le role des conditions sociales dans la genèse des troubles mentaux

TROISIEME RAPPORT
DEUXIÈME CONGRÈS INTERNATIONAL D'HYGIÈNE MENTALE
LE ROLE DES CONDITIONS
SOCIALES DANS LA GENÈSE
DES TROUBLES MENTAUX
PAR
D' E. MIRA
Président de la Ligue Espagnole d'Hygiène Mentale
Deux chemins s'ouvrent à nous pour le développement de notre rapport. L'un est celui de
l'investigation statistique : quelle que soit la technique adoptée pour le parcourir, il nous faut
consulter des milliers et des milliers de données, il nous faut établir mécaniquement certaines
relations de proportionnalité entre les pourcentages des divers groupes d'entités nosologiques
admis dans la psychiatrie et ceux d'un nombre - plus ou moins grand et plus ou moins précis de
facteurs tels que les conditions de nourriture, d'habitation, de travail, d'hygiène, de position
économique, etc.., qu'on peut rassembler sous le titre de « conditions sociales » ; il nous faudra
encore arriver à dégager de tout cela quelques conclusions froidement quantitatives. Ce chemin
statistique, nous ne pouvons pas le suivre dans les circonstances que nous traversons
maintenant dans notre pays. Mais, s'il nous avait été possible de ramasser toutes les données
nécessaires, nous aurions toujours préféré suivre l'autre voie, c'est-à-dire la voie de l'analyse
psychologique et psychopathologique, parce qu'il nous semble à priori que la complexité et
l'extrême degré d'imbrication (enchevêtrement) des influences que l'on rassemble sous le titre «
conditions sociales » sont trop grands pour permettre sa dissection avec le simple bistouri
mathématique.
Nous allons donc, autant que possible, substituer la qualité à la quantité. Et nous allons faire
une analyse détaillée d'un nombre restreint de cas dans lesquels le facteur social paraît avoir
un rôle étiologique indiscutable.
Notre travail aura deux parties : dans la première, nous tâcherons de préciser un peu le « quoi
» et le « combien» de l'influence des « conditions sociales » dans la production des troubles
mentaux ; dans la deuxième, nous étudierons le «pourquoi » et le « comment » de telle
influence. Dans l'une et dans l'autre, nous devrons lutter, malheureusement, avec l'imprécision
obligée de cette modalité de recherches. Sera-t-il, en effet, jamais possible d'analyser
l'influence isolée d'un facteur étiologique dans la production d'un trouble mental ou dans le
conditionnement de son cours ? On sait que la psychose est le résultat d'une combinaison
complexe et toujours variable de facteurs exogènes et endogènes qui changent dans le temps
leurs influences mutuelles et réciproques. II n'est pas possible de considérer la psychose
comme quelque chose de rigide, comme un produit dont l'évolution suivra des lois
prédéterminées ; il n'existe pas des psychoses, mais, seulement, des hommes qui se
comportent d'une façon que nous jugeons comme psychopathique (à notre égard, à l'égard des
autres ou vis-à-vis d'eux-mêmes).
Au point de vue théorique, on peut se demander comment il faut différencier les cas dans
lesquels les conditions sociales sont la cause, de ceux dans lesquels elles sont l'effet des
troubles mentaux. Avec un critère simpliste, on pourrait accepter que leur préexistence indique
leur rôle étiologique ; mais on sait que les cas où la maladie mentale commence brusquement
sont exceptionnels et que, dans la plupart des cas, on ne peut pas établir avec exactitude son
point de départ ; on accepte alors - faussement - que celui-ci est constitué par le moment
d'extériorisation du processus psychotique, mais évidemment il peut exister une phase assez
longue pendant laquelle le trouble ne se manifeste pas objectivement, , ou, tout au plus, d'une
façon qui ne permettra pas à l'entourage de conclure à son existence. Il s'agit, presque toujours,
d'une influence réciproque entre l'état de la personnalité et les conditions de sa vie sociale :
certains traits de caractère conduisent à l'établissement de certaines de ces conditions qui, à
leur tour, les exagèrent et vice-versa (certaines conditions sociales favorisent la formation de
certaines attitudes vitales celui les renforcent).
Néanmoins, il faut avoir une ligne théorique de séparation et voici pourquoi nous acceptons,
pour notre analyse, qu'une condition sociale doit être considérée dans l'étiologie d'un trouble
mental : a) Si on peut la déceler dans ses antécédents avec une fréquence notablement
supérieure à la moyenne prévue par le calcul de probabilités ; b) si, en comparant divers
groupes humains, on voit varier parallèlement les valeurs de la fréquence moyenne de telle
condition et celle du trouble mental en question. Dans ce cas, il faut avoir la contre épreuve,
c'est à dire qu'il faut démontrer l'existence d'une relation inverse entre les oscillations de
fréquence du trouble mental et de la condition sociale contraire à celle qu'on envisage (si cette
inversion n'existe pas, on pourra seulement déduire l'existence d'une coïncidence, mais non
d'une relation causale) ; c) si on peut démontrer que la modification expérimentale de la
condition sociale occasionne une modification du trouble mental dans le sens attendu (si ce fait
n'est pas obtenu, on ne peut pas nier encore l'existence d'une relation étiologique entre ces
deux éléments ; il s'agit ici d'une preuve suffisante, mais non nécessaire).
Eh bien, si nous prenons la base « a > de notre critère, nous pourrons faire quelques
affirmations - très prudentes d'ailleurs - qui se dégagent de la considération de 6.000 histoires
cliniques (dont 2.000 correspondent à des malades d'un service public, 1.500 à peu près
correspondent à des malades internés dans un établissement privé, et le reste est formé par les
cas observés à notre bureau de consultation. Les voici:
La position économique des parents exerce une certaine influence dans la production des
troubles oligophréniques. Au point de vue quantitatif, nous trouvons que sa fréquence est 2,7
fois plus grande dans les cas des familles pauvres que dans ceux de familles riches (dans la
classe moyenne, sa fréquence est 1,9 plus grande que dans ces derniers). Une telle influence,
néanmoins, n'est pas directe, mais résulte de la convergence de plusieurs facteurs (nourriture
insuffisante, ignorance cru impossibilité de suivre les préceptes hygiéniques pendant la
grossesse, mauvaise assistance obstétricale, mauvaise attention aux problèmes pédagogiques
dans les premières années, majeure fréquence des maladies dues à la pauvreté dans la
famille, etc.), dans les cas de mauvaise situation économique. D'autre part, il ne faut pas oublier
que cene-ci, dans beaucoup de cas, est révélatrice d'un manque d'aptitudes intellectuelles, ce
qui permet d'expliquer, dans une certaine mesure, la plus grande fréquence des oligophrènes
pauvres par l'existence chez eux d'une disposition endogène. (Nous devons aussi remarquer
que la mortalité du groupe des oligophrènes pauvres est à peu près - dans notre statistique - le
double de celle des oligophrènes riches, ce qui explique que si l'on considére seulement les
adultes ces différences de fréquence ne soient pas aussi manifestes).
En revanche, nous trouvons une fréquence 3, 4 fois plus grande des troubles neurasthéniques
chez les individus riches que chez les pauvres (ceux de la classe moyenne nous offrent une
fréquence 1,6 plus grande que les derniers). Je crois aussi intéressant de signaler que, chez les
femmes pauvres, la neurasthénie est extrêmement rare (nous en trouvons 3 sur mille
observations, tandis que, chez les « dames » de la haute bourgeoisie, nous arrivons à 7 0/0).
Les accès maniaques de la psychose maniaco-mélancolique semblent être également en
relation avec la position économique, surtout chez les femmes : nous trouvons dans nos
observations, sur 1.859 histoires cliniques du groupe indigent, 36 hommes et 83 femmes avec
ce diagnostic, tandis que, sur 1.276 histoires cliniques du groupe de malades ayant une haute
position économique, nous trouvons 20 hommes et 16 femmes avec des accès maniaques. II
est probable que la plus grande inhibition qui se développe à la suite de l'éducation plus sévère
des <c dames » les amène à décharger plutôt dans des « crises des nerfs » ce qui, dans les
autres femmes, constitue un état d'excitation ; d'autre part - et c'est plus important - les sujets
riches ont l'argent nécessaire pour se procurer des toxiques et des sédatifs qui, dans beaucoup
de cas, les calment suffisamment pour empêcher leurs réactions maniaques, tandis que les
pauvres doivent se réfugier dans l'usage des boissons alcooliques (plus à leur portée), qui
exagèrent leur disposition maniaco-mélancolique. Mais, malgré tout, même si l'on prend
seulement les cas les plus purs de manie endogène, on peut constater une plus grande
fréquence de cette maladie chez les femmes pauvres de notre statistique. Faut-il conclure à
l'existence de caractéristiques constitutionnelles spéciales dans ce groupe ? Nous croyons
plutôt que la psychose maniaco-mélancolique, ayant une hérédité dominante, a tendance à
s'accroître dans les milieux dans lesquels on ne prend pas suffisamment en considération sa
présence dans les antécédents des époux. Or, il est évident qu'une jeune fille riche, qui a été
internée à la suite d'un accès maniaque, a beaucoup moins de chance de mariage qu'une jeune
fille pauvre dans les mêmes conditions. (La plus grande différence relative entre les deux sexes
du groupe pauvre pourrait aussi s'expliquer parce qu'un certain nombre d'accès de manie
légère chez les hommes n'est pas soumis à l'intervention psychiatrique, tandis que les femmes,
étant plus faibles, sont presque toutes amenées à la consultation).
Dans tous les autres groupes nosologiques consultés, nous n'avons pas remarqué de
différences importantes au sujet de leur distribution en rapport avez les divers niveaux
économiques.
2º En laissant de côté la position économique et en prenant les conditions de travail, c'est-à-dire
les différences professionnelles, nous avons pu confirmer des faits qui sont déjà assez connus,
tels que la plus grande fréquence des toxicomanies chez les artistes et les intellectuels, le plus
grand pourcentage de militaires et de commerçants atteints de paralysie générale progressive,
la grande prédisposition des étudiants en philosophie et en théologie aux réactions
schizophréniques, l'existence de traits épileptiques chez les domestiques, etc.. Nous avons, en
outre, été un peu surpris de la fréquence des délires de persécution chez les agents de police
et des manifestations neurasthéniques dans les télégraphistes.
En comparant les fréquences des troubles psychopathiques avec les différences du milieu
géographique (mer ou montagne, grande ville ou campagne, climat froid ou tiède, sec ou
humide, etc... ), nous trouvons une très légère augmentation globale de la fréquence des
troubles mentaux (spécialement de ceux d'allure schizophrénique), dans les vallées et les
plateaux ; par contre, une diminution perceptible de ces mêmes troubles dans les petites villes
maritimes. Nous avons constaté aussi une certaine augmentation des troubles de nature
hystérique dans les endroits exposés aux grands vents (notamment dans le haut Ampurdan),
mais nous ne saurions décider si tels faits doivent être expliqués par les différences climatiques
ou par d'autres influences psychosociales coïncidant avec elles.
En ce qui concerne l'état social, on sait qu'apparemment, d'après les statistiques, le mariage
semble être une condition favorable pour empêcher l'augmentation des troubles mentaux,
puisque la fréquence globale de ceux-ci est plus grande chez les célibataires et les veufs. Mais
il ne faut pas oublier que les maladies mentales s'accumulent dans la jeunesse et dans l'âge
mûr ; or, presque tous les célibataires sont jeunes et presque tous les veufs sont d'âge mûr, ce
qui veut dire que le fait statistique observé ne doit pas être attribué à une action protectrice du
mariage, d'autant plus que celui-ci constitue à son tour une sélection naturelle des candidats
aux maladies mentales (dans ce sens, qu'il est très difficile pour un malade mental de trouver
un partenaire qui consente à l'épouser).
Le mariage n'a pas une action spécifique sur le cours des troubles mentaux. Nous dirons même
que, dans les cas de psychonévrose, il peut être un obstacle à leur guérison (surtout dans le
genre féminin, les névroses sont bien plus rebelles chez les femmes mariées !). Les auteurs qui
ont admis cette influence favorable du mariage l'ont expliquée par l'exercice régulier des
fonctions sexuelles, par la paix et la régularité de la vie dans le foyer ; ils oublient néanmoins
que ces influences ont leur contre-partie dans la perte de la liberté individuelle. En tout cas,
nous croyons que l'action du mariage doit être l'objet d'une analyse individuelle et ne peut pas
être jugée, tel que l'on a fait jusqu'à présent, d'une façon générale.
Nous arrivons maintenant à un chapitre des plus intéressants : l'influence du chômage sur la
production et l'évolution des troubles mentaux. A la suite de la grande crise économique
européenne, on a observé, dans plusieurs pays, la production de réactions
psychopathologiques de la part des chômeurs. Cette question a mérité l'attention du Comité
d'Hygiène Publique de la Société des Nations : en effet, le 10 novembre 1932, une séance
destinée à l'étude du problème des rapports de la crise économique avec la santé publique eut
lieu à Genève avec, à son ordre du jour, la discussion d'un rapport sur << les efets de la crise
économique dans le domaine de l'hygiène mentale ». Ce rapport était le résultat des travaux
d'une Commission composée du Professeur Jean Lépine, du D' Hamel, du D' Chodzko et d'un
représentant du Bureau International du Travail.
Dans ce rapport, il est dit que le chômage produit un changement psychologique dans lequel on
observe des réactions négatives. Celles-ci sont l'expression d'une augmentation de l'impulsivité
et de l'instabilité avec une tendance à la délinquance ou l'immoralité, et à la modification de la
vie sexuelle. A la suite de cette séance, il fut décidé d'entreprendre une enquête internationale
sur ce problème, c'est à dire : sur l'action du chômage sur la détermination et le cours des
troubles mentaux, sur les facilités de leur traitement et sur le déclenchement de troubles
fonctionnels (névroses de chômage). Il est intéressant de signaler que cette Commission
croyait aussi qu'une telle enquête ne devait pas aboutir à une accumulation de chiffres, puisqu'il
est impossible d'arriver, par la voie quantitative, à une connaissance des problèmes envisagés.
En conséquence, elle proposait de laisser toute liberté aux investigateurs de faire un travail
objectif d'observation psychologique (en profitant des données fournies par les inspecteurs du
travail, chefs d'usine, assistantes sociales, etc...).
Le Dr.Pittaluga nous chargea de mener cette enquête en Catalogne et nous eûmes ainsi
l'occasion de travailler cette question pendant plusieurs mois. Nous ne pouvons pas exposer en
détail toutes nos observations ; nous avons travaillé spécialement à l'aide de deux
questionnaires : l'un, subjectif, était adressé directement aux chômeurs ; l'autre, objectif, était
envoyé à leurs parents et aux éléments sociaux qui maintenaient avec eux une relation
professionnelle (médecins, employés des bourses du travail, membres des comités de secours,
etc..., etc...). Dans le premier questionnaire, on posait, entre autres, les questions suivantes :
Croyez vous que votre chômage vous a été utile de quelque façon? Sous quel aspect? Quels
sont les changements que vous avez pu constater dans votre santé physique à la suite du
chômage? Quels ont été - d'après votre opinion - ses effets sur votre capacité de travail? Et sur
votre activité intellectuelle? Et sur votre état d'humeur? Avez vous éprouvé des troubles
mentaux ou des malaises spéciaux (lui puissent être l'effet, direct ou indirect, de votre
chômage? Si oui, expliquez-les, s'il vous plait.
Dans le deuxième questionnaire, on tâchait surtout d'obtenir des données à l'égard des vices,
des changements de caractère, des crises et des réactions affectives survenues pendant le
chômage. Les réponses au questionnaire subjectif (3.000 observations à peu près, toutes de
genre masculin) coïncidaient, dans leur grande majorité (87 0/0), à signaler l'existence (les
troubles de l'humeur. Par contre, les réponses positives à l'égard de troubles intellectuels,
physiques ou de conduite étaient très rares. Quant aux réponses au deuxième questionnaire
(objectif), tout en faisant la contre-partie de celles-là, elles nous décelaient la multiplicité
insaisissable des réactions individuelles au chômage jusqu'au point d'empêcher la création
d'une psychologie ou d'une psychopathologie générales du chômeur. Certainement, la
fréquence moyenne des troubles mentaux dans le groupe des chômeurs est bien plus grande
que dans la population totale, mais il ne faut pas oublier que, dans beaucoup de cas, le
chômage n'est pas la cause, mais l'effet d'une anomalie mentale. Les investigations
américaines ont prouvé ce fait et ont signalé également le haut pourcentage d'oligophrènes et
de psychopathes dans le noyau des « chômeurs chroniques ». Nous oserions dire plus l'homme
qui réagit au chômage et accepte n'importe quel travail contraire à ses aptitudes et à sa
vocation aurait, par ce fait, au point de vue théorique, bien plus de chances d'avoir des troubles
de l'équilibre psychique (pas graves, d'ailleurs) que celui qui s'adapte au chômage et se laisse
porter dans cette situation. C'est par la même raison que ceux qui suffirent plus de la faim sont
les pauvres qui désirent cacher leur pauvreté.
Cela nous porterait à faire une enquête chez les ex-chômeurs, pour voir si les nouvelles
conditions de vie après le chômage ne sont pas, dans certains cas, beaucoup plus pathogènes
que celles du chômage. Mais, comment juger objectivement cette question si ce n'est en
comparant la fréquence moyenne des troubles mentaux qui éclatent dans un groupe d'ex-
chômeurs (pendant la première année de leur réadaptation professionnelle, par exemple) et
celle d'un autre groupe, analogue, de chômeurs
Et alors, comment décider si la présentation des troubles mentaux dans le premier groupe était
favorisée par l'effort de surmonter les nouvelles difficultés de travail ou était due, simplement, à
un post effet du chômage ? Le problème devient de plus en plus complexe, au fur et à mesure
que nous voulons apporter des précisions à son égard. Aussi avons nous décidé, à cette
occasion, de nous en tenir à l'analyse individuelle de chaque cas et de renoncer à tout essai de
généralisation.
Nous avons déjà avancé que cette analyse nous révéla une multiplicité énorme de
manifestations et d'attitudes subjectives de réaction qui, à leur tour, ne dépendaient pas
seulement du fait : « chômage », mais, plutôt, du type de la personnalité, de la situation
économique, de l'aide morale et matérielle qui avait été apportée, de la réaction familiale, etc...,
etc... Nous avons observé à cet égard des cas vraiment intéressants dont voici deux courts
exemples
F.-M. A. Jeune homme célibataire de 28 ans. 'Aucun antécédent pathologique familial, ni
individuel. II a travaillé comme mécanicien (tourneur) pendant cinq ans dans le même atelier ;
tout le inonde était content de lui et il menait, du reste, une vie sociale tout à fait normale. A la
suite du changement de régime politique survient le chômage qui s'étend aux 14 ouvriers de
l'atelier. Pendant trois mois, il mène une vie normale chez ses parents, il cherche clu travail, il
se promène et lit des livres, tout en poursuivant ses relations amoureuses avec une jeune fille
de 18 ans. Un ami lui suggère l'idée de se rendre à un centre occultiste où « l'on lira son destin
». Il s'y rend, sceptique et farceur, mais il est bouleversé quand on lui assure qu'il ne doit pas
perdre son temps à travailler comme mécanicien, puisqu'il possède des aptitudes
exceptionnelles pour la sculpture et qu'il deviendra un grand artiste. Depuis ce moment, il
devient abstrait et sérieux. II commence à étudier d'une façon frénétique toutes les matières
concernant l'art, la sculpture, l'esthétique et bientôt, aussi, la philosophie et l'occultisme. Il
devient théosophe, naturiste et, au bout de deux mois de manger peu, de dormir mal et de
vouloir tout savoir, il a une crise d'excitation d'allure nettement schizophrénique. Jusqu'à quel
point sommes nous autorisés à parler de l'influence étiologique du chômage dans ce cas ?
L'autre observation est aussi typique de la complexité de la constellation de facteurs
déchaînants qui, parfois, sont encaissés sous le titre simpliste et général de « chômage »
H.-P. D. Veuve avec deux fils. Son mari est mort d'accident au travail il y a deux ans ; elle est
en train de plaider contre son patron à propos, de l'indemnisation qu'on doit lui accorder. Les
affaires vont mal et le patron vend l'établissement et disparaît. Presque nu même temps, on lui
donne congé dans la maison de lingerie où elle travaillait depuis 32 ans. On lui promet une
place de servante chez la fille de sa patronne. Elle rentre à son service, mais elle l'abandonne
au bout de trois mois parce qu'elle n'aime pas son nouveau travail et parce qu'on l'a assurée
qu'elle devrait toucher bientôt l'indemnité si longuement attendue. Mais celle-ci n'arrive pas, elle
perd sa place et ne trouve pas de moyens de subsistance ; sa fille aînée tombe malade et
meurt à l'hôpital d'un état infectieux mal déterminé. A la suite de cet événement, elle développe
une mélancolie avec idées de suicide ; elle est internée à la Clinique psychiatrique où l'on
constate une néoplasie du foie qui la tue au bout de sept semaines.
L'influence des périodes de déséquilibre social dans la production de troubles mentaux est
indéniable. Les événements tragiques qui se sont déroulés dans notre pays à la suite de la
rébellion militaire du 19 juillet 1936 nous ont permis de vivre quotidiennement ce problème
pendant une année. Dates nos services psychiatriques d'urgence (Clinique Psychiatrique et «
Sanatori Mental »), nous avons pu constater une augmentation de la moyenne d'admissions qui
s'est élevée depuis 1,9 jusqu'à 5,2 par jour (du 6 août 1936 jusqu'au 16 janvier 1937, nous
avons eu 841 admissions, dont 435 hommes et 406 femmes). Si l'on prend en considération le
1 / 13 100%

le role des conditions sociales dans la genèse des troubles mentaux

La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !