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Petite mythologie des produits « bio ».
Une analyse ethnomarketing dans des points de vente Biocoop!
Béatrice SOMMIER
Enseignant-chercheur en Marketing, ESC Bretagne Brest
Laboratoire ICI, Université de Bretagne Occidentale
et Université Européenne de Bretagne, Brest
Max POULAIN
Maître de Conférences
IUT de Caen, Université de Caen-Basse Normandie (NIMEC)
Olivier BADOT
Professeur
ESCP Europe et Université de Caen-Basse Normandie (IAE/NIMEC)
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Petite mythologie des produits « bio ».
Une analyse ethnomarketing dans des points de vente Biocoop!
Résumé
Cette analyse ethnomarketing cherche à décrypter la mythologie liée à l’offre « bio » et plus
marginalement à l’expérience de magasinage dans des points de vente Biocoop. Elle met au
jour trois principaux mythes : celui des effets thérapeutiques des produits alimentaires « bio »
par « magie sympathique », celui de la vie éternelle à travers le cru et le pourri et celui du
questionnement du sens de la vie. Cette mythologie, bien que partielle, confirme l’intérêt
d’appréhender l’offre « bio » et le point de vente comme un lieu doté de fonctions
symboliques empruntant aux mythes ancestraux, à la spiritualité et à la magie.
Mots-clé : Produits « bio », mythologie de la consommation, ethnomarketing, Biocoop
Small mythology of organic products.
An ethnographic marketing analysis in Biocoop stores
Abstract
This ethnographic marketing analysis aims to identify the mythology of organic products and
the shopping experiences in Biocoop Stores. Three major myths are revealed: the myth of the
medical effects magically produced by organic products, the myth or eternal life thanks to the
raw and the rotten and the myth of the questioning of the meaning of life. This small
mythology stresses how organic food and stores can have symbolic functions based on
ancient myths, spirituality and magic.
Key-words: Organic products, mythology of consumption, ethnographic marketing, Biocoop
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Petite mythologie des produits « bio ».
Une analyse ethnomarketing dans des points de vente Biocoop
Introduction : contexte, objectifs et méthodologie
A) Contexte managérial et théorique de la recherche
Les consommateurs contemporains évoluent dans un contexte deux types de crises les
inquiètent : les crises alimentaires et sanitaires (vache folle, grippe aviaire, substances
toxiques dans les aliments…) et la détérioration de l’environnement naturel (radioactivité,
réchauffement climatique, destruction de la biodiversité…) (Beck, 2001). Les inquiétudes
générées peuvent être intenses car ces crises plongent le consommateur occidental dans un
état d’incertitude peu compatible avec sa volonté de maîtrise (Beck, 2001 ; Descola, 2005) et
sa quête de bonheur individuel (de Singly, 2003). Ce contexte explique en partie
l’engouement des consommateurs pour le « bio » (Rémy 2004 ; Lamine 2008). En effet, les
achats de produits bio par le consommateur final ont augmenté en valeur de 19 % entre 2008
et 2009. Sur cette même période, les magasins bio en réseau — notamment le réseau Biocoop
qui se qualifie lui-même de « premier réseau de magasins bio en France » ont vu leurs
ventes augmenter de 15 %1. Une question managériale se pose alors : comment des réseaux de
points de vente, des enseignes, formats de distribution frappés par une perte de confiance chez
les consommateurs (Filser, 2010b) peuvent-ils contribuer (du moins symboliquement) à les
rassurer quant à l’amélioration de leur vie personnelle ?
1 Voir Enquête AND-international/Agence Bio réalisée fin 2009-début 2010 auprès d’une centaine
d’acteurs de la distribution « bio » et de plus de 1500 transformateurs.
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D’un point de vue théorique, les recherches qui ont porté sur les motivations, les
représentations, les achats et la consommation bio (Ouédraogo, 1998 ; Rémy, 2004 ; Lamine,
2008 ; Poulain, 2009) ont montré deux types de préoccupations associées à ces crises. Les
unes liées à la santé corporelle et au bien-être spirituel (inquiétudes individualistes) ; les
autres liées à l’environnement (préoccupations collectives). Mais ces recherches ont peu porté
sur la dimension mythologique2 de la consommation bio. Pourtant, Bidou (2004, p. 498)
souligne que « C’est dans ces moments de crise, quand la société est touchée, […] sa
réorganisation devenue urgente, que ressortent le mieux les aspects idéologiques et les enjeux
politiques des mythes ». Selon lui, tout moment de crise dans une société conduit la création
mythique à « réajuster ses images au nouvel environnement géographique, social ou
intellectuel dans lequel la société se trouve plongée » (Bidou 2004, p. 498). Il a donc paru
intéressant d’analyser comment la consommation bio peut venir aider les consommateurs à
réajuster leur mythologie à ce nouvel environnement dans lequel la société se trouve plongée
(Laburthe-Tolra et Warnier, 1993).
Pour Lévi-Strauss (1958, pp. 235-265 ; 1964), l’objet du mythe consiste à trouver un
intermédiaire entre deux oppositions (vie/mort ; nature/culture, etc.). C’est dans cette
perspective qu’il a semblé intéressant de se demander si l’ajustement mythologique
contemporain se situe au niveau de cette opposition fondamentale entre la vie et la mort, sous-
jacente aux crises sanitaires et environnementales.
B) Objectif de la recherche
Plus concrètement, dans la lignée des travaux de Badot (2005) et Filser (2010a) sur les
fonctions symboliques des points de vente, cette communication vise, par le recours à une
2 Dans le domaine de la consommation alimentaire non spécifiquement bio, c’est principalement
Cazes-Valette (2001) qui a mobilile registre des mythes, en l’occurrence un mythe biblique et un
mythe grec, mais sans que cela constitue véritablement le cœur de sa recherche.
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approche ethnomarketing de tradition phénoménologique (Badot et Lemoine, 2008 ; Badot et
al., 2009) à décrypter la mythologie associée aux produits bio. Les mythologies étant « de
vastes systèmes de représentations » (Durkheim, 1912/2008, p. 17), ce sont essentiellement
les représentations des produits qu’ont les clients de cinq points de vente Biocoop qui ont été
étudiées dans cet article3. Mais les mythes étant réactualisés par les rites (Lombard, 2008),
leur expérience de magasinage dans les Biocoop sera également abordée. Cet objectif
s’inspire de la recherche de Arnold et al. (2001) visant à décrypter la mythologie de Wal-Mart
à travers l’analyse des prospectus.
C) Méthodologie
Participant d’une posture phénoménologique, cette recherche suit un protocole
ethnomarketing à la Spiggle (1994) en trois étapes.
La recherche a débuté par une phase d’observation multi-techniques (Bourgeon-Renault et al.,
2006) qui comprend : des sessions d’observation-participante en tant qu’employé4, en tant que
clients de cinq magasins Biocoop situés à Brest, à Paris et à Caen et en tant que compagnon
de courses de cinq clients précédemment recrutés et suivis dans leurs itinéraires de
magasinage (cf. annexe 1). Comme employé et clients nous avons observé de nombreuses
situations et conduit des entretiens informels avec le personnel et les clients5, ce qui a abouti à
l’écriture de cahiers de terrain. Le moindre fait et mot a é répertorié et décrit (Becker
2002, p. 131), chacun pouvant prendre de l’importance au moment de l’analyse et de
3 Cette communication est un des volets d’un programme de recherche plus large sur la consommation
de produits bio et ne porte que sur les clients d’un opérateur, l’enseigne Biocoop.
4 Un des co-auteurs a été embauché comme stagiaire dans une Biocoop à Brest durant une semaine du
mois de février 2010.
5 Comme l’explique Handman (2005, p. 29) : « Les entretiens informels sont constitués de toutes les
interactions possibles avec les informateurs […]. La prise de notes ou l’enregistrement sont parfois
possibles, parfois impossibles… En tout cas, le chercheur aura fait travailler sa mémoire pour la
rédaction du cahier ethnographique ». En conséquence, les paroles reprises entre guillemets dans le
corps de cet article peuvent tout aussi bien être issues de l’observation participante que des entretiens
informels.
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