Le cercle des curés disparus
Avec le film El Club, qui sort sur les écrans français ce mercredi, Pablo Larraín ouvre un
nouveau cycle. Dans ses trois films précédents, le cinéaste chilien explorait l'histoire de la
dictature militaire, du glaçant Tony Manero en passant par Santiago post-mortem (racontant
l'autopsie des corps des suppliciés de la dictature et celui de l'ancien président Salvador
Allende) et la chute formelle du régime de Pinochet scellée par le « No » au référendum de
1988, qui ouvrit la voie à la transition démocratique. Avec ce nouveau film, Pablo Larraín gratte
toujours sous le vernis de la société chilienne et brosse les portraits des membres d'un club très
fermé de religieux en rupture de ban, dans un village de pêcheurs isolé de la côte Pacifique.
«Mon père, ici nous menons une vie sainte» répond d'une voix tellement égale et douce qu'elle
finit par en être inquiétante, la seule femme du film aux questions de l'inquisiteur, le père
Garcia. Ce « beau » prêtre, c'est ainsi qu'il est présenté à nos personnages, arrive dans une
maison où vivent quatre hommes, une femme et un lévrier de course, pour faire la lumière sur
la mort brutale de l'un des occupants de la maison.
Le film, récompensé par l'Ours d'argent au dernier festival de Berlin, avance à mesure de
l'enquête du père Garcia, comme un thriller. On découvre avec le jeune prêtre le passé trouble
de chacun des occupants de la maison : homosexualité, trafic de bébés voire avortements
clandestins, crimes de la dictature pour l'aumônier militaire, pédophilie, etc. Le père Garcia, qui
représente l'Eglise moderne et «propre», est chargé par sa hiérarchie d'enquêter sur la mort
d'un pensionnaire mais surtout de liquider, au sens figuré, cette maison de pénitence ou retraite
pour prêtres déviants.
Au début du film, le père Garcia a le visage sévère et sans état d'âme du liquidateur. Peu à peu
le flou et le trouble qui caractérisent les autres personnages le gagnent lui aussi. Quand ils
n'apparaissent pas à contre-jour voire dans une demi-pénombre, les personnages semblent
filmés derrière un léger voile. Troubles comme leur passé. L'image du père Garcia perd de sa
netteté, comme s'il succombait à l'atmosphère de la maison.
Le film est tourné dans un petit village de pêcheurs dans le centre du Chili, La Boca, sorte de
«bouche» d'un enfer glacé : mer rageuse et grise, sable noir, paysages noyés dans la brume ou
dans la poussière d'eau. La palette des couleurs est froide : des gris et beige, le jaune sale de
la maison, sable mouillé. « On a tourné tôt le matin ou en fin de journée, au crépuscule,
uniquement en lumières naturelles » explique le réalisateur. Une atmosphère glaçante que
renforce la musique, airs sacrés de Bach ou Arvo Pärt.
Châtiment et rédemption
«Agneaux de Dieu» égarés, les personnages sont interprétés par des acteurs remarquables
dont deux au moins travaillent surtout au théâtre : Alfredo Castro, complice de tous les films de
Pablo Larraín, et Roberto Farías. L'irruption du personnage de ce dernier, Sandokan , mi-