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Une vraie loi sur la laïcité scolaire.
Par Guy COQ.
1,185 mots
13 décembre 2003
Le Figaro
FIGARO
12
Français
(c) Copyright 2003 Le Figaro.
SOCIÉTÉ Au lendemain de la publication du rapport Stasi préconisant une loi contre le port de signes
ostensibles
Le point incontestablement positif du rapport Stasi est la réponse mesurée qu'il apporte à la question qui
a déchaîné les passions. La proposition est claire et bien motivée: il faut inscrire dans la loi une
interdiction des signes « ostensibles » portés ou affichés dans les écoles. Le même principe est étendu
aux établissements publics.
Pour le reste, on ne peut éviter une certaine déception. On a l'impression que la commission n'a pas pu
se préserver de la double réduction qui a marqué le débat sur la laïcité. Tout d'abord, on limite les
problèmes que l'islam pose à la démocratie laïque au voile islamique. Or le débat sur l'islam dans la laïcité
devrait comporter d'autres chapitres aussi importants: la question du financement des lieux de culte, la
bombe à retardement qu'est l'institution du Conseil français du culte musulman (CFCM), la
reconnaissance de l'urgence d'une réforme des universités donnant enfin la place qui lui revient à l'étude
des grandes traditions religieuses, notamment la musulmane.
La seconde réduction n'est pas moins grave: elle consiste à faire comme si le débat urgent sur notre
laïcité ne devait porter que sur le problème de l'intégration d'un islam de culture française dans l'espace
de la République. Or le problème d'une légitime représentation de l'islam n'a pas été résolu par la création
à l'arraché du CFCM. Que penseraient les chrétiens si un ministre de l'Intérieur décidait de leur imposer
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un président commun, unique, et de surcroît dans un premier temps choisi par lui ?
L'autre débat occulté touche au problème des mosquées. Un débat démocratique sur la question ferait
avancer les choses. Oui ou non, avons-nous collectivement la volonté d'élargir les possibilités qu'ouvre la
loi de 1905 aux musulmans ? Sur tous ces points, ou bien la commission Stasi se censure: elle n'aborde
aucunement le problème de la représentation de l'islam, comme si la politique de M. Sarkozy avait
définitivement réglé ce problème. Ou bien elle se borne à un constat de quelques progrès, sans examiner
comment la question des mosquées appelle une étude spécifique.
Une autre réduction du débat qui brouille les enjeux est l'aspect désastreux de la focalisation des
problèmes actuels de la laïcité sur la communauté musulmane. Or les questions dépassent de beaucoup
celles d'une seule religion. Quelles sont les thèmes occultés ?
Tout d'abord, malgré le rapport Régis Debray, la mise en place d'une connaissance des religions dans les
disciplines enseignées à l'école en France est bloquée depuis cinq ans. Passé l'échauffement médiatique
du rapport Debray, aucune initiative n'a été prise pour que l'enseignement fasse une place légitime à la
connaissance des grands religieux. Pire, dans certains cas, on a abouti à une méconnaissance. La
philosophie n'a guère avancé. Rien de sérieux n'a été fait dans les IUFM pour préparer les enseignants à
assumer cet enseignement. Les universités françaises continuent méthodiquement d'ignorer l'étude des
grandes traditions religieuses qui ont marqué l'Europe, mise à part la brillante exception de la 5e section
des Hautes Études.
L'enseignement des religions doit se faire selon une approche culturelle et laïque. Sur ce point, le rapport
Stasi est décevant, voire inquiétant. Décevant, d'abord, car il analyse la situation actuelle comme
satisfaisante alors que l'étude des religions à l'école n'avance plus et que la commission ne souhaite
donner aucune impulsion nouvelle... Inquiétant ensuite, parce qu'il évoque comme premier souci une «
étude critique des religions »: on sait quel état d'esprit antireligieux et prolaïque recouvre cette expression
qui réduit ainsi le sens culturel essentiel d'un examen des religions.
Quant à la laïcité scolaire, il est bien fait allusion à une loi générale, alors que s'imposerait un texte
explicitant la laïcité dans l'école. C'est un fait que la laïcité scolaire a donné lieu depuis Ferry à très peu de
textes de lois. Elle s'est inscrite dans les moeurs, on l'admettait, en même temps qu'on valorisait la
mission de l'école publique. La laïcité scolaire était devenue une sorte de tradition, elle avait une légitimité
à l'anglaise: peu de textes écrits.
Depuis la seconde moitié du XXe siècle, cette tradition s'est affaiblie. Cela s'est traduit par un certain
effacement du statut institutionnel de l'école, par un oubli de l'éducation morale, de la formation du
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citoyen, par un flottement sur la laïcité, officialisé par la jurisprudence du Conseil d'État à partir de 1989.
Rappelons qu'autour des années 30, à cause de l'agitation des groupuscules fascistes, les ministres
publièrent des circulaires interdisant tout signe religieux et politique dans l'école publique. Les dernières
de ces circulaires portent la signature de Jean Zay. A l'époque, il n'y eut aucune contestation et,
d'ailleurs, les ministres ne se compliquaient pas la tâche pour fonder leurs interdits. Il allait de soi que la
laïcité de l'école publique justifiait leurs rappels à l'ordre par circulaire: preuve du statut de tradition
institutionnelle qu'avait la laïcité scolaire.
Aujourd'hui, il s'impose non seulement de codifier des textes existants, mais de relayer une tradition
affaiblie par une loi sur la laïcité scolaire. Cette loi devrait certes réexprimer le principe de la discrétion
nécessaire des signes d'appartenance politique et religieuse dans l'école. Sur ce sujet, la commission
Stasi, on l'a vu, répond bien. Mais pour rétablir la laïcité scolaire, il faudrait mettre fin à la guerre des
marques commerciales dans la classe et la cour de l'école. Il faudrait donc dire clairement que cette
interdiction concerne également les marques commerciales: la classe tend à devenir le champ de foire où
les marques de vêtements font assaut de publicité. Or l'institution scolaire n'a pas à se transformer en
panneau publicitaire. Il faudrait aussi rappeler dans cette loi que la tenue vestimentaire dans l'école doit
correspondre à un principe élémentaire de pudeur. Il conviendrait par ailleurs d'ouvrir le droit aux
établissements de décider d'un uniforme.
Au total, il faudrait rappeler le caractère de l'école comme institution éducative: à cet égard elle n'est pas
le prolongement de la famille, et même si elle est une institution publique, elle n'est pas l'espace public de
la rue ou de la place publique. Le drame de l'école est que son statut d'institution a été peu à peu négligé,
ce qui explique certaines difficultés.
La commission Stasi n'est qu'une étape. Espérons que le législateur saura donner sa véritable ampleur à
une loi sur la laïcité scolaire et dans les services publics reprenant les propositions positives du rapport,
et ajoutant les questions que la précipitation finale des travaux du groupe de travail n'a pas permis
d'examiner.
*Philosophe. Dernier ouvrage paru: Laïcité et République, Le Félin.
Document FIGARO0020031215dzcd0000p
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