
d’hormones thyroïdiennes ou témoi-
gner d’une activation délétère du
système nerveux sympathique qui
potentialise l’effet des hormones
thyroïdiennes.
Diagnostic positif
Clinique
Souvent la symptomatologie corres-
pond à une majoration des symp-
tômes habituels d’hyperthyroïdie :
asthénie majeure ;
symptômes cardiocirculatoires :
Tachycardie sinusale très rapide
ou tachyarythmie par fibrillation
auriculaire qui peut décompenser
un angor latent ou se compliquer
d’insuffisance cardiaque aiguë.
Symptomatologie cardiaque hyper-
dynamique :
– hypertension artérielle systolique
avec pouls bien frappé ;
– éclat de B1, renforcement de la
composante pulmonaire de B2, souffle
systolique fonctionnel témoignant
du haut débit.
Extrémités chaudes et érythéma-
teuses, ce qui, dans un contexte
d’insuffisance cardiaque, doit faire
évoquer un débit éle ;
symptômes divers :
Tremblements.
Sueurs (qui peuvent être profuses,
ce qui doit attirer l’attention).
Hyperthermie, quelquefois fièvre
pseudo-infectieuse.
Régulièrement, la symptomatologie
d’hyperthyroïdie, modeste, passe au
second plan, ce qui peut faire errer
le diagnostic lorsque d’autres symp-
tômes dominent la scène :
des symptômes de la sphère
digestive :
Nausées, vomissements, diarrhée.
Hépatomégalie.
Ictère de pronostic péjoratif.
des symptômes neurologiques :
Faiblesse musculaire proximale ou
tableau myasthéniforme.
Troubles des fonctions supérieures:
– fluctuation de l’humeur ;
– delirium ;
– stupeur ;
– coma.
C’est dans ces formes cliniques pié-
geuses, survenant généralement chez
des personnes âgées, que les symp-
tômes thyroïdiens peuvent faire tota-
lement défaut, y compris le goitre
qui peut être calme. C’est dans ce
contexte de difficultés diagnostiques
que certains ont élaboré des critères
diagnostiques qui ont été résumés
dans le tableau.
Biologique
Les dosages de TSH,T4L et si néces-
saire de T3L, permettent de faire le
diagnostic d’hyperthyroïdie. La TSH
est effondrée, les hormones thyroï-
diennes augmentées. Toutefois, leurs
valeurs ne diffèrent pas de celles
observées au cours des hyperthyroï-
dies tout venant et ne permettent pas
de diagnostic de gravité. Il ne faut
pas attendre leur résultat pour ins-
taurer le traitement si le diagnostic
* Service d’endocrinologie, CHU de Nancy.
Urgences
en endocrinologie, diabétologie
et maladies métaboliques
en endocrinologie, diabétologie
et maladies métaboliques
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (IX), n° 4, juillet/août 2005
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Première partie : thyroïde – parathyroïde
de CAT est évoqué. La glycémie et
la calcémie peuvent être élevées, et
le bilan hépatique peut témoigner
d’une cholestase.
Diagnostics différentiels
Devant l’association d’une altéra-
tion des fonctions supérieures, de
manifestations cardiovasculaires et
d’une fièvre, il conviendra d’évoquer
systématiquement un syndrome malin
des neuroleptiques, un syndrome
sérotoninergique, une intoxication
par les anticholinergiques, des phé-
nomènes de toxicité sympathique,
un phéochromocytome, un delirium
tremens et une encéphalopathie
toxique ou infectieuse.
Conduite à tenir
Prévention
Le traitement préventif repose sur le
repos et la prise en charge rapide et
efficace de l’hyperthyroïdie dès son
diagnostic. Le traitement symptoma-
tique par les -bloquants a, en cela,
révolutionné la prise en charge des
hyperthyroïdies réduisant de façon
considérable le risque de CAT. Dans
certaines circonstances, le risque
demeure toutefois non négligeable.
Il s’agit tout particulièrement des
traitements radicaux de l’hyperthy-
roïdie qui peuvent l’exacerber. C’est
pourquoi il faut veiller tout particu-
lièrement à la préparation soigneuse
à la thyroïdectomie par :
– antithyroïdiens de synthèse (ATS) ;
-bloquants ;
– Lugol.
Préparation soigneuse à l’irathérapie:
– ATS ;
-bloquants.
Éviter salicylés et hydantoïnes qui
déplacent la T4 de la thyroxin-binding
globulin.
Traitement curatif
Dès le diagnostic posé, il convient de
conditionner le patient et de l’ache-
miner sans délai en unité de soins
intensif ou en réanimation. Le traite-
ment comportera dès lors sur trois
volets : traitement symptomatique,
traitement de l’hyperthyroïdie et trai-
tement de la cause déclenchante.
Traitement des effets systémiques
– Le traitement de l’hyperthermie
repose sur des vessies de glace, du
paracétamol, voire de la chlorpro-
mazine (25-100 mg/j). En revanche,
l’aspirine qui déplace la T4 de la
TBG est contre-indiquée.
– La déshydratation sera corrigée
par des boissons abondantes ou des
perfusions correctrices des troubles
ioniques en fonction de l’état de
conscience du patient.
– Une nutrition orale ou parentérale
apportera quotidiennement 2 000 à
3000 calories et un supplément
polyvitaminique (vitamines B, en
particulier).
– Un traitement sédatif par diazépam
ou chlorpromazine sera instauré. Le
phénobarbital qui stimule le méta-
bolisme hépatique de la T4 peut être
utile.
– Toute hypercalcémie sera corrigée.
– Les traitements cardiovasculaires
feront appel aux associations digitalo-
diurétiques, à une anticoagulation pré-
ventive et à une oxygénothérapie.
– Un traitement corticoïde par dexa-
méthasone ou méthylprednisolone
i.v. aura un triple intérêt : prévenir
une insuffisance surrénalienne fonc-
tionnelle, lutter contre l’hypercal-
cémie et inhiber la conversion de T4
en T3.
Le traitement antithyroïdien agit
à plusieurs niveaux :
Inhibition de la synthèse des hor-
mones thyroïdiennes: le médicament
de choix est le propylthiouracile
(PTU) qui n’est disponible qu’à la
pharmacie centrale des hôpitaux. Il
a l’avantage d’inhiber la conversion
de T4 en T3. La dose de charge est
de 900 à 1 200 mg par voie orale ou
sonde nasogastrique. Après décondi-
tionnement, la voie rectale peut être
proposée chez les patients aux
vomissements incoercibles. La dose
d’entretien est de 200 mg toutes les
4 à 6 heures ou de 300 à 400 mg
toutes les 8 heures. Le carbimazole
est l’alternative principale à la poso-
logie de 120 mg/j, soit un comprimé
toutes les 4 heures.
Inhibition du relargage des hor-
mones en réserve : ce traitement
recourt aux iodures qu’il convient
de débuter 2 heures après les ATS.
Peuvent être utilisés une solution
orale de Lugol fort à la posologie de
30 gouttes/j en 3 à 4 prises, soit 3 à
4fois 30 gouttes/j de solution de
Température (°F) Score
99-100 5
100-101 10
101-102 15
102-103 20
103-104 25
>104 30
avec t°C = 5/9 (t°F-32)
Tachycardie
90-110 5
110-120 10
120-130 15
130-140 20
>140 25
Insuffisance cardiaque congestive
absente 0
peu intense 5
modérée 10
sévère 15
Fibrillation auriculaire 10
Troubles des fonctions supérieures
absence 0
agitation 10
delirium 20
crise comitiale, coma 30
Troubles digestifs
absents 0
troubles fonctionnels 10
ictère 20
Cause déclenchante
00
+10
Probabilité d’une crise thyrotoxique
Score : > 45 = très vraisemblable
25-44 = probable
<25 = peu vraisemblable
Tableau. Critères diagnostiques de crise
thyrotoxique.
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (IX), n° 4, juillet/août 2005
Lugol à 1 % ou encore une solution
d’iodure de sodium à raison de 1 g
toutes les 8 heures en perfusion i.v.
Comme alternatives, on peut recou-
rir à une solution saturée d’iodure
de potassium à raison de 5 gouttes
toutes les 6 heures ou, dans les pays
où ils sont encore disponibles, les pro-
duits de contraste radiographiques
utilisés pour les cholécystographies
(ipodate, acide iopanoïque).
Traitement dirigé contre les effets
périphériques des hormones thyroï-
diennes.
– Inhibition de la conversion de T4
en T3 : le PTU a été évoqué précé-
demment. Les -bloquants (propra-
nolol, aténolol ou métoprolol) et
les glucocorticoïdes partagent cette
même capacité à inhiber la conver-
sion de T4 en T3. Ainsi, la dexamé-
thasone est proposée aux posologies
de 2 à 5 mg toutes les 6 heures per
os, i.v. ou i.m. Ipodate et acide iopa-
noïque ne sont plus disponibles en
France.
– Blocage -adrénergique : ce trai-
tement permet de lutter contre les
effets de l’hyperadrénergie secon-
daire à l’hyperthyroïdie. Le chef de
file est le propranolol à la posologie de
20 à 120 mg toutes les 4 à 8 heures
per os ou 0,5 à 1 mg/mn à la seringue
électrique pour un total de 2 à 10 mg
toutes les 3 à 4 heures. Si une insuf-
fisance cardiaque est à craindre, le
recours à l’esmolol, -bloquant de
demi-vie très courte, peut être envi-
sagé avec prudence, à la dose de
charge de 500 g/kg/mn et à la dose
d’entretien de 50 à 200 g/kg/mn.
La réserpine (2,5 mg toutes les
4heures) et la guanéthidine (30 mg
toutes les 6 heures) ne sont plus
guère utilisées.
Soustraction de l’excès d’hor-
mones thyroïdiennes circulantes :
en l’absence de réponse rapide des
autres traitements, ou si le malade
est comateux ou présente certaines
étiologies particulières, les tech-
niques d’épuration extrarénale peu-
vent être envisagées: plasmaphérèse,
hémofiltration, dialyse péritonéale.
Chaque épuration de 60 ml/kg per-
met l’extraction de seulement 20 %
du pool d’hormones thyroïdiennes.
Il convient de réaliser au moins
deux séances à 24 heures d’inter-
valle pour être efficace.
Traitements d’exception
– Place de la chirurgie de sauvetage :
ses indications sont devenues excep-
tionnelles. Elle est généralement pré-
parée par une épuration extrarénale.
Les CAT secondaires à une surcharge
iodée représentent l’indication quasi
exclusive. Elle reste grevée par une
mortalité de 10 à 42 %.
– Carbonate de lithium : ce traite-
ment est réservé aux contre-indica-
tions des traitements habituels. Des
posologies de 200 à 300 mg/6 h
permettent de maintenir la concen-
tration sérique aux alentours de
1mEq/l.
Traitement étiologique
Il correspond au traitement de la
cause déclenchante, par exemple
antibiothérapie, équilibre d’un dia-
bète, etc.
Références
Goldberg PA, Inzucchi SE. Critical issues in
endocrinology. Clin Chest Med 2003;24:583-606.
Ringel MD. Management of hypothyroidism
and hyperthyroidism in the intensive care unit. Crit
Care Clin 2001;17:59-74.
Scholz GH et al. Is there a place for thyroi-
dectomy in older patients with thyrotoxic storm
and cardiorespiratory failure? Thyroid 2003;13:
933-40.
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et maladies métaboliques
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