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Colloque du 5 février 2013
« Penser et construire de nouveaux référentiels
pour concevoir les politiques économiques de demain »
Consommateurs, rêvons un peu
Le 5 février dernier, était organisé à Bercy, à l’initiative de M. Benoit Hamon, ministre de l’économie
sociale et solidaire et de la consommation, un colloque intitulé « Penser et construire de nouveaux
référentiels pour concevoir les politiques économiques de demain ». L’Institut de la Gestion Publique
et du Développement Economique, organisateur de cette rencontre, avait fait appel à des
professeurs d’université français et étrangers. L’AFOC était présente.
En introduction, Paul Jorion, professeur à l’université Vrije de Bruxelles, rappela quelques temps forts
de pensées alternatives aux pratiques usuelles du capitalisme. Ainsi, en 325, le concile de Nicée
énonça-t-il que le crédit à la consommation ne pouvait être pratiqué qu’à titre gratuit. Plus tard, au
XVI
è
siècle, le formateur Calvin dit : « on ne prête qu’aux riches, aux pauvres il faut donner ». La
Révolution française, qui fut source de bien des progrès, fut cependant une révolution bourgeoise
qui affirma, dans l’article 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme : « la propriété est un droit
inviolable et sacré ». S’opposant à cette idée, Proudhon estimait : « la propriété, c’est l’aubaine que
le propriétaire s’arroge ». Au XIX
è
siècle, différentes expériences d’économie alternative furent
menées, en application des thèses de Pierre-Joseph Proudhon, Robert Owen et Josiah Warren, en
France, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis : phalanstères, économie sans monnaie, cité idéale, etc.
Mais toutes se soldèrent par des échecs, d’où la question de savoir comment protéger ces dispositifs
altruistes contre la naïveté et les intérêts particuliers.
Pour une économie répondant aux besoins des individus
Animée par Philippe Frémeaux, éditorialiste à « Alternatives économiques », la première table-ronde
fut consacrée à la financiarisation croissante de l’économie et à la mondialisation des inégalités au
cours des trente dernières années. Elle permit aussi d’évoquer la délicate question des indicateurs de
richesses. Philippe Askenazy, directeur de recherche au CNRS, exposa les limites de la théorie du
ruissellement, qui prétend que la richesse ruisselant du haut vers le bas de la société est un
« booster » de la croissance. Porteuse de valeurs de long terme, de coopération, de limitation des
inégalités, l’économie sociale et solidaire peut constituer un outil de réparation des dommages
causés par le capitalisme financier, mais attention à ce qu’elle ne soit pas en même temps un
instrument de sa conservation. Pierre-Noël Giraud, professeur à l’Ecole des Mines de Paris et à
l’université Paris Dauphine, déplora ensuite l’indigence des indicateurs de mesure des inégalités et
mit l’accent sur le concept d’emploi nomade, qui renvoie à la différence de compétitivité d’un
individu selon le lieu il vit. Ainsi, un ingénieur indien formé à Stanford et revenant dans son pays,
aura un niveau de vie bien supérieur au même individu resté aux Etats-Unis. Malheureusement, les
modèles économiques fondés sur des données concrètes telles que celles-ci ne sont pas bien perçues
dans le milieu des économistes. Pourtant, il est évident que les emplois de l’économie sociale et
solidaire sont en grande partie non délocalisable, ce qui rend pertinente la distinction entre l’emploi
nomade et l’emploi sédentaire.
Le britannique Paul Seabright, professuer à l’université « School of economics » de Toulouse, revint
ensuite sur les pratiques des sociétés préhistoriques. Au sein des groupes de chasseurs-cueilleurs
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existaient-ils à la fois un esprit de compétition et un esprit de coopération, qui limitaient les abus de
pouvoir et les inégalités. Aujourd’hui demeurent les besoins de confiance dans l’interaction avec les
autres, de structures à taille humaine et de transparence par rapport au financement des projets. Un
des avantages de l’économie sociale et solidaire est la responsabilisation des acteurs. Dernière
intervenante de la table-ronde, Florence Jany-Catrice, professeure à l’université de Lille 1, insista sur
la nécessité de recenser nos richesses collectives de façon à définir nos besoins fondamentaux, les
objectifs qui en découlent et les indicateurs pertinents liés à ces objectifs. Ces référentiels devraient
être légitimés non seulement scientifiquement par des experts mais aussi plus largement par les
citoyens. Une réflexion reste à mener sur les ressorts de la consommation : les besoins doivent
l’emporter sur les considérations marketing. En outre, il est urgent de surveiller les patrimoines
sociaux et environnementaux que nous allons léguer aux générations futures.
L’exposé suivant, de l’américaine Rosabeth Moss Kanter, professeure à l’université de Harvard,
s’intitulait « l’entrepreunariat social, nouvelle frontière de l’ ‘empowerment’ (ou ‘pouvoir d’agir’ en
français) ». Il permit de mesurer l’écart entre les conceptions américaine et française de l’économie
sociale et solidaire. Certes, les exemples cités furent-ils très convaincants, comme par exemple la
création d’un modèle de manteau transformable en couverture pour les SDF et une exploitation de
cette innovation par les SDF eux-mêmes, mais il apparut de manière évidente que l’économie sociale
et solidaire restait aux Etats-Unis partie intégrante des circuits marchands tout en relevant
davantage de la bienfaisance plutôt que de la solidarité.
Des biens communs pour tous
L’italien Riccardo Petrella, professeur à l’Institut européen de recherche sur la politique de l’eau,
répondit ensuite à la question : « comment penser la gestion des biens communs pour tous ? »,
question qui intéresse tout particulièrement l’AFOC et les consommateurs. Pour lui, un bien commun
est « un bien ou une ressource insubstituable essentiel à la vie ensemble ». Ainsi l’eau, la
connaissance (mais pas le livre), l’alimentation (mais pas le pain) sont-ils des biens communs. La
précarisation, la marchandisation, la monétarisation et la « technologisation » de la vie volent à
l’humanité son futur. Il est urgent de remplacer ces dynamiques prédatrices par de nouveaux
objectifs : défendre l’intégrité de la vie et la sécurité collective au niveau mondial, proclamer
l’universalité du droit à la vie et fonder la richesse humaine sur la relation avec l’autre. Pour y
parvenir, trois propositions : faire sortir les biens communs du marc et réhabiliter la notion de
gratuité ; mettre hors-la-loi les facteurs de l’injustice prédatrice (il ne faut pas tant combattre la
pauvreté que limiter la richesse excessive qui est un piège pour la société) ; financer la gestion des
biens communs par le biais de l’épargne locale.
Au cours de la table-ronde de l’après-midi, une réflexion fut engagée sur la place possible pour une
économie plus sociale et solidaire. Pour Jean-Louis Laville, professeur au Conservatoire National des
Arts et Métiers, avec 35% de chômage en moyenne, les jeunes actifs sont une génération sacrifiée en
Europe. Alors que le mécanisme de la synergie entre progrès économique et progrès social que l’on
constatait pendant les Trente glorieuses s’est grippé, on assiste à une résurgence de l’économie
sociale et solidaire. Ses actions relèvent parfois d’une volonté de transformation de l’économie,
parfois d’une volonté de réparation et il existe une mosaïque hétérogène d’entreprises de
l’économie sociale et solidaire. Dans le contexte actuel, trois scénarios sont possibles :
· Premier scénario, la banalisation : les entreprises de l’économie sociale et solidaire se banalisent
et deviennent de simples sous-traitants des services publics.
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· Deuxième scénario : l’économie sociale et solidaire se confond purement et simplement avec le
« social business » (« l’entreprenariat social » en français) : ses entreprises s’allient avec les
grandes entreprises pour réparer les dégâts causés par ces dernières. La « responsabilité sociale
des entreprises » relève de cette approche. On s’attaque aux conséquences et pas aux causes. Le
débat est centré sur la lutte contre la pauvreté et non sur la lutte contre les inégalités.
· Troisième scénario, souhaitable, celui de l’économie plurielle : l’économie sociale et solidaire
forme un troisième pan de l’économie, au même titre que l’économie publique et l’économie
privée. Fondée sur la réciprocité, cette économie est ancrée dans les territoires et permet une
meilleure prise en compte des besoins des usagers.
Une économie plurielle
L’argentine Ruth Munoz, chercheure à l’ « Universidad Nacional de General Sarmiento », décrivit
ensuite la pratique de l’économie plurielle dans plusieurs pays d’Amérique latine : Argentine, Brésil,
Bolivie, Equateur, tous ces pays ont entrepris de mettre en place ce type d’économie, selon des
modalités diverses. Les points communs : la nature devient un sujet de droit, les initiatives locales
sont encouragées, les politiques publiques sont co-construites, les nationalisations ou les
expropriations d’entreprises privées ne sont pas taboues. Ces économies sont néanmoins
vulnérables et l’enjeu est de les ancrer dans la durée, par la création d’emplois, l’atteinte d’une taille
critique pour mieux maîtriser les technologies, l’accès à l’information et être ainsi en mesure de
mieux répondre aux besoins de la population sans être exposées aux changements politiques.
Revenant sur le cas de la France, Philippe Frémeaux développa ensuite l’importance de l’innovation
sociale, pour répondre aux défis des besoins sociaux actuellement mal pris en compte, dans les
domaines de la petite enfance, de l’éducation, des soins, du logement, des transports. Pour lui, de
nombreuses initiatives localisées existent, mais il conviendrait que les grands acteurs de l’économie
sociale et solidaire contribuent à les généraliser avec un pilotage fort des pouvoirs publics étatiques
et locaux. Gaël Giraud, chargé de recherche au CNRS, expliqua ensuite pourquoi il était pessimiste
quant aux conséquences des politiques d’austérité actuellement menées en Europe. Pour lui, une
relance pure et simple ne suffira pas cependant : il est indispensable de changer de paradigme
économique, passant par la transition énergétique, de nouvelles règles du jeu européennes
davantage fondées sur la coopération et la réhabilitation de la capacité relationnelle, faute de quoi
un scénario d’autoritarisme, voire de dictature ou de guerre pourrait se développer.
En conclusion, M. Benoit Hamon revint sur la place déjà conséquente de l’économie sociale et
solidaire en France, qu’il entend conforter à travers le projet de loi qui devrait être déposé dans le
courant du printemps. Le ministre estime qu’économie et démocratie font de moins en moins bon
ménage et qu’il est temps de remédier à cette situation. Avec la crise, les limites de la loi du marché
sont apparues au grand jour. Moins « court-termistes », plus prudentes, les entreprises de
l’économie sociale et solidaire ont mieux résisté que les autres. Il est urgent de passer à une
économie du sens et de la tempérance.
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