© L’Harmattan, 2012 5-7, rue de l’École polytechnique, 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com [email protected] [email protected] ISBN : 978-2-296-96580-5 EAN : 9782296965805 LA POLITIQUE EUROPÉENNE DE SÉCURITÉ ET DE DÉFENSE Quel bilan après 10 ans ? Quelles nouvelles orientations ? à ma femme Boglárka et à mes Parents András István TÜRKE LA POLITIQUE EUROPÉENNE DE SÉCURITÉ ET DE DÉFENSE Quel bilan après 10 ans ? Quelles nouvelles orientations ? Avec le soutien de l’Institut/Fondation Europa Varietas www.europavarietas.org L'Harmattan Questions Contemporaines Collection dirigée par B. Péquignot et D. Rolland Chômage, exclusion, globalisation… Jamais les « questions contemporaines » n’ont été aussi nombreuses et aussi complexes à appréhender. Le pari de la collection « Questions Contemporaines » est d’offrir un espace de réflexion et de débat à tous ceux, chercheurs, militants ou praticiens, qui osent penser autrement, exprimer des idées neuves et ouvrir de nouvelles pistes à la réflexion collective. Derniers ouvrages parus Vanessa Fargnoli, Viol(s) comme arme de guerre, 2012. Jean-Jacques LEDOS, Petite contribution à l’histoire de la radio, 2012. Jean-Jacques LEDOS, Petite contribution à l’histoire de la télévision, 2012. Julien DENIEUIL, Concentration éditoriale et bibliodiversité, 2011. Roland GUILLON, La Méditerranée à l’épreuve de la globalisation, 2012. Esther RESTA La société patriarcale face à la résistance des femmes, 2012. Esther RESTA, Du matriarcat au patriarcat, 2012. Saïd KOUTANI, Le devenir du métier d’ingénieur, 2012. Bernard GOURMELEN, Handicap, projet et réinsertion. Analyse des processus identitaires pour les travailleurs handicapés, 2012. Eric SARTORI, Le socialisme d’Auguste, 2012. Jean-Christophe TORRES, Du narcissisme. Individualisme et amour de soi à l’ère postmoderne, 2012. Yvon OLLIVIER, La Désunion française. Essai sur l’altérité au sein de la République, 2012. Joachim MARCUS-STEIFF, La société sous-informée, 2012. Mikaël LACLAU, Le Grand Plan : nouvelles stratégies de la globalisation capitaliste, 2012. Michel JUFFÉ, Quelle croissance pour l’humanité ?, 2012. Daniel ESTEVEZ, Représenter l’espace contemporain, Projets et expérimentations architecturales dans les aéroports, 2012. Stéphane JACQUOT, en collaboration avec Yves Charpenel, La justice réparatrice, 2012. Emilie PICOU, Démythifier la maternité. Concilier foi chrétienne et droit à l’avortement, 2012. Introduction La construction européenne a garanti, soixante années durant, la paix et la stabilité sur notre continent. Cette situation a permis à l’Europe de renaître des cendres et de construire une zone de prospérité et de bien-être, avec un modèle social unique. Premier grand résultat de l’élargissement, en juillet 1997, l’OTAN a invité au sommet de Madrid trois États à rejoindre ses rangs, la Pologne, la République tchèque et la Hongrie, malgré l’opposition de Moscou qui voyait dans cet élargissement « une marche à l’Est » qui la menaçait. Quant à la naissance de la PESD1, et même après l’adhésion des dix nouveaux États membres (les NEM), les États d’Europe orientale se sont trouvés dans une position délicate : une nouvelle politique européenne naissait qui pouvait à terme pousser les Américains à se retirer d’Europe. Or, pour les nouveaux États membres de l’OTAN ainsi que pour les États candidats, cette perspective ne paraissait pas idéale. L’Europe d’aujourd’hui est à la croisée des chemins. Avec 494 millions d’habitants, son poids spécifique est majeur. En 2009, elle est encore en train d’élaborer une stratégie commune qui se base sur les objectifs de la stratégie européenne de sécurité en 2003. En mai 2003, le Haut représentant de la PESC a proposé la mise en œuvre d’une stratégie de sécurité pour l’UE et cette conception stratégique de l’Union ressemble fortement à la nouvelle conception stratégique de l’OTAN (Washington, 1999). Selon la stratégie, il faut assurer un avenir plus avantageux, réfléchir globalement et agir localement. Les enjeux les plus importants sont de faire face aux menaces comme le terrorisme et la prolifération des armements, et de garantir la sûreté dans le voisinage européen, or l’élargissement de l’UE a placé certains nouveaux États dans une situation vulnérable car ils côtoient des régions instables. Le premier problème est aujourd’hui de savoir si les États membres de l’Union européenne dans leur ensemble veulent devenir responsables de leur destin dans le domaine de la défense. Depuis cinquante ans leur attitude constante a été de réagir face à des initiatives ou des évolutions venues d’ailleurs. Les premiers pas vers une identité européenne de défense ont eu lieu, parce qu’en fin de compte, l’engagement américain pour la sécurité du continent paraissait à tous égards moins assuré. La crise de Berlin, comme celle des euromissiles en ont montré les faiblesses dans le domaine nucléaire. La crise yougoslave a eu un rôle de révélateur équivalent dans le domaine conventionnel. Les crises africaines montrent que si l’Europe ne fait rien, ce ne sont pas les États-Unis qui les règleront. Le dilemme fondamental auquel les Européens sont confrontés, celui de leur relation avec les États-Unis et avec l’OTAN en est le symbole. A défaut, 1 La politique européenne de sécurité et de défense. 7 toute avancée européenne sera ressentie par Washington comme un signe de défiance et certains Européens de leur côté craindront d’avoir à choisir entre leurs voisins et une Alliance à laquelle ils sont à juste titre attachés. L’Union devient un jeu de « check and balance » où chacun cherche à mettre en place les contre-pouvoirs qui peuvent neutraliser tel ou tel et, par contrecoup, l’ensemble. La défense de l’Europe peut être fondée demain sur une coopération flexible entre armées qui garderont leur identité et par conséquent leur motivation et contribueront à maintenir l’esprit de défense de leurs peuples. La condition du succès de l’entreprise est que chacun y trouve sa place « petits » comme « grands » avec les profondes différences culturelles, militaires, diplomatiques et stratégiques. L’activité trop grande de politique étrangère et de sécurité des « grands » risques d’inquiéter les « petits » pays sur ses conséquences financières et militaires, notre étude personnelle du cas hongrois en est une illustration. L’Europe n’est pas une forteresse et ne saurait pas se satisfaire d’un monde où subsistent tant de déséquilibres. L’objectif de l’Union est de donner aux pays et populations défavorisés les moyens de se développer, autrement dit s’attaquer aux sources mêmes de la pauvreté et de la vulnérabilité. Cette action suppose la mise en œuvre des politiques qui permettent de contribuer à consolider la démocratie, l’État de droit, la bonne gestion des Affaires publiques et le respect des droits de l’homme. Car le développement ne va pas sans la démocratie et l’histoire contemporaine, y compris celle de l’Europe montre que les droits de l’homme restent une exigence majeure pour l’Union qui joue un rôle moteur dans ce domaine. Partout, l’Europe s’attache à faire avancer les droits fondamentaux que sont les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, sans oublier les droits des femmes et des enfants ainsi que ceux des minorités et des personnes déplacées. Le monde est devenu « global », aussi en termes politiques et en termes de sécurité, et il reste instable. Le monde d’aujourd’hui est marqué par deux tendances apparemment contradictoires : une « désétatisation » du monde au profit d’influences et de réseaux, un monde où les problèmes dépassent la taille et les compétences des nations, qu’il s’agisse de climat, de terrorisme, de finance ou de santé. De l’autre côté, on assiste à un retour en force de la violence, celle des affrontements ethniques, nationaux et religieux, avec une demande accrue de protection et d’identité adressée aux États, avec des États aux ambitions stratégiques ou financières nouvelles, avec un retour de la question nationale et territoriale. La bataille pour le contrôle des ressources retrouve une prégnance oubliée, et la stabilité de ce monde semble reposer sur un équilibre des puissances. Le terrorisme n’est pas éradiqué, la prolifération des armes de destruction massive n’est pas endiguée et les crises et conflits régionaux continuent à se répandre. Aucun État membre de l’Union ne peut aujourd’hui relever, à lui 8 tout seul, ces défis. Aucun État membre de l’Union ne peut, à lui tout seul, faire face à ces menaces et dangers. Il faut donc nécessairement une réponse commune, dans laquelle l’Europe a un rôle essentiel à jouer, ensemble avec ses partenaires. L’entrée en vigueur du traité de Lisbonne n’entraîne pas une militarisation de l’Europe. Il donnera à l’Union des instruments nouveaux, qui ouvrent la voie à une politique étrangère et de défense plus réactive et plus cohérente. Chaque État a des armées, mais c’est plus efficace et moins coûteux si elles travaillent ensemble, et il est nécessaire d’avoir des forces armées réformées qui puissent agir rapidement dans un environnement qui au cours des dix dernières années a changé de fond en comble. Car il s’agit de prévenir les guerres ou d’arrêter les conflits, de défendre les valeurs fondamentales auxquelles nous croyons et d’assurer la stabilité. Le 11 septembre a mis clairement en évidence le fait que le monde industrialisé ne pourra pas durablement rester à l'écart et à l'abri des tensions et des conflits qui secouent le tiers-monde et l'Afrique y est particulièrement touchée. Dans le monde aujourd'hui, seule une minorité récolte des fruits des perspectives de croissance qu'offre la mondialisation et bénéficie des nouvelles technologies de l'information. Les pays riches, y compris les pays européens, ne peuvent se satisfaire de cette situation, pour des raisons morales, mais aussi dans leur propre intérêt, puisque les tensions et les conflits s'étendent désormais bien plus vite et bien plus loin. Une Europe forte, démocratique et prospère est un gage de sécurité pour les États-Unis et dans un monde interdépendant et face aux nouvelles menaces, nos actions pour la stabilité, la démocratie et la liberté doivent être coordonnées et complémentaires. Face à des crises internationales, face au crime international, face au terrorisme international, seule une coopération renforcée peut nous conduire au succès. L’engagement commun pour la stabilité et la sécurité, garants de la paix et de la liberté, à travers notamment une politique crédible de défense européenne, valait bien et c’est essentiel pour assurer que nos soldats sur le terrain, qui accomplissent des missions difficiles, soient des représentants dignes de notre continent et de nos valeurs dans le monde. Le contexte de l’évolution de la sécurité et de la défense commune après la Seconde Guerre mondiale, mais surtout depuis les années 1990 est généralement invoqué pour les justifier, risquant de favoriser le contexte géopolitique et à plus forte raison, diplomatique et militaire des acteurs. L’Union européenne entend agir en tant qu’acteur global : pour ce faire elle doit continuer à renforcer son dispositif politique et diplomatique et elle doit continuer à développer la PESD : plus de capacités, plus de cohérence, plus de partenariat. Paris, le 20. novembre 2010. Dr. András István Türke Ph.D 9 10 PREMIERE PARTIE L’EMERGENCE D’UNE POLITIQUE EUROPEENNE COMMUNE EN MATIERE D’ AFFAIRES ETRANGERES, DE SECURITE ET DE DEFENSE (1947-1998) « Never before have we had the chance of getting the moral leadership of the world for so cheap a price as four divisions. » Churchill2 « L’identité européenne ne sera pas acceptée par le monde extérieur si les États européens se présentent parfois unis et parfois désunis. » Léo Tindemans, 19753 « Nous faisons de la politique étrangère, comme Monsieur Jourdain faisait de la prose : sans trop nous en rendre compte. » Jacques Santer4 2 Jamais auparavant nous n’avons pas eu de la chance d'obtenir le leadership moral du monde pour un prix si bon marché que quatre divisions. 3 Rapport sur l’Union européenne, dit « Rapport Tindemans » Bruxelles, le 29 décembre 1975, II.B. Le CENTAG – Les forces de l’OTAN et du Pacte de Varsovie Source : Central Front www.1-33rdar.org/ centralfront.htm et Bozo, Fréderic, La France et l’OTAN – De la guerre froide au nouvel ordre européen, Paris, Ifri/Masson, 1991, Carte 8. Les Commandements de l’OTAN et le « Forward Defense Concept » Source : www.1-33rdar.org/ centralfront.htm. 4 YAKEMTCHOUK Romain, La politique étrangère de l’Union européenne, Paris : L’Harmattan, 2005., p. 100. 12 CHAPITRE I. L’architecture européenne de sécurité et le développement de l’idée d’une défense commune dans l’espace transatlantique / Du traité de Dunkerque en 1947 jusqu’à la mise en place de l’UEO en 1954 / Des accords bilatéraux à la défense collective Le 9 mai 1950, Robert Schuman a lancé son initiative concernant la future CECA5 qui se basait sur l’idée de Jean Monnet. Cet acte était primordial pour la mise en place de la CEE et plus tard de l’Union européenne. La démarche économique est devenue le premier pilier de la structure européenne de Maastricht en 1991/1992. Cette initiative était suivie par une autre démarche dans le domaine de la défense, rapidement en échec : C’était le Plan Pleven, mais il y a certains antécédents à évoquer : Depuis la deuxième moitié de l’an 1944, l’un des objectifs principaux de la politique française était la mise en place d’un système d’accords bilatéraux contre la renaissance d’une menace allemande. À l’époque, Washington n’avait pas l’objectif d’investir militairement en Europe. La première expérience après la deuxième guerre mondiale, pour l’établissement d’un système de sécurité aurait été perçue plutôt au XIXe siècle : L’accord de Dunkerque - signé pour une période de 50 ans, toujours en vigueur - le 4 mars 19476, basé sur l’article 53 de la Charte des Nations Unies, était un accord bilatéral entre la Grande-Bretagne (George VI.) et la France (Vincent Auriol)7 pour établir les fondements de l’idée d’une organisation élargie, une organisation européenne de défense 8. Il semblait que les Anglais se montraient plus ouverts devant les efforts français concernant les garanties exigées (et désavoué par la GrandeBretagne après la première guerre mondiale). En bref, il s’agit d’une alliance avec l’URSS (encore) contre l’Allemagne, c’est-à-dire que le traité de décembre 1944 est conclu contre la menace allemande éventuelle dans 5 Communauté européenne du charbon et de l’acier. L’Union de l’Europe occidentale – Rapport d’information mars 1995, Assemblée de l’Union de l’Europe occidentale, p. 6., et GAZDAG Ferenc, Az Európai Unió közös kül- és biztonságpolitikája. Bp., Osiris, 2002, p. 54-55. 7 Voir DU REAU Elisabeth, « Les origines et la portée du traité de Dunkerque. Vers une nouvelle « entente cordiale » ? (4 mars 1947) », Matériaux pour l’histoire de notre temps, Année 1990, Vol. 18, N° 18, p. 23-26. 8 Entre novembre 1947 et juillet 1948 l’Union soviétique et les pays du blocus communiste ont signé 14 accords d’amitié et paix mutuelle bilatérale entre eux. De plus 4 sur 8 points d’un accord entre la France et l’Union soviétique (le 10 décembre 1944) ont prévu l’assistance mutuelle en cas d’agression allemande. Source : GAZDAG Ferenc, Az Európai Unió közös külés biztonságpolitikája., op. cit., p. 45., p. 51. et p. 54. 6 13 l’avenir et garantit que « l’autre Partie lui viendra immédiatement en aide » (Art. 2.). Il évoque aussi d’ autres traités d’alliance et d’assistance mutuelles, conclus avec l’URSS9 (préambule) et souligne l’importance des consultations sur les questions économiques pour accroître la prospérité10. Mais cette expérience de la défense régionale n’était pas acceptée par les deux superpuissances de l’époque : Washington et Moscou. Après les événements en 1947 (désengagement anglais en Grèce, doctrine de Truman, Plan Marshall, Doctrine de Kennan), après avoir accepté la critique des Américains, à Londres, le 22 janvier 1948, Ernst Bevin a proposé devant la Chambre des communes (House of Commons)11 une coopération basée sur Dunkerque. Une coopération entre les nations ouesteuropéennes, notamment avec la France et les pays du BENELUX. Ernst Bevin était le ministre des Affaires étrangères d’une Grande-Bretagne qui cherchait à garder son rôle d’une « grande puissance régionale » en Europe, mais qu’elle n’était plus qu’ « une puissance médiocre avec une situation spéciale » dans la grande politique. « La Grande-Bretagne prend toutes les mesures possibles pour empêcher la création d’un nouveau conflit à l’Ouest, depuis l’Allemagne ou de n’importe où » et « le Royaume-Uni ne peut pas exister en dehors de l’Europe et même quant à ses problèmes, il ne peut pas s’isoler de ses voisins européens ». L’idée d’une défense collective12 en Europe a émergé. Paul-Henri Spaak était prêt à rejoindre les initiatives franco-anglaises et a proposé d’inclure des dimensions économiques et transformer le traité de Dunkerque en une alliance erga omnes, particulièrement contre l’agression soviétique. Les Hautes Parties contractantes ont accepté ses propositions à l’exception du nom proposé : l’Union de l’Europe occidentale… Ainsi, l’accord entre la Belgique, le Luxembourg, les Pays-Bas (représentés par une délégation13) la France, et le Royaume-Uni de Grande9 Traité d’alliance et d’assistance mutuelle conclu entre l’URSS et la Grande-Bretagne (le 26. mai 1942) et traité d’alliance et d’assistance mutuelle conclu entre l’URSS et la France (le 10. décembre 1944.) Tous les deux sont abrogés le 7 mai 1955 par l’URSS. 10 Traité d’Alliance franco-britannique, Dunkerque, le 4 mars 1947. 11 The Bevin Speech on Western Union. HARRYVAN A. G. et VAN DER HARST, J., Document on European Union, London, Macmillan Press LTD., 1997, p. 45-48. 12 L’idée de la défense collective vient du traité de Rio, signé en 1947. Article 3/1 : « The High Contracting Parties agree that an armed attack by any State against an American State shall be considered as an attack against all the American States and, consequently, each one of the said Contracting Parties undertakes to assist in meeting the attack in the exercise of the inherent right of individual or collective self-defense recogndzed by Article 51 of the Charter of the United Nations. » Rio De Janeiro Conference for the Maintenance of Continental Peace and Security, August 15 - September 2, 1947 http://www.yale.edu/lawweb/avalon/decade/ decad061 (12 février 2005). 13 Souvent évoquée comme « Spaakistan » en reflet le pays nouveau-né Pakistan. Source : VAN EEKELEN Willem, Debating European Security 1948-1998, Sdu Publishers, The Hague : CEPS, 1998., p. 3. 14 Bretagne et d'Irlande du Nord, le traité de Bruxelles14 (et l’Union occidentale) fut le premier pas européen vers une « légitime défense collective » pour « coopérer loyalement et (…) coordonner leurs efforts pour constituer en Europe occidentale une base solide pour la reconstruction de l'économie européenne. » Les Hautes Parties ont émis leurs voeux de collaboration en matière économique, sociale et culturelle, et leur légitime défense collective. Cette dernière se basait sur la Charte des Nations Unies dans l’article 4 : « Au cas où l'une des Hautes Parties contractantes serait l'objet d'une agression armée en Europe, les autres lui porteront, conformément aux dispositions de l'article 51 de la Charte des Nations Unies, aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, militaires et autres.» Cet article n’inclut pas de limitation géographique concrète (« une agression armée en Europe ») et les Hautes Parties préféraient approuver la Charte de l’Assemblée qui permet de délibérer toutes les questions relevant du traité15. Le deuxième pilier c’est l’article VI, alinéa 2. : « Elles ne concluront aucune alliance et ne participeront à aucune coalition dirigée contre l'une d'entre elles. » (À cet article répond l’article 8 du traité de l’Alliance atlantique dans un contexte plus large.) La réaction des États-Unis était très positive. De plus ils hésitent à adhérer au traité de Bruxelles ce qui était le but d’Ernest Bevin. Mais Lester Pearson, Premier ministre du Canada (Canada a proposé l’inclusion des membres du Commonwealth) s’y opposait : aucune raison d’une même épreuve ainsi que pour le Brésil ou l'Australie. George Kennan, conseiller principal de la planification, Charles Bohlen, celui des affaires soviétiques et Robert Lovett des affaires politiques étaient également contre, puisqu’ils estimaient inutile de s’adresser directement contre l’Union soviétique et doutaient de la ratification du Sénat. Mais le Sénat a voté la fameuse proposition du sénateur Vandenberg concernant les engagements américains en dehors du continent américain, le 11 juin 1948 16. Ainsi et à cause du manque de capacité de défense, par rapport à la menace soviétique, l’esprit et l’élan du traité de Bruxelles en 1948, pour une défense européenne commune, étaient subordonnés à la stabilité euroatlantique dans le contexte de la guerre froide, et garantis par l’Alliance atlantique (surtout l’article 517 du traité de l’Atlantique Nord) et notamment par la force nucléaire des États-Unis. 14 Traité de collaboration en matière économique, sociale et culturelle et de légitime défense collective, signé à Bruxelles le 17 mars 1948 (entré en vigueur le 25 août 1948). 15 Le débat sur la défense européenne 1955-2005, op. cit., p. 17. 16 VAN EEKELEN Willem, Debating European Security, op. cit., p. 4. 17 Il est important que le traité de l’Atlantique Nord (le 4 avril 1949) limite le territoire de son application dans l’Article 6 modifié à l’adhésion turque et grec : « Pour l'application de l'article 5, est considérée comme une attaque armée contre une ou plusieurs des parties, une attaque armée : contre le territoire de l'une d'elles en Europe ou en Amérique du Nord, 15 Mais jusqu'en 1952, l’Alliance atlantique n’était pas une structure intégrée (OTAN). L’Europe, elle-même, n’était pas un facteur autonome dans cette structure. Il est bien inutile d’accuser les États-Unis, parce que « si l’Alliance atlantique met en œuvre un système de défense de l’Europe elle ne crée pas un système de défense européenne au sens strict du terme, puisque sa base est constituée par une garantie donnée par une puissance extraeuropéenne.»18 L’UEO était longtemps loin d’accomplir son rôle quoique son Conseil consultatif (établi par l’article 7 dans le traité modifié à Paris : Conseil de l’Europe, l’article 8) lançait plusieurs initiatives importantes. En revanche, l’Alliance atlantique n’a pas envisagé dès le début la création d’une structure militaire intégrante. Ainsi sous l’égide de l’alliance, jusqu’en 1952 existait la possibilité de créer l’axe européen de la défense transatlantique avec une structure militaire européenne intégrée. Juste après le traité de Bruxelles, l’UNIFORCE, le commandement international a été mis en place à Fontainebleau avec un Comité de Défense Nationale (planification de défense) avec étroite coopération d’un Comité militaire qui rassemblait les chefs d’état-major19. Après un certain temps de tergiversation, le maréchal Montgomery a proposé une structure de commandement, basée sur les expériences de la guerre mondiale. Le 4 octobre 1948 trois Commandements alliés furent créés : - Commandement allié des forces terrestres sous la direction du général De Lattre de Tassigny (fr) - Commandement allié des forces aériennes sous la direction du maréchal de l’air James Robb (br) - Commandement allié des forces navales sous la direction de l’amiral Jaujard. (fr) Montgomery a également proposé la mise en place d’une ligne défensive tout au long du fleuve Ijssel aux Pays-Bas et en bas du Rhin, jusqu’aux Alpes françaises, avec la mobilisation possible de 34 divisions en trois jours20. (Voilà la nouvelle ligne Maginot.) Mais les Français ne voulaient pas contre les départements français d'Algérie, contre le territoire de la Turquie ou contre les îles placées sous la juridiction de l'une des parties dans la région de l'Atlantique Nord au nord du Tropique du Cancer; contre les forces, navires ou aéronefs de l'une des parties se trouvant sur ces territoires ainsi qu'en toute autre région de l'Europe dans laquelle les forces d'occupation de l'une des parties étaient stationnées à la date à laquelle le traité est entré en vigueur, ou se trouvant sur la mer Méditerranée ou dans la région de l'Atlantique Nord au nord du Tropique du Cancer, ou au-dessus de ceux-ci. » 18 PARMENTIER Guillaume, « L’Alliance atlantique et la défense européenne », Raul Giradet (dir.), La défense de l’Europe, Bruxelles : Éditions Complexe, Questions au XXe siècle., p. 50. 19 e DU REAU Elisabeth, L’idée d’Europe au XX siècle, Paris, Editions Complexe, 1996, 2001, 2008, p. 204-207. 20 VAN EEKELEN Willem, Debating European Security, op. cit., p. 5-6. 16 être subordonnés aux Britanniques et la coopération n’était satisfaisante qu’entre les aviateurs. (La RAF a apporté un appui considérable à la reconstitution de l’aviation française.) Ils préféraient l’intervention des Américains, et un commandant en chef américain plutôt que britannique, ce qui a résulté la « fuite vers l’atlantisme ». C’était le choix militaire le plus important de la 4e République21. La France préférait l’intégration de la force aérienne dans le cadre atlantique et en même temps le ministre de la Défense Ramadier s’inquiétait du cadre des missions de la marine en vertu du traité de Bruxelles. Même Londres préférait des (sous)-comités et de déléguer le commandement suprême à Washington qui n’était pas trop enthousiaste. La réalité, sans la participation américaine, au point de vue uniquement militaire, aurait été extrêmement menaçante : les Cinq de Bruxelles cherchaient intensivement à mobiliser 10 divisions (bien sûr sans l’Allemagne) contre 170 divisions soviétiques, surtout qu’après 1949, le monopole nucléaire américain n’existait plus22. Le 5 septembre 1950, les ministres des Affaires étrangères ont cherché la possibilité du fusionnement des deux traités. Lorsqu’en décembre 1950 le Général Eisenhower fut désigné premier commandant suprême des forces alliées en Europe (SACEUR) les puissances signataires du traité de Bruxelles se sont décidées à intégrer leurs structures militaires à l’OTAN23. C’est en ces conditions que le Plan Pleven est né le 24 octobre 1950, mais en maintenant cependant une structure politico-diplomatique – le Conseil consultatif du Pacte de Bruxelles. Le Plan Pleven et la Communauté européenne de défense, le pilier européen commun échoué de l’OTAN Pour reprendre le fil de la double initiative française Schuman-Pleven, en ce qui concerne le Plan Pleven il a été inspiré par les événements à Prague en 1948, par la guerre de Corée (1950-53) et par le traité d’alliance entre la Chine et l’URSS. La victoire en Corée – qui est perçue comme la première grande victoire de l’idée de la sécurité collective – a augmenté la peur de la menace communiste. En ce temps-là, la France a dû réviser son opposition contre la participation allemande dans la défense collective européenne. Au sein de l’Assemblée consultative du Conseil de l’Europe (sans autorisation de traiter des questions militaires) André Philip, député socialiste, a fait une remarque importante : La défense européenne ne peut pas s’organiser sans l’Amérique. Mais même par cette aide, le risque 21 GERBET Pierre, « Défense commune et problèmes institutionnels », GIRARDET, Raoul, La défense de l’Europe, Editions Complexe, 1992, p. 27-29. 22 VAN EEKELEN Willem, Debating European Security, op. cit., p. 5-6. 23 Le débat sur la défense européenne 1955-2005, op. cit. p. 7. 17 d’enfermement dans les cadres nationaux « avec ses vieilles armées coûteuses et inutiles » ne disparaissait pas24. C’est-à-dire la nouvelle structure de la défense collective exige une nouvelle conception dans la structure militaire européenne. P. Reynaud, le délégué français, a lancé l’idée de l’unification des capacités européennes et il a proposé Churchill comme ministre de la Défense commune25. Churchill, quant à lui, après avoir tenu compte de la supériorité numérique de l’Armée rouge en Europe, avait parlé pour la première fois de la remilitarisation allemande dans un télégramme à Truman du 12 mai 1945. Il a fait approuver le 11 août 1950 par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe le principe d’une armée européenne, mais à laquelle il n’envisageait pas que la GrandeBretagne participa26. Jean Monnet a également favorisé l’idée d’une armée européenne comme la deuxième phase logique du Plan Schuman. Il chercha à persuader Robert Schuman27 qui a déclaré l’année précédente (1949) au Palais-Bourbon que « l’Allemagne n’a pas d’armée et ne peut en avoir ; elle n’a pas d’armements et elle n’en aura pas » et le maréchal Juin comme le général de Gaulle28 ont fait connaître aussi leur opposition29. L’idée de la mise en place d’une troisième force (d’interposition) entre les superpuissances a été rapidement abandonnée à cause de la guerre de Corée. Mais le Plan Pleven30 reprend ces initiatives et remarque que l’Allemagne (côté de la RFA) jouit les avantages de la sécurité collective 24 BACOT-DECRIAUD Michèle - PLANTIN Marie-Claude, L’Union européenne : une contribution communautaire à la sécurité et à la défense de l’Europe - Une stratégie de sécurité et une « tactique opérationnelle », Lyon, CERIEP, 1993., p. 72. 25 GAZDAG Ferenc, Az Európai Unió közös kül- és biztonságpolitikája, op. cit., p. 67. 26 FONTAINE André, « 30 août 1954, les députés français enterrent l'armée européenne », Le Monde, le 19 mai 2005. 27 Il faut examiner la proposition « …que la participation de l'Allemagne à la défense commune soit organisée dans le cadre européen supranational d'un Plan Schuman élargi » parce que « si les Allemands devaient obtenir les avantages immédiats qu'ils espéraient du Plan Schuman, indépendamment de celui-ci, c'est-à-dire s'ils apportent sur une base nationale leur contribution à la défense de l'Ouest, leur statut actuel étant révisé en conséquence, nous risquons de les voir se détourner de nous et de se laisser à nouveau dominer par le sentiment national. » Source : Mémorandum de Jean Monnet à Robert Schuman, le 16 septembre 1950. 28 « Je garantis que l’armée européenne ne se fera pas. Je ferai tout ce qui sera en mon pouvoir d’entreprendre contre elle. Je travaillerai avec les communistes pour lui barrer la route. Je déclencherai une révolution contre elle. Je préférerais encore m’associer aux Russes pour la stopper. Elle ne passera pas. Je le répète : je ferai une révolution pour l’empêcher. », New York Times, le 21 janvier 1954. 29 FONTAINE André, « 30 août 1954, les députés français enterrent l'armée européenne », Le Monde, le 19 mai 2005. 30 Déclaration du Gouvernemet Français, le 24 octobre 1950 (le Plan-Pleven), BRUGMAS Henri, L’Idée européenne 1920-1970, Bruges, de Tempel, Tempelhof, 1970, p. 384-388. 18 sans participer dans la défense commune31. Le réarmement allemand, motivé par le renforcement de la sécurité collective en Europe, a été assez tôt proposé par les Américains. Les Français eux aussi étaient parfois des partisans de cette idée, et malgré leurs craintes et ils ont soutenu le projet de défense en Europe occidentale, le plus à l’Est possible : Le général Ély, futur chef d’état-major des armées, a réfléchi à cette solution dès 1947. Les chefs militaires étaient favorables au réarmement de l’Allemagne, et les chefs politiques (Schuman) en avaient leurs doutes. Toutefois Robert Schuman a changé son avis ayant peur que « les États-Unis risquent d’aller de l’avant sans l’accord de Paris et d’intégrer des forces allemandes dans leurs unités stationnées en Allemagne » 32. Et Schuman est devenu prophète. Le Plan Pleven cite les premières actions de la réconciliation allemande, qui sont déjà émergées autour de l’idée de la CECA. Pour « une sécurité collective, le Gouvernement français propose de régler cette question par les mêmes méthodes et dans le même esprit. » Pour éviter un simple accolement d’unités militaires nationales, une fusion complète des éléments humains et matériels doit être perçue, dans une structure supranationale. L’idée de la mise en place d’une armée allemande, avec un ministre de la Défense, a été considérée comme prématurée. La sortie de cette impasse (et de la fausse querelle de la politique française à l’époque), selon la proposition de l’Assemblée du Conseil de l’Europe, faite le 11 août 1950, devrait être la mise en demeure d’une armée européenne commune, en étroite coopération avec les forces américaines et canadiennes pour la paix. Bien qu’après la proposition de Churchill à Strasbourg (dans laquelle il proposait un ministre européen de la défense), les Français aient préféré un commissaire pour ce poste33. Selon la déclaration française, la naissance des institutions militaires communes aurait dû succéder à cette démarche, où un ministre commun de la défense, nommé par les gouvernements européens est responsable devant une Assemblée européenne. Il aurait eu le représentant entre la Communauté européenne et les États tiers et l’exécuteur des directives d’un Conseil dont les membres auraient eu des ministres des États. Les divisions des États auraient fait partie de l’armée européenne au niveau de l’unité la plus petite possible. (Un contingent allemand au niveau de la brigade est 5000 hommes). Le gouvernement français lui aurait délégué 31 Le Mémorandum d’Adenauer le 29 août 1950 a aussi demandé la mise en place des divisions allemandes et l’augmentation de la présence américaine dans la RFA. Bevin et Schuman préférait la mise en place d’une armée européenne commune avec une participation allemande plus tard. Puis au sein de l’OTAN Acheson a menacé les partenaires européens d’un retrait éventuel des unités américaines de l’Europe. 32 «… très tôt, les chefs militaires français ont été convaincus de la nécessité du réarmement allemand, pour renforcer le potentiel défensif en Europe occidentale, face à l’URSS. » « La Communauté de Défense Européenne et l’Armée de l’air », Revue Historique des Armées, Nº 3. 1990., p. 102. 33 VAN EEKELEN Willem, Debating European Security, op. cit., p. 7. 19 également les négociations concernant les devoirs sur la scène internationale - le ressort d’un ministre des Affaires étrangères – mais aussi la mise en place du programme de l’armement européen. Nous posons la question, s’il n’y a pas de ministre européen des Affaires étrangères comment envisager un ministre européen de la défense ? La question peut être posée d’une façon différente : « Comment peut-on envisager de constituer une armée européenne sans poser le problème du pouvoir civil (commun, au niveau européen – nous y ajoutons) qui lui commanderait ? »34 La Belgique a apporté sa critique concernant l’Assemblée qui n’était pas élue directement, et l’Italie a persuadé Schuman que dans la phase initiale, l’Assemblée devrait être remplacée par l’Assemblée de la CECA avec 3 membres additionnels des trois plus pour chacun des trois grands pays. Georges Marshall, secrétaire d'État américain, a favorisé des troupes allemandes et était contre le ministre européen de la défense. Eisenhower a soutenu l’intégration maximale des troupes allemandes dans une armée européenne35. C’est Jules Moch, un opposant du plan, qui a présenté le Plan Pleven devant l’OTAN à Washington, mais, dans cette version, l’Allemagne ne possédait que des unités auprès de l’armée commune36. Tandis que le plan dispose de plusieurs éléments intéressants, il a été condamné à l’oubli. La création d’ « une OTAN européenne particulière » et les duplicités (armées nationales, armées européennes, armées à la disposition de l’OTAN) et une série de traités sur la sécurité (traité de Bruxelles, de Washington, et celui sur l’armée européenne) auraient dû s’avérer inefficaces, bien que le principe de l’initiative déclare que « la création projetée de l’armée européenne doit faciliter la mise en oeuvre des programmes atlantiques.» Les Anglais ont déclaré leur abstention d’une armée européenne quoique l’OTAN et les États-Unis aient soutenu les négociations sur la réalisation de projet qui a commencé à Paris, le 15 février 1951. Pleven a proposé une phase transitoire, au cours de laquelle les armées nationales, placées sous le commandement atlantique unifié, n’auraient pas été incorporées dans l’armée européenne. De plus, les États signataires de la CED ont déclaré leur intention de garantir même la défense de la Grande-Bretagne par l’armée 34 BAUDET Francois, « La Communauté de Défense Européenne et l’Armée de l’air », op. cit., p. 103. 35 VAN EEKELEN Willem, Debating European Security, op. cit., p. 7. 36 GAZDAG Ferenc, Az Európai Unió közös kül- és biztonságpolitikája, op. cit., p. 71. 20