Note sur l’histoire du Coran et sur son établissement
l’histoire de l’Islam, indépendamment en quelque sorte de son caractère révélé. Il y a dans
l’histoire du Coran une sorte de dialectique de la Parole et de l’Ecriture, qui donnera toujours à
la Tradition (orale) un rôle indispensable. La Parole commise primitivement au Prophète
demeurera toujours, malgré sa consignation par écrit, sinon dans cette consignation elle-même,
Parole. Il faut considérer pour cela le caractère nécessairement défectueux de l’écriture arabe.
Comme toutes les écritures sémitiques, l’écriture arabe est généralement démunie de voyelles
et même, à l’origine, de points diacritiques pour distinguer les consonnes dont la graphie est
identique. Le Coran aura donc toujours besoin, pour être entendu, d’être non pas lu, mais
réfléchi et en quelque sorte deviné, pour être ensuite récité, même intérieurement. La « lecture
» du Coran implique nécessaire une compréhension et déjà une interprétation [3]. C’est
l’origine de l’histoire non pas du texte, mais plus précisément des « lectures » coraniques
naturellement diverses selon les interprétations personnelles des lecteurs. C’est l’histoire des
chaînes de « témoins » coraniques, aussi importante en Islam que dans la succession
apostolique dans le Christianisme.
On comprendra selon ces diverses notations que l’on soit attaché dans la présente note, non
pas tant à l’histoire du Coran ni à sa description comme texte jusque dans sa forme actuelle,
mais à sa « réalisation » en quelque sorte par la communauté musulmane. Dans l’intention de
son auteur c’est l’intérêt principal des quelques données ici rassemblées à partir d’études
critiques diverses [4]. Ce sera comme la projection sur l’ensemble des siècles islamiques des
premiers jours de sa naissance. Cela voudrait être une ébauche anticipée de l’histoire de
l’Islam, selon le Coran, comme qui dirait selon son intention directrice.
I. Du vivant de Mahomet. Les corpus partiels
Le Prophète n’a dû rien écrire lui-même, mais « réciter » les révélations coraniques, qu’il a
peut-être dictées partiellement. Sa prédication-récitation a surtout été notée de mémoire par
des « huffâz » (pluriel de hâfiz, celui qui connaît le Coran par cœur), avant même qu’elle n’ait
été consignée par écrit par des « kuttâb » (pluriel de kâtib, calligraphe).
Mais quelle aurait été la raison première de cette primitive consignation littéraire ? C’est là que
l’on voit apparaître, dès l’origine donc, la raison communautaire et la valeur traditionnelle du
texte coranique qui ne sera jamais autre chose qu’un témoignage transmis de bouche en
bouche par les générations musulmanes. La première et principale raison des consignations
littéraires, sans doute partielles du vivant de Mahomet, est l’usage qui devait en être fait dans
les assemblées cultuelles du tout premier Islam. Le Prophète ummî (comme nous dirions «
l’Apôtre des Gentils ») apporte à son peuple le « Livre » dont ils étaient jusque-là privés. Ils
pourront en faire la lecture dans leurs réunions liturgiques tout comme les juifs et les chrétiens.
Des traditions multiples donnent une quarantaine de noms en fait de huffâz et de kuttâb.
Certains sont célèbres comme tels : Obayy b. Ka’b, Zaïd b. Thâbit, etc. D’autres conjuguent
leur autorité coranique avec celle qu’ils détiennent sur le plan même de la communauté. Cela
est encore typique de la conjonction Ecriture-Tradition que nous cherchons à mettre en relief ici.
Ce sont les premiers califes dit « biens guidés » (râshidûn), Abû Bakr, ‘Omar et ‘Ali, sans
parler d’ ‘Othmân dont il sera question tout à l’heure et que la Tradition présente comme le
martyr du Coran autant que le rassembleur de sa recension traditionnelle. ‘Othmân a été
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