débat : Pluralité de l’Islam en Afrique ? Date et lieux : Le dimanche 19 octobre 2003, de 11h à 12h30, amphi 1 de l’antenne Universitaire, les Rendez-vous de l’histoire de Blois. ? Animateur : Daniel Rivet : professeur à l’université de Paris I , spécialiste d’histoire Contemporaine. ? Participants : Rémy Leveau : professeur à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris ; Abderrahmane Moussaoui : maître de conférence à l’université de Provence ( Marseille ), département ethnologie. Jean-Claude Penrad : maître de conférence à l’Ecole des Hautes Etudes en Science Sociale et chercheur au Centre d’Etudes Africaines. Bernard Salvaing : maître de conférence à l’université de Paris I, membre du Centre de Recherches Africaines. Jean- Louis Triaud : professeur à l’université de Provence ( Marseille ), à l’initiative de ce débat . ? Les problématiques du débat : Ambivalence d’un Islam africain offrant alternativement ou simultanément l’image et le modèle de l’affrontement et de la barbarie ou/et celui du pacifisme et de la sapience. Question de l’enracinement de l’Islam en Afrique sur le temps long. ? Le plan de la discussion : Daniel Rivet ( DR ) se propose d’articuler comme suit le débat : 1°) Remarques liminaires par l’animateur 2°) Présentation des intervenants 3°) Interventions successives des participants sur le thème du débat 4°) Débats dans le débat 5°) Echanges avec la salle ? Le compte-rendu 1°) DR tient à souligner que le mot ISLAM est surchargé de sens, qu’il convient de distinguer l’islam de la foi .de la civilisation de l’Islam. Il considère comme maladroit d’opposer Islam des villes et des campagnes ; Islam orthodoxe ou résultant de syncrétismes (ex : berbère ) ; Islam scripturaire ou de tradition orale … Il juge préférable de verser ces apparents paradoxes au chapitre de l’adaptation de l’Islam à la situation propre des « Afrique » rencontrées sur sa route. Il note enfin que la tendance actuelle est à l’étude de l’Islam vécue, celle des anthropologues. 2°) Voir animateur et intervenants 3°) Jean- Louis Triaud ( JLT ) brosse tout d’abord à grands traits l’islamisation de l’Afrique et souligne l’importance du temps long en la matière. Il distingue la situation du : - Nord du continent, où la conquête du VIIème siècle ne doit pas masquer la profonde dilution des apports arabo-musulmans dans le substrat autochtone. Vu de Bagdad, le Maghreb ( couchant ) reste, des siècles durant, un « FarWest ». Ainsi L’Afrique du Nord ne sera islamisée que vers 950 et arabisée seulement deux siècles plus tard. - Pour ce qui concerne l’Afrique sub-saharienne, JLT parle d’une imprégnation par capillarité. Après des contacts initiaux mais circonstanciés datés d’environ 800, ce sont des commerçants ou des chefs de guerre arabes qui favorisent au XIème siècle l’avancée de l’Islam dans les « Soudan » ( mot d’origine arabe signifiant « noir » ). Est avérée l’existence, en Afrique noire, au XIVème siècle d’un Islam de lettrés (à Tombouctou), au XVIIème de confréries soufi ( 1er étudiants : « talibé » ), au XVIII et XIXème d’un Islam politiquement organisé ( califat de Sokoto et application de la Shari’a ). JLT rappelle que la colonisation a favorisé la progression de l’Islam ( refuge culturel et identitaire ) ; qu’aujourd’hui 1 africain sur 3 est musulman et que l’Afrique est actuellement le théâtre d’une floraison de centre d’activités et d’association d’obédience islamiste, développement non sans rapport avec l’actualité internationale. Jean-Claude Penrad ( JCP ) nous propose une plongée dans l’Afrique de l’Est, objet de ses recherches les plus poussées. Il tient à souligner que bien avant l’époque Mahométane, des échanges commerciaux , révélés par de difficiles fouilles d’habitats et de coques de bateaux, s’opèrent entre les côtes de la péninsule arabe et les côtes africaines de l’Océan Indien et du Golfe Persique. JCP qualifie « d’Islam des comptoirs » la très lente imprégnation des pratiques musulmanes dans cette partie de l’Afrique, notant l’absence de prosélytisme, moins encore de jihâd du IX au XVIème siècle. Les découvreurs, puis colonisateurs européens et notamment portugais occasionneront une radicalisation de cet Islam est-africain ( essor des confréries et des conversions ), sur fond de rivalités économiques et de tentatives de christianisation. Bernard Salvaing ( BS ) est ensuite invité par l’animateur à restreindre au maximum son exposé ( plus spécifiquement centré sur l’Afrique sahélienne ), faute de temps. BS tient cependant à souligner que dans cette Afrique aussi, on relève contrastes et paradoxes entre un Islam guerrier et un Islam pacifique, drainant le long des routes du commerce, à travers le Sahara, durant des centaines d’années, des marchands, des lettrés et plus tard des soufis, porteurs d’une acculturation progressive et pacifique, de techniques d’écriture, de connaissances en tout genre, et d'une loi universelle, révélée et écrite : l’Islam. S’appuyant sur les exemples du Mali et du haut Nigeria, BS insiste sur cette complexité du fait musulman en Afrique et invite à se défier de toutes les lectures à sens unique séduisantes du fait de l’actualité « chargée » de cette religion. Abderrahmane Moussaoui ( AM ) pressé lui aussi par le temps, fait un point rapide sur l’Islam actuel du Maghreb et plus précisément de l’Algérie. L’Islam est, là plus qu’ailleurs, un étendard identitaire, un levier politique et un motif idéologique de combat. Bonne ou mauvaise réponse à la crise de légitimité des pouvoirs issus de la décolonisation et à la crise culturelle issue du choc de la modernité et de la mondialisation, cet Islam radical et politique, qui se revendique comme moyen d’unification, génère paradoxalement bien souvent la division. Le rapatriement d’utopies islamistes par des groupes fondamentalistes proposant cette réponse aux errances politiques et à la dépendance économique, la ré-arabisation ( par des financements moyen-orientaux ) d’une partie des croyants du Maghreb ne sauraient cependant occulter la persistance massive, notamment dans les arrière-pays, d’un Islam plus traditionnel. . Rémy Leveau ( RL ) se doit de conclure cette série d’interventions en jetant des ponts entre les éclairages effectués par ses éminents collègues et l’actualité de l’Islam africain et plus spécifiquement maghrébin. Il rappelle qu’à la faveur de la révolution islamique iranienne (1979), l’Afrique n’a pas échappé aux tentatives d’installation sans concession d‘un Islam militant : ( wahabisme ). Bien que combattu par différents moyens ( dictature militaire, régime autoritaire, intégration économique et culturel au système-monde ), cet Islam politisé radical apparaît désormais incontournable. Et RL de prendre l’exemple de : - la Tunisie en analysant rapidement les choix économiques faits pour endiguer l’essor de l’islamisme après le bourguibisme. - L’Algérie où les désintégrations post-coloniales, le modèle iranien, la guerre du Golfe avaient conduit l’Islam a des victoires électorales obligeant la réaction militaire et les dérives violentes que l’on déplore depuis. - le Maroc, où le frémissement consécutif à la révolution iranienne avait révélé dans l’opinion publique un vrai potentiel d’islamisation. Le pouvoir royal, ayant réussi ici éviter à le piège de la radicalisation en assurant aux partis islamistes modérés une représentation parlementaire. RL termine son intervention en soulignant que partout en Afrique du nord, le pouvoir doit « composer » avec un Islam lui même à la croisée des chemins, et qu’à ce titre, les prochaines élections présidentielles algériennes constitueront un test grandeur nature et lourd de conséquences. 4°) Le débat dans le débat n’a pas lieu faute de temps 5°) L’échange avec la salle est l’occasion de quelques éclairages complémentaires - A la question du « rôle d’Internet dans le tissage des liens entre les différents Islam africains », JLT souligne le rôle effectif de cet outil dans le processus de désenclavement des régions « provincialisées » ; citant le cas de confréries sénégalaises utilisant ce vecteur. - A celle de la « question libyenne dans le panorama de l’Islam africain », JLT répond que si Khadafi joue un rôle politique et diplomatique incontestable, le regarder comme un guide religieux relève en grande partie du fantasme. - A la question du « nombre de morts de la guerre civile en Algérie », AM refuse de répondre par la « mathématique morbide ». Il déplore que les chiffres soient devenus un enjeu et précise que l’ampleur de la fourchette retenue ( de 100 000 à un million de morts ) n’a d’égale que celle du gâchis qu’elle présuppose. - A celle de « la peur particulière de la France vis à vis de l’Islam », JLT confirme cette défiance et l’explique autant par l’âpreté des luttes passées entre la République et l’Eglise Catholique que par les analyses passionnelles de cette question en rapport avec les blessures de la période coloniale. JLT invite sur ce thème à la lecture du livre du philosophe et journaliste Maxime Rodinson : « La fascination de l’Islam » Compte rendu par Marquiand Daniel, à Romans/ Isère, le 26 / 10 / 2003