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Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège
Football et isocinétisme, une équipe gagnante
11/09/08
L'isocinétisme est une méthode qui consiste à évaluer les performances musculaires. Reconnue jusqu'à
présent pour son efficacité curative, cette technique fait aujourd'hui ses preuves en termes de prévention.
Les recherches du Professeur Jean-Louis Croisier montrent que l'isocinétisme permet de réduire le risque de
lésion chez les joueurs de football de haut niveau. Les résultats de cette étude ont récemment été publiés
dans The American Journal of Sports Medicine (1).
Un mouvement à vitesse constante
Si «isocinétisme» fait partie du vocabulaire
quotidien de Jean-Louis Croisier, Professeur au Département des Sciences de la motricité de la Faculté
de Médecine, sa signification est loin d'être évidente pour le commun des mortels. Un bref retour à la souche
grecque de ce mot permettra déjà d'éclairer un peu nos lanternes : «Isos» signifie «égal» et «ciné» du grec
«kinêma» signifie «mouvement».
«L'isocinétisme s'inscrit dans le cadre de l'étude de la fonction et de la performance musculaires», explique
le spécialiste en Sciences de la motricité. «Il s'agit de l'exécution d'un mouvement à vitesse constante. Ce
principe exige l'utilisation d'un appareillage spécifique appelé dynamomètre isocinétique», précise-t-il. Cet
instrument aux allures de machines utilisées dans les salles de fitness permet au patient d'effectuer un
mouvement à vitesse constante, et ce même s'il fournit plus ou moins de force.
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Le principe est simple : la résistance qui s'oppose au mouvement s'adapte instantanément à la force déployée
par le patient. «Par exemple si on décide qu'un patient doit travailler l'extension de son genou à une vitesse
angulaire de 60°/s, la machine majore le frein lorsque le patient pousse fort et résiste moins lorsque l'effort
fourni diminue. L'exercice est ainsi individualisé et réalisable tant pour un grand costaud que pour une dame
de 70 ans qui vient de se faire opérer du genou», indique le Pr Croisier.
Cette technologie, qui mise sur une vitesse constante plutôt que sur une charge constante comme
les instruments de musculation classique, offre une sécurité et une efficacité supérieures en termes de
renforcement musculaire.
De la NASA aux clubs de sports
Quelle est l'origine de cette méthode ? L'isocinétisme est né aux Etats-Unis fin des années 60 pour répondre
à une demande de la NASA (National Aeronautics and Space Administration). Celle-ci était confrontée à une
problématique : l'atrophie musculaire des astronautes suite aux vols spatiaux en apesanteur. C'est ainsi que
James Perrine mit au point un dispositif capable de mesurer les variables du mouvement d'une articulation
prise isolément. Les bases du dynamomètre isocinétique étaient alors ancrées. De sa naissance à nos jours,
l'isocinétisme n'a cessé d'évoluer et reste encore aujourd'hui l'outil le plus efficace pour l'évaluation des
performances musculaires.
(1) Croisier JL, Ganteaume S, Binet J, Genty M, Ferret JM. Strength Imbalances and Prevention of Hamstring
Injury in Professional Soccer Players: A Prospective Study. The American Journal of Sports Medicine 2008,
36, 1469-1475 (April 30. doi:10.1177/0363546508316764)
Depuis son élaboration pour le suivi des astronautes, cette méthode s'est largement répandue dans le
milieu médical. «Elle est aujourd'hui utilisée pour le suivi de patients dans des domaines divers tel que les
traumatismes de l'appareil locomoteur, la chirurgie orthopédique, la rhumatologie ou encore la neurologie»,
souligne Jean-Louis Croisier.
Autre adepte de l'isocinétisme : le secteur du sport de haut niveau. Dans ce secteur, la performance musculaire
fait assurément la loi. Les tests isocinétiques y ont donc été largement adoptés pour évaluer la force des
sportifs et assurer leur rééducation en cas de blessures.
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Les révélations du test isocinétique
Le dynamomètre isocinétique permet
de relever un certain nombre de mesures. «Cet instrument révèle la qualité de la force du patient sous la forme
d'un moment de force maximal développé pendant le mouvement», explique Jean-Louis Croisier. Le chiffre
obtenu peut alors être exploité de diverses façons. «On peut par exemple effectuer une comparaison bilatérale
avec le muscle homologue du membre opposé», continue-t-il. Il est ainsi possible de détecter une asymétrie
selon une limite de tolérance. En règle générale, une différence de 10% entre des muscles homologues est
tolérée.
D'autre part, l'équilibre physiologique entre les muscles agonistes et antagonistes est essentiel. Ceux-ci ne
doivent pas nécessairement produire la même force mais un ratio doit être respecté. Le test isocinétique
permet l'identification d'un éventuel déséquilibre de force entre, par exemple, le quadriceps et les ischiojambiers de la cuisse d'un patient.
Enfin, l'isocinétisme joue également son rôle dans la notion de qualité de force relative. En effet, les données
que le dynamomètre révèle peuvent servir à faire des comparaisons par rapport à des moyennes en fonction
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du sexe, de l'âge, de l'activité physique ou sportive d'un patient. «On sait ainsi déterminer si un joueur de
football de 28 ans a une qualité de force normale par rapport à la moyenne d'une population de joueurs de
foot d'un âge et d'un niveau de pratique identiques», indique Jean-Louis Croisier. Cette information peut être
utilisée par le préparateur physique afin d'individualiser l'entraînement.
Si l'utilisation des tests isocinétiques s'avère efficace pour l'évaluation et la rééducation des muscles, cette
méthode ne s'applique pas forcément à tous. «Il faut avoir une approche lucide et critique pour définir si un
test isocinétique est nécessaire ou non. Et il est primordial de déterminer avec précision les protocoles à
appliquer», souligne le professeur.
L'isocinétisme est donc une méthode pertinente dans l'exploration d'une anomalie de la fonction musculaire,
lorsqu'un diagnostic médical a été posé. L'opérateur, c'est-à-dire la personne qui définit le protocole et est en
charge de l'analyse des résultats, fournira ensuite les informations au médecin, au kinésithérapeute ou encore
au préparateur physique du patient afin que ces derniers aient tous les éléments en main pour optimaliser
leurs décisions.
Des footballeurs épargnés de lésions
Grâce aux données qu'il procure, le test isocinétique peut contribuer à mieux comprendre certaines anomalies
chez les sportifs de haut niveau et donc à les aider à améliorer leurs performances. Même si le risque de
lésions ne se résume bien sûr pas au seul facteur musculaire.
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L'étude dirigée par le Professeur Croisier, en étroite
collaboration avec le CHU de Liège (Service de Médecine Physique et Kinésithérapie, Prof JM Crielaard), a
projeté cette technique classiquement curative au rang de la prévention. «Plutôt que d'attendre qu'un joueur de
football se blesse, on corrige préventivement son déséquilibre musculaire», explique-t-il. «C'est une nouvelle
application de l'isocinétisme dont nous démontrons l'intérêt avec cette recherche». Pendant une période de
cinq ans, près de 700 joueurs de football professionnels d'équipes belges, française et brésiliennes ont été
soumis à des évaluations isocinétiques selon un protocole standardisé élaboré par l'Université de Liège.
Dans chaque club, un correspondant relevait les blessures des joueurs en suivant des critères bien établis.
Parmi les sportifs montrant un déséquilibre musculaire, tous n'ont pas eu droit aux mêmes égards. Les
joueurs ont dès lors été classés en quatre groupes distincts. Le premier comptait les sportifs ne présentant
aucun déséquilibre musculaire en début de saison. Le second regroupait des footballeurs montrant un déficit
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musculaire et n'ayant subit aucun traitement ultérieur pour y remédier. Dans le troisième groupe, les joueurs
dont un ou plusieurs muscles étaient déficients ont suivi un programme de renforcement mais sans preuve
d'efficacité. Enfin le dernier groupe était constitué de footballeurs musculairement déséquilibrés qui ont été
traités et normalisés (preuve établie par des tests de contrôle) grâce à un programme de compensation adapté.
Les résultats de cette recherche sont frappants : lorsque le déséquilibre musculaire des joueurs n'est pas
traité, ceux-ci courent quatre fois plus de risques de se blesser au fil de la saison de football qui suit. D'autre
part, le risque de lésion chez les sportifs qui ont suivi un traitement adapté redevient équivalent à celui des
joueurs sans déséquilibre musculaire initial. Les tests isocinétiques effectués en début de saison peuvent donc
contribuer à diminuer le risque de lésion musculaire des ischio-jambiers pour les footballeurs.
L'isocinétisme, en plein essor ?
Les conclusions de la présente étude ont suscité la curiosité d'autres disciplines sportives. Actuellement une
recherche similaire, initiée par le Département des Sciences de la motricité de l'Université de Liège, est en
cours de démarrage avec des clubs professionnels de rugby en France. Quant au milieu footballistique, selon
Jean-Louis Croisier, il y a fort à parier que les tests isocinétiques s'y généralisent en début de saison. «Si
les clubs de foot comprennent que cela permet de réduire la fréquence lésionnelle, ils préféreront sûrement
utiliser cette méthode afin de ne pas perdre des joueurs en cours de saison», précise-t-il.
Deux difficultés sont cependant à noter tant pour les clubs sportifs que pour les hôpitaux. Primo : le coût du
matériel. En effet, l'équipement nécessaire pour le suivi des patients pèse quelque 80 000 à 100 000 euros.
Secundo : utiliser correctement cet équipement. L'opérateur doit être capable de choisir le protocole adéquat
et est en charge d'analyser les résultats. «L'utilisateur doit être suffisamment expérimenté », souligne le Pr
Croisier. «Il a des responsabilités non négligeables puisqu'il juge de la «normalité» du patient et est donc le
déclencheur d'une cascade de décisions en aval». En pratique, un partenariat étroit entre un kinésithérapeute
et un médecin serait dès lors judicieux afin d'offrir aux patients un traitement musclé !
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