Ce modèle des trois opérations a été élaboré pour les classes terminales par M. Tozzi. C'est
l'enseignant qui doit les avoir en tête quand il aide les enfants à philosopher car c'est là qu'il veut
emmener les enfants au fil du temps, en respectant leurs rythmes de croissance intellectuelle. Les
enfants n'en sont pas encore capables mais ils s'en rapprochent au fil de l'entraînement, surtout
comme nous le verrons plus loin, si on leur donne certains supports pour nourrir leur réflexion.
L'enseignant intervient : il fait le travail de reformulation, de synthèse.
Il demande aux enfants d'expliciter leur pensée.
Il fait des « relances » (qu'il a préparées) c'est à dire que lorsque le groupe a épuisé la réflexion
sur une question, il pose une autre question qui correspond à une autre problématique.
Ex : première problématique : « l'intelligence, à quoi ça sert ? ».
Au bout de 20 minutes de discussion, les élèves ont mis l'intelligence en relation avec
l'apprentissage, le langage, la pensée, la création, l'invention.
Ils semblent avoir épuisé la question et l'enseignant fait une relance: « Quelle différence feriez
vous entre l'intelligence humaine et l'intelligence des animaux ? Est-ce que c'est la même chose ?
Est-ce qu'il y a des différences ?
Une DVP dure de 25 à 45 minutes (en C2 et C3) et s'effectue si possible en demi-classe. La
difficulté pour l'enseignant c'est de trouver le bon moment (ce que les grecs appellent le
« kairos ») pour intervenir. Au début, on a tendance à trop intervenir et de ce fait à ne pas laisser
les enfants aller jusqu'au bout de leurs idées grâce aux échanges. Il faut trouver un équilibre entre
le fait de laisser du temps aux élèves pour élaborer leur propre pensée encore balbutiante et la
nécessité de les aider à aller plus loin grâce à une intervention pertinente.
Il faut préparer des questions, des relances sur le sujet, tout en sachant que peut-être les enfants
prendront une autre direction et qu'on n'aura pas besoin de les utiliser. L'animation est un art qui
s'apprend dans la pratique. Toutefois, les reformulations et synthèses sont déjà un bon repère pour
soutenir la pensée du groupe. Là encore, il faut les utiliser à bon escient et éviter qu'elles ne
deviennent envahissantes dans la discussion.
La littérature de jeunesse comme médiation culturelle
pour la pensée à visée philosophique
La réflexion pédagogique qui propose de faire débattre les enfants à partir de la littérature de
jeunesse s'inscrit dans une réflexion plus large sur les rapports entre la philosophie et la
littérature.
Pendant des siècles la philosophie s'est considérée elle-même comme la seule discipline initiant à
la pensée « véritable », c'est à dire à la pensée rationnelle, car la philosophie a toujours été
profondément méfiante par rapport à l'imagination (considérée comme « la folle du logis ») dont
se nourrit la littérature.
Il a fallu attendre le 20ème siècle et notamment les travaux de P. Ricoeur, dans « Temps et récit »,
en 1991, pour « réhabiliter » la littérature comme mode de pensée à part entière. Ricoeur montre
que lorsque nous lisons des romans, nous portons un regard sur la condition humaine : nous
explorons celle-ci à travers les scénarios de vie des personnages, leurs destins et leur part de
liberté au travers des situations qu'ils traversent. Les récits nous engagent dans une « expérience
de pensée », mais différemment, à travers la métaphore et non le concept.