les festivités étaient auparavant regardées d'un œil ironique par une grande partie de la presse, le défilé
Goude avait suscité un enthousiasme presque général, aussi bien chez les journalistes que chez l'ensemble
des Français
. Les célébrations du 14 Juillet étant, par ailleurs, particulièrement suivies à la télévision,
l’événement avait touché de nombreux téléspectateurs. Face aux critiques, un tel succès légitimait au moins
partiellement l’ampleur donnée aux commémorations et, partant, la création d’un organisme ad hoc pour
les élaborer. Cette réussite ne pouvait qu’inspirer les organisateurs du centenaire
.
Le projet d’inviter Royal de Luxe n’a pas été retenu par le gouvernement, mais celui de faire de la fête
nationale un moment de lancement de la commémoration n’a pas été abandonné. Le défilé du matin, sur
les Champs-Élysées, prendra des allures exceptionnelles par la présence de nombreux pays impliqués dans
la Première Guerre mondiale. Pourtant, si le 14 Juillet, avec ses nombreux avantages en termes
d’attractivité et de caractère festif, s’imposait comme une date clé pour les célébrations du bicentenaire, il
n’était en rien essentiel au centenaire. La dissociation entre la date et l’événement commémoré peut
surprendre, mais elle s’inscrit dans la continuité des modifications apportées à la fête nationale depuis
l’entre-deux-guerres. Conçue comme une exaltation de la République, elle a pris au cours du siècle des
significations plus diffuses et s’est parfois associée au souvenir des guerres.
14 juillet et mémoire de guerre
C’est d’ailleurs la Première Guerre mondiale qui a provoqué le premier déplacement de sens du 14 Juillet
.
Dans la lignée du ralliement d’une partie de la droite à la République au fur et à mesure du conflit, la fête
républicaine a pu être gagnée, peu à peu, par une dominante nationaliste. En 1915, la révolution est encore
mise en avant, par le transfert des cendres de Rouget de Lisle aux Invalides ; en 1916, c’est la grandeur de
l’Empire français qui est glorifiée, avec le défilé sur les Champs-Élysées de troupes annamites. Le 14 Juillet
1919 conforte l’interprétation patriotique de la journée. Pendant plusieurs heures, l’armée française,
précédée de détachements des troupes alliées, marche de la Porte Maillot à l’Arc de Triomphe. Le dépôt
d’une gerbe et la présence en tête de cortège de mutilés rappellent certes le carnage, mais la valorisation de
l’armée et des généraux, empêchant toute remise en question de la guerre, font de la journée une « fête de
la victoire ». Malgré une réappropriation temporaire du 14 Juillet par les forces de gauche sous le Front
Populaire, la dimension nationaliste et militaire prise par la fête nationale dans l’entre-deux-guerres
explique que même le régime de Vichy, adversaire acharné de la République, n’ait pas fait le choix de
l’abolir. Certes, sous l’Occupation, les festivités ne sont plus de mise : interdites en zone Nord, elles se
limitent en zone Sud à des dépôts de gerbe dans une atmosphère expiatoire
. L’accent porté sur le deuil
rapproche le 14 juillet du 11 novembre, dédié à la mémoire des morts
. Cette relative collision entre les
deux dates se retrouve d’ailleurs, en miroir, dans la résistance, quelle que soit son obédience : communistes
et gaullistes lancent les mêmes appels à manifester son patriotisme le jour de la fête nationale et celui de
Voir les articles de presse et les sondages cités par Patrick Garcia, Le bicentenaire de la Révolution française : pratiques
sociales d’une commémoration, Paris, CNRS Editions, 2000, p.55-56.
Les études sur le rituel rappellent souvent sa fonction légitimatrice pour ses organisateurs. Voir par exemple Nicolas
Mariot, « Morphologie des comportements et induction des croyances. Quelques remarques à propos de l’exemplaire
circularité de la fonction intégratrice des rites », Hypothèses, 1997, p.60.
Pour des analyses plus approfondies de l’évolution du 14 Juillet, on pourra consulter notamment : Christian Amalvi,
« Le 14 Juillet », in Pierre Nora (dir.) Les lieux de mémoire, t.1 : La République, Paris, Gallimard, coll. Quarto, 1997(1984),
pp. 383-423 ; Rémi Dalisson, op. cit. ; Vera Caroline Simon, Gefeierte Nation : Erinnerungskultur und Nationalfeiertag in
Deutschland und Frankreich seit 1990, Frankfurt am Main, Campus, 2010.
Pour les comptes-rendus dans la presse, voir par exemple « Toute la France et l’Empire ont célébré dans le
recueillement le 14 juillet et la mémoire des morts », Le Temps, 16 juillet 1941.
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2647173/f3.image
Sur les célébrations sous Vichy, voir Rémi Dalisson, Les fêtes du maréchal : propagande festive et imaginaire dans la France de
Vichy, Paris, Nouveau Monde, 2009.