Un Islam des Lumières

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Un Islam des Lumières ?
« La dernière maladie de l’islam est l’islamisme » : c’est Abdelwabad Meddeb qui le dit, coiffé
de sa fonction de transmetteur inlassable de la dimension spirituelle de l’islam à travers
l’émission « Cultures d’islam » qu’il anime sur la radio France Culture. Un constat fait de
manière dépassionnée, prolongement lucide de la pensée d’un homme rompu aux analyses et
autres mises en perspective. A cela, Boualem Sansal, écrivain algérien de renom, répond tout
aussi lucidement en écho :
« les islamistes
se sont emparés de l’islam. Ils ont dépossédé les musulmans de leur religion
.» Voilà comment aura débuté la rencontre qui eut lieu ce dimanche 9 mars, en l’absence de
l’islamologue marocain Rachid Benzine, qui était prévu dans la programmation faite, et dont la
voix ne serait pas, loin s’en faut, entrée en dissonance avec ce qui s’y est dit…
« Nous n’avons jamais lu le Coran…»
Aux yeux de Abdelawahab Meddeb, l’histoire est riche d’enseignements qui prouvent que la
crispation de l’islam sur des valeurs obscurantistes, à commencer par la période du règne de la
dynastie des Almohades qui vit se mettre en place un système inquisitorial du même ordre que
celui que l’Espagne catholique mettait en place à l’époque, obligeant les juifs à la conversion,
dont Maïmonide, notamment… Cette conversion fut le prix qu’il dut à l’époque payer pour
garder la vie sauve…
Pourquoi l’islam qui parle à l’esprit perdure-t-il en Asie, sous la forme notamment de l’islam
soufi, et pourquoi celui qui se pose en Loi a-t-il diffusé ses préceptes dans le monde arabe ? Un
islam politique, au sens large du terme, imprégné jusqu’au cœur d’une volonté farouche de se
mêler de la gestion de la cité, et auquel l’écrivain Boualem Sansal, prenant la parole, reproche
ouvertement de ne pas s’incarner dans la diffusion d’un rayonnement d’ordre essentiellement
spirituel… comme il estime qu’en réalité les musulmans sont ceux qui connaissent certainement
le moins bien l’esprit du Livre Sacré, en se limitant à sa lecture littérale sans prendre la peine
d’en interroger la symbolique spirituelle et relative…
Il s’interroge sur la naissance de cet islam réactif - et du coup réactionnaire- à la vision
occidentale, avançant l’idée que l’une des causes de son développement pourrait être
justement liée à son rôle en tant que vecteur d’émancipation et de libération face au joug de la
colonisation… La seconde cause pouvant être liée au caractère du système patriarcal et féodal
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dans les racines duquel la société du monde arabe a construit ses fondements. Une question
taraude d’ailleurs l’écrivain, qu’il transforme en assertion déclarative. C’est à ce titre, le titre
d’un ouvrage paru en 2004 aux éditions de l’Aube : « Nous n’avons jamais lu le Coran », dans
lequel l’auteur, le professeur Youssef Seddiq explique en quoi la Grèce antique, sa pensée et
ses mythes, le lexique de sa langue et ses symboles sont présents dans le Coran, cette parole
révélée, reçue et transmise au VIIe siècle par un prophète, un homme qui se disait « ordinaire
».
Youssef Seddiq montre également « comment l'accès à cette parole devenue Écriture a été
barrée par un obstacle inévitable, celui d'une formidable machine dogmatique sommant tout
lecteur de renoncer à lire et de croire que tout a déjà été lu, une fois pour toutes, hors de nos
espaces et de nos temps passés ou à conquérir
». Outre
ses thèses totalement inédites, cet ouvrage veut rompre avec une tradition
« récitante »
du Coran. L'auteur entreprend donc la mise en question de ce qui a politiquement fondé l'islam,
de ce qui l'a délogé de son site divin et qui a livré son message originel « au travail de l'idéologique et à la sécheresse du dogmatisme, selon le bon vouloir des princes et
la complicité des clercs exégètes »
. Une connaissance et une admiration du texte coranique amènent Youssef Seddik à nous
convaincre, rappelle le texte de la quatrième de couverture du livre, que les temps sont venus
pour tous de penser le Coran comme on pense toute œuvre divine, digne d'interpeller
l'universalité et pas seulement les fidèles d'un culte.
L’Islam ne pourra survivre qu’en relevant le défi de l’ijtihad…
Ce qui interpelle Boualem Sansal, c’est le fait qu’on ne vive pas dans la vérité profonde de
l’esprit de l’islam, en prétendant justement le suivre à la lettre… Et que la réflexion sur l’aspect
ésotérique de la religion, à travers laquelle devrait s’accomplir la condition de notre humanité,
soit justement contredite dans les faits par une pratique littérale du texte en tant que Code, qui
le vide de toute sa substance spirituelle.
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Lui, qui a vécu dans sa chair la montée de l’islamisme en Algérie, nous renvoie à trois
éléments-clefs utilisés comme des outils au service de la guerre idéologique qui est aujourd’hui
lancée : les vecteurs de la communication et d’Internet en particulier, sont parfaitement
maîtrisés comme canaux de transmission idéologique par les islamistes. A cela, il ajoute la
puissance des réseaux financiers, qui ont tissé un maillage serré. Le troisième vecteur, qui n’est
pas moindre, concerne la formation, secteur dans lequel les islamistes ont jeté toutes leurs
forces, conscients qu’il fallait conquérir des cerveaux modelables, aptes à recevoir leurs
discours… « Voilà comment aujourd’hui 70% des enseignants algériens sont islamistes »,
décrète-t-il avec un calme éloquent.
Souleymane Bachir Diagne, philosophe sénégalais enseignant à la Columbia University,
interrogeant l’énoncé de la rencontre, met alors au cœur de ce dialogue à plusieurs voix la
question de l’ijtihad, seule capable d’ouvrir l’islam aux lumières dont il est intrinsèquement
porteur… « Le Coran nous parle de nous, on doit le lire comme s’il nous était
révélé au moment même où nous le lisons, précise-t-il. Il nous parle de notre présent comme de
notre avenir.
» En des termes simples et choisis, dans le cadre
d’une démonstration structurée et lumineuse, l’homme en appelle à l’idée que le fait de
demeurer fixé à l’imitation est un refus avoué de l’ouverture, or l’idée de Lumières est liée à
celle de mouvement… L’ennemi, pour tout mouvement de pensée, pour tout dogme, pour toute
religion, demeure dans l’immobilisme et la fixité.
Il en appelle à la figure tutélaire du poète et philosophe pakistanais Muhammad Iqbal
(1873-1938), que l'on commence tout juste à découvrir… Pour le resituer, disons que « ce
personnage hors du commun a soutenu une thèse à Cambridge, rencontré Bergson et discuté
avec Freud avant de devenir le père spirituel du Pakistan moderne. Lecteur de Nietzsche,
visionnaire d'un islam ouvert, il s'est confronté à la mort de Dieu, au désenchantement du
monde, à la perte de l'ancienne emprise religieuse sur la société. Son oeuvre ouvre des
perspectives qui sont aux antipodes de la clôture sur soi, inaugurant une pensée islamique de
la société en mouvement.
» C’est à cet auteur que Suleymane Bachir Diagne emprunte ce vers, qui a la force de
l’argument irréfutable :
« Qu'il serait bon que l'homme à la démarche libre/Aille, affranchi des chaînes du passé ! /Si
l'imitation était une chose bonne, /Le prophète aurait suivi, lui aussi, /la voie des aïeux.
»
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Et le philosophe musulman de montrer qu’en effet, « une vague est toujours sculptée par son
mouvement.
» La vague n’existe que
d’être en mouvement, puisque son existence même est créée par le mouvement… C’est la
métaphore qu’il brandit pour définir ce en quoi consiste une société ouverte, rappelant en creux
qu’une société qui s’arrête dans son élan vital de mouvement et de réforme, est condamnée à
une mort certaine. Mais, ajoute-t-il encore, « une société ouverte n’est pas seulement une société ouverte à la réforme, c’est surtout,
au-delà, une société anxieuse de se réformer, à savoir, une société attentive à ce qui fonde son
élan vital…
»
Aux principes de l’imitation définis par le taqlid s’opposent ainsi les vertus de l’ijtihad, à
condition de bien remplir la valeur du terme de toute sa signification, qui s’ouvre à l’accueil et à
l’hospitalité de la nouveauté… « Nous avons le devoir aujourd’hui de nous inscrire dans cette nouvelle aventure de l’ouvert, pour
déconstruire puis reconstruire peut-être cet islam éthique en sortant de la Loi et de la Norme
», estime Abdelwahab Meddeb. C’est qu’en effet la question du clos et de l’ouvert déterminent
notre lecture du monde », souligne en conclusion finale le Pr Diagne.
Partenaires officiels du Festival : Le CCME, l’Institut Français du Maroc, le ministère de
la Culture du Royaume du Maroc.
Qui est Mohamed Iqbal ?
« Mohamed Iqbal propose"affinité
une lecture
spirituelle
musulmane
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de musulman)
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