Un Islam des Lumières ?
Lui, qui a vécu dans sa chair la montée de l’islamisme en Algérie, nous renvoie à trois
éléments-clefs utilisés comme des outils au service de la guerre idéologique qui est aujourd’hui
lancée: les vecteurs de la communication et d’Internet en particulier, sont parfaitement
maîtrisés comme canaux de transmission idéologique par les islamistes. A cela, il ajoute la
puissance des réseaux financiers, qui ont tissé un maillage serré. Le troisième vecteur, qui n’est
pas moindre, concerne la formation, secteur dans lequel les islamistes ont jeté toutes leurs
forces, conscients qu’il fallait conquérir des cerveaux modelables, aptes à recevoir leurs
discours… «Voilà comment aujourd’hui 70% des enseignants algériens sont islamistes»,
décrète-t-il avec un calme éloquent.
Souleymane Bachir Diagne, philosophe sénégalais enseignant à la Columbia University,
interrogeant l’énoncé de la rencontre, met alors au cœur de ce dialogue à plusieurs voix la
question de l’ijtihad, seule capable d’ouvrir l’islam aux lumières dont il est intrinsèquement
porteur… « Le Coran nous parle de nous, on doit le lire comme s’il nous était
révélé au moment même où nous le lisons, précise-t-il. Il nous parle de notre présent comme de
notre avenir. » En des termes simples et choisis, dans le cadre
d’une démonstration structurée et lumineuse, l’homme en appelle à l’idée que le fait de
demeurer fixé à l’imitation est un refus avoué de l’ouverture, or l’idée de Lumières est liée à
celle de mouvement… L’ennemi, pour tout mouvement de pensée, pour tout dogme, pour toute
religion, demeure dans l’immobilisme et la fixité.
Il en appelle à la figure tutélaire du poète et philosophe pakistanais Muhammad Iqbal
(1873-1938), que l'on commence tout juste à découvrir… Pour le resituer, disons que «ce
personnage hors du commun a soutenu une thèse à Cambridge, rencontré Bergson et discuté
avec Freud avant de devenir le père spirituel du Pakistan moderne. Lecteur de Nietzsche,
visionnaire d'un islam ouvert, il s'est confronté à la mort de Dieu, au désenchantement du
monde, à la perte de l'ancienne emprise religieuse sur la société. Son oeuvre ouvre des
perspectives qui sont aux antipodes de la clôture sur soi, inaugurant une pensée islamique de
la société en mouvement.
» C’est à cet auteur que Suleymane Bachir Diagne emprunte ce vers, qui a la force de
l’argument irréfutable:
« Qu'il serait bon que l'homme à la démarche libre/Aille, affranchi des chaînes du passé ! /Si
l'imitation était une chose bonne, /Le prophète aurait suivi, lui aussi, /la voie des aïeux.
»
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