1 Petite mythologie des produits « bio ». Une analyse

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Petite mythologie des produits « bio ».
Une analyse ethnomarketing dans des points de vente Biocoop Béatrice SOMMIER
Enseignant-chercheur en Marketing, ESC Bretagne Brest
Laboratoire ICI, Université de Bretagne Occidentale
et Université Européenne de Bretagne, Brest
[email protected]
Max POULAIN
Maître de Conférences
IUT de Caen, Université de Caen-Basse Normandie (NIMEC)
[email protected]
Olivier BADOT
Professeur
ESCP Europe et Université de Caen-Basse Normandie (IAE/NIMEC)
[email protected]
1
Petite mythologie des produits « bio ».
Une analyse ethnomarketing dans des points de vente Biocoop Résumé
Cette analyse ethnomarketing cherche à décrypter la mythologie liée à l’offre « bio » et plus
marginalement à l’expérience de magasinage dans des points de vente Biocoop. Elle met au
jour trois principaux mythes : celui des effets thérapeutiques des produits alimentaires « bio »
par « magie sympathique », celui de la vie éternelle à travers le cru et le pourri et celui du
questionnement du sens de la vie. Cette mythologie, bien que partielle, confirme l’intérêt
d’appréhender l’offre « bio » et le point de vente comme un lieu doté de fonctions
symboliques empruntant aux mythes ancestraux, à la spiritualité et à la magie.
Mots-clé : Produits « bio », mythologie de la consommation, ethnomarketing, Biocoop
Small mythology of organic products.
An ethnographic marketing analysis in Biocoop stores
Abstract
This ethnographic marketing analysis aims to identify the mythology of organic products and
the shopping experiences in Biocoop Stores. Three major myths are revealed: the myth of the
medical effects magically produced by organic products, the myth or eternal life thanks to the
raw and the rotten and the myth of the questioning of the meaning of life. This small
mythology stresses how organic food and stores can have symbolic functions based on
ancient myths, spirituality and magic.
Key-words: Organic products, mythology of consumption, ethnographic marketing, Biocoop
2
Petite mythologie des produits « bio ».
Une analyse ethnomarketing dans des points de vente Biocoop
Introduction : contexte, objectifs et méthodologie
A) Contexte managérial et théorique de la recherche
Les consommateurs contemporains évoluent dans un contexte où deux types de crises les
inquiètent : les crises alimentaires et sanitaires (vache folle, grippe aviaire, substances
toxiques dans les aliments…) et la détérioration de l’environnement naturel (radioactivité,
réchauffement climatique, destruction de la biodiversité…) (Beck, 2001). Les inquiétudes
générées peuvent être intenses car ces crises plongent le consommateur occidental dans un
état d’incertitude peu compatible avec sa volonté de maîtrise (Beck, 2001 ; Descola, 2005) et
sa quête de bonheur individuel (de Singly, 2003). Ce contexte explique en partie
l’engouement des consommateurs pour le « bio » (Rémy 2004 ; Lamine 2008). En effet, les
achats de produits bio par le consommateur final ont augmenté en valeur de 19 % entre 2008
et 2009. Sur cette même période, les magasins bio en réseau — notamment le réseau Biocoop
qui se qualifie lui-même de « premier réseau de magasins bio en France » — ont vu leurs
ventes augmenter de 15 %1. Une question managériale se pose alors : comment des réseaux de
points de vente, des enseignes, formats de distribution frappés par une perte de confiance chez
les consommateurs (Filser, 2010b) peuvent-ils contribuer (du moins symboliquement) à les
rassurer quant à l’amélioration de leur vie personnelle ?
1
Voir Enquête AND-international/Agence Bio réalisée fin 2009-début 2010 auprès d’une centaine
d’acteurs de la distribution « bio » et de plus de 1500 transformateurs.
3
D’un point de vue théorique, les recherches qui ont porté sur les motivations, les
représentations, les achats et la consommation bio (Ouédraogo, 1998 ; Rémy, 2004 ; Lamine,
2008 ; Poulain, 2009) ont montré deux types de préoccupations associées à ces crises. Les
unes liées à la santé corporelle et au bien-être spirituel (inquiétudes individualistes) ; les
autres liées à l’environnement (préoccupations collectives). Mais ces recherches ont peu porté
sur la dimension mythologique2 de la consommation bio. Pourtant, Bidou (2004, p. 498)
souligne que « C’est dans ces moments de crise, quand la société est touchée, […] sa
réorganisation devenue urgente, que ressortent le mieux les aspects idéologiques et les enjeux
politiques des mythes ». Selon lui, tout moment de crise dans une société conduit la création
mythique à « réajuster ses images au nouvel environnement géographique, social ou
intellectuel dans lequel la société se trouve plongée » (Bidou 2004, p. 498). Il a donc paru
intéressant d’analyser comment la consommation bio peut venir aider les consommateurs à
réajuster leur mythologie à ce nouvel environnement dans lequel la société se trouve plongée
(Laburthe-Tolra et Warnier, 1993).
Pour Lévi-Strauss (1958, pp. 235-265 ; 1964), l’objet du mythe consiste à trouver un
intermédiaire entre deux oppositions (vie/mort ; nature/culture, etc.). C’est dans cette
perspective qu’il a semblé intéressant de se demander si l’ajustement mythologique
contemporain se situe au niveau de cette opposition fondamentale entre la vie et la mort, sousjacente aux crises sanitaires et environnementales.
B) Objectif de la recherche
Plus concrètement, dans la lignée des travaux de Badot (2005) et Filser (2010a) sur les
fonctions symboliques des points de vente, cette communication vise, par le recours à une
2
Dans le domaine de la consommation alimentaire non spécifiquement bio, c’est principalement
Cazes-Valette (2001) qui a mobilisé le registre des mythes, en l’occurrence un mythe biblique et un
mythe grec, mais sans que cela constitue véritablement le cœur de sa recherche.
4
approche ethnomarketing de tradition phénoménologique (Badot et Lemoine, 2008 ; Badot et
al., 2009) à décrypter la mythologie associée aux produits bio. Les mythologies étant « de
vastes systèmes de représentations » (Durkheim, 1912/2008, p. 17), ce sont essentiellement
les représentations des produits qu’ont les clients de cinq points de vente Biocoop qui ont été
étudiées dans cet article3. Mais les mythes étant réactualisés par les rites (Lombard, 2008),
leur expérience de magasinage dans les Biocoop sera également abordée. Cet objectif
s’inspire de la recherche de Arnold et al. (2001) visant à décrypter la mythologie de Wal-Mart
à travers l’analyse des prospectus.
C) Méthodologie
Participant
d’une
posture
phénoménologique,
cette
recherche
suit
un
protocole
ethnomarketing à la Spiggle (1994) en trois étapes.
La recherche a débuté par une phase d’observation multi-techniques (Bourgeon-Renault et al.,
2006) qui comprend : des sessions d’observation-participante en tant qu’employé4, en tant que
clients de cinq magasins Biocoop situés à Brest, à Paris et à Caen et en tant que compagnon
de courses de cinq clients précédemment recrutés et suivis dans leurs itinéraires de
magasinage (cf. annexe 1). Comme employé et clients nous avons observé de nombreuses
situations et conduit des entretiens informels avec le personnel et les clients5, ce qui a abouti à
l’écriture de cahiers de terrain. Le moindre fait et mot a été répertorié et décrit (Becker
2002, p. 131), chacun pouvant prendre de l’importance au moment de l’analyse et de
3
Cette communication est un des volets d’un programme de recherche plus large sur la consommation
de produits bio et ne porte que sur les clients d’un opérateur, l’enseigne Biocoop.
4
Un des co-auteurs a été embauché comme stagiaire dans une Biocoop à Brest durant une semaine du
mois de février 2010.
5
Comme l’explique Handman (2005, p. 29) : « Les entretiens informels sont constitués de toutes les
interactions possibles avec les informateurs […]. La prise de notes ou l’enregistrement sont parfois
possibles, parfois impossibles… En tout cas, le chercheur aura fait travailler sa mémoire pour la
rédaction du cahier ethnographique ». En conséquence, les paroles reprises entre guillemets dans le
corps de cet article peuvent tout aussi bien être issues de l’observation participante que des entretiens
informels.
5
l’interprétation. Comme compagnon de courses, nous avons enregistré les propos tenus
pendant le parcours de magasinage de nos informateurs et avons élaboré des fiches
d’observation participante individualisées mêlant à la fois les situations observées et les
échanges verbaux. Nous avons également collecté des produits, du matériel commercial et
marketing, et réalisé une ethnographie visuelle (prise de 71 photographies). L’observation a
été enrichie par la conduite de quinze entretiens semi-directifs avec des clients Biocoop de
Caen et Brest et de deux entretiens en profondeur avec les gérants des magasins Biocoop de
ces mêmes villes. Ces entretiens ont été enregistrés puis retranscrits dans leur intégralité (cf.
annexe 2)6.
A suivi une phase d’analyse des données par triangulation de l’analyse des cahiers de terrain,
de l’analyse de contenu des entretiens et de l’analyse sémiologique du matériel visuel et
sémantique du matériel commercial. Ce sont les cahiers de terrain qui ont constitué la base du
travail d’analyse. Le thème a été retenu comme unité de codage (Bardin, 1977). L’analyse des
cahiers de terrain a fait émerger 78 thèmes puis a été complétée par l’analyse de contenu des
entretiens qui a permis d’extraire 44 thèmes spécifiques en plus des thèmes issus des cahiers
de terrain. Enfin, l’analyse sémantique du matériel commercial et sémiologique des
photographies a conforté certains thèmes ayant émergé des deux analyses précédentes.
Cette phase d’analyse, bien que ne recourant pas à des apports théoriques (c’est l’objet de la
phase suivante dans le « paradigme de Spiggle », dite d’interprétation ou discussion
théorique) prend en compte trois perspectives d’analyse : la perspective marketing et
comportement du consommateur, la perspective ethnologique de la consommation et la
perspective plus anthropologique. Ces trois perspectives ont alors permis de passer du
6
Le terrain s’est déroulé dans l’enceinte des cinq magasins Biocoop et a porté sur des clients de ces magasins
Biocoop. Lorsqu’il est question de représentations associées aux produits, cela aurait pu nous conduire à
systématiquement parler des produits Biocoop. Nous avons néanmoins préféré parler la plupart du temps de
produits bio, car certains des clients observés et interrogés ne sont pas des clients exclusifs de Biocoop.
6
classement analogique des contenus en 122 (78 + 44) thèmes, à l’établissement de 16 grandes
catégories dont 4 seulement seront exploitées dans cet article avec certaines de leurs
déclinaisons. Ces catégories sont celles de la vie et de la mort et leurs déclinaisons
santé/maladie ; les catégories nature et culture et leurs déclinaisons cru/cuit, monde
naturel/monde spirituel/monde artificiel).
Une phase de discussion théorique des résultats (dite d’interprétation) par les cadres de la
socio-anthropologie (notamment de la consommation), de la recherche en comportement du
consommateur et en marketing a ensuite été menée.
La structure générale de cet article ne respecte pas la stricte progression du paradigme de
Spiggle (1994) à laquelle le processus de recherche réel a recouru, mais opte pour une
structure interprétative intégrant observations et analyses. Trois grands mythes sont apparus à
l’analyse du matériel, les deux premiers portant sur les produits bio et le troisième sur les
magasins Biocoop : le mythe des effets thérapeutiques des produits « bio » par « magie
sympathique » (M1), le mythe de la vie éternelle à travers le cru et le pourri (M2) et le mythe
du questionnement du sens de la vie (M3). Chacun des mythes fait l’objet d’une section. La
conclusion signale les limites et les prolongements possibles de la recherche ainsi que ses
implications managériales.
1. Le mythe des effets thérapeutiques des produits « bio » par « magie sympathique »
(M1)
Les associations des produits Biocoop à la santé sont légion de la part des clients et leurs
fonctions en la matière couvrent les trois registres du mot « santé » selon Lamine (2008) :
maintenir un état général de bonne santé, préserver de l’apparition de problèmes de santé et
guérir des maladies.
7
1.1. Le maintien d’un état général de bonne santé
Les produits Biocoop (notamment alimentaires) contribueraient, selon la clientèle, à maintenir
un état général de bonne santé. Comme le déclarait un client de 32 ans pendant ses courses :
« Tiens, je voulais du soja aussi, alors ça le soja… j’ai l’impression que c’est super bon pour
la santé, le soja » « ah ouais ? », et en se dirigeant vers le rayon en question : « je me sens
bien quand je bouffe du soja ». C’est également ce que disait cette autre cliente : « Dans mon
magasin bio, je me sens bien. Je cherche des informations sur les produits, je regarde les
emballages, les conseils, j’aime la revue Bio Contact […]. Il y a dans cette revue des articles
pour nous aider sur la santé au quotidien, cela m’aide à être mon propre médecin. Je trouve
par ailleurs que mon magasin bio est beau et énergétiquement ce lieu n’a rien à voir avec une
grande ou moyenne surface ».
1.2. La prévention de l’apparition de problèmes de santé
Les produits Biocoop aideraient aussi à prévenir l’apparition de problèmes de santé comme le
signale cette scène observée dans la Biocoop de Brest : arrivées à la caisse, deux petites filles
sont allées voir les bonbons vendus juste derrière la caisse. Elles ont voulu que leur père en
achète un, ce à quoi il a répondu : « Non, il y a suffisamment de cochonneries comme ça à la
maison ». Une des filles a rétorqué « c’est pas des cochonneries Papa, c’est du bio ». Or, le
terme « cochonnerie » — employé par une autre cliente pour qualifier les plats préparés
vendus en grande distribution — est communément utilisé pour désigner des aliments néfastes
pour l’équilibre alimentaire et la santé. Le cochon est traditionnellement considéré comme un
8
animal sale, se vautrant dans la boue (Fabre-Vassas, 1994)7. Et depuis les découvertes
scientifiques du XIXème siècle, comme le rappelle Douglas (1992, p. 55) : « il nous est
difficile […] de penser à la saleté sans évoquer aussitôt son caractère pathogène ». Autrement
dit, si le cochon est souillure (et donc cause potentielle de maladies), et si, dans les
représentations de ces enfants et probablement de leurs parents, le bio n’est pas cochonnerie,
alors manger bio, c’est en quelque sorte se prémunir des maladies.
Certains produits vendus à Biocoop peuvent même apparaître dans l’esprit des clients comme
potentiellement utiles pour lutter contre le cancer. Une cliente d’une trentaine d’années
suivies lors de ses courses a attrapé un pot de yaourt probiotique en expliquant : « ça c’est
mon compagnon et moi qui en mangeons des probiotiques, parce qu’il y a un peu plus de
bactéries, c’est bon pour la flore intestinale et pour les défenses immunitaires et il paraît que
c’est anti-cancérigène [rires] donc je sais pas, mais bon, on prend ça ». Le personnel de
Biocoop est d’ailleurs questionné parfois sur des problèmes de prévention médicale comme
ces clients dont nous parlait un gérant venus lui demander des conseils concernant la grippe A
et s’ils devaient ou non se faire vacciner.
1.3. La guérison d’une maladie
Enfin, les produits de chez Biocoop se voient investis du pouvoir de guérir des maladies. Cela
ressortait des propos de cette cliente de 66 ans lorsque nous lui demandions lors d’un
entretien informel pendant ses courses : « Et ça fait longtemps que vous vous intéressez
à… ? » « ça, ça dure depuis que j’ai eu un cancer, il y 6 ans [sourire] et puis, non, je dirais que
c’est depuis plus longtemps dans la mesure où effectivement j’ai une sœur cadette qui a eu un
7
C’est aussi cette « saleté » qui rend aux yeux des chrétiens la viande de porc grossière, dépourvue de
toute dimension sacrée, contrairement à l’agneau (Fabre-Vassas, 1994) et qui justifie pour certains
commentateurs de l’Ancien Testament comme Maïmonide qu’elle constitue un interdit alimentaire
pour les Juifs et les Musulmans (Douglas, 1992).
9
problème de santé aussi, le même, mais plus, plus aigu et donc elle, c’était 10 ans avant et
donc ça m’a permis de constater que (elle, c’était vraiment très aigu) au fond ça fait partie des
choses qui l’ont sauvée ».
1.4. La présence d’une variante des mythes amérindiens d’origine de la maladie : le mythe de
l’origine de la santé
La préoccupation des clients Biocoop pour la santé rappelle celle que Lévi-Strauss (1964)
analyse à partir des mythes amérindiens très fréquents dits « d’origine des maladies »,
autrement dit le versant négatif de la santé, la santé altérée. Dans ces mythes, « les maladies
surgissent comme un terme médiateur entre […] vie ici bas et mort au-delà » (1964, p. 70) (cf.
fig. 1). Bien plus, une équivalence est souvent établie entre la maladie et le poison qui lui
aussi « tue sans blesser » (1964, p. 263). Dans cette mythologie, certains éléments de la nature
sont associés à la maladie, d’autres à la guérison8.
Mythes amérindiens :
Vie--------------I------------Mort
Maladie
Figure 1. Médiateur dans les mythes amérindiens « d’origine des maladies ».
Selon les représentations des clients Biocoop, c’est la santé qui est envisagée comme
médiateur entre la vie et la mort (cf. fig. 2). Et si les plats préparés vendus en grande
distribution sont néfastes pour la santé, les produits bio, eux symbolisent la santé que ce soit
pour la préserver, la conserver ou la recouvrer. Ils apparaissent tel un antidote aux produits de
la grande distribution.
Variante mythique des clients Biocoop :
Vie------------I----------Mort
Santé
8
Par exemple, dans le mythe d’origine des maladies des Kayapo-Gorotiré, l’aigrette symbolise la maladie. Dans
les mythes iroquois, l’aigle a la vertu médicale de guérir (Lévi-Strauss, 1964, pp. 262-265).
10
Figure 2. Médiateur dans la variante mythique des clients Biocoop
Plus spécifiquement, la figure de la prestation de santé fournie par les produits des points de
vente Biocoop s’apparente à celle des médecines alternatives dites « holistes » (homéopathie,
acupuncture) (Eglem, 2006). Les effets attendus par les clients semblent relever du
pragmatique, de l’efficacité avérée à l’égard du corps d’autant qu’ils sont associés à
l’alimentation et présentent un caractère quasi-magique (Champion, 2000). La fréquentation
des points de vente Biocoop semble donc réactiver un processus proche de celui de la magie
dite « sympathique » (Frazer, 1900/1981) en cela que l’absorption de produits alimentaires
bio se trouve dotée de vertus hautement thérapeutiques (Fischler, 1990) : incorporer des
aliments symbolisant la santé suffit pour incarner plus largement la santé d’un être humain.
2. Le mythe de la vie éternelle à travers le cru et le pourri (M2)
Le développement de nouvelles thérapies médicales passant par l’alimentation (notamment
bio) nourrit, selon Champion (2000), le rêve conscient ou inconscient des occidentaux de
vivre éternellement (jeunes et bien portants). C’est le second mythe (celui de la vie éternelle)
relatif aux produits bio qui émerge de l’analyse du matériel collecté, mais associé à deux états
de l’alimentation : le cru et le pourri.
2.1. La vie c’est le cru !
11
Lorsqu’on écoute les clients de Biocoop parler de la manière dont ils préparent les aliments
qu’ils achètent, on constate une oscillation entre le cru et le cuit9. Certains considèrent que la
préservation de la santé et de la vie, passe par un équilibre dans la consommation de produits
crus et cuits : « Donc je prends 3 légumes chaque jour euh… je coupe, et puis… j’en fais
cuire la moitié, parce que la moitié des légumes, ça vous amène des fils hein. Cru ça vous
amène les sels minéraux, mais cuit, c’est plus le côté fibre du même légume, vous voyez ce
que je veux dire, et le, le le….comment dirais-je, ce qu’il y a d’intéressant, c’est que les fibres
c’est très bon pour le transit intestinal. Alors qui dit transit intestinal, dit ben ça empêche, ça
empêche, par exemple le cancer du colon des trucs comme ça. Donc il faut manger moitié
fruits, … moitié légumes cuits et moitié légumes crus, faut les 2 » expliquait un client (62
ans) tout en choisissant ses fruits et légumes.
Le cru et le frais sont indissociables et semblent symboliser tous deux la vie, comme en
témoigne cet échange informel avec une cliente de 66 ans prenant le temps au milieu de ses
courses de raconter la préparation d’un repas à base de choux de Bruxelles : « puis là j’avais
une recette […], de type asiatique […] on les mettait quand ils étaient un peu plus gros coupés
en deux, et puis, et puis au bout de 5 minutes simplement en les retournant dans un wok très
rapidement, du soja, on retourne encore 5 minutes, des noix, enfin il y avait des noix et des
choses comme ça et puis c’est fini, c’était déjà cuit. C’est-à-dire que ça a duré 7, 8 minutes.
Ils sont un petit peu fermes à cœur, […] c’est-à-dire que c’est pas cuit, ramolli, enfin c’est ça,
c’est encore un peu vivant [grand éclat de rires] enfin, faut pas exagérer [rires], mais c’est
vrai, c’est ce qui se passe en Chine, enfin, moi ce que j’ai trouvé extraordinaire, c’est que
effectivement, c’est toujours des choses très très fraîches. Je me souviens d’un chinois disant
qu’il était étonné que chez nous on ait des réfrigérateurs et qu’on garde les choses pendant des
jours, parce qu’il disait : vous mangez des choses qui sont plus vivantes ». De même, faisant
9
Précisons que cette analyse vaut surtout pour les fruits et les légumes qui sont les produits que toutes
les personnes rencontrées ont achetés et qui en outre bénéficient des taux de rotation les plus élevés.
12
tomber lors de ses courses une botte de navets qu’elle convoitait pour leur fraîcheur, elle s’est
exclamée : « des navets tellement vivants, tellement frais qu’ils se sauvent ». Autrement dit, il
ressort que pour cette interlocutrice, le « presque cru », « ferme à cœur » symbolise la vie et
s’oppose au « trop cuit », ramolli mais aussi au « pas frais » qu’elle associe à la mort : « c’est
pas la peine de stocker pour après manger un truc, comme je disais tout à l’heure, un truc
qu’est déjà mort ».
Comme l’analyse Lamine (2008), la crudité des aliments bio est associée à la santé, car ils
sont perçus comme plus faciles à digérer. En revanche, la cuisson est réservée aux aliments
non-bio qu’il s’agisse de la viande, des œufs ou encore des légumes qu’une informatrice dit
préparer en soupe, qui plus est mixée, comme pour mieux effacer tout dommage potentiel sur
la santé. Pour Lamine, « la cuisson est le principal mode de transformation qui rassure » face
aux produits non-bio (2008, p. 114)10.
2.2. L’« appel du pourri » … mais pas pour tous
Les différents niveaux d’analyse donnent à voir une ambivalence relative à la pourriture. En
effet, on note la présence de produits à la limite du pourri dans les casiers, de produits soldés
jusqu’à moins 30%. Il s’agit de fruits et légumes abîmés ou trop mûrs qui sont alors placés en
bout de rayon, de produits frais ou d’épicerie à la date de péremption imminente (cf. annexe
3). Cela témoigne aussi de la confiance que certains clients ressentent à l’égard de ces
produits qui n’auraient que peu le droit d’exister dans la distribution organisée
(hypermarchés, supermarchés, etc.).
10
Voir, sur ce thème, la 1ère Journée mondiale du cru qui a eu lieu le 10 octobre 2010. Elle avait pour
objectif de souligner, via des dégustations organisées dans différents endroits du monde, la dimension
« saine et vivante » de cette alimentation, composée pour beaucoup de légumes
(http://www.weltrohkosttag.de/francais.html).
13
L’analyse sémiologique d’une photo des fruits et légumes soldés (cf. annexe 3a) montre cette
ambivalence. Les produits fanés sont reconnus à part entière puisqu’un emplacement leur est
dédié, qui plus est à hauteur de main et qu’une affiche typographiée sur fond rose fluo les
rend visibles. Parallèlement, leur situation en bout de rayon, où les néons n’éclairent plus les
produits, et surtout leur proximité d’avec le balais, la pelle et la poubelle en font déjà presque
des déchets.
Certains clients s’approprient ces produits abîmés ou presque pourris dans un souci de
préservation de la nature car ils les considèrent comme exempts des stigmates des risques liés
à l’industrialisme agro-alimentaire. Certes l’achat de ces produits peut s’expliquer par la
réduction de prix, mais la raison de leur vente et de leur achat est aussi la lutte contre le
gaspillage, autre manière de préserver l’environnement. Les employés comme le journal des
cinq Biocoop du Finistère11 insistent sur « le grand gâchis alimentaire des pays développés »
qui gaspillent jusqu’à 40 % de l’alimentation disponible. De même, pendant la phase
d’observation participante comme employé, quand le chef du rayon fruits et légumes a
demandé à la spécialiste des animations culinaires une recette de confiture de bananes, c’était
dans l’objectif d’utiliser les bananes noircies devenues nombreuses dans le cageot des fruits et
légumes soldés.
Cependant, la relation des clients avec le trop mûr et le presque pourri n’est pas toujours
positive. Si certains clients en achètent par intérêt économique, sociétal ou symbolique,
d’autres n’en achètent pas et les dénoncent même comme en témoignent certaines plaintes et
retours. Il peut s’agir de cuisses de poulet qui « ne sentent pas bon » ou d’oranges qui ont
pourri trop vite, selon cette cliente de 66 ans expliquant au début de son parcours de courses :
« Bon alors, voyez pour commencer [montrant un sachet Biocoop un peu déchiré qu’elle
tenait dans la main], je vais aller voir parce que j’ai acheté la semaine dernière des oranges
11
Le petit canard dans le bain, printemps 2010, journal du groupement Finisterra Biocoop.
14
pour faire de la marmelade, de la confiture d’orange, et puis ben euh…, elles étaient pas très
chères, mais y’en a quand même, attendez, combien ? [regardant dans son sachet] 2, 3, 4, 5, 6,
6 qui étaient pourries au bout de 3 jours […] ». Elle ouvre son sachet pour montrer les
oranges pourries à une employée qui s’est exclamée : « Ben, moi j’ai les mêmes à la maison
et… ». La cliente répond : « donc les miennes on leur a jeté un sort ». Autrement dit, cette
cliente, sensible au frais et aimant consommer cru rejette la pourriture y compris lorsqu’il
s’agit de préparer un aliment cuit. La marmelade ne peut se faire par « l’appel de l’orange
pourrie » pour paraphraser Lévi-Strauss (1964).
Autrement dit, les produits et les expériences de magasinage chez Biocoop renvoient à une
représentation où le trop mûr, le fané, voire le presque pourri, se situent entre la nature dans
une dimension positive et pérenne (puisque vendre ou consommer ce type de produits
participe de la préservation de cette nature, notamment, via la réduction du gaspillage) et la
culture dès lors que, faire la cuisine, c’est « entendre l’appel du bois pourri » selon LéviStrauss (1964, p. 159)12.
2.3. Une inversion des mythes amérindiens
Cette oscillation entre le cru et le cuit et leur relation à la vie et à la mort exprimée par nos
informateurs rappelle de nouveau l’analyse faite par Lévi-Strauss (1964) à partir de mythes
amérindiens où trois éléments interviennent relevant de la qualité sensible des aliments : le
cuit, le cru, le pourri, ce qui permettra à Lévi-Strauss (1965) de parler par la suite de « triangle
culinaire » universel. Dans Le cru et le cuit (1964), il démontre que dans la pensée indigène,
le cuit est un intermédiaire entre la vie et la mort, tandis que le pourri est généralement
associé à la mort (cf. fig. 3).
12
Selon Lévi-Strauss (1964), chez les Amérindiens, pour atteindre la culture, via la cuisine, il faut
avoir recours à un élément très naturel, la pourriture. En effet, seul le bois mort est autorisé car
recourir à du bois vif revient à une forme de cannibalisme envers le monde végétal.
15
Mythes amérindiens :
Vie ---------I------------I------------I-------Mort
Cuit
Cru
Pourri
Figure 3. Echelle « cuit, cru, pourri » dans les mythes amérindiens
adaptée de Lévi-Strauss (1964)
L’analyse du cas Biocoop conduit à une inversion de cette représentation (cf. fig. 4) puisque
le cru ou le frais semblent davantage assimilés à la vie que le cuit. Le pourri semble
également appartenir à la mythologie vitale du bio en cela qu’il renforce la figure des produits
exempts de tous composants chimiques (conservateurs, p. ex.), considérés comme la cause
des maladies comme le cancer. En cela, les clients Biocoop se rapprochent des Havik (Inde)
dont Douglas (1992) rapporte qu’ils « distinguent les aliments cuits, qui sont conducteurs de
pollution, des aliments crus qui ne la transmettent pas ».
Mythe inversé clients Biocoop :
Vie---------I------------I----------Mort
Cru
Pourri
Cuit
Figure 4. Echelle « cru, pourri, cuit » dans les magasins Biocoop
En résumé, les produits Biocoop, parce que bio, seraient destinés à être prioritairement
consommés crus, voire presque pourris, par opposition aux produits non-bio (qu’il faut cuire
pour en neutraliser les composantes chimiques), et de la sorte ils contribueraient — par
l’intermédiaire d’une inversion mythique plaçant le cru du côté de la vie — à maintenir la vie
individuelle.
3. Le mythe du questionnement du sens de la vie (M3)
16
Le troisième mythe induit par l’analyse du matériel est celui du questionnement du sens de la
vie. Contrairement aux précédents, ce mythe est davantage lié à l’enseigne et aux magasins
Biocoop observés qu’aux produits bio eux-mêmes, et semble se traduire par une volonté de
détachement des éléments superficiels afin d’opérer une sorte de « recentrage du soi13 vers
l’essentiel » et par une recherche de « spiritualité » dans la vie quotidienne (Champion, 1993)
et notamment, à travers la consommation (Desjeux, 2003).
3.1. Le « recentrage du soi vers l’essentiel »
Si le « recentrage du soi vers l’essentiel » apparaît dans les lieux (verbatim des clients et du
personnel, iconographie, discours de l’enseigne, etc.) principalement à travers trois
éléments que sont la vie, la nature et la relation avec les autres, il se traduit surtout par une
définition en contrepoint : la mise à distance de la « sur-matérialité » représentée par les
chaînes de la distribution dite organisée (hypermarchés, supermarchés, grands magasins,
notamment). C’est ce que signale ce client quand il parle des Biocoop : « Je pense également
que ces types de magasins ne sont pas des hauts lieux de consommation à tort et à travers, il
n’y a pas de futilité, les étalages sont souvent sommaires, tout ce qui est vendu est utile et on a
le sentiment que c’est la nature qui approvisionne les rayons et pas l’industrie. Ce ne sont pas
des magasins « tape à l’œil » avec des vendeurs comme dans la plupart des magasins. Par
ailleurs il se dégage souvent de ces lieux un sentiment de sérénité, les clients sont calmes et
les gérants aussi ».
Les points de vente Biocoop semblent gommer les symboles de la « fétichisation de la
marchandise » (Marx, 1872/2003) pour se concentrer sur une essentialité symbolique et
d’usage traduite par des éléments de base : du bois, du métal, de l’osier, du carton, peu de
couleurs, des produits « bruts », etc. Les codes sont si différents du commerce usuel que le
13
Au sens de Belk (1988).
17
mot même de magasin semble inapproprié : « mon magasin bio n’est même pas un vrai
magasin, les rayonnages sont faits avec des planches en bois qui plient au milieu. Cela me
détend car les légumes ne sont pas normés, ni les produits et ni les vendeurs. Il y a des
ruptures de stock et des gens pas pressés d’essayer de me vendre des choses dont je n’ai pas
besoin ». Dans le même ordre d’idée, un autre client énonce lors d’un entretien semi-directif :
« j’aime les produits les moins travaillés possibles. Ils me donnent un sentiment de naturel,
d’authenticité et de détachement. Chez Carrefour aussi ils vendent des produits bio mais je ne
trouve pas cela naturel ni dans le magasin Biocoop de Saint Malo qui est implanté dans une
zone commerciale avec des rayonnages tout neufs ».
Les représentations associées aux produits et l’expérience de magasinage dans les Biocoop
observées semblent aussi permettre un « ré-ancrage endotique » au sens de Cova et Cova
(2001) : « pour moi les produits bio incarnent le retour à des valeurs plus saines, à des valeurs
vraies, retrouver le goût réel des choses. Pour moi ne pas être dans le faux c’est déjà être dans
l’authentique. Consommer des produits bio c’est vivre plus au rythme de la nature, c’est
respecter les cycles de la nature et c’est ne pas oublier le lien qui existe entre l’horloge de
l’homme et celle de la nature ».
3.2. La recherche de « spiritualité » à travers la consommation
En plus d’un recentrage sur l’essentiel, l’achat de produits bio semble jouer un rôle de passeur
permettant au consommateur, au travers de la consommation de ce type de produits, d’accéder
à des expériences consistant à rechercher des formes de « spiritualité ». La notion de
« spiritualité » apparaît même expressément dans les verbatims des clients : « manger
sainement est une aide pour une démarche spirituelle et notamment pour accéder à un niveau
de conscience plus élevé tout comme la lecture d’ailleurs » ; « c’est dans cette dimension de
respect de la nature que nous pouvons établir un lien avec le spirituel. Mais au-dessus des
18
produits bio, il y aussi des concepts comme la biodynamique qui replace l’homme au même
rythme que la nature et nous invite à réfléchir à la manière dont nous pouvons vivre en
partageant l’univers. Globalement, consommer des produits bio m’aide à progresser sur un
chemin vers plus de spiritualité » ; « à partir du moment où au travers de ce que l’on
consomme on cherche à enlever les toxines de son corps, si celui-ci est moins pollué on peut
devenir réceptif à autre chose. […] Je pense aussi aux pratiquants du yoga quand je dis cela ».
A l’instar d’autres cas dans la distribution (Belk et al., 1989 ; Zepp, 1986 ; Hetzel, 2002 ;
Andrieu et al., 2004) et des analyses de DeChant (2002) et de Desjeux (2003), la
consommation de produits bio et l’expérience de magasinage dans les magasins Biocoop
semblent emprunte d’une dimension spirituelle pour une partie des consommateurs. Ils
semblent trouver là un moyen d’initier une démarche de transformation de soi autour de la
question du sens de la vie et de l’expérience spirituelle (Fromaget, 1998).
Conclusion
A) Synthèse de la recherche
Cette recherche inspirée par les travaux de Arnold et al. (2001) et orientée vers l’analyse des
représentations associées à l’offre « bio » et plus marginalement de l’expérience de
magasinage dans cinq points de vente Biocoop a mis au jour trois principaux mythes :
— celui des effets thérapeutiques des produits « bio » par « magie sympathique » (M1) ;
— celui de la vie éternelle à travers le cru et le pourri qui concernent les produits
bio (M2) ;
— enfin celui du questionnement du sens de la vie (M3) qui porte davantage sur les
magasins et l’enseigne Biocoop.
19
Ces trois mythes correspondent aux ajustements que les clients Biocoop semblent « bricoler »
pour faire face aux crises alimentaires, sanitaires et environnementales. Ils semblent viser à
repenser l’intermédiaire entre la vie et la mort, qu’il s’agisse de mettre en avant la santé plutôt
que la maladie, de valoriser le cru sur le cuit ou de rechercher l’authenticité et la spiritualité.
Bien plus, l’objet des mythes étant de « fournir un modèle logique pour résoudre une
contradiction » (Lévi-Strauss, 1958, p. 264), l’analyse de ces trois mythes permet de formuler
la piste d’interprétation suivante : les produits Biocoop, a fortiori mangés crus, permettraient
d’améliorer la santé et donc de prolonger la vie du corps humain jusqu’à atteindre la
spiritualité.
Cette petite mythologie, bien que partielle et de portée limitée propre à l’ethnographie
(Pettigrew, 2000) et à l’ethnomarketing (Badot et Lemoine, 2008), confirme l’intérêt
d’appréhender le point de vente comme un lieu de fonctions symboliques (Filser, 2010a)
empruntant aux mythes ancestraux (Heilbrunn, 2003), à la spiritualité (Poulain, 2009) ou à la
magie (Badot, 2005). En outre, contrairement aux travaux antérieurs sur les représentations
des produits bio (Ouédraogo, 1998 ; Rémy, 2004 ; Lamine,
2008) où celles-ci étaient
juxtaposées et dissociées dans l’analyse, le recours à la dimension mythologique permet
d’articuler les représentations en un système logique (Lévi-Strauss, 1958), visant à rendre le
monde des consommateurs inquiets, plus cohérent et par là même plus rassurant.
B) Limites de la recherche
Malgré l’interrogation de clients et de membres du personnel des magasins et le recours à
l’observation, le protocole d’analyse et d’interprétation de cette recherche, à caractère
ethnomarketing relève surtout d’une démarche unidirectionnelle, c’est-à-dire produite par les
seuls chercheurs et de leur propre introspection (comme l’énoncent McQuarrie et Mick,
1999). Sa validation externe est donc limitée et une telle approche risque de présenter une
20
limite d’importance : le risque de sur-interprétation (Miller, 1998, p. 36) défini comme « un
excès d’étonnement », une propension excessive à traiter comme significatifs des éléments
pouvant n’être que fortuits (Lahire, 2005).
Une autre limite vient du fait que la place que tient l’enseigne (Biocoop) et son
positionnement lui-même porteur d’une mythologie n’ont que peu été analysés. On ne sait pas
en quoi les mythologies induites des représentations des produits bio et des expériences de
magasinage dans des points de vente d’autres enseignes seraient différentes ou semblables à
celle chez Biocoop.
C) Implications managériales
La mythologie entourant les produits bio et l’expérience de magasinage dans les points de
vente Biocoop analysés dit combien ce type d’expérience est associé à une dimension
thérapeutique tant pour le corps (à travers les produits bio, crus et presque pourris) que pour
l’esprit. Cette mythologie semble s’inscrire en contrepoint d’une mythologie industrialiste de
la distribution organisée (Moati, 2001). Il en ressort deux principales implications
managériales. Tout d’abord, éviter toute forme de standardisation des codes de la chaîne de
magasins du fait d’une expansion potentielle (compte-tenu du caractère porteur du courant) et
d’une tendance à l’intégration corrélée à la multiplication des points de vente (Koenig, 1996).
Deuxièmement, renforcer l’ancrage mythologique décrypté par une accentuation des codes du
cru (parrainer, par exemple, la Journée mondiale du cru), et sans doute, à l’instar de la chaîne
américaine WholeFoods Market, par le développement d’une offre-santé à la croisée de
l’alimentation, des médecines traditionnelles (à base de racines, de plantes médicinales) et des
rituels médicalo-spirituels ancestraux (Eglem, 2006).
21
D) Voies futures de recherche
Les voies de recherche suivantes pourraient représenter un agenda raisonnable pour compléter
cette recherche exploratoire. Etudier, selon le même type de protocole, les représentations et
les expériences de magasinage dans d’autres enseignes bio afin d’analyser la place du
positionnement de l’enseigne dans la mythologie décryptée. Tester selon un protocole plus
déductif (dans l’esprit de l’échelle de l’« authenticité perçue » de Camus, 2004) une échelle
de la « médicalité perçue », notamment en comparant les produits bio dans ce type de points
de vente à ceux dans des points de vente plus classiques de la distribution organisée et à des
produits non-bio à allégation médicale (comme les produits Danacol par exemple).
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***
Annexes
Annexe 1 : profil des clients suivis dans leur expérience de magasinage, Biocoop Brest
Informateurs
Sexe
Age
Profession
Statut
matrimonial
Client 1
Femme
Client 2
Femme
Client 3
Femme
Femme au
foyer
Employée
mi-temps
Retraitée
Client 4
Homme
mariée,
2 enfants
en couple,
2 enfants
mariée,
3 enfants
marié
Client 5
Homme
70
ans
30
ans
66
ans
62
ans
32
ans
Chercheur
Enseignantchercheur
célibataire
Fréquence
de visite du
magasin
régulière
Type
consommateur
bio
totale
régulière
partielle
régulière
partielle
régulière
total
occasionnelle
partiel
Annexe 2 : profil des clients des entretiens semi-directifs Biocoop Brest et Caen
Informateurs
Sexe
Age
Profession
Statut
matrimonial
Client 1
Femme
Vendeuse
en couple
Client 2
Homme
25
ans
32
Fréquence
Type
de visite du consommateur
magasin
bio
occasionnelle
partielle
Enseignant-
célibataire
occasionnelle
25
partiel
Client 3
Homme
Client 4
Femme
Client 5
Homme
Client 6
Femme
Client 7
Homme
Client 8
Femme
Client 9
Femme
Client 10
Homme
Client 11
Femme
Client 12
Homme
Client 13
Femme
Client 14
Femme
Client 15
Femme
ans
52
ans
42
ans
54
ans
41
ans
50
ans
43
ans
43
ans
40
ans
50
ans
42
ans
42
ans
39
ans
48
ans
chercheur
Formateur
divorcé
occasionnelle
partiel
Comptable
divorcée
occasionnelle
partielle
Dirigeant
célibataire
régulière
partiel
Contrôleur
de gestion
Cadre
administratif
Agent de
maîtrise
Assistante
mariée
régulière
totale
marié
régulière
totale
mariée
régulière
partielle
divorcée
occasionnelle
partielle
marié
régulière
totale
mariée
régulière
partielle
divorcé
occasionnelle
partiel
mariée
occasionnelle
partielle
mariée
régulière
totale
divorcée
régulière
totale
Cadre
dirigeant
Sage femme
Agent
artistique
Femme au
foyer
Cadre
administratif
Chef de
Projet
26
Annexe 3 : les produits soldés
Annexe 3a : les fruits et légumes soldés
27
Annexe 3b : les produits frais soldés
28
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