nous croyons que l'action du mariage doit être l'objet d'une analyse individuelle et ne peut pas
être jugée, tel que l'on a fait jusqu'à présent, d'une façon générale.
5° Nous arrivons maintenant à un chapitre des plus intéressants : l'influence du chômage sur la
production et l'évolution des troubles mentaux. A la suite de la grande crise économique
européenne, on a observé, dans plusieurs pays, la production de réactions
psychopathologiques de la part des chômeurs. Cette question a mérité l'attention du Comité
d'Hygiène Publique de la Société des Nations : en effet, le 10 novembre 1932, une séance
destinée à l'étude du problème des rapports de la crise économique avec la santé publique eut
lieu à Genève avec, à son ordre du jour, la discussion d'un rapport sur << les efets de la crise
économique dans le domaine de l'hygiène mentale ». Ce rapport était le résultat des travaux
d'une Commission composée du Professeur Jean Lépine, du D' Hamel, du D' Chodzko et d'un
représentant du Bureau International du Travail.
Dans ce rapport, il est dit que le chômage produit un changement psychologique dans lequel on
observe des réactions négatives. Celles-ci sont l'expression d'une augmentation de l'impulsivité
et de l'instabilité avec une tendance à la délinquance ou l'immoralité, et à la modification de la
vie sexuelle. A la suite de cette séance, il fut décidé d'entreprendre une enquête internationale
sur ce problème, c'est à dire : sur l'action du chômage sur la détermination et le cours des
troubles mentaux, sur les facilités de leur traitement et sur le déclenchement de troubles
fonctionnels (névroses de chômage). Il est intéressant de signaler que cette Commission
croyait aussi qu'une telle enquête ne devait pas aboutir à une accumulation de chiffres, puisqu'il
est impossible d'arriver, par la voie quantitative, à une connaissance des problèmes envisagés.
En conséquence, elle proposait de laisser toute liberté aux investigateurs de faire un travail
objectif d'observation psychologique (en profitant des données fournies par les inspecteurs du
travail, chefs d'usine, assistantes sociales, etc...).
Le Dr.Pittaluga nous chargea de mener cette enquête en Catalogne et nous eûmes ainsi
l'occasion de travailler cette question pendant plusieurs mois. Nous ne pouvons pas exposer en
détail toutes nos observations ; nous avons travaillé spécialement à l'aide de deux
questionnaires : l'un, subjectif, était adressé directement aux chômeurs ; l'autre, objectif, était
envoyé à leurs parents et aux éléments sociaux qui maintenaient avec eux une relation
professionnelle (médecins, employés des bourses du travail, membres des comités de secours,
etc..., etc...). Dans le premier questionnaire, on posait, entre autres, les questions suivantes :
Croyez vous que votre chômage vous a été utile de quelque façon? Sous quel aspect? Quels
sont les changements que vous avez pu constater dans votre santé physique à la suite du
chômage? Quels ont été - d'après votre opinion - ses effets sur votre capacité de travail? Et sur
votre activité intellectuelle? Et sur votre état d'humeur? Avez vous éprouvé des troubles
mentaux ou des malaises spéciaux (lui puissent être l'effet, direct ou indirect, de votre
chômage? Si oui, expliquez-les, s'il vous plait.
Dans le deuxième questionnaire, on tâchait surtout d'obtenir des données à l'égard des vices,
des changements de caractère, des crises et des réactions affectives survenues pendant le
chômage. Les réponses au questionnaire subjectif (3.000 observations à peu près, toutes de
genre masculin) coïncidaient, dans leur grande majorité (87 0/0), à signaler l'existence (les
troubles de l'humeur. Par contre, les réponses positives à l'égard de troubles intellectuels,
physiques ou de conduite étaient très rares. Quant aux réponses au deuxième questionnaire
(objectif), tout en faisant la contre-partie de celles-là, elles nous décelaient la multiplicité
insaisissable des réactions individuelles au chômage jusqu'au point d'empêcher la création
d'une psychologie ou d'une psychopathologie générales du chômeur. Certainement, la
fréquence moyenne des troubles mentaux dans le groupe des chômeurs est bien plus grande
que dans la population totale, mais il ne faut pas oublier que, dans beaucoup de cas, le
chômage n'est pas la cause, mais l'effet d'une anomalie mentale. Les investigations
américaines ont prouvé ce fait et ont signalé également le haut pourcentage d'oligophrènes et
de psychopathes dans le noyau des « chômeurs chroniques ». Nous oserions dire plus l'homme
qui réagit au chômage et accepte n'importe quel travail contraire à ses aptitudes et à sa
vocation aurait, par ce fait, au point de vue théorique, bien plus de chances d'avoir des troubles
de l'équilibre psychique (pas graves, d'ailleurs) que celui qui s'adapte au chômage et se laisse
porter dans cette situation. C'est par la même raison que ceux qui suffirent plus de la faim sont
les pauvres qui désirent cacher leur pauvreté.