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Contrainte ou opportunité ?
La montée en puissance du développement durable dans les politiques des
gouvernements et les stratégies des entreprises semble suggérer qu’un
nouveau modèle de croissance verte ou durable soit entrain de voir le jour.
Mais qu’en est-il réellement ? Les défis environnementaux majeurs imposés
par le changement climatique pourront-ils apporter une nouvelle source de
croissance économique ?
Les enjeux de l’économie verte
La crise écologique qui caractérise ces dernières décennies place les enjeux de
développement durable au cœur des nos économies de marché et renforce la
nécessité de restaurer les conditions d’une croissance durable, orientée vers le long
terme. Notre modèle de croissance hérité du vingtième siècle a montré qu’il n’était
pas soutenable. En effet, non seulement il est responsable des excès d’émission de
gaz à effet de serre déréglant le climat, mais il a été marqué par une très forte
augmentation des inégalités et de multiples crises, dont la plus récente en 2007-
2008 a pu être comparée à la grande dépression des années 1930.
La crise représente un défi, mais elle peut être également une occasion de verdir la
croissance. Les plans de relance de 2009 comportaient d’ailleurs tous une dimension
environnementale. L’exemple de la Chine et la Corée du Sud sont très éclairants :
ces deux pays n’ont pas reculé malgré la crise, et visent le leadership de la
croissance verte. Au plan mondial, les investissements dans les énergies
renouvelables ont augmenté de 30% en 2010 pour atteindre 211 milliards de dollars,
dont 72 milliards dans les pays en développement.1 Les entreprises font également
beaucoup d’effort pour afficher leurs stratégies vertes dans leur rapport
développement durable voire au sein même de leurs rapports annuels d’activité. En
2010, 64% (contre 41% en 2005) des 100 plus grandes entreprises dans les pays
1 UNEP (2009), Global Trends in Sustainable Energy Investment. Report by UNEP Sustainable
Energy Finance Initiative and Bloomberg New Energy Finance
Patricia Crifo
Université Paris Ouest, Ecole Polytechnique & Cirano
(Montréal), membre du Conseil économique pour le
développement durable (CEDD).
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industrialisés ont par exemple communiqué sur leur responsabilité sociale et
environnementale2.
Les enjeux de l’économie verte s’analysent à travers deux niveaux de perspectives
différents. Au plan macro-économique, la croissance verte est un enjeu majeur pour
la puissance publique. L’économie verte crée des obligations particulières pour les
gouvernements, que ce soit au plan international pour assurer un prix du carbone
prévisible, ou au plan national pour développer des politiques industrielles de soutien
à l’innovation verte, verdir les formations et s’impliquer dans les processus
internationaux de normalisation qui peuvent fortement influencer la compétitivité de
technologies développées par les entreprises. Au plan micro économique,
l’économie verte implique des contraintes nouvelles pour les entreprises, mais
également des opportunités d’investissement dans les filières vertes émergentes.
Dès lors, comment s’articulent ces deux caractéristiques essentielles de l’économie
verte, en apparence contradictoire, à savoir : la composante réglementaire d'une
part, destinée à corriger les externalités négatives créées en matière
environnementale, et perçue comme une contrainte pour les acteurs économiques,
et la composante économique d'autre part, qui traduit à l'inverse le potentiel
d'investissement et de compétitivité lié au verdissement de l’économie ?
Pour évaluer la capacité des entreprises à transformer la contrainte en opportunité, il
importe de mesurer si les stratégies vertes ont un impact sur la compétitivité et la
performance d’une part, et sur l’innovation d’autre part.
Performance environnementale et performance économique des entreprises
Concernant l’impact sur la performance, les travaux existants sont de trois grands
types : les études d’évènements, comme des pollutions majeures. Elles montrent en
général qu’une politique environnementale et sociale solide est un gage de
performance, et a contrario les défaillances seront très préjudiciables, comme ce fut
le cas pour BP par exemple. On trouve ensuite les comparaisons entre des
portefeuilles financiers sélectionnant les entreprises les meilleures (les plus ‘vertes’)
et ceux composées des entreprises les moins ‘vertes’ (ou les moins responsables).
2 KPMG (2011 & 2005). KPMG International Survey of Corporate Responsability Reporting.
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Ces études ne parviennent pas à un consensus clair sur l’impact du verdissement
des activités sur la performance. De même, les études économétriques qui
comparent des données et des informations plus étendues (entre pays et dans le
temps) ne parviennent pas non plus à un consensus.
S’il n’est pas évident de mettre en lumière un lien univoque entre performance
environnementale et sociale des entreprises et performance économique et
financière, pour autant, cela ne signifie pas que les entreprises ne parviennent pas à
transformer les contraintes en opportunité.
En effet, il semblerait qu’en fait ce ne soit pas l’adoption de certaines pratiques ou
stratégies vertes de manière isolées qui soit un facteur de performance, mais plutôt
la combinaison cohérente de pratiques environnementales, mais également vis-à-vis
des clients et des fournisseurs ou des salaries qui se révèle payante. Cette
cohérence est donc fondamentale pour comprendre les leviers et l’impact du
développement durable dans la stratégie des entreprises.3
L’innovation verte
Concernant l’impact sur l’innovation, quelle est la réalité économique aujourd’hui et
quelles sont les perspectives industrielles demain des nouvelles filières vertes ?
L’innovation verte concerne des filières telles que la chimie verte, les biocarburants,
le captage et le stockage du carbone, l’efficacité énergétique des bâtiments, les
smart grids, le stockage de l’énergie, les services d’économie de la fonctionnalité etc.
A l’heure actuelle, ces filières se situent surtout aux stades de l’innovation, la R&D et
l’expérimentation, avec des secteurs encore peu structurés.4 De ce point de vue, la
chimie verte fait partie des marchés les plus développés, avec par exemple une part
des produits biosourcés (produits d’origine végétale renouvelable) dans les ventes
mondiales de 7% en 2010.
3 Cavaco S. et Crifo P. (2010). The CSR-Firm performance missing link, complementarity between
environmental, social and business behaviors ? Cahier de recherché Ceco 2010-19.
4 Crifo, P., Flam, M. et M. Glachant. (2011). L’industrie française face à l’économie verte : L’exemple
de sept filières. Rapport pour le cercle de l’industrie.
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Les perspectives de développement de ces marchés sont toutefois très importantes,
la plupart devrait connaître un doublement de leur chiffre d’affaires d’ici 2020, et sur
certains segments de la chimie verte les projections sont particulièrement fortes. Par
exemple, les ventes de biolubrifiants pourraient être multipliées par 60, celles de
bioplastiques et biopolymères par 200.
Du point de vue des politiques publiques, si un certain nombre de gouvernements
ont déjà fait le pari de la croissance verte en consacrant notamment une part
significative des plans de relance aux investissements verts, dans un contexte
d’incertitude sur le potentiel (technologique ou sociétal par exemple) de l’économie
verte, les Etats se doivent de limiter l’instabilité des politiques publiques et
l’incertitude sur la réglementation, que ce soit au plan national ou international. Le
niveau du futur prix du carbone est décisif pour de nombreuses filières. D’autres
outils complémentaires sont également mobilisables que ce soit par exemple en
matière de politique d’innovation, d’investissements publics, de réforme des
subventions préjudiciables à l’environnement, de prise en compte de l’environnement
dans les marchés publics et les marchés financiers (investissement socialement
responsable) ou promotion de la consommation durable notamment.
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