Eléments documentaires

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I Les Chrétiens d’Orient : Une communauté éparpillée.
Par le Recteur Gérard-François Dumont, Professeur à l'Université de Paris-Sorbonne, Président de la revue Population & Avenir.
www.diploweb.com
Dès les premiers temps de l’évangélisation, les chrétiens se sont répandus en Mésopotamie, dans la
péninsule arabique, sur les rives du Nil et les bords de la Méditerranée. La présence du christianisme y est
bien antérieure à celle de l’islam, né au VIIe siècle.
On estime aujourd’hui à 11 millions le nombre de chrétiens présents au Proche-Orient, mais il est difficile
d’évaluer avec précision leur nombre, à cause de leur exode massif depuis une à deux décennies, selon les
pays. Ces chrétiens se répartissent au sein de 11 Églises orientales de rites différents.
Égypte : 8 à 10 millions de chrétiens (principalement coptes), soit 10 % de la population, dont 225 000
catholiques.
Liban : 1,5 million de chrétiens, soit 40 % de la population, dont un million de catholiques (notamment
maronites, mais
aussi melkites, latins, etc.). La diaspora représenterait 6 millions de personnes.
Syrie : 850 000 chrétiens, soit 4,5 % de la population.
Irak : 600 000 chrétiens (moins de 3 % de la population), dont 400 000 chaldéens (catholiques). L’Irak
comptait un million de chrétiens en 1980 et 1,2 million en 1987. À cause de la situation chaotique du pays,
l’évaluation chiffrée reste aléatoire.
Jordanie : 350 000 chrétiens (6 % de la population) dont 120 000 catholiques.
Israël : 150 000 chrétiens, soit plus de 2 % de la population.
Territoires palestiniens : 60 000 chrétiens (notamment grecs-orthodoxes), soit moins de 2 % de la
population.
Iran : 135 000 chrétiens, soit 0,3 % de la population, dont 20 000 catholiques.
Turquie : 80 000 chrétiens (0,1 % de la population), dont 10 000 catholiques.
(Source : Œuvre d’Orient, 2006) in La Croix 11-07-2007
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II La mosaïque des Chrétiens d’Irak.
Par le Recteur Gérard-François Dumont, professeur à l'Université de Paris-Sorbonne, président de la revue
Population & Avenir
En Irak, les Chrétiens forment une communauté historique, apostolique et autochtone. Avec leur douzaine
d’Eglises, ils témoignent de l’histoire de la théologie chrétienne qui a engendré différentes séparations
ecclésiales, avant que des ralliements à Rome créent de nouvelles divisions.
Minorité faible et éclatée, la communauté chrétienne d’Irak ne présente pas de risque politique. Mais, pour
ceux qui rejettent tout paradigme laïc ou même le paradigme arabe qui a longtemps prédominé, pour y
substituer un paradigme radical, cette communauté est un enjeu symbolique. D’où les menaces spécifiques
dont elle fait l’objet qui expliquent, après les diverses vagues d’exode depuis l’indépendance de l’Irak, un
nouvel exode depuis le chaos qui a suivi le renversement de Saddam Hussein.
Dans le vaste territoire irakien dont les frontières résultent d’une part, du côté oriental, de celles qui furent
établies en 1639 entre l’empire ottoman et l’empire perse, et, d’autre part, des décisions de la
décolonisation, s’entremêlent à la fois des diversités ethniques, avec des Arabes, des Assyro-Chaldéens, des
Kurdes, des Turkmènes… et religieuses, avec des musulmans chiites, sunnites, alevis ou des Chrétiens.
Ces ensembles religieux justifient des approches différentes. Les chiites sont ethniquement homogènes,
généralement chiites et arabe, les sunnites se distinguent principalement en sunnites arabes et sunnites
kurdes.
Quant aux Chrétiens, estimés à 650 000 en 2005, ils se caractérisent d’abord par des traits généraux, mais
surtout par une grande diversité, puisqu’il ne faut compter pas moins de douze dénominations, issues de
l’histoire religieuse et migratoire de la région. Pour comprendre ces différences, il importe de connaître leurs
origines. Néanmoins, en dépit de leurs spécificités, les églises chrétiennes d’Irak se trouvent confrontées à
des difficultés presque semblables, que ce soit avant la chute de Saddam Hussein comme depuis : elles
expliquent des vagues migratoires conduisant à s’interroger sur un risque de disparition de la chrétienté en
Irak et, donc, de la diminution de la diversité culturelle du territoire irakien.
Trois caractéristiques
La première caractéristique des Chrétiens d’Irak est qu’ils sont les héritiers d’une implantation religieuse
très ancienne et, donc, antérieure à la naissance de l’islam au VIIe siècle. La communauté chrétienne est,
pour la large majorité de ses fidèles, une communauté historique, composée par des descendants de
populations qui vivaient en Mésopotamie antérieurement à l’ère chrétienne. Même si quelques petites
églises chrétiennes d’Irak ont une présence s’expliquant par certaines migrations plus récentes ou par le jeu
de déplacement des frontières, les Chrétiens d’Irak, dans leur quasi-totalité, sont redevables d’une sorte de
« droit du sol » en tant que descendants des Assyro-Chaldéens qui habitaient cette région. Les membres des
deux principale séglises chrétiennes (chaldéenne et assyrienne d’Orient) peuvent revendiquer une filiation
directe avec la terre de Mésopotamie.
Deuxième caractéristique qui vaut également pour la quasi-totalité des membres des églises chrétiennes
d’Irak : les communautés chrétiennes sont autochtones puisqu’elles sont quasi-exclusivement composées de
personnes nées en Irak. Les Chrétiens d’Irak sont pleinement irakiens, descendants d’une longue tradition
religieuse, non des convertis de fraîche date.
L’église chrétienne d’Irak comptant le plus de fidèles, l’église chaldéenne, catholique de rite oriental,
compte une troisième caractéristique, à savoir d’être apostolique. En effet, l’analyse des sources historiques
concorde pour souligner que les Chrétiens d’Irak ont été évangélisés dès le premier siècle par saint Thomas.
Il est en effet écrit dans les actes des apôtres, liste cartographique de Luc, dans son récit de Pentecôte :
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"Parthes, Mèdes et Élamites, habitants de Mésopotamie..., nous les entendons annoncer dans nos langues
les merveilles de Dieu". Un texte qui conduit à constater que la lumière de l'apôtre Paul, tourné vers
l'Occident, et les aléas de l'histoire ont souvent repoussé dans l'ombre l'annonce de l'Évangile en Orient,
d’autant que beaucoup de traces ont été effacées au cours des siècles et qu'il n'est pas facile d'aller fouiller
le sol et la mémoire de pays comme l’Irak.
Néanmoins, les Chrétiens de l’Irak contemporain ne peuvent tous revendiquer cet héritage apostolique, en
raison de multiples séparations intervenues au fil de l’histoire ou de la présence, faible il est vrai, de
quelques églises chrétiennes issues d’apports migratoires. Le fait que l’on ne puisse trouver en Irak pas
moins de douze dénominations chrétiennes est l’héritage d’une histoire féconde en séparations, puis en
ralliements à Rome provocant de nouvelles divisions. Pour comprendre, il faut se rappeler que les premiers
siècles de la chrétienté ont été traversés de nombreuses discussions théologiques visant à fixer une doctrine
catholique unique pour l’ensemble des fidèles, mais débouchant sur des séparations, tout particulièrement
au Ve siècle.
Le siècle des séparations
Les prémices d’un éclatement en diverses églises chrétiennes interviennent en 431, après le concile
d’Éphèse où s’opposent Nestorius et Cyrille d’Alexandrie au sujet de l’union dans le Christ des deux natures,
divine et humaine. De nombreuses églises d’Orient suivent Nestorius, fondant des églises dites
nestoriennes, considérées comme hérétiques et donc détachées de Rome.
L’actuelle église assyrienne d’Orient est l’héritage de cette branche nestorienne dont les membres sont des
Assyriens chaldéens.
En 451, un nouveau concile écarte une nouvelle branche jugée hérétique : le concile de Chalcédoine (nom
de cette ancienne ville d’Asie mineure sur le Bosphore, devenue aujourd’hui un faubourg d’Istanbul)
condamne les monophysites, qui ne reconnaissent qu’une nature au Christ. Les Catholiques d’Orient qui
refusent cette condamnation constituent, dans la Syrie d’alors, une église chrétienne autonome dénommée
jacobite ou, aujourd’hui, syriaque-orthodoxe.
Au cours de ce même Ve siècle, de nouvelles divisions interviennent dans la chrétienté, préparant des
différences religieuses futures dans les territoires correspondant à l’Irak actuel. L’église d’Alexandrie prend
son indépendance par rapport à Byzance, acceptant mal une autorité au-dessus d’elle alors qu’elle porte
dans ses veines l’héritage de la grande civilisation égyptienne et forme cet ensemble religieux dénommé
copte. Comme ce mot signifie « égyptien » en égyptien ancien, l’église copte est d’abord essentiellement
présente en Égypte, puis, sous l’effet de diverses migrations de population, elle dispose de quelques
minorités moyen-orientales.
La minorité copte en Irak fut plus importante avant l’envahissement du Koweït par Saddam Hussein en 1990,
car l’Irak comptait alors de nombreux immigrants égyptiens satisfaisant aux besoins de main-d’œuvre de
l’économie irakienne.
En 491, c’est au tour des Arméniens de s’opposer aux conclusions du concile de Chalcédoine. Ils forment
alors une église chrétienne séparée, appelée également arménienne orthodoxe. En raison des vicissitudes de
l’histoire, et notamment du génocide arménien de 1915, l’exode de populations explique la présence en Irak
de deux petites communautés arméniennes, distinguant les orthodoxes et ceux restés sous l’autorité de
Rome, dans l’église arménienne catholique. Mais ce Ve siècle ne marque pas la fin des divisions.
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Quatre siècles plus tard, une nouvelle séparation intervient avec la création de la branche orthodoxe de la
chrétienté en 1054. Cette séparation explique aujourd’hui la présence en Irak d’une église grecque
orthodoxe de rite byzantin.
Le premier ralliement à Rome
Dans la seconde moitié du deuxième millénaire, de nombreuses démarches sont entreprises pour effacer les
effets du Ve siècle. Mais elles ne convainquent dans chaque église qu’une partie des fidèles. Il en résulte de
nouvelles divisions entre des églises chrétiennes séparées de Rome et celles qui réunissent les Chrétiens
souhaitant se rallier à l’église catholique romaine, à condition de conserver leurs traditions liturgiques. Les
premiers fidèles à effectuer une démarche vers Rome relèvent de l’église assyrienne d’Orient, qui forme en
1552 une église réunie à Rome dénommée l’église chaldéenne : c’est une église catholique de rite oriental
qui réunit aujourd’hui les deux tiers des Chrétiens d’Irak.
Cette dernière ne parvenant pas à regrouper tous les anciens fidèles de l’église assyrienne d’Orient, celle-ci
conserve son autonomie, ce qui conduit à augmenter la palette des églises chrétiennes en Irak.
Un scénario semblable se déroule un siècle plus tard avec d’autres églises chrétiennes. Quant à ceux qui
décident de suivre le rite latin, ils créent de leur côté une petite église catholique de rite latin.
Le siècle des retrouvailles crée de nouvelles divisions.
En effet, au XVIIe siècle, des fidèles de l’église syriaque orthodoxe, dite jacobite, souhaitent le rattachement
à l’église catholique romaine. Fidèles à leur histoire et à leur tradition, et n’envisageant pas de rejoindre une
église catholique unique – donc, celle formée par les Chaldéens – ils composent alors une église syriaquecatholique unie à Rome.
En 1709, c’est au tour de fidèles de l’église grecque orthodoxe de rite byzantin de souhaiter le ralliement à
Rome. Ils créent alors une église grecque-catholique (ou melkite), tandis que subsiste une église grecqueorthodoxe de rite byzantin avec ceux qui n’approuvent pas cette démarche.
Dans ce même XVIIIe siècle, en 1740, l’Asie occidentale est à nouveau touchée par le souci d’un
rapprochement avec Rome parmi les Arméniens grégoriens. Naît alors une église arménienne catholique
dont la présence en Irak s’explique par diverses migrations. Enfin, en 1742, c’est au tour des certains coptes
de pencher en faveur d’un ralliement partiel à Rome : se crée alors une église copte catholique qui n’a
pratiquement pas de fidèles dans l’Irak actuel.
Enfin, la chrétienté d’Irak a légèrement élargi son éventail du fait de la colonisation britannique. Cette
dernière a laissé en héritage l’existence d’une petite communauté anglicane, comptant environ 200
personnes, et qui vient ajouter à la diversité chrétienne irakienne.
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De faibles minorités ne présentant pas de risque politique……et pourtant menacées
Il résulte de cette histoire une douzaine d’églises chrétiennes en Irak au début du XXIe siècle, avec leurs
particularités propres.
D’abord, il est clair que, même si le nombre de leurs fidèles était élevé, la chrétienté d’Irak pourrait
difficilement représenter une force politique significative, compte tenu de ses divisions gravées dans
l’histoire. D’ailleurs, ces divisions semblent pérennes, les efforts effectués par certains pour favoriser les
rapprochements se heurtant aux traditions.
Ensuite, aux divisions historiques
s’ajoute souvent une dispersion
géographique, l’implantation de
chaque église chrétienne s’inscrivant
dans des espaces différenciés.
En effet, les Chrétiens se trouvent
répartis du Nord, des frontières avec
la Turquie et l’Arménie, à la région de
Bassora, au Sud, en passant par
Mossoul et Bagdad.
Troisième élément, le nombre de
fidèles de ces églises est fort peu
élevé : les Chrétiens d’Irak sont
environ 636 000 en 2005, toutes
confessions comprises, soit environ
2% de la population. Leur relative
dispersion géographique citée cidessus ne leur donne, dans aucune
des seize provinces, un poids
significatif. Cette division s’est
d’ailleurs
confirmée lors des
élections du 30 janvier 2005, où se
sont exprimés huit partis chrétiens,
dont certains regroupés dans deux
coalitions chrétiennes et trois dans
une coalition menée par les Kurdes.
Néanmoins, on peut se demander
comment ces Églises ont pu se
pérenniser malgré un contexte peu
favorable. D’une part, pour survivre,
les Églises d'Irak ont toujours joué
dans l'histoire un rôle de médiateur.
D'autre part, en l'absence de liberté,
et faute d’autre possibilité, les institutions ecclésiales ont été contraintes de composer avec les pouvoirs
politiques pour sauver leurs communautés. Cette stratégie faite en permanence de compromis, explique
sans doute que les
Chrétiens n’aient pas totalement disparu du paysage mésopotamien, malgré une situation peu enviable, y
compris sous Saddam Hussein.
En effet, sous ce régime dictatorial, les communautés chrétiennes étaient, comme les autres, soumises à un
fort contrôle policier pour prévenir tout ce qui pourrait remettre en cause le pouvoir en place. Mais, en
même temps, les Chrétiens étaient considérés comme devant s’intégrer à l’ambition initiale du parti Baas
consistant à promouvoir le nationalisme arabe en premier, ce nationalisme étant une valeur supérieure à
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toutes les autres appartenances, y compris religieuses. Au nom de ce nationalisme, les Chrétiens étaient
dans une certaine mesure considérés comme les autres Irakiens, et le caractère non religieux du régime
excluait en particulier de les traiter en dhimmis, donc en citoyens de seconde zone, ce qui se faisait au temps
du califat.
À sa prise de pouvoir, Saddam Hussein assure en effet la promotion officielle de la liberté religieuse, sous
contrôle strict du pouvoir, et à condition de ne pas se mêler de politique, sous peine d'une répression
sévère. Les non-musulmans jouissent officiellement de la plénitude des droits civiques, étant électeurs et
éligibles. Des Chrétiens participent à la vie intellectuelle, culturelle et politique du pays. Certains s'engagent
dans le Parti communiste. Tous sont, bien sûr, redevables des mêmes charges, dont le service militaire, ce
qui explique ces cimetières, où sont enterrés les morts de guerre, remplis non seulement de croissants, mais
aussi de croix. Mais la politique d’étatisation dépossède les communautés chrétiennes de leurs écoles
privées comme de leurs établissements hospitaliers.
Puis, en 1970, bien que se disant république laïque, l’article 4 de la Constitution reconnaît l’Islam comme
religion d’État, ce qui va au-delà des dispositions adoptées en Syrie, où seule est mentionnée la nécessité,
pour le chef de l’État, d’être de religion musulmane. De façon générale, les cultes chrétiens ne bénéficient
pas des aides allant au culte islamique, tandis que le droit irakien, puisant nombre de ses dispositions aux
sources de la charia, marque nettement des différences religieuses. Par exemple, une Chrétienne peut se
marier avec un musulman, auquel cas les enfants issus de leur union devront être élevés dans la religion
musulmane, mais non un Chrétien épouser une musulmane. Le mariage religieux musulman est valide pour
l’état civil, alors que le mariage chrétien ne dispense pas d’un passage devant l’autorité administrative. La
donation d’un Chrétien à un musulman est licite, mais non l’inverse.
À partir de 1991, le régime baasiste recule considérablement sur la laïcité, changeant d'orientation, et fait
de nouvelles concessions aux autorités de l’Islam. Par exemple, une loi interdit les prénoms chrétiens.
L'alcool est prohibé, mais seuls les Chrétiens ont le droit de le fabriquer et de le vendre. Progressivement,
Saddam Hussein change de paradigme au Moyen-Orient, substituant la priorité donnée au nationalisme
arabe par un discours religieux qui influence le droit et les comportements, tandis que Ben Laden assure
dans le monde la promotion d’une idéologie islamiste radicale , dont le projet est de combattre « les croisés
et les juifs », quels que soient les dommages collatéraux subis par des musulmans n’adhérant pas à cette
vision nihiliste.
Un enjeu symbolique dans le nouveau paradigme idéologique
Selon l’idéologie islamiste radicale, la diversité n’est pas de mise et l’occupation de la terre doit être
homogène ; Toute personne habitant un territoire faisant partie de cet « espace vital » théorisé, et risquant
de ne jamais adhérer à l’idéologie benladeniste, doit être combattu, y compris les Chrétiens d’Irak.
Bien qu’elles n’excluent nullement d’autres actions terroristes contre des musulmans, celles contre les
Chrétiens ont donc une double utilité, idéologique et pratique. D’une part, elles visent à pousser les
Chrétiens à disparaître, par exemple par l’émigration, et donc à supprimer des territoires tout ce qui peut
donner l’impression qu’ils sont des terres de diversité. Autrement dit, il faut « faire table rase du passé » qui
enseigne que le Moyen-Orient n’a jamais été composé d’une homogénéité religieuse, pour faire croire qu’au
contraire, ce serait celle-ci qui est la règle. Il faut faire oublier que les périodes historiques les plus fastes du
Moyen-Orient sont celles où les régimes politiques ont su s’enrichir de la diversité de leurs peuples.
D’autre part, le terrorisme contre les Chrétiens vise aussi à assimiler les Chrétiens de l’Irak aux «croisés»,
alors que ces communautés n’ont rien à voir avec les
«croisés» puisqu’elles sont historiques et autochtones. On notera d’ailleurs que les Chrétiens sont visés sans
distinction d’appartenance ou d’importance de leurs communautés. Le discours islamiste ne distingue
nullement entre Chaldéens, Assyriens, Syriens, Latins ou Arméniens qui, tous, subissent lettres de menaces,
attentats, assassinats ou enlèvements.
Certes, le paradigme religieux avait déjà été utilisé par Saddam Hussein à la fin de son règne et une église de
rite syrien avait été attaquée en septembre 2002, certainement par des mouvements islamistes. Mais,
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depuis la guerre et le chaos qui s’en est suivi, l’amalgame idéologique entre les Chrétiens historiques d’Irak
et la nation à dominante chrétienne que sont les États-Unis est fréquemment utilisé. En août 2004, c’est
l’attentat quasi-simultané contre cinq églises à Mossoul, Kirkouk et Bagdad, en quelques jours. Le 7
décembre 2004, deux attentats simultanés frappent des églises chaldéennes et arméniennes. S’ajoutent des
dizaines d’enlèvements, des pressions en tout genre, comme les menaces de conversion forcée ou les
appels, via des tracts distribués à l’université, à asperger d’acide les femmes non voilées. De nombreux
musulmans sont opposés à de telles actions mais, s’ils protestent, ils sont qualifiés de traîtres et risquent de
subir des violences. Car, pour les islamistes radicaux, l’Irak n’est pas un objectif en soi, ce n’est qu’un
territoire favorable à leur combat idéologique en raison de la présence militaire américaine.
Un exode irrépressible ?
Les islamistes radicaux et la situation créée par la guerre d’Irak ne peuvent que provoquer de nouveaux
exodes des Chrétiens. Certes, ces derniers ont déjà dans le passé connu des périodes d’émigration, car, pour
eux, l'histoire a oscillé entre des moments calmes et des périodes d'inquiétude. Dès août 1933, sous la
royauté, les Chrétiens assyro-chaldéens subissent un massacre dans l'Irak indépendant, suivi d'une vague
nationaliste préjudiciable à l'ensemble de la communauté chrétienne.
Dans les années 1950 et 1960, tenus à l’écart dans leur propre pays, nombre de Chrétiens choisissent
l’émigration vers l’Europe de l’Ouest, les États-Unis et le Canada. Deux nouvelles vagues d’exode
s’effectuent en 1980 et à partir de mai-juin 1991, au lendemain du soulèvement kurde en Irak, quand la
situation devint dramatique pour les Chrétiens. La guerre du 20 mars 2003 a paradoxalement accentué ce
phénomène migratoire. En effet, soulagés par la chute d'un régime tyrannique, les Chrétiens souffrent tout
particulièrement de la désintégration du pays. Bagdad est une cité sans loi. Certes, Les Chrétiens s'activent
en Irak et en diaspora par le biais de leurs représentants religieux, civils et politiques, auprès des autorités
américaines et britanniques. Pour sa part, le Vatican déploie des activités diplomatiques pour la
reconstruction de l'Irak et la défense des Chrétiens. Mais le pays est livré au pillage non seulement de ses
biens matériels, mais de son âme par la mise à sac d'édifices religieux auxquels les Chrétiens sont très
attachés. On a contraint des magasins à fermer à Bassorah, à Bagdad ou à Mossoul ; certains ont été pillés.
Quelques Chrétiens sont portés disparus dans les zones kurdes au nord, deux ont été tués à Bassorah en
mai. Des femmes ont été insultées, voire agressées à coups de pierres dans les rues. Certaines hésitent à
aller à l'église. L'évêque chaldéen catholique Shlimon Wardouni a déclaré : "J'ai peur pour mon peuple. Des
fanatiques veulent qu'on quitte ce pays".
Pour la seule année 2004, environ 60 000 Chrétiens d’Irak ont fui, soit près de 10% de l’ensemble. Facteur
aggravant, ce sont les personnes les plus jeunes et les plus éduquées qui partent.
Sur sans doute un million de Chrétiens dans les années 1980, environ le quart a d'ores et déjà pris le chemin
de l'exil à destination de l'Europe occidentale (y compris la France), les États-Unis, le Canada, l'Australie ou la
Nouvelle-Zélande. Des villes comme Chicago et Detroit comptent chacune 80 000 Assyro-Chaldéens venus
pour la plupart d'Irak, mais aussi de Syrie, du Liban, d'Iran et de Turquie. L’Europe compte en 2005 environ
200 000 Chrétiens assyro-chaldéens, dont seize mille en France, et 30% environ d’origine irakienne. Plus de
150 000 Chrétiens irakiens vivent désormais aux États-Unis, plus de 50 000 au Canada et plus de 30 000 en
Australie.
Il faut donc bien constater que la guerre d’Irak de 2003 a relancé une sorte de processus de «purification
ethnique », comme ce pays en avait déjà connu, et dont les Chrétiens semblent les premières victimes. Une
telle évolution conduit à s’interroger sur l’avenir de la nation irakienne. En effet, si l’on considère que « la
diversité est créatrice », le risque existe en Irak de perdre certains traits de cette diversité, et donc de rendre
encore plus difficiles les équilibres futurs.
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III Les Chrétiens d’Iraq . Histoire et perspectives.
Par Mgr Antoine Audo . Etudes 2008/2 Tome 408
Les chrétiens d’Iraq, toutes dénominations confondues, sont-ils des résidus de minorités à laisser partir ou
mourir dans cette grande guerre qui se déroule sur le territoire iraqien, ou bien sont-ils des Eglises vivantes,
enracinées dans les traditions bibliques et apostoliques de Jérusalem, d’Antioche et de Mésopotamie, et des
héritiers d’une histoire et d’un passé théologique et mystique ? Sont-ils des groupes étrangers au monde
arabo-musulman, identifiés aux croisades modernes et à l’hégémonie américaine, ou bien sont-ils des Eglises
orientales enracinées depuis des millénaires dans l’histoire et la géographie du Moyen-Orient ?
Quelle perte pour l’islam, le monde occidental et pour Israël, si la chrétienté d’Iraq venait à disparaître ! Les
minorités du Moyen-Orient devraient-elles payer le prix de la mondialisation et de ce que l’on a nommé le
«choc des civilisations » ?
Ou bien leur permanence à travers tous les avatars de l’histoire serait-elle signe d’espérance, de respect et
de justice pour le monde entier ?
Ces quelques questions nous introduisent dans le vif du sujet. En effet, après le génocide arménien de 1915,
dont les victimes furent également des assyro-chaldéens et des syriaques, la guerre en Iraq, depuis la chute
du régime de Saddam Hussein en avril 2003, a déclenché des persécutions contre les chrétiens, les forçant à
quitter l’Iraq pour chercher refuge en Jordanie, Syrie, au Liban et en Turquie.
Des attaques contre les églises et les évêchés à Bagdad et Mossoul, des enlèvements de chrétiens,
notamment un archevêque de Mossoul et des prêtres ; des massacres de religieuses, prêtres et diacres, des
pressions sur les chrétiens du quartier Dora (Bagdad) pour qu’ils paient la jizya (amende de la loi
musulmane) ou quittent leur maison… Chaque acte de violence perpétré contre un chrétien provoque une
marée d’exodes de Bassora, Bagdad, Mossoul et Kirkouk, quatre grandes villes où les chrétiens vivaient
depuis toujours en paix avec les grandes confessions et ethnies d’Iraq : chiites, sunnites, kurdes et
turkmènes. Des églises se ferment pour raison de sécurité ; le grand séminaire chaldéen de Bagdad et la
Faculté de théologie Babel College sont transférés dans le Nord, au Kurdistan. On dit que la moitié des
chrétiens d’Iraq ont déjà abandonné leur maison, un quart vers le Nord (le Kurdistan), l’autre quart vers les
pays limitrophes : Jordanie, Syrie, Liban, Turquie, en attendant de pouvoir émigrer vers des pays de sécurité,
de liberté et d’opulence.
Et pourtant, malgré tous les malheurs qui se sont abattus sur le peuple iraqien, depuis le conflit entre l’Etat
et les Kurdes, dans le Nord, en passant par les luttes à l’intérieur du pouvoir entre les différents partis, et
finalement la guerre avec l’Iran et l’occupation du Koweit, avec ses conséquences néfastes, malgré tout, on
remarque que les Iraqiens, et plus particulièrement les chrétiens, restent très attachés à leur pays. Il est
frappant de constater que les chrétiens d’Iraq sont pleinement iraqiens et profondément chrétiens. A les
aborder, tels que nous les avons connus, soit à l’intérieur de l’Iraq, soit réfugiés en grand nombre en Syrie,
on constate une double appartenance bien prononcée : ce sont de vrais chrétiens et de vrais Iraqiens. Nous
n’avons pas le droit de parler d’inculturation de ces chrétiens, puisqu’ils sont chez eux depuis toujours, et
qu’ils ont acquis cet art d’être eux-mêmes, fiers de leur appartenance religieuse, avec une grande capacité
d’intégration – ce sont des citoyens à part entière – et une grande aisance à vivre avec toutes les catégories
de leurs concitoyens, sans complexe de persécution ni mépris de l’autre. Il est certain que, selon une
certaine loi de tout pays à majorité musulmane, le chrétien est un dhimmi ; mais le chrétien d’Iraq a assumé
positivement son statut sans modifier en profondeur son identité de croyant. Cela nous semble
un chef-d’œuvre d’intégration, cette capacité de rester soi-même tout en respectant l’autre jusqu’à en
intégrer les meilleurs éléments culturels et religieux. Si les chrétiens d’Iraq donnent le témoignage d’un
attachement indéfectible à leur pays, s’ils souffrent beaucoup de la guerre, de ses destructions et pertes,
c’est parce que cette guerre leur fait perdre un trésor, une identité riche d’histoire, de sagesse et de savoirvivre. Et cette identité a des racines bibliques profondes, puisées dès l’histoire d’Abraham, et s’incarne en
même temps dans un présent donné, avec une capacité d’écoute et de dialogue avec le monde arabomusulman.
Pour mieux comprendre cette réalité complexe des chrétiens d’Iraq, faisons une rapide relecture de
l’histoire de cette chrétienté. Arrêtons-nous donc sur les aspects historiques pouvant le mieux expliquer
la réalité des chrétiens d’Iraq aujourd’hui.
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Aperçu historique et géographique
Nous ne pouvons parler de l’Iraq d’hier et d’aujourd’hui sans nous référer à sa géographie. Les historiens de
l’Antiquité ont toujours distingué trois régions dans ce que l’on appelle aujourd’hui le Moyen-Orient, à savoir
la Mésopotamie, Canaan (Phénicie-Syrie) et l’Egypte. Tandis que l’Egypte et Canaan donnent sur la
Méditerranée, avec une ouverture sur la culture gréco-romaine, la Mésopotamie, en revanche, est encadrée
par le Tigre et l’Euphrate, et tournée vers l’Asie.
C’est dire que les chrétiens d’Iraq ont été marqués dès le commencement par la recherche d’une certaine
autonomie, les séparant d’Antioche et de Byzance et les ouvrant à un élan missionnaire vers l’Inde et la
Chine En effet, dès le IVe siècle, l’Eglise d’Iraq, qui en ses débuts était appelée « l’Eglise de Perse », a survécu
aux persécutions de Chapour II et obtenu son autonomie religieuse sous l’autorité d’un Patriarche résidant à
Séleucie-Ctésiphon.
Au concile d’Ephèse (431), l’Eglise d’Orient est au cœur des querelles christologiques qui l’amènent à s’isoler
à cause de l’accusation de nestorianisme. Cette situation d’autonomie la pousse à répandre l’Evangile
jusqu’aux extrémités de l’Asie…
…Arrivée en Inde et en Chine, l’Eglise d’Orient atteint son apogée intellectuelle avec le règne des Abbassides
à Bagdad (750-861). Dans l’histoire des débuts de l’islam, l’on ne peut ignorer l’importance des Ommayades
à Damas (660- 750) et des Abbassides à Bagdad. Or, dans les deux périodes qui se sont succédé entre le VIIe
et le IXe siècles, les chrétiens ont eu à jouer un rôle important au niveau intellectuel, et ce dans plusieurs
domaines : philosophie, médecine, administration.
A Bagdad, les chrétiens nestoriens et jacobites ont contribué à la traduction de la pensée grecque en arabe,
après l’avoir déjà traduite en syriaque, dans leurs écoles de Nisibe et d’Edesse. Nous avons des listes de
médecins chrétiens, et nous retrouvons des familles qui se sont distinguées par leur science au service des
Califes, contribuant ainsi au rayonnement de l’humanisme arabe. Là aussi, nous avons un modèle
d’intégration : des savants chrétiens de langue syriaque, et parfois des diacres dévoués à la liturgie de leur
Eglise, se sont en même temps engagés au service d’une réflexion philosophique et de la science médicale.
Nous trouvons des patriarches et des évêques invités à débattre de questions théologiques en présence du
Calife.
On peut considérer cette période comme l’âge d’or des chrétiens d’Iraq : les provinces et les évêchés se
multiplient sous la direction du grand patriarche Timothée Ier (780-823), à travers toute l’Asie, y compris la
Mongolie.
Actifs aux côtés des Arabes abbassydes, les chrétiens de l’Eglise d’Orient ont espéré à un moment, aux XIIIe
et XIVe siècles, convertir les Mongols au christianisme. Mais leur souverain finit par se rallier à la religion de
la majorité de ses sujets, qui étaient musulmans, mettant ainsi fin à l’espoir d’un Etat mongol chrétien.
A partir de 1363, Tamerlan va instaurer une politique d’annihilation (le nombre des Nestoriens et Syriaques
en Asie centrale et orientale a pu atteindre les 70 millions en Chine, avec la Mésopotamie ensuite).
S’emparant de Bagdad en 1392, il fera disparaître le christianisme de cette région pour deux siècles. Les
chrétiens de l’Eglise d’Orient vont se réfugier définitivement dans les montagnes, aux confins turco-persans,
et, à partir de 1451, établir un Etat théocratique.
Le patriarcat devient héréditaire, décision prise par le patriarche Simon IV (1437-1477)8.
En 1534, la Mésopotamie va entrer dans l’Empire ottoman, et le régime des capitulations va donc s’étendre
à cette nouvelle province turque dès l’année suivante, sous la protection de la France, co-signataire de ces
accords bilatéraux. Rome procédera à l’envoi de missionnaires capucins à Diarbékir, renouant ainsi le
dialogue avec l’Eglise d’Orient.
C’est avec l’élection patriarcale de Yohanna Soulaqa par quelques évêques, et sa confirmation en 1553 par le
pape Jules III, que naît l’Eglise chaldéenne rattachée à Rome.
Cette union avec l’Evêque de Rome divisera l’Eglise d’Orient entre Chaldéens (catholiques) et Assyriens
(séparés de Rome).
Nous ne pouvons conclure ce survol historique sans nous pencher sur l’époque contemporaine, qui
commence avec le génocide de 1915 et nous conduit jusqu’à aujourd’hui, au cœur de ce que l’on appelle
désormais la guerre d’Iraq.
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L’on a parlé, à juste titre, de génocide des Arméniens, perpétré par les Turcs et les Kurdes en 1915, les
Arméniens étant chrétiens et majoritaires. Mais de nombreux chrétiens – chaldéens, assyriens, syriaques,
jacobites et catholiques de Mésopotamie – ont également été massacrés. Pour ce qui regarde les chrétiens
de l’Eglise d’Orient, on dit que la moitié des fidèles (70 000) aurait été passée au fil de l’épée.
C’est pourquoi, aujourd’hui, en voyant arriver les familles chrétiennes fuyant l’Iraq en Jordanie, Syrie, au
Liban et en Turquie, nous ne pouvons nous empêcher de faire retour cent ans en arrière et de lire sur leurs
visages meurtris l’expérience vécue par nos parents et grands-parents en 1915.
Avec les massacres de 1915, quatre diocèses disparaissent en Turquie : Mardine, Diarbékir, Seert, Jazirat ibn
Omar ; et quatre jeunes évêques sont massacrés (Addi Chér, ThomasAudo, Yacoub Oraha, Thomas Racho),
sans oublier une cinquantaine de prêtres martyrs.
Nous ne pouvons, enfin, passer sous silence la date de 1933, qui concerne tout particulièrement les
Assyriens. En cette année, les Assyriens des montagnes du nord de l’Iraq se sont soulevés pour réclamer,
avec l’aide des Anglais, un gouvernement assyrien autonome. Or, ces Assyriens ont été abandonnés ensuite
par les Anglais et matés par l’armée iraqienne.
L’Etat français, mandataire en Syrie, les accueillit dans ce que l’on appelle la région du fleuve Khabour ; ils y
sont encore établis de nos jours, formant trente-six villages assyriens.
Les chrétiens dans l’Iraq moderne
Depuis l’indépendance du nouvel Etat iraqien, en 1933, les chrétiens d’Iraq, notamment les AssyroChaldéens, se partagent en deux tendances : les Assyriens sont davantage marqués par un nationalisme
politique, tandis que les Chaldéens, du fait de leur attachement à l’Eglise de Rome, se considèrent comme
loyaux citoyens, tout en étant soutenus par l’universalité de l’Eglise catholique.
Jusqu’aujourd’hui, les Assyriens sont marqués par l’idée de l’Eglise-nation, un peu comme les Arméniens,
alors qu’ils n’ont jamais formé, en tant que chrétiens, un Etat bien déterminé ; ils ont toujours été citoyens
de grands empires qui ont régné sur l’Iraq. Cette situation renforce le pôle politique et national dans le
gouvernement de l’Eglise assyrienne. Par cette attitude, les Assyriens cherchent à défendre leur particularité
de chrétiens orientaux, héritiers de la tradition apostolique et ayant comme langue l’araméen, la langue
même du Christ. Dans l’émigration, qui devient de plus en plus importante, comme à l’intérieur de l’Iraq et
des pays du Moyen-Orient (Syrie, Liban, Iran), les Assyriens se distinguent par un attachement indéfectible à
leur langue, à leur liturgie et à leur histoire, et défendent, avec les autres chrétiens de langue syriaque, le
projet d’une nation assyrienne.
La comparaison avec l’Eglise chaldéenne, qui est une Eglise-sœur, peut nous aider à mieux situer les
orientations théologiques de base. Il faut tout d’abord rappeler que le clergé chaldéen est en majorité formé
au séminaire patriarcal de l’Iraq, au séminaire Saint-Jean, dirigé par les dominicains français et dans les
universités romaines. De plus, le concile Vatican II, avec sa vision d’Eglise-communion et son engagement en
faveur de l’œcuménisme, marque profondément les orientations et les choix de l’Eglise chaldéenne. Celle-ci
reste elle-même très travaillée par un attachement à sa particularité linguistique, liturgique, géographique et
historique, ainsi qu’à sa communion avec l’Eglise de Rome et son ouverture à l’universel. Malgré tous les
tiraillements que certains prélats chaldéens ont eu avec le Siège de Rome , il reste que l’Eglise chaldéenne a
sa propre personnalité théologique, patristique, liturgique, et est capable de faire profiter les autres Eglises
de sa tradition, comme elle-même peut puiser aux sources de l’Eglise universelle.
Les épreuves que traversent les chrétiens d’Iraq et tous les Iraqiens ne laissent pas indifférents les chrétiens
du Moyen-Orient : en Terre Sainte (Palestine et Israël), en Syrie, au Liban, en Egypte, en Iran et en Turquie.
Ces Eglises orientales touchent-elles à leur fin, comme l’a suggéré Jean-Pierre Valognes dans son livre, Vie et
mort des chrétiens d’Orient (Fayard, 1994), et la solution est-elle de préparer les nouvelles générations à
émigrer vers des terres plus paisibles ? C’est peut-être la solution que proposent politiciens et diplomates…
…Au projet américain d’une administration indépendante de la plaine de Ninive, où les chrétiens pourraient
se regrouper, l’Eglise d’Iraq répond par sa détermination à appartenir à l’Iraq unifié. Les chrétiens font le
choix de vivre en fraternité avec tous, avec le chiite et le sunnite, comme avec le Kurde et le Turkman. Par
cette option, l’Eglise demande aux chrétiens de choisir la citoyenneté iraqienne et plaide pour l’Etat de droit.
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Par ce comportement, les chrétiens, tout en étant minoritaires, contribuent à la réconciliation et à la
cohésion de l’Iraq.
Experts en savoir-vivre avec toutes les confessions musulmanes et toutes les ethnies de l’Iraq – notamment
les Kurdes et les Turkmans –, les chrétiens peuvent être un ciment de réconciliation et un pont de dialogue
entre l’islam et le monde moderne.
Les chrétiens d’Iraq, comme d’ailleurs ceux du Moyen- Orient en général, doivent être conscients de la
vocation qui leur incombe aujourd’hui. C’est au moment de l’épreuve que l’on peut annoncer une parole de
vie et ouvrir un avenir aux hommes qui nous entourent. Si l’on rêve d’un monde aisé, si l’on émigre pour fuir
les difficultés et choisir des solutions de facilité, un monde de séduction et d’assurances égoïstes, quel goût
la vie aura-t-elle encore ?
Les chrétiens du XXe siècle ont été les témoins de deux guerres mondiales et ont traversé des totalitarismes
mortels, tout en défendant des démocraties florissantes en Occident.
Ils sont par ailleurs à l’écoute du monde moderne et de sa rationalité ; ils ont appris à vivre dans des sociétés
pluralistes et à favoriser le respect de l’altérité. L’Europe refait son unité, et l’Eglise rappelle que celle-ci ne
doit pas se fonder uniquement sur l’efficacité économique, mais aussi sur des valeurs spirituelles dont la
source est biblique.
Les chrétiens orientaux qui sont, eux aussi, héritiers de telles expériences intellectuelles et politiques,
doivent puiser dans ce patrimoine de l’humanité pour dialoguer avec le monde arabe et musulman. Si les
chrétiens venaient à abandonner les lieux, qui pourrait les remplacer, eux qui sont déjà intégrés dans cette
culture arabe et islamique ? Partir, céder la place, émigrer, faire le choix d’un bonheur immédiat, c’est trahir
sa vocation et faire le jeu de tous les intégrismes. Il est vrai que certaines tendances, dans le monde arabomusulman, choisissent l’extrémisme. Un tel comportement peut pousser au désespoir. Mais, dans l’islam, il y
a également la recherche de la justice, le désir de vivre dignement entre frères, la soif d’être reconnu et
respecté, la peur d’une modernité destructrice.
Ici, nous devrions recourir aux leçons de l’histoire, afin que les difficultés présentes ne se dressent pas
devant nos yeux comme un arbre cachant la forêt. Les leçons de l’histoire arabo-musulmane prouvent que
les chrétiens ont toujours su faire le choix de la médiation et de la raison à des époques-clefs de cette même
histoire. Nous l’avons déjà dit à propos de l’époque omayyade et abbasside, à laquelle on peut ajouter celle
de renaissance de la fin du XIXe siècle.
Par le biais de la raison et de la culture, le chrétien pourrait être témoin et défenseur d’une liberté pour luimême et pour les autres. Respectueux de la loi des autres – et, ici, il s’agit surtout de la loi coranique –, le
chrétien est capable d’ouvrir un champ de liberté où l’altérité puisse respirer et grandir. Par ailleurs, les
chrétiens orientaux – et parmi eux, aujourd’hui, les Iraqiens – ont besoin d’être encouragés et soutenus dans
leur tâche par leurs frères occidentaux. En vérité, l’Eglise catholique, en tant que telle et à travers sa
diplomatie et ses œuvres de bienfaisance, fait tout pour consolider une vocation et défendre une identité.
De même, des signes de sympathie de la part de leurs frères musulmans, ainsi qu’un discours musulman
modéré et respectueux pourraient contribuer efficacement à faire avancer la cause des
Etats de droit au Moyen-Orient.
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GLOSSAIRE
Abbassydes
Dynastie de califes arabes qui a régné, depuis sa capitale Bagdad (aujourd'hui en Iraq), sur l'ensemble de
l'Empire musulman (califat abbasside, 750-1258) après avoir mis fin au califat des Omeyyades ; le califat
abbasside, devenu purement nominal, a ensuite été transféré au Caire (1258-1517).
Dhimma : pacte qui lie les gens du Livre (juifs et chrétiens en particulier) et qui leur garantit des droits en
contrepartie de devoirs bien précis. Le dhimmi est celui qui est soumis à la dhimma.
Chaldéen
La Chaldée est une contrée située au sud-ouest de Babylone, dont les habitants fondèrent l’empire
babylonien qui domina le Proche-Orient au VIe siècle av. J.-C. Les mots « chaldéen » et « assyro-chaldéen »
ont été repris par les chrétiens d’Irak pour souligner leur rattachement aux premiers habitants de la
Mésopotamie.
L’Église chaldéenne, présidée par le patriarche de Babylone (actuellement le cardinal Emmanuel Delly), est
une Église catholique de rite oriental, née en 1553 de l’union à Rome d’une partie de l’Église assyrienne
d’Orient. Cette dernière s’enracine dans l’évangélisation de la Mésopotamie et de la Perse par les Apôtres
Thomas et Thaddée.
Au Ve siècle, gagnée aux thèses nestoriennes, elle rejette les énoncés christologiques du concile d’Éphèse
(431) et rompt avec Byzance. Particulièrement dynamique, elle poussera ses missionnaires jusqu’en Chine et
en Inde.
Omayyade ou Omeyyade ou Umayyade
Dynastie de califes arabes qui a régné sur l'ensemble de l'Empire musulman (califat omeyyade, 661-750),
depuis sa capitale Damas (aujourd'hui en Syrie), puis dans la seule péninsule Ibérique avec l'émirat de
Cordoue (756-1031, érigé en califat rival des Abbassides en 929).
Syrien-catholique
À partir du XVIIe siècle, des jacobites d’Alep (Syrie) passés à l’union avec Rome sous l’influence de
missionnaires capucins et jésuites (tout en conservant leur langue, leur rite et leur propre législation
ecclésiastique), constituent l’Église syrienne-catholique, sous l’autorité d’un patriarche.
En 1656, le premier évêque syrien-catholique est nommé, André Akhijan, qui, en 1662, sera reconnu comme
patriarche catholique d’Antioche. En 1783, cette Église est définitivement reconnue par Rome, après le
ralliement au catholicisme du métropolite d’Alep, Michel Jarweh. Au total, l’Église syrienne-catholique
compte quelque 100 000 fidèles au Moyen-Orient et en diaspora. En Irak, la communauté était estimée à 55
000 fidèles avant l’invasion américaine de 2003 ; elle serait réduite de moitié aujourd’hui.
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Bibliographie
Collectif. Chrétiens d'Orient, et s'ils disparaissaient ? Bayard Culture. 2009.
Les chrétiens d’Orient ont tristement fait la une de l’actualité récemment. Y-a-t-il encore une place
dans le Moyen Orient bouleversé pour ces communautés, ou l’exode doit-il se poursuivre jusqu’à
leur disparition totale ?
Depuis dix ans, les forces hostiles provenant de l’islam politique se sont en effet renforcées, et les
premières victimes du chaos irakien appartenaient bien à ces petites communautés.
Mais qui connaît aujourd’hui toutes les ramifications de « l’arbre généalogique » du christianisme
oriental ? Qui sait la lente agonie de certaines communautés dont les origines se confondent avec les
premiers temps du christianisme ?
Ce livre propose une synthèse sur ces questions dont les racines sont fort anciennes.
Il rappelle le cadre d’origine des Eglises d’Orient, fait l’état actuel de chaque communauté et posela
question de leur avenir.
Faki, Masri. Géopolitique du Moyen-Orient. Studyrama. 2008.
Le Moyen-Orient représente un ensemble de près de 350millions d’habitants en augmentation
démographique rapide, dans une zone géographique de communication qui se situe à la jonction des
vieux continents.
Dans la perspective de la mondialisation, cette région carrefour campe sur ses divisions nationales,
confessionnelles et claniques, sur ses disparités économiques et sur ses crispations sécuritaires en
dépit des convoitises qu’elle suscite du fait de sa position géostratégique charnière, de son rôle de
grand pourvoyeur d’énergie et du rayonnement spirituel de ses pôles religieux.
Ce livre a pour objet de fournir des faits et des données de base indispensables pour comprendre les
déchirements et les espoirs d’une des zones les plus explosives de la planète.
Le chaos irakien.
Masri FEKI, spécialiste du Moyen-Orient, est président de l’Association francophone d’études du
Moyen-Orient (AFEMO) et fondateur du Middle East Pact (MEP).
Lafourcade, Fanny. Le chaos irakien. Dix clés pour comprendre. La Découverte., sur le vif. 2007.
Fanny Lafourcade propose, dans ce livre bref et extrêmement accessible, un parcours en dix
questions pour dénouer les vraies et les fausses interrogations sur la crise irakienne.
Le christianisme dans le monde. Questions internationales. La Documentation Française. N°29.
2008.
Filmographie
Dans la série de Jean-Christophe Victor, Le dessous des cartes, diffusée par Arte, plusieurs émissions
peuvent éclairer les relations complexes entre Christianisme et Islam.
- L’Islam, la belle histoire. Emission en deux volets.
- Géopolitique de la Chrétienté.
- Les religions dans le monde.
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