Abu Bakr et son auditoire
ou les dialogues des images
Dr. Mohammed Saleh Ahmed AL-GHAMDI
Département des langues et littératures européennes
Section de français
Faculté des lettres
Université Roi Abdelaziz
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D'Jeddah
ARABIE SAOUDITE
1
2007
2
Abu Bakr et son auditoire ou les dialogues des images
1- Introduction
Les livres de l'histoire Musulmane présentent la mort du Prophète Mohammed
comme un événement crucial dans l'histoire des Musulmans
1
. Il s'agit de la première
crise que les Musulmans devaient affronter sans l'intervention du guide spirituel.
C'était un test de la capacité des Musulmans à résoudre les problèmes en l'absence du
Prophète. Cette crise demandait un traitement rapide et sage pour minimiser les
dangers des conséquences. Les livres d'histoire nous apprennent que c'était le discours
d'Abu Bakr qui avait joué ce rôle. Selon Abu Hourairah: " Sans l'intervention d'Abu
Bakr, la nation de Mohammed (les Musulmans) aurait été déchirée".
2
Dans ce qui suit, nous étudierons ce discours pour montrer comment l'orateur a
réussi dans sa tâche. Nous essayerons de voir comment Abu Bakr a conçu son
intervention visant à persuader son auditoire. Mais comme le champ est vaste, nous
avons limité notre étude à l'analyse de deux outils rhétoriques dans ce discours. Il s'agit
du découpage du discours et de l'image de l'orateur, car nous pensons que ces outils
ont joué un grand rôle dans la réussite de l'orateur.
Notre travail se base sur deux hypothèses. La première est que, dans ce
discours, ce qui est essentiel, c'est le dialogue des images dans plusieurs directions,
comme nous allons essayer de montrer.
Quant à la deuxième hypothèse, nous pouvons la formuler sous forme d'une
question: est-ce que les images qu' un orateur présente dans son discours sont égales?
Pour traiter ces questions, nous commençons par situer notre travail dans son
champ scientifique.
2- Le retour de la rhétorique
Cette recherche s'insère dans le domaine de la rhétorique, inauguré par
Perleman. La rhétorique est un outil pacifique qui permet de négocier et de considérer,
pour chaque question, ce qui peut être propre à persuader (Aristote, 1991: 82)
3
. Elle
est aussi considérée comme " la négociation de la distance entre les êtres, ou plutôt
3
comme l’étude de la façon dont ils la négocient, pour l’accentuer ou au contraire, la
réduire " (1991 : 6). On est ici en pleine préoccupation de l’étude de la parole et de son
efficacité dans une situation donnée. L’utilisation de la parole à une fin claire: exercer
une influence pour changer les opinions. La rhétorique n’a malheureusement pas
gardé sa place comme une étude de la force de la parole à persuader. La partie
argumentative a der sa place en faveur de la partie esthétique : la rhétorique est
devenue l'étude des figures de style, elle n'est qu’ornement du discours
4
. Il a fallu
attendre le 20
ième
siècle pour qu'elle soit redécouverte. C’est avec les travaux de
Perleman et Olbreches-Tyteca, dans l’espace francophone, et S. Toulmin
5
, dans
l’espace anglo-saxon, que la rhétorique a repris sa place dans les recherches des
sciences humaines. Perleman et Olbreches-Tyteca ont publié en 1958 leur livre
intitulé : Traité de l’argumentation : la nouvelle rhétorique. Dans cet ouvrage, les
auteurs critiquent la logique formelle de Descartes et préconisent une nouvelle logique
à savoir : la logique du jugement de valeur (Ph. Breton, 2000 : 35). Pourtant leur livre
est passé sans susciter l’intérêt qu’il méritait auprès des linguistes. R. Amossy justifie
ce fait par la forte dominance du structuralisme et du générativisme qui se sont
consacrés à l’étude du système au détriment de sa réalisation (2000 : 14).
Les travaux de Benveniste
6
sur la subjectivité énonciative et ceux d’Austin
7
et
Searl
8
sur les actes de langages, ont ouvert la porte devant le retour de l'intérêt aux
recherches rhétoriques argumentatives dans le domaine linguistique
9
. La conception
austinienne de la langue comme acte contenant une force, les notions d’illocutionnaire
et de perlocutonnaire, c’est-à-dire l'action et ses effets sur l’autre partenaire de
l’échange langagier, ont permis de renouer avec la conception d’Aristote concernant
l’utilisation de la langue. D. Maingueneau est claire sur cette relation : " La rhétorique,
l’étude de la force persuasive du discours, s’inscrit pleinement dans le domaine que
balise à présent la pragmatique " (1990 : 1). Ce qui peut soutenir les propos de
Maingueneau c'est l'intérêt que porte la linguistique actuelle à des questions comme :
comment un locuteur peut persuader son interlocuteur ?
Nous savons que cette question est essentielle dans les réflexions d’Aristote qui
rend cette force à deux sortes de preuves : celles indépendantes de l’art (la rhétorique)
et celles qui en dépendent (Aristote, 1991 : 82). Les preuves indépendantes (ou extra-
techniques, comme on a coutume de les appeler aujourd’hui) sont données
4
préalablement au moment de l’allocution. Ce sont des faits qui préexistent comme les
témoins, la torture…Quant aux preuves qui dépendent de l’art (on les appelle
techniques), elles sont fournies par l’orateur et sont de trois sortes : les unes résident
dans le caractère moral de l’orateur ; d’autres dans la disposition de l’auditoire ;
d’autres enfin dans le discours lui-même (Aristote, 1991 : 83). Ce sont respectivement
l’ethos, le pathos et le logos. Pour Aristote, l'ethos est le moyen le plus important
(Aristote, 1991 : 83).
Il revient à O. Ducrot de réintroduire cette notion dans les études linguistiques
et ce, dans le cadre de sa théorie polyphonique (1984), utilisée par la suite par D.
Maingueneau dans le cadre de l’analyse du discours (1991, 1996, 1998, 1999). Un des
résultats de cet intérêt réside dans l’ouvrage collectif intitulé : Image de soi dans le
discours (éd. R. Amossy, 1999).
Nous jugeons suffisant cette présentation
10
et nous devons maintenant présenter
le contexte du discours à étudier.
3- Le contexte du discours
Nous avons déjà dit que les livres d'histoire présentent la mort du Prophète
comme étant une catastrophe qui a pu tout changer. Lisons la description des
conséquences racontée par Ibn Isshaq : " quand le Prophète est mort, l'événement était
une catastrophe et on m'a dit que Aïsha (l'épouse du Prophète) a dit: après la mort du
Prophète, les Arabes
11
ont quitté l'Islam, les Juifs et les Chrétiens étaient contents,
l'hypocrisie s'est propagée et les Musulmans ont perdu l'espoir à cause de la mort de
leur prophète". (Abu Alquassem Alssuhaili, partie 4)
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Cette situation, difficile, exigeait une intervention rapide et sage. Omar Ibn AL-
Khattaab, qui etait considécomme un des hommes les plus forts à Médine, n'a pu ni
comprendre ni croire ce qui s'était passé. Ibn Isshaq a rapporté :
" Selon Alzahri : Saïd Ibn Almoussaibe m'a raconté qu'Abu Hourairah a dit :
quand le Prophète est mort, Omar a dit: Des hommes hypocrites prétendent que le
Prophète est mort. En effet, le prophète n'est pas mort, il est allé rencontrer Allah tel
Moïse qui s'était absenté, de son peuple, pour quarante jours et avait été considéré
comme mort, mais il est revenu. Je jure que le Prophète reviendra comme Moïs et qu'il
coupera les mains et les pieds des gens qui ont parlé de sa mort"
13
. Omar n'était pas le
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