EN ROUTE MUSICOTHÉR APEUTE « La musique est un médiateur privilégié » La dynamique musicothérapeute Sandra Lutz Hochreutener distille des sons qui apportent à ses patients le soutien et la sécurité nécessaires. Sandra Lutz Hochreutener est partie étudier la musicothérapie à Vienne. Elle a ensuite obtenu son diplôme à l’école de Hambourg. 32 Psychoscope 6/2016 Nom : Sandra Lutz Hochreutener Métier : musicothérapeute, psychothérapeute, enseignante et auteure Compétences : empathie, estime de soi, authenticité et plaisir du jeu dans le contact thérapeutique, flexibilité et créativité, répertoire d’interventions musicothérapeutiques très diversifié et connaissances en matière de diagnostic EN ROUTE d’autres façons d’exprimer ses tensions intérieures. Il prenait plaisir à l’expression musicale et y a trouvé une façon constructive de gérer ses impulsions. Petit à petit, il a commencé à verbaliser son irritation : « Je suis en colère ! » ou « C’est injuste ! ». Ses référents savaient mieux comment gérer ce mode d’expression que les objets lancés à travers la pièce. Au lieu d’un ordre du type « Arrête maintenant ! », on lui proposait alors le dialogue : « Pourquoi es-tu en colère ? ». JOËL FREI Lors de sa première séance de musicothérapie, Kevin (prénom d’emprunt, n.d.l.r.) demande de façon abrupte : « Quel est l’instrument le plus bruyant ? » Il se dirige alors vers la grosse timbale située dans un coin de la pièce. « Cette timbale est en effet un instrument très sonore », répond la musicothérapeute au jeune garçon. « Tu peux battre le rythme dessus pendant notre premier jeu. » Kevin a été adressé à Sandra Lutz Hochreutener par un psychiatre de l’enfance et de l’adolescence. Il poussait à bout ses enseignants et se montrait agressif avec ses camarades : il lui serait même arrivé de lancer des objets à travers la salle de classe pendant une crise de colère. Ses parents se sentaient dépassés et le battaient. Sur fond de troubles de la perception, Kevin avait commancé à développer une angoisse de l’échec et du contact avec les autres. « Sa stratégie pour y faire face était de toujours être le plus fort et, dans notre contexte, le plus bruyant. Cela lui permettait de garder le contrôle », explique Sandra Lutz Hochreutener. L’objectif de la thérapie était de l’accompagner dans le processus de régulation de l’affect et de favoriser des expériences de groupe positives. La pratique de la musique lui a progressivement appris de façon ludique à élargir ses stratégies comportementales, comme prêter la timbale à un autre enfant et jouer en rythme avec lui. La musicothérapie lui a en outre offert un cadre structuré pour verbaliser ses émotions. Auparavant, lorsqu’il se mettait en colère, il explosait et cassait des objets. Lors de la thérapie, il a découvert Des cours de flûte à la thèse de doctorat La biographie musicale de Sandra Lutz Hochreutener commence par des cours de flûte à bec au jardin d’enfants. Plus tard, elle ajoute le piano et le violon à son arc. Cette jeune fille très vivante aime bouger et danser sur la musique. Elle prend aussi des cours de danse classique. Adolescente, elle rejoint les scouts, y apprend la guitare et différents instruments de percussion. En 1973 et en 1974, pendant une année d’échange aux États-Unis, elle découvre le mouvement hippie. Après avoir obtenu sa maturité, elle décide de travailler dans le domaine de la pédagogie curative. Cette entrée directe dans la vie active est une alternative bienvenue au quotidien très cérébral des études. « La génération d’après 68 ne faisait pas d’études après le diplôme secondaire. On faisait autre chose. » Plus tard, elle décide d’entamer des études à Rorschach (canton de SaintGall) pour devenir enseignante. Mais sa passion pour la musique ne la quitte pas. Après avoir lu un livre sur le sujet, la jeune femme interroge son conseiller en orientation sur les endroits qui proposent des études de musicothérapie. En Suisse, il n’en existe pas. Elle part donc pour Vienne. De retour en Suisse, elle travaille comme musicothérapeute dans un centre psychiatrique pour enfants et adolescents. En 1984, avec des collègues, elle entame une formation de musicothérapie en cours d’emploi, intégrée à la Haute école de musique et de théâtre de Zurich (nouvelle ZHdK). Afin d’approfondir les connaissances cliniques dont elle a besoin pour exercer son activité de musicothérapeute indépendante à Gais, Sandra Lutz Hochreutener obtient un diplôme postgrade en psychopathologie à l’Université de Zurich. Elle ne perd cependant jamais de vue son activité d’enseignante. Aujourd’hui, elle dirige d’ailleurs les deux formations postgrades en « musicothérapie clinique » et en « musicopsychothérapie » proposées par la ZHdK. Elle joue un rôle déterminant dans l’élaboration et le choix du contenu enseigné dans le cadre de ces cursus. Outre ces activités, elle effectue également des recherches en musicothérapie et obtient un diplôme 33 Psychoscope 6/2016 Sandra Lutz Hochreutener a joué un rôle déterminant dans l’élaboration du contenu enseigné dans le cadre des formations postgrades en musicothérapie. à l’école supérieure de musique et de théâtre de Hambourg (Allemagne). Un lien permanent entre pratique et recherche scientifique qui porte ses fruits. Sa thèse présentée en 2009 débouche sur la publication d’un manuel aujourd’hui considéré comme la référence en musicothérapie dans les pays germanophones. EN ROUTE sans chercher à provoquer de réaction. Parfois, elle décrit la cabane et ce qu’elle y voit. Il se produit alors la chose suivante : la cabane reste fermée, certes, mais deux peluches regardent vers l’extérieur par-dessus les tambours. Au bout de quelque temps, les peluches – un chien et un ours blanc – sont à l’extérieur de la cabane. Aimée place même un harmonica dans les pattes du chien. Un jour, la jeune fille prend une flûte à bec avec elle dans la cabane et produit quelques sons. La musicothérapeute lui répond en jouant d’autres sons. Des brèves séquences musicales se mettent ainsi en place, au cours desquelles retentit la mélodie de la chanson « I like the flowers », particulièrement appréciée de l’enfant. À travers la musique, la petite fille trouve un moyen de communiquer avec la thérapeute. La musique touche, émeut et crée des liens. Utilisée comme moyen d’aller au fond des choses, elle produit des effets dans un cadre thérapeutique sur le plan de la perception, de l’expression, de la communication et du comportement des patients. Parfois, l’apport de la musique va au-delà de ce qu’il est possible d’obtenir par une thérapie basée sur la parole. L’une des patientes de Sandra Lutz Hochreutener est atteinte de mutisme. Elle a un jour confié à ses parents : « J’aime bien aller chez la musicothérapeute. Elle me comprend sans que j’aie besoin de parler. La musique, c’est pour le cœur. » Quand la peluche joue de l’harmonica « La musique est un médiateur très privilégié », raconte Sandra Lutz Hochreutener, dont le visage rayonne et s’illumine littéralement à la prononciation de ces mots. Son attachement à la musique se reflète dans son approche thérapeutique. Le préalable essentiel à une bonne relation thérapeutique est de créer une atmosphère favorisant un sentiment de sécurité. Comme support thérapeutique, la musique se prête à créer ce genre de « refuge », qui offre protection et sécurité. « Cela s’applique à tous les champs d’application de la musicothérapie : de la pédagogie curative à la gériatrie, en passant par la psychothérapie, la médecine et la rééducation », explique Sandra Lutz Hochreutener. Dans un cadre clairement défini, le patient définit lui-même les règles de proximité et de distance. Il peut jouer sans se sentir contrôlé ni critiqué. Les enfants se créent souvent spontanément ce genre de possibilités de refuge. Lors de ses séances de thérapie, la jeune Aimée (prénom d’emprunt, n.d.l.r.), qui est lourdement traumatisée, se construit ainsi une cabane avec des chaises, des linges et des coussins de canapé. Dans cette maison improvisée, elle peut se cacher. Au début de la thérapie, l’entrée de sa cabane est barricadée avec des coussins et des tambours. La musicothérapeute fredonne ou joue des airs enveloppants, 34 SYMPOSIUM DE MUSICOTHÉR APIE Dissonances La situation politique mondiale, de même que les exigences de la société et les attentes professionnelles à notre égard, évoluent sans cesse. Ce contexte exige de la flexibilité et des idées originales. En ces temps marqués par l’insécurité intérieure et extérieure, les musicothérapeutes utilisent la musique pour procurer du soutien et générer un sentiment de sécurité, mais aussi pour ouvrir de nouveaux espaces de dialogue. Quelle peut être la contribution des thérapeutes dans le contexte actuel de tensions ? Quel est le potentiel de la musicothérapie ? Quels sont les projets novateurs menés en dehors du cadre clinique ? Date : 28 janvier 2017 Lieu : Zürcher Hochschule der Künste (ZHdK), Toni-Areal, Zurich Programme et inscriptions : www.zhdk.ch/weiterbildung-musiktherapie