Coût humain de la longue crise économique et structurelle de la seconde moitié des années 80 dans quelques pays d’Afrique La longue crise économique qui a touché, à partir du milieu des années 80, les pays africains dont l’économie est essentiellement tributaire des matières premières et dont les causes majeures étaient justement liées à la baisse du cours de ces matières premières a eu certainement un coût humain très important au regard du désastre économique, social, infrastructurel et environnemental engendré. En effet, cette crise qui a détérioré considérablement les termes des échanges entre ces pays et le reste du monde y a entraîné de brusques tensions insoutenables de trésorerie, ce qui a conduit entre autres et selon les cas: (i) à la baisse des salaires et la chute du cours des produits de rente; (ii) à l’arrêt des recrutements, aux licenciements ou compressions; (iii) à l’arrêt des investissements étatiques dans les domaines sociaux de base; (iv) à la dépréciation de la monnaie etc. La baisse des salaires, les licenciements ou compressions et la chute du cours des produits de rente ont entraîné la perte du pouvoir d’achat des ménages et par ricochet, l’incapacité à subvenir aux besoins fondamentaux de leurs membres, notamment l’incapacité à leur assurer des soins de santé acceptables d’un autre côté, le service public de la santé a été dégradé à cause de la démotivation du personnel et des pratiques de clientélismes dans les formations sanitaires. La baisse des investissements étatiques dans les domaines sociaux de base s’est illustrée par l’abandon brusque des aides, subventions et investissements de l’Etat notamment en matière de soins de santé primaire (fin de l’Etat providence), ce qui a entraîné la baisse en quantité et la détérioration en qualité, des infrastructures de soins. Pire encore, La dépréciation de la monnaie qui s’en n’était suivi (perte de la moitié de sa valeur) a entraîné la hausse des prix des produits importés, notamment des prix des intrants agricoles et surtout des médicaments et matériel médical. Pour couronner toute cette série de mauvaises nouvelles en cascade, les tensions persistantes de trésorerie ont poussé bon nombre de pays à intégrer les programmes d’ajustements structurels mis en place par des institutions financières internationales, ce qui a fini d’anéantir tous les efforts consentis avant cette crise en matière d’amélioration de la santé des populations car ces programmes prévoyaient entre autres le désengagement de l’Etat des secteurs sociaux de base comme la santé et l’éducation à travers l’arrêt des recrutements de personnel, de construction d’infrastructures et de subvention des produits de première nécessité parmi lesquels les médicaments. L’inventaire des conséquences à moyen terme de ce sombre tableau qui vient d’être peint et qui est la triste réalité d’une période qui a marqué à jamais l’avenir de plusieurs pays et de plusieurs générations mérite d’être fait sur tous les plans afin 1 d’attirer l’attention de la communauté internationale sur la nécessité de prévenir ou du moins de conjuguer tous les efforts le plus rapidement possible pour juguler les crises, notamment économiques, quelques soit l’endroit du monde où elles se produisent. Or, si le bilan économique de cette crise été fait, le bilan humain, qui est l’ultime conséquence, reste encore marginal, peut être à cause de l’absence de données chronologiques de santé dans certains. Cette étude se propose d’apporter sa pierre à l’édifice Pour ce faire, nous-nous somme servis des données sur le PIB par habitant pour illustrer la dégradation continu de l’environnement économique du milieu des années 80 jusqu’au début des années 2000 puis les indicateurs de mortalité des enfants, qui sont les meilleurs indicateurs pour mesurer les conséquences sanitaires des changements intervenus dans l’environnement et les conditions de vie, ont été utilisés sur la même période pour illustrer la dégradation simultané de la santé des populations et en quantifier les pertes. Cette étude est menée sur quatre pays d’Afrique francophone en raison d’une part, de la similarité de l’environnement économique à cette époque et d’autre part, du partage d’une monnaie commune et de la simultanéité de la survenance de certains évènements comme la dévaluation de cette monnaie. Ces pays ont aussi la particularité d’avoir des données disponibles sur la mortalité des enfants issues de la même source à savoir, les Enquêtes Démographiques et de Santé (EDS), et dont les indicateurs se réfèrent à des périodes assez similaires. Tableau : Evolution des risque de décès infantile, juvénile, infanto-juvénile et du PIB par habitant. 1q0 (en ‰) 4q1 (en ‰) 5q0 (en ‰) PIB par habitant ($ US courants) 1400 1200 1000 800 600 400 200 0 1988-1993 1994-1999 1998-2003 2005-2010 Burkina Faso 1986-1991 1993-1998 1999-2004 2006-2011 Cameroun 1988-1993 1992-1997 2000-2005 2006-2011 Sénégal 1989-1994 1993-1998 Côte d'Ivoire Pays et période 2 Cette première illustration est destinée à montrer l’augmentation subite du risque de décès des enfants de moins de cinq ans dans tout ces pays au fur et à mesure que le PIB par habitant chutait. A contrario, ces risques de décès ont commencé à baisser au fur et à mesure que le PIB s’améliorait, formant ainsi à chaque fois des courbes du PIB et des risques de décès de formes opposées, ce qui témoignent bien des conséquences sur la santé et la mortalité de la récession économique que symbolisée ici par la baisse du PIB. En effet, la longue crise économique et structurelle de la fin des années 80 et au cours des années 90 qui a été marquée par plusieurs programmes d’ajustements structurels a dégradé l’accès aux services sociaux de base, notamment l’éducation et la santé pour toutes les raisons susévoquées dans tout ces pays. Ainsi, les indicateurs économiques ont continué de se dégrader. Par exemple, la baisse continue des revenus a induit une chute de la consommation par habitant entre 1985/1986 et 1992/1993. L’encours de la dette extérieure est passé de moins de 1/3 à plus de 3/4 du PIB entre 1984/1985 et 1992/1993. Le taux d’investissement quant à lui a chuté de près de 2/3 sur la même période. Le niveau de l'emploi a baissé de l’ordre de 10% entre 1984 et 1991 et le chômage a atteint un taux autour de 20% en 1995. En plus de tout cela et pour faire face à la dégradation prononcée de la situation des finances publiques caractérisées par des tensions de trésorerie intenables, des baisses drastiques de salaires et/ou des licenciements ont été opérées dans la fonction publique autour de 1990, suivie de près par une dévaluation mémorable du franc CFA de 50% de sa valeur, ce qui a anéanti le pouvoir d’achat des ménages et entraîné comme conséquence directe, entre autre, la hausse vertigineuse des prix des médicaments, la fuite des cerveaux, notamment du personnel soignant à la recherche d’un mieux être, l’accroissement des pratiques de substitution de la clientèle privée au service public, notamment dans le domaine des soins de santé etc. On peut donc valablement penser que si cette crise n’était pas intervenue à ce moment ces augmentations de risque de décès ne seraient pas survenues également à ce moment, ce qui permet de dégager le gap de longévité dû à la crise et ainsi, évaluer le coût humain consécutive à cette crise. C’est ce la suite de l’étude s’emploi à faire. 3