
Il est intéressant de noter que les Hommes modernes en Afrique du Nord et au Levant,
qui ont été les auteurs des industries levallois-moustériennes, moustériennes et atériennes,
n’ont pas produit des manifestations artistiques qui sont attribuées en Europe aux Hommes
modernes et fréquemment considérées comme des éléments de « l’explosion créative »
(Pfeiffer, 1982) ou « révolution leptolithique » (Bar-Yosef, 1992, 1997, 2003).
Les éléments de la « révolution leptolithique » dans le domaine symbolique apparais-
sent au Proche-Orient seulement dans les cultures « de transition » et dans l’Aurignacien
(Bar-Yosef, 1997), donc – comme en Europe – dans les entités attribuées au Paléolithique
supérieur.
2. Le Paléolithique supérieur initial de la première partie de l’Interpléniglaciaire
(50 000/48 000–38 000 ans B.P.) - Carte 1, Fig. 1
La période entre 48 000–38 000 ans B.P. est cruciale pour le passage entre le Paléolithi-
que moyen et supérieur. Nous observons, le plus tôt au Proche-Orient, une transition tech-
nologique et stylistique dans le domaine des outillages lithiques entre le Paléolithique moyen
et le Paléolithique supérieur. Elle est marquée par une longue évolution à partir de l’Emi-
rien, issue du Levallois-Moustérien levantin, autour de 48 000–46 000 ans B.P., vers l’Ahma-
rien qui a persisté sur le littoral syropalestinien et au Néguev jusqu’à 20 000 ans, représen-
tant la plus importante entité culturelle au Proche-Orient, avant l’Épipaléolithique
postpléniglaciaire (Bar-Yosef et Belfer-Cohen, 1977, 1996 ;Marks, 1976, 1983 ;Goring-
Moris et Belfer-Cohen, 2003). Les industries de l’Emirien/Ahmarien, caractérisées par une
transition technologique des méthodes Levallois vers les techniques laminaires leptolithi-
ques dans le contexte typologique leptolithique, ont été diffusées vers l’Anatolie (grotte
d’Ucagizli [39/38 Kyr B.P.] et Kanal-Kuhn et al., 1999 ;Kuhn, 2003), les Balkans (par ex.
la couche VI de la grotte Temnata, en Bulgarie, secteur TD-II [50–45 Kyr], suivi du Bacho-
kirien de la couche 4 [43–36 Kyr] – Drobniewicz et al., 2000 ;Kozlowski, 2004), et en
Europe centrale (Bohunicien connu surtout en Moravie [42–38 Kyr B.P.] – Svoboda, 2003,
et éventuellement le Kréméniecien enVolhynie [30 Kyr B.P.?] – Stepanchuk, Cohen, 2000–
2001). Tenant compte de certains décalages chronologiques entre les différentes entités
culturelles de ce complexe, il ne s’agit probablement pas d’une seule diffusion, mais de
plusieurs vagues dans la période comprise entre 48 000 et 38 000 ans B.P.
Malheureusement nous ne connaissons pas avec certitude le type anthropologique res-
ponsable de ce complexe culturel, mais il est possible qu’il s’agisse des premiers Hommes
modernes aussi bien au Proche-Orient (voir les restes d’Egberta dans l’Ahmarien de Ksar
Akil) qu’en Europe (Bacho Kiro, couche 11 dans le Bachokirien).
Notons que dans ces entités apparaissent les premiers objets symboliques, comme la
plaquette avec incisions rythmiques de la grotte Temnata couche VI (Crémades, 2000), les
dents percées de la couche 11 de Bacho Kiro (Marshack, 1976) et les nombreuses coquilles
percées connues dans la grotte Ucagizli (Kuhn, 2003 ;Stiner, 2003).
Dans le même laps de temps, aux Balkans du Sud, en Italie et en France apparaissent les
autres « cultures de transition » issues du Moustérien local, notamment l’Uluzzien et le
Chatelperronien, étant probablement l’œuvre des néandertaliens (Hublin, 2000 ;Palma di
Cesnola et Messeri, 1967). Les datations radiométriques indiquent que ces « cultures de
522 J.K. Kozlowski / L’anthropologie 109 (2005) 520–540