Abbe Michael Prieur, sld - Catholic Health Alliance of Canada

Abbe Michael Prieur, s.l.d.
En 1985, au Centre hospitalier
St-Joseph de London oil s'etait
presente un cas particulier de
grossesse ectopique abdominale, la
question de l'intervention medicale
a ete soulevee. Une evaluation
theologique a alors ete faite et
l'intervention a ete approuveel.
Recemment, de nouveaux modes
d'intervention par produits
pharmaceutiques (p. ex. le
methotrexate) ont ete utilises pour
des grossesses ectopiques tubaires, sans pour autant laisser
de cote les autres types d'intervention chirurgicale
courants. La valeur medicale de cette therapie a deja ete
examinee2. Le milieu medical actuel recommande l'une ou
l'autre forme de therapie pour ces cas.
Position morale
La position morale catholique, s'appuyant sui le principe
du «double effet», approuve egalement ce genre
d'interventions medicales. Neanmoins, un article
fortement documente au plan medical et theologique, ecrit
recemmentpar un moraliste connu, a remis en question la
legitimite de toute intervention jusqu'a ce qu'une crise
aigue se produise chez la mere. L'auteur va jusqu'a
affirmer specifiquement que le recours a la therapie
pharmaceutique constitueun avortement direct3.
Mais les membres de notre Comite consultatif sur les
tendances et les questions relatives a la perinatologie
reproductive se sont declares en desaccord complet avec
quelques-unes des propositions d'ordre medical contenues
dans cet article. De meme, plusieurs ecrits theologiques
recents en rejettent res conclusions4.
L'abbe Michael Prieur, s.t.d., est professeur de theologie morale au
Seminaire St.Peter's de London (Ontario).
REVUEACCS. Printemps 1996
18
Tels sont les evenements qui nous
amenent a vous presenter cette breve
mise a jour de l'etat de la question afin
de vous aider a choisir les traitements
qui correspondent aux conclusions
theologiques et medicales les mieux
eclairees.
nouvelle approche adoptee dans les
annees 1970 par Germain Grisez qui
elargissait alors sa conception du
principe du double effet8,
Resume de la pensee
theologique
La pensee officie//e
lusque durant les annees 1930, la
pensee theologique vehiculee dans les
enonces officiels de l'Eglise catholique
voulait que l' embryon ou le foetus,
dans toute situation de grossesse
ectopique, ne pouvait etre deloge a
moins qu'il ne soit viable en dehors de
son site d)mplantation, ou encore que
la mere ne fasse une hemorragie qui
exige une intervention pour lui sauver
la vie. Autrement dit, on ne devait pas
enlever la vie a un etre humain en vue
d'en sauver un autre.
la vie a la fois de la mere et de l'enfant,
on cause la mort de l'un des deux,
l'ensemble de la procedure demeure
legitime. II n'y a generalement pas
de chance de sauver un embryon
simplement en attendant qu'il
soit viable et l'intervention est
habituellement requise pour sauver
la vie de la mere.
En 1981, Bernard Haring declarait :
<Je considere comme probable
l'opinion de ceux qui justifient
l'extraction d'un foetus qui ne peut
surement pas survivre lorsque la
mesure est prise pour prevenir des
dommages graves pour la sante de
la mere... Extraire le foetus en vue
d'epargner de grands dommages a
la mere, alors qu'aucune injustice
n'est faite au foetus qui est deja voue
a mourir, est certainement
therapeutique. La morale
traditionnelle aurait considere cette
intervention comme un "avortement
indirect"».6
Remise en question
Cette opinion a ete remise en cause par
un canoniste de grande reputation,
L. Bouscaren, qui a fait valoir que si
le site d'implantation, par exemple
la trompe de Fallope, etait
pathologiquement atteint, toute
intervention-meme avant la viabilite
du foetus ou l'hemorragie de la
mere-consistait en realite a retirer
l'organe malade et n'enlevait la vie au
foetus que de fac;on indirecte. C'est
cet argument qui a ouvert la voie
au caractere licite de toutes les
interventions clans les cas de grossesse
ectopique, argument qui a prevalu
jusqu'a nos jours5. 11 est interessant
de noter que la plupart des groupes
pro-vie partagent aujourd'hui cette
opinion. Le principe de la totalite
Certains theologiens continuent
egalement de defendre la legitimite
de ces interventions chirurgicales en
s'appuyant sur le principe de la totalite,
«selon lequel une procedure appliquee
a un objet desordonne est admissible
en raison du plus grand bien de
l'ensemble physique. Dans ce cas, une
exception est faite a la loi morale qui
nous enjoint de ne pas mutiler le corps
et que ron considere implicite au
cinquieme commandement de Dieu».7
May soutient que toute
intervention dans le cas d'une
grossesse ectopique avant que ne se
produise une situation de crise chez la
mere constitue un avortement direct.
11 conclut «qu'il est moralement
imperieux de nos jours de faire tous
les efforts possibles pour decouvrir et
transplanter dans l'uterus les foetus
qui se sont malheureusement
implantes dans la trompe de Fallope
ou autres sites ectopiques au lieu de
l'uterus oil ils devraientse trouver»9.
Dans son article, il cite une
intervention reussie dans ce sens et
rapportee dans un autre article
recent.l0
Les medecins membres de notre
comite ont considere sa proposition
comme «chimerique» et
pratiquement impossible, malgre les
progres actuels de la science
obstetrique.
Selon le Dr Natale du Centre
hospitalier St-Joseph :
«La grossesse ectopique est le
resultat d'une imperfection tubaire
qui donne lieu a une implantation
inappropriee de l'embryon. La
formation du placenta devient alors
egalement anormale etant donne
que le site d'implantation n'est pas
"naturel" et n'assure pas les liens
emb ryonnai res- matemels
appropries. Etant donne que
l'implantation sefait grace aux
membranes placentaires, les
vaisseaux sanguins matemels sont
derives par le trophoblaste et les
membranes sont mises a vif,
entralnant des lesions et des
Le pr;nc;pe du double effet
L:article de William May publie en 1994
(note 3) remet en question les opinions
que nous venons de rappeler et cite la
Lapensee post-Vatican II
La pensee post-Vatican II tend plutot a
montrer que si, en essayant de sauver
REVUEACCS. Printemps 1996 19
enseignent specifiquement que «dans
les cas de grossesse extra-uterine,
aucune intervention qui constitue un
avortement direct n'est moralement
licite».12
2; milieu medical
actuel recommande
l'une ou l'autre forme de
grossesse ectopique.
au trophoblaste (le trophoblaste etant
«un feuillet mince d'ectoderme qui
attache l'embryon a la membrane
uterine, le nourrit et a une propension
invasive, et qui presente donc des
risques de malignite»13).
En faisant appel au principe du
doubleeffet et en reexaminant la
theorie du probabilisme moral
touchant la legitimite des opinions
en cette matiere, l'auteur conclut que
ce n'est pas en s'interessant a l'etre
humain essentiellui-meme, c'est-a-
dire au cytoblaste, mais plutot au
trophoblaste qu'il est possible de
sauver la femme en etat d'hemorragie.
On utilise la un moyen en vue d'une
bonne fin.
Touhey rappelle precisement que
la nouvelle directive de-1994 de la
Conference des eveques catholiques
americains ne condamne pas
d'intervention ectopique specifique,
laissant ainsi la question beaucoup
plus ouverte que dans sa directive de
1971 qui faisait mention de plusieurs
genres d'interventions ectopiques
considerees comme des avortements
directs lorsqu'elles etaient effectuees
avant la viabilite du foetus ou avant le
danger grave pour la mere. II montre
que la nouvelle directive laisse
beaucoup plus de possibilites de
traitement des cas de grossesse
ectopique.
~
hemorragies chez la mere. Un tel
etat met non seulement la vie de
la mere en danger mais aussi,
par ricochet, celle de l'embryon.
«Finalement, toute tentative de
separer le pole fetal en
developpement de son tissu
placentaire est "chimerique" parce
que cette separation mene a la
mort de l'embryon en ne laissant
aucune possibilite de
developpement embryonnaire
futur. De plus, le fait de laisser le
tissu placentaire in situ permettra a
celui-ci de continuer sa croissance
et d'eroder le tissu maternel, ce qui
provoquera l'hemorragie. Ainsi,
pour toutes sortes d'excellentes
raisons biologiques et medicales,
cette proposition, au meilleur de
nos connaissances, demeure
chimerique et inappropriee».ll
Les eveques americains
Un autre developpement s'est produit
sur cette question. Les eveques
americains viennent de publier leurs
propres directives revisees a l'intention
des services de sante catholiques. lIs
Cette directive a ete analysee de
fac;on fort detaillee par John Touhey
dans l'article mentionne plus haut.
11 soutient qu'une intervention dans
le cas d'une grossesse ectopique a
pour objectif de contrer un etat
pathologique qui peut etre inherent
2J p~s~t~o~ -morale
catliolique, s'appuyant
sur le principe du
«double effet», approuve
ce genre d'interventions
medicales.
~
L'auteur ne voit actuellement
aucune difficulte morale pour les
interventions pharmacologiques
ou chirurgicales mettant fin a des
grossesses ectopiques dans les cas de
risque grave pour la sante ou la vie
de la mere. Le recent ouvrage de
Le Centre hospitalier St-Joseph de London (ON) oil la question de l'intervention
medicate dans lescas de grossesse ectopique s'est presentee recemment.
20 REVUE ACCS .Printemps 1996
DeBlois, Norris et O'Rourke va clans
ce meme sells. approuver les protocoles medicaux en
usage d'intervention pour les cas de
grossesse ectopique. On peut encore
legitimement les interpreter
simplement comme des «avortements
indirects» aux termes de la theologie
morale catholique romaine.
Apres etude et reflexion, nous
sommes actuellement d'avis que les cas
de grossesse ectopique peuvent etre
traites par une intervention soit
pharmacologique, so it chirurgicale,
surtout lorsqu'un retard risque de
constituer une menace a la sante ou a
la vie de la mere.
Neanmoins, advenant que les
progres de la science nous offrent la
possibilite de sauver I'embryon ou le
foetus en developpement, nous devrons
tirer avantage, moralement aussi bien
que medicalement, de cette percee
technologique medicale selon le
meilleur interet de la mere et de
I'enfant. Dans un cas comme dans
I'autre, nous devons nous assurer de
donner un soli de temoignage chretien
en faisant valoir la valeur sacree de
tout etre humain des sa conception. t
Conclusion
Ce bref survol de la question nous
permet de voir que ce probleme fait
encore l'objet d'un debat intense. Les
protocoles medicaux actuellement en
usage, specialement ceux de nature
pharmacologique, en plus de se
preoccuper des menaces a la vie de
la mere en toute situation ectopique,
tendent en outre a sauvegarder la
trompe de Fallope en bon etat en
vue des grossesses futures, une
consideration que nous avons avantage
a ne pas oublier dans le debat actuel.
nous offrent la possibilite
de sauver l'embryan au le
foetus en developpement,
nous devrons tirer
(Milwaukee, Bruce) avec quelques
changements sur cette question.
6 Bernard Haring, C.Ss.R., Free and
Faithful in Christ, N.V., Crossroads,
1981, vol. III, 34; voir aussi Medical
Ethics, Slough England, St. Paul
Publications, 1972, 109.
7 Cite dans John 1Uohey, art. cit.,
note 4.
8 G. Grisez, Abortion: the Myths, the
Realities and the Arguments, N .V.,
Corpus, 1970.
9 Art. cit., 146.
10 c.J. Wallace, M.D., «Transplantation
of Ectopic Pregnancy from
Fallopian Tube to Cavity of Uterus»,
Surgery, Gynecology and
Obstetrics, vol. 24, 5 mai 1917;
reimprime dansLinacre Quarterly,
fevrier 1995, 67-9.
11 Dr Renato Natale, FRCS(S),
directeur de I'obst./ gynec. au
Centre hospitalier St-Joseph,
London, Ontario.
12 USCC, «Ethical and Religious
Directives for Catholic Health Care
Services», Origins, vol. 24, no 27
(27 decembre 1994), 450-62, nO 48.
13 Sr Agnes Clare Frenay et Sr Rose
Maureen Mahoney, eds.,
Understanding Medical
Temzinology, St. Louis, Mo., The
Catholic Health Association, 1989
(8e ed.), 254.
avantage de cette percee
technologique selon le
meilleur interet de la
mere et de I' enfant.
L'analyse courante situant dans le
trophoblaste l'etat pathologique dans
les cas de grossesse ectopique est en
rapport avec la legitimation de
l'intervention medicale avant la
viabilite du foetus et avant un etat de
crise chez la mere. Cela signifie que
l'intervention ne s'attaque pas a l'etre
humain lui-meme, mais au «systeme
de support» comme tel de l'etre
humain.
En recourant aux categories
morales traditionnelles et sans
invoquer de methodologies
proportionnalistes radicales, les etudes
citees remettent en question les
positions de May, et semblent plutot
1 Voir Michael R. Prieur, «Abdomina!
Ectopic Pregnancies: Theological
Developments», Bioethics Dossier,
Paper 18, Centre hospitalier
St-Joseph, London, Ontario,
19 mai 1985.
2 Dr Sandra A Carson et Dr John E.
Buster, «Ectopic Pregnancy»,
The New England Journal of
Medicine, vol. 329, nO 16 (14 oct.
1993), 1174-81.
3 William E. May, «The Management
of Ectopic Pregnancies: A Moral
Analysis», dans Peter J. Cataldo,
Albert Moraczewski, o.p., The Fetal
Tissue Issue -Medical and Ethical
Issues, Braintree, Mass., Pope John
Centre, 1994, 121-147.
4 John F. Tuohey, «The Implications
of the Ethical and Religious
Directives for Catholic Health Care
Services on the Clinical Practice of
Resolving Ectopic Pregnancies»,
Louvain Studies, 20 (1995), 41-57.
5 Voir L. Bouscaren, Ethics of Ectopic
Operations, Chicago, Loyola Univ.
Press, 1993 (une edition corrigee de sa
these de doctorat de 1928); une
deuxieme edition a ete publiee en 1944
21
REVUEACCS. Printemps 1996
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