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indépendante : la République de l’Inde, membre du Commonwealth, gouvernée par
Jawaharlal Nehru, est sortie des deux guerres européennes. On incline à croire
qu’en tout état de cause, la Chine, après la période de troubles ouverte par la
décadence de la dynastie mandchoue et par l’influence occidentale, aurait retrouvé
un Etat fort et se serait lancée dans la carrière industrielle : la Chine de Mao Tsé-
Toung, des plans quinquennaux et du marxisme-léninisme est inintelligible si l’on ne
suit pas le mouvement européen des idées et des événements, si l’on ne se reporte
pas à la révolution de 1917, à l’assassinat d’un archiduc autrichien dans une ville
obscure de la monarchie dualiste, à Hegel ou à Marx. On déterre quelques phrases
d’Alexis de Tocqueville pour confirmer, après coup, que l’ascension de la Russie et
des Etats-Unis était inscrite à l’avance au livre du destin. Peut-être, en effet, était-
elle rendue fatale par l’immensité des espaces américains et russe comme par la
division en Etats jaloux de l’espace européen. Il n’en fallut pas moins, par deux fois,
la menace de l’hégémonie allemande pour que les Etats-Unis prissent conscience de
leur gigantisme. Il fallut l’épuisement des nations européennes pour que l’Union
soviétique apparût, à elle-même et aux autres, irrésistible. A supposer qu’elles ne les
aient pas crées, les guerres ont révélé les forces qui dominent la conjoncture.
Ces guerres n’ont pas été mondiales seulement parce que les répercussions en
ont été perçues jusqu’aux extrémités de la planète, parce que Sénégalais ou Indiens
sont venus mourir dans les boues des Flandres, parce que les Anglais se sont frayé
leur chemin dans les jungles de la Malaisie ou que les Iles Salomon ont servi de
théâtre aux combats des Américains ou des Japonais. Ces guerres ont été livrées
avec les instruments, au nom des valeurs (ou des mots) de la civilisation
européenne. Du taxi de la Marne à la bombe atomique, il y a quarante ans d’écart,
l’intervalle entre deux âges de la technique militaire et de la civilisation industrielle.
Plus qu’à aucune autre époque les armées, par leur structure comme par leur
équipement, sont aujourd’hui le reflet des sociétés. La prééminence des nations
européennes devait s’écrouler le jour ou les masses humaines d’Asie auraient acquis
les outils de production et de combat qui avaient donné fortune et puissance aux
européens.
Ces derniers exportaient leurs idées en même temps que leurs machines. Il y a
un siècle, il ne sentait pas la contradiction entre le principe des nationalités dont ils
se réclamaient et les conquêtes lointaines qu’ils menaient avec bonnes conscience.
« Peuples supérieurs », ils se croyaient autorisés à gouverner les
« peuples inférieurs ». Ce racisme implicite ne pouvait résister indéfiniment à la
découverte de la grandeur des autres civilisations, à l’évidence de la précarité de la
suprématie européenne. Les guerres firent éclater la contradiction entre le principe
sur lequel était fondé l’ordre en Europe et celui sur lequel reposaient les empires
européens hors d’Europe. Les métropoles françaises et britannique se battaient ou
prétendaient se battre pour le droit des nations à disposer d’elles-mêmes et
refusaient le bénéfice de ce droit aux peuples d’Afrique ou d’Asie. Ce n’est pas par
hasard que les concepts de nation et d’empire ont fait le tour de la planète et