(Suez) et donc voie d’accès directe entre l’Europe et l’Asie-Océanie, elle constitue un enjeu économique et
stratégique gigantesque pour les puissances coloniales et leurs possessions outre-mer ainsi que pour le
commerce mondial de manière générale.
Or, au début des années 1950, le canal est l’objet de tensions croissantes ; en 1951, une lutte armée s’est
développée autour de celui-ci, contre la présence coloniale. Toutefois, l’occupation militaire de l’Egypte par
la Grande-Bretagne instaurée en 1882 a, elle, pris n en 1954 soit un an auparavant (ce dont Larmina ne
semble pas très au fait puisqu’elle parle d’une « occupation anglaise »…). De manière générale, l’inuence
européenne en Egypte est contestée, comme le manifestent dans le lm les nombreuses réexions des
populations locales. Ces réexions prégurent la mise à mal de la domination franco-britannique en Egypte
un an plus tard, par la nationalisation du canal de Suez.
En effet, Nasser recherchant des nancements pour armer l’Egypte et construire le barrage d’Assouan, il
s’adresse aux Etats-Unis, puis à l’URSS et enn à la Grande-Bretagne – selon une politique de bascule en-
tre les deux blocs de la Guerre Froide. A la suite du refus de ces trois pays, Nasser nationalisera le canal
le 26 juillet 1956. Les Français et Britanniques réagiront en mettant sur pied une intervention militaire très
importante, engagée en octobre avec l’appui d’Israël – qui a besoin du canal pour assurer son transport ma-
ritime. Les occidentaux remporteront une écrasante victoire militaire entre le 29 octobre et le 6 novembre
1956…mais essuieront un grave échec diplomatique, les Etats-Unis et l’URSS condamnant cette opéra-
tion européenne jugée d’un autre temps et, par le biais des injonctions de l’O.N.U., obligeant la France et
la Grande-Bretagne à se retirer. En ceci, l’épisode sera révélateur d’un aveuglement de l’Europe face aux
revendications du tiers monde.
« La déchéance de l’Europe » (Marc Ferro)
Le formidable manque de recul de la France face à la détermination des Egyptiens à mettre n à la domi-
nation européenne est sensible dans plusieurs scènes du lm.
Il est visible dans Le Caire nid d’espions que la France de René Coty pense toujours, en 1955, jouer un rôle
majeur au Moyen-Orient, alors même que la crise de Suez se prole. OSS 117 n’est-il pas chargé, au début
du lm, « de conforter la position de la France, instaurer la paix en Egypte et au Proche Orient » ? La scène
nale n’est-elle pas également symptomatique de cet aveuglement, quand le supérieur d’OSS 117 félicite
celui-ci du succès de sa mission et afrme que l’Egypte entre dans une ère de paix alors même qu’un journal
titre « Attentat au Caire ; Nasser décrète l’état d’urgence ; inquiétude des USA et de la Grande-Bretagne ;
l’URSS rappelle son ambassadeur, Israël mobilise » – prodrome de la crise de Suez qui aura lieu un an plus
tard ?
Le Caire nid d’espions fait bien comprendre, à sa manière, l’anachronisme du comportement de la France
(comme de la Grande-Bretagne) en Egypte. Le manque de lucidité des protagonistes français du lm fait
écho à la « diplomatie de la canonnière » longtemps pratiquée par les puissances occidentales, désor-
mais devenue inacceptable dans un monde de l’après-Seconde guerre mondiale où les Etats-Unis, l’URSS
comme l’ONU soutiennent les mouvements anti-impérialistes tandis que 29 Etats africains et asiatiques
s’unissent contre le colonialisme lors de la Conférence de Bandung (avril 1955). D’ailleurs, à la suite de la
crise de Suez, la France et même la Grande-Bretagne devront abandonner leurs prétentions à jouer un rôle
majeur au Moyen-Orient et y passer la relève aux Américains face aux Soviétiques – ce que l’on appellera la
« doctrine Eisenhower ». En plein cœur de la Guerre Froide qui oppose Etats-Unis et URSS depuis 1947,
il n’est pas de place pour une politique internationale autonome des pays européens, qui se retrouvent au
rang de puissances secondaires ; à l’inverse, le tiers monde découvre alors sa capacité de décision dans le
jeu des relations internationales.
Ainsi Le Caire nid d’espions traite-t-il aussi bien de la déchéance de l’Europe que de l’émergence d’un
tiers monde renforcé par les mouvements de décolonisation.
Le crépuscule de l’Empire colonial français
L’émergence du tiers monde est particulièrement sensible à travers les mouvements d’émancipation des
peuples colonisés, qui apparaissent en ligrane dans les dialogues du lm.
Car la crise de Suez ne fait que conrmer un repli colonial déjà amorcé pour la France. En 1955, comme
le signale le fonctionnaire de l’ambassade française au Caire à OSS 117, se produit une « agitation ici [en
Egypte], au Maroc, en Algérie, en Tunisie… ». Rappelons en effet que dans les deux protectorats que sont le
Maroc et la Tunisie, des partis d’indépendance existent dès avant la Seconde Guerre mondiale : le parti de
La Séance du mois 4