LES TUCK, DES PAYSANS D’ANGLETERRE, MIGRENT EN AMÉRIQUE 1620 Entre le 6 septembre et le 11 novembre, le Mayflower traverse l'Atlantique vers LA TERRE PROMISE... Les Tuck sont les descendants des pionniers de la Nouvelle Angleterre : leurs premiers ancêtres américains se sont installés dans le Nouveau Monde en 1638. Ils arrivent dans les pas des fameux et célèbres « cent-deux Pères pèlerins » ou « Pilgrim fathers » qui ont débarqué du Mayflower le 16 novembre 1620 à Cap Cod, et ont fondé en décembre de la même année la colonie de Plymouth dans le Massachusetts. Cette installation en terre promise a débuté plusieurs années plus tôt dans une Angleterre en proie à la discrimination religieuse. Elle participe au mythe américain et constitue les racines profondes de cette histoire. Le Speedwell. Le 6 septembre 1620, le Mayflower appareille seul du port de Plymouth. La congrégation de Leyde ne représente plus que la moitié des 102 passagers : elle a du être réduite d’un quart après l’avarie du Speedwell. La signature du Mayflower Compact, un pacte signé par 41 passagers le 11 novembre 1620, est souvent considéré comme la base de la constitution des États-Unis. ANGLETERRE O c é a n A t l a n t i q ue Plymouth Dartmouth Mer du N ord Southampton M anche Leyde PROVINCESUNIES FRANCE Trajet du Speedwell. Trajet du Mayflower. Ces puritains anglais, en quête de liberté religieuse, s’étaient exilés depuis 1608 à Leyde en Hollande ; ils rejetaient l’église anglicane et avaient décidé de recréer dans le nouveau monde leur propre colonie permanente. * L'expression « Pères pèlerins » ou « Pilgrim fathers » est apparue au XIXe siècle pour désigner les premiers colons en référence à un passage de la Bible. Ces dissidents anglais ont fui les persécutions religieuses et l’instabilité de l’Europe pour trouver une terre vierge où créer une « nouvelle Jérusalem ». Embarqués en juillet 1620 au petit port hollandais de Delfshaven en Hollande sur le Speedwell, les exilés anglais de Leyde retrouvent à Southampton le Mayflower. Les capitaines des deux bateaux ont pour mission de les emmener en Amérique. Après une escale technique à Dartmouth, puis une seconde à Plymouth, le Speedwell doit être abandonné en raison de l’ouverture de plusieurs voies d’eau. Le Mayflower. Le Mayflower compact fonde le principe de la liberté religieuse. Ce pacte solennel porte en germe le pacte politique démocratique des pères fondateurs de la constitution fédérale américaine, rédigée en 1787. 4 5 4-5 AMOS TUCK : MENTOR D’ABRAHAM LINCOLN 1861-1865 et FONDATEUR DU PARTI RÉPUBLICAIN Amos Tuck et Abraham Lincoln partagent de nombreux points communs : partis de peu pour Amos et de rien pour Abraham, ces deux combattants de la liberté sont des paysans dans l’âme mais ayant une vision autre et à plus long terme pour leur pays. Hommes de loi brillants, éloquent et défendant des cas souvent désespérés ils sont surtout foncièrement des hommes honnêtes dans leur engagement politique, ce qui est très rare à l’époque. De retour à Exeter, il met en pratique ses idées dans le New Hampshire. Le 12 octobre 1853 au Major Blake’s Hotel d’Exeter, Amos Tuck organise en secret une réunion extraordinaire qui rassemblent des personnalités et des hommes politiques luttant contre l’esclavagisme. C’est lui qui suggère à ses amis de baptiser de « républicain » ce tout jeune mouvement politique. Le terme de « parti républicain » était déjà utilisé depuis les années 1830 dans le microcosme politique du New Hampshire. Il en reprend le l’appellation et se l’approprie pour l’offrir à son pays et à la diffusion de ses idées. Le Grand Old Party, comme il va se faire baptiser plus tard, est fondé le 28 février 1854 par des dissidents « nordistes » des partis whig et démocrate, qui sont hostiles au statu quo sur l’esclavage et aux revendications souverainistes des États fédérés. Ces hommes aux principes parfois opposés et longtemps adversaires dans le passé ont également en commun d’être favorables au protectionnisme économique. Dans un premier temps, le jeune parti républicain semble une émanation du « Parti du sol libre » (Free Sol Party) dont Amos Tuck, on l’a vu, a été l’un des membres les plus ardents et influents dans un passétrès proche. Ces personnalités aux caractères proches ont l’ambition de bâtir une nouvelle Amérique sur des fondations nouvelles où la discrimination de race et de classe sociale n’existerait plus, où l’égalité devant la réussite se ferait au mérite et non par l’argent. La guerre de Sécession Amos Tuck cherche, trouve et s’appuie sur de nombreux soutiens moraux dans son combat pour faire triompher ses idées humanistes. À cette époque des hommes d’influence et la grandeur d’âme soutiennent son engagement avant-gardiste. On peut citer le quaker et poète John Greenleaf Whittier (1807-1892), avocat ardent de l’abolition de l’esclavage, ou encore l’éminent leader du mouvement abolitionniste Frederick Douglass (1818-1895). Les États-Unis en 1864 Wisconsin Minnesota Iowa Territoire de Washington Oregon Territoire du Nevada Californie Territoire du Dakota Missouri Illinois Indiana Kentucky Michigan Ohio Pennsylvanie New York Territoire du Nebraska Territoire Territoire du Colorado Kansas de l’Utah Territoire Territoire indie1n du nouveau Mexique Texas Tennessee Alabama Mississippi Louisiane Arkansas États de la Confédération États de l’Union 16 Maine New Hampshire Vermont Massachusetts Rhode Island Connecticut New Jersey Delaware Maryland Virginie Caroline du Nord Caroline du Sud Georgie États esclavagistes fidèles à l’Union Territoires de l’Union Abraham Lincoln (1809-1865), le président abolitionniste Né le 12 février 1809 d’un couple de paysans illettrés et sans aucune fortune, il réussit l’examen du barreau en 1836. Une seule fois élu au Congrès sur la liste des Whig en tant que représentant de la délégation de l’État de l’Illinois (1847-1849), il se présente en 1860 à la présidence des États-Unis sous la bannière du jeune Parti républicain qui vient d’être créé. Élu seizième président des États-Unis, il est le premier président républicain de l’histoire du pays. Son nom est associé à la guerre de Sécession (1861-1865) et à l’abolition de l’esclavage. Réélu en 1864, il est assassiné le 15 avril 1865 à Washington, à la suite d’un complot émanant de partisans confédérés. Délégué des conventions nationales républicaines de 1856 et 1860, Amos Tuck participe avec énergie en 1860 à l’élection à la présidence des États-Unis d’Abraham Lincoln, dont il restera l’un des fidèles et proches collaborateurs jusqu’au jour de son assassinat, le 14 avril 1865, au Ford’s Theatre à Washington. Les historiens américains présentent Amos Tuck comme le mentor du futur seizième président des États-Unis. Ces chercheurs ajoutent qu’Abraham Lincoln n’aurait jamais atteint ses buts, notamment celui de remporter, le 6 novembre 1860, la présidence des États-Unis, sans le rôle tout-puissant tenu par Amos dans les coulisses, notamment celui joué lors de l’investiture à la candidature républicaine qui se déroule lors de la seconde convention national républicaine de Chicago, les 16 et 17 mai 1860. Du 1er au 3 juillet 1863 Après une série de victoires, les Confédérés sont vaincus par l’armée de l'Union à Gettysburg. La plus meurtrière des batailles est un tournant de la guerre de Sécession. 17 Amos, officier naval du port de Boston. En 1861, Amos Tuck est délégué au congrès de la Paix qui se tient à l’Hôtel Willard de Washington, du 4 au 24 février 1861. Cette manifestation dite de la dernière chance réunit les délégués de 21 des 34 États américains. C’est l’ultime négociation pour éviter la déflagration de la guerre de Sécession. Après cette tentative charnière qui constitue un échec pour lui, Amos Tuck prend du recul en politique. Néanmoins, il fait son devoir militaire pendant la Guerre de Sécession. En tant qu’officier naval du port de Boston de 1861 à 1865, il prend part comme soldat à la guerre civile qui ravage son pays. 16-17 AMOS TRANSMET LE TÉMOIN À SON FILS EDWARD C’est dans un contexte politique, sociale et économique, le « Gilded Age » où se construit une nouvelle Amérique, tournée vers l’avenir et la conquête des marchés internationaux qu’Edward Tuck devient un grand financier. Austin Corbin (1827-1896). Ce financier industriel américain, associé d’Amos, consolide plusieurs lignes de chemins de fer à New York. Il décède en 1896 dans un accident de carrosse. La paix revenue, Amos Tuck reprend la pratique du droit et s’intéresse avec l’enthousiasme d’un jeune entrepreneur à l’essor des compagnies de chemins de fer. De 1870 à 1873, il réside à Saint-Louis dans le Missouri où il participe au développement de la Compagnie de chemin de fer reliant Saint-Louis à San Francisco. De 1874 à 1875, il passe le principal de son temps à New York où il s’associe avec « l’industrialiste » Austin Corbin au premier essor de la compagnie The New York and Manhattan Beach Railroad. 1880 Edward quitte la Munroe Bank et s'installe investisseur et banquier à son compte. En 1880, après quinze ans passés dans la sphère bancaire et ayant acquis non seulement une belle fortune en tant qu’associé et une expérience de premier ordre de la finance internationale, Edward quitte la Munroe Bank pour voler de ses propres ailes. Il s’installe pour ainsi dire à son compte et va participer aux « vingt très glorieuses » américaines, de ce que les historiens désignent par l’expression « The Gilded Age ». Ce grand bond en avant industriel marque l’une des époques les plus extraordinaires de toute l’histoire américaine. Cet essor s’accompagne d’une croissance territoriale vers l’ouest, d’une productivité agricole et d’une poussée démographique due notamment à l’immigration, toutes trois rapides et sans précédent. Amos Tuck s’avère à la fin de sa vie être un homme passionné par l’aventure industrielle de son pays autant qu’acteur présent sur le terrain qu’investisseur dans l’essor des compagnies de chemin de fer. Le « Gilded Age » (1877-1898) : les vingt très glorieuses de l’économie américaine Après la Guerre de Sécession, les États-Unis vont connaître deux périodes économiques singulières : celle de la reconstruction des États du sud (1865-1877), dévastés par la guerre civile, et la suivante, 1877-1898, « l’âge doré » (le Gilded Age de Mark Twain), laquelle donne naissance à une économie moderne et correspond à une période de croissance industrielle inédite jusqu’alors. Durant ces vingt ans de développement extraordinaire du « cheval de fer » – doublement du réseau de voies ferrées, de 150 000 à 300 000 kms – et de l’industrie mécanique et sidérurgique, Edward Tuck fait fortune en investissant lui-même dans les chemins de feret l’industrie. Cet essor fait des États-Unis dès la fin du XIXe siècle la première puissance économique mondiale devant la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne. 26-27 GRANDS MÉCÈNES À RUEIL Le château de Malmaison Le domaine de Bois-Préau Edward Tuck a une grande estime et confiance en Jean Bourguignon (1876-1953), le troisième conservateur de Malmaison, qui tient le rôle d’intercesseur pour l’acquisition du domaine de Bois-Préau en 1920. Les Tuck vont être de grands mécènes à Rueil. Le plus proche voisin des Tuck à Vert-Mont est le château de Malmaison. Dès 1907, une amitié solide va lier les Tuck au conservateur du musée de Malmaison, Jean Ajalbert (1863-1947). Les deux hommes ont un ami commun, Aristide Briand, alors ministre de l’Éducation.les Tuck vont soutenir le conservateur de Malmaison dans sa mission, notamment en achetant personnellement dans différentes ventes des objets qu’ils offrent ensuite au musée : le buste de Joséphine par Bosio, le portrait de Joséphine Bonaparte par François Gérard retrouvé à Saint-Pétersbourg, le lit de camp de Napoléon à Sainte-Hélène, des bonnets et des chaussures de Joséphine. 1927 En juillet, Edward Tuck est décoré de l’ordre de grand officier de la Légion d’honneur par Édouard Herriot, ministre de l’Instruction publique et ancien président du Conseil. Jean Bourguignon mettra en valeur les collections de Malmaison, malgré un manque criant de crédits. Il sera soutenu par les Tuck. C’est lors d’un déjeuner à Vert-Mont que Jean Bourguignon propose à Edward Tuck de visiter Bois-Préau. Pendant la promenade, il rappelle au mécène les effort permanents de Joséphine pour embellir le domaine. Trois semaines plus tard, le couple Tuck reçoit à dîner le conservateur et lui annonce l’achat de Bois-Préau pour 700 000 francs et qu’ils ont intention d’en faire don aux Musées nationaux de France, ce qui sera fait le 4 novembre 1926. Ils en conservent l'usufruit. La Table des maréchaux En 1929, Edward Tuck achète au nez et à la barbe du magnat américain de la presse écrite, William Randolph Hearst, la Table d’Austerlitz ou des maréchaux, et en fait don au château de Malmaison Exécuté de 1808 à 1810, ce chef-d’œuvre de la manufacture de Sèvres, commandé par Napoléon en 1806 pour commémorer la bataille d’Austerlitz (1805), est réalisé par les plus prestigieux artistes de l’Empire. Percier en donne le dessin général, Gérard celui des reliefs de la colonne, Isabey peint les portraits du plateau et Thomire est chargé des bronzes. Du médaillon central où figure Napoléon trônant en costume de sacre, partent treize rayons dans lesquels sont inscrites les plus grandes victoires de l’Empereur. « Nous ne comprenons pas toujours vos querelles de partis… C’est compliqué pour nous… Il ne faut pas nous en vouloir. Nous, nous sommes des républicains, qui n’avons jamais connu d’autre gouvernement que la république ». (…) Nous ne pratiquons pas… Je donne au pasteur, au rabbin et au curé, mais je ne les laisse pas entrer dans nos œuvres. » Cette donation stipule que Bois-Préau doit faire partie intégrante de Malmaison et constituer une annexe au Musée napoléonien. Les Tuck ajoutent 500 000 francs en obligations qu’ils déposent à la Caisse des Musées nationaux : les rentes doivent être affectées aux travaux d’aménagement et d’entretien du nouveau musée, sous la direction du conservateur de Malmaison ! Cette cérémonie spéciale très émouvante se déroule au château de Bois-Préau. La presse française et américaine revient abondamment sur cet événement qui consacre l’œuvre du grand mécène et bienfaiteur. L’école Tuck-Stell En 1920, Edward Tuck et sa femme offrent à la ville de Rueil un terrain près de la RN 13 pour y faire construire une école publique. Inauguré seulement en 1934, l'établissement baptisé « école Tuck-Stell » est avant-gardiste dans sa conception architecturale avec ses larges baies vitrées. « Svelte, en complet de campagne clair, sans la moustache blanche, M. Tuck n’eût pas semblé avoir atteint la quarantaine, alors qu’il touchait à soixante ans ; il s’exprimait dans un français hésitant, quoique nuancé et étendu… » Edward Tuck acquiert la statue de Joséphine de Beauharnais. Commandée en 1867 par Napoléon III au sculpteur Gabriel Vital-Dubray, cette statue est alors érigée avenue Marceau. Elle est démontée, transportée à Rueil et installée à l’entrée du parc de Bois-Préau en 1932. A plus de 85 ans, une fourche à la main, Edward Tuck continue de faire les foins à Bois-Préau. Pour lui, la vie à Bois-Préau où Vert-Mont c’est la campagne, la vie au grand air, la nature, les animaux, la détente dans l’harmonie et la réflexion. Jean Ajalbert, conservateur de La Malmaison avec son ami Edward. 50 51 50-51