le debat philosophique a l`ecole primaire

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IUFM DE BOURGOGNE
CONCOURS DE RECRUTEMENT PROFESSEUR DES ECOLES
LE DEBAT PHILOSOPHIQUE
A L’ECOLE PRIMAIRE
MARECHAL Ellen
Directeur de mémoire : Pierre Durand, PIUFM
Année 2004/2005
Numéro de dossier : 04STA00271
1
SOMMAIRE
SOMMAIRE……………………………………………………………………………….2
INTRODUCTION…………………………………………………………………………3
I / DE LA PHILOSOPHIE A L’ECOLE PRIMAIRE ?.......................................................4
1- Est-ce possible ?...............................................................................................................4
2- De quelle philosophie parlons-nous ?..............................................................................5
3- Les modèles de la philosophie pour enfants…………………………………………....6
a/ La méthode Lipman
b/ Les courants français
4- Pourquoi philosopher ?...................................................................................................8
a/ Structurer la pensée
b/ Développer des compétences langagières
c/ Eduquer à la citoyenneté
II/COMMENT METTRE EN PLACE LE DEBAT PHILOSOPHIQUE LORS D’UN
STAGE ?.............................................................................................................................10
1- Présentation du contexte et des objectifs……………………………………………...10
a/ La classe
b/ Le projet
c/ Les objectifs
2- Quel dispositif choisir?..................................................................................................11
a/ Les modalités
b/ Place et rôle de l’enseignante pendant le débat
c/ Les exigences intellectuelles du débat pour les élèves
3- Quels sujets et quelle préparation par le maître ?..........................................................15
a/ Les types de sujets
b/La préparation des débats
III/ ANALYSE DE LA PRATIQUE……………………………………………………………..19
1- Du point de vue des élèves………………………………………………………...….19
a/ La motivation
b/ Les difficultés
c/ Les progrès
2- Du point de vue de l’enseignant……………………………………………………….25
a/ Les difficultés rencontrées dans le rôle d’animateur
b/ Les questions que je me pose toujours
3- Prolongements…………………………………………………………………………29
a/ L’évolution possible du dispositif
b/ Et en maternelle ?
CONCLUSION………………………………………………………………………......32
BIBLIOGRAPHIE……………………………………………………………………….34
ANNEXE 1 : retranscriptions des débats classe de CE1/CE2………………………..… 35
ANNEXE 2 : retranscriptions des débats classe de GS………………….………………49
2
Introduction
Pourquoi un mémoire sur la philosophie à l’école primaire ?
Faire philosopher des enfants à l’école primaire est une pratique dont je n’avais jamais
entendu parler avant mon année de PE 2. C’est dans le cadre d’une réunion avec les
professeurs de philosophie pour le choix de notre sujet de mémoire que je l’ai découverte. La
pratique du débat m’intéressait, mais je ne connaissais pas le débat philosophique. Ma
première réaction a donc été la curiosité. Après une recherche bibliographique et la lecture
d’articles sur la philosophie pour enfants, j’ai eu envie de poursuivre mes recherches et
pourquoi pas de m’essayer à cette pratique malgré mon peu d’expérience en matière de
philosophie.
En effet, mise à part les cours de philosophie de terminale et ceux de philosophie de
l’éducation, je ne domine pas la discipline.
Ma motivation principale vient de mon expérience au contact des enfants de 6-8 ans que
j’avais en charge l’année passée. Nous nous posions la question « pourquoi va-t-on à
l’école ? » lors d’un mini débat improvisé après la réflexion du plus jeune de la
classe « J’aime pas l’école !»
J’ ai été étonnée de l’effort et de l’intérêt manifestés par les élèves. Après réflexion et
connaissance de la philosophie pour enfants, je me suis aperçue que cette question était à
portée philosophique et pouvait déboucher sur la question « qu’est-ce qu’apprendre ? » ou sur
le concept plus global du savoir.
Pratiquer la philosophie à l’école permettrait donc à ces enfants d’exprimer leurs questions,
leurs pensées et de tenter d’y répondre ou tout au moins de commencer d’y réfléchir.
Pourquoi choisirait-on de repousser leurs questionnements ou de ne pas exploiter les
questions à visées philosophiques que soulèvent les albums de jeunesse ?
L’envie d’expérimenter cette pratique, afin de comprendre ses intérêts mais aussi ses
exigences et ses limites, m’est venue également lors de discussions avec d’autres enseignants
sur ce thème, de leurs réticences, et de leur étonnement lié aux représentations de la discipline
philosophie,
Mon questionnement peut donc se formuler en ces termes : pourquoi faire de la philosophie
avec les élèves de l’école primaire, quels sont les intérêts de cette pratique ? Comment
l’enseignant peut-il mettre en place cette activité dans une classe et avec quelles exigences ?
Après m’être documentée sur la philosophie pour les enfants, sa définition, ses enjeux et les
différentes pratiques existantes dans le monde, j’ai réfléchi à la mise en place de cette activité
dans une classe de CE1/CE2 lors d’un stage en responsabilité. Enfin, j’ai tenté d’analyser
cette expérience en me plaçant du point de vue des élèves puis de celui de l’enseignant afin de
réfléchir aux intérêts, aux exigences et aux difficultés de cette pratique.
3
I / De la philosophie à l’école primaire ?
1/Est-ce possible ?
La première question que l’on a pu me poser et qui est revenue de manière fréquente à
l’évocation du thème de mon mémoire a été : est-ce possible de philosopher avec des élèves
de l’école primaire ?
« Au prime abord, l’idée séduit ou dérange, mais en tout cas surprend… » témoigne Jacky
Halimi dans La discussion philosophique à l’école primaire, coordonné par Michel Tozzi.
Cette démarche récente de laisser la parole à des enfants soulève de nombreuses
réticences en France. Michel Tozzi énonce les questions soulevées par cette pratique dans
son ouvrage L’éveil de la pensée réflexive à l’école primaire :
« Les enfants ne sont-ils pas trop jeunes pour parler de la vie, de l’amour, de la mort ? Ont-ils
les capacités intellectuelles, les connaissances requises, l’expérience suffisante, la maturité
psychique pour aborder ces problèmes ? Ceux-ci ne sont-ils pas délicats à aborder en classe,
avec trop d’implication personnelle (Pourquoi mémé elle est morte ?), de résonance
affective ? N’empiète-t-on pas ainsi sur le rôle éducatif de la famille ? N’y a-t-il pas atteinte à
la laïcité en abordant avec les enfants ces problèmes métaphysiques ? Ne risque- t-on pas de
les endoctriner ? N’est-il pas dangereux de cultiver le doute chez des êtres vulnérables qui ont
besoin de sécurité plus que d’incertitude ? Ne faut-il pas répondre à leurs questions plutôt que
de les laisser chercher dans la perplexité ? En développant si précocement la rationalité, ne
leur vole-t-on pas la part de rêve nécessaire à l’enfance ? Etc. ».
L’obstacle principal semble donc lié à l’âge : de si jeunes enfants ont-ils les capacités
intellectuelles pour accéder à la rigueur de pensée, à l’abstraction que demande la
philosophie ?
Selon Piaget, théoricien du développement de l’enfant, on ne peut brûler les étapes dans
l’apprentissage en raison des différents stades de développement chez l’enfant.
Michel Tozzi et Anne Lalanne, enseignante pratiquant la philosophie pour enfants,
confrontent à cette idée la capacité d’étonnement de l’enfant qui, dès qu’il apprend à parler,
interroge le monde, est en quête de sens perpétuelle.
Les enfants posent des questions philosophiques très tôt à leur entourage. Doit-on
attendre qu’ils soient adultes pour leur permettre de réfléchir de façon rationnelle à ces
questions ?
Et, faute d’être éveillés au questionnement, il semble qu’ils perdent cette capacité de
réflexion.
Quant à la nature abstraite de la philosophie qui s’oppose à l’intérêt sensible des
enfants pour le particulier et l’immédiat, Anne Lalanne objecte le fait que les enfants sont
initiés très jeunes à l’abstraction mathématique. Alors pourquoi ne pas leur laisser s’essayer à
celle des idées ?
Sur le plan du langage, on peut également se questionner sur l’acquisition d’un
vocabulaire suffisant pour philosopher. Or, pour réfléchir, selon Anne Lalanne, il n’est pas
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nécessaire de maîtriser un vocabulaire technique, il suffit de s’exprimer dans un langage de
tous les jours de façon rigoureuse.
Au contraire, apprendre à penser permettrait d’acquérir du vocabulaire et plus
généralement une maîtrise de la langue.
Toutes ces questions nous amènent à définir la philosophie dont nous parlons : enseignement
doctrinal ou pratique réflexive ?
2/ De quelle philosophie parlons-nous ?
Quand on prononce le mot « philosophie », une image surgit à l’esprit de nombreux
d’entre nous : l’année de terminale au lycée.
Cependant, avec des élèves de l’école primaire, il ne s’agit pas d’apprendre la
philosophie, c’est à dire de connaître les grands systèmes de pensée ou encore les œuvres des
pères de la philosophie comme dans le programme de philosophie au lycée. Non, il s’agit de
faire de la philosophie et donc d’apprendre aux enfants à penser par eux-mêmes pour
répondre aux questions qu’ils formulent dans leur vie quotidienne et d’ainsi s’approcher de la
vérité.
Comme l’explique Michel Tozzi, « en philosophie, on modifie le sens même du
questionnement, personne n’a la réponse ». Le maître n’est donc plus en position d’attendre
une réponse précise, considérée comme « bonne », dont il est lui-même détenteur.
Philosopher signifie étymologiquement : la recherche de la sagesse. Il s’agit d’amener les
élèves à se positionner en recherche de sens, à se poser des questions, à les discuter
collectivement afin de développer leur esprit critique et leur capacité d’argumentation.
Plusieurs conditions doivent être rassemblées pour permettre la réflexion
philosophique.
Selon Michel Tozzi, les sujets proposés aux élèves sont non susceptibles d’une seule
solution, d’une réponse factuelle, de connaissances techniques ou scientifiques. Mais ce sont
des interrogations portant sur le monde, les activités humaines, la morale, l’esthétique,
susceptibles de différentes réponses fondées.
La place du maître dans le débat est alors particulière. Il n’est pas le détenteur du savoir, mais
est là pour organiser le débat, guider les enfants dans leur réflexion.
Les représentations sont exprimées dans le but de prendre conscience de ce que l’on
pense et d’identifier la source de ce savoir. Il s’agit ensuite, selon Gilles Geneviève, de
questionner ce savoir pour se rendre compte de ce qu’il vaut, de tenter de dépasser son
expérience, son opinion, pour prendre en considération celles des autres et les discuter.
Cette idée de philosophie pour les enfants a été développée par plusieurs courants qui
constituent des points d’appui pour toute pratique en classe. Voici les principales mises en
applications que l’on peut trouver dans le monde et en France.
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3/ Les modèles de la philosophie pour enfants.
a/ La méthode Lipman
C’est Matthew Lipman, philosophe américain, qui le premier dans les années 1970 a
introduit ce qu’il a appelé la « philosophie pour enfants ».De son expérience auprès des
enfants, il dégage l’idée suivante : l’enfant arrive à l’école avec un bagage d’expériences et il
aime questionner le monde qui l’entoure. Selon lui, l’enfant est naturellement philosophe
parce qu’il est curieux, qu’il sait s’étonner, s’interroger.
En 1969, Lipman commence donc l’écriture de petits romans philosophiques pour enfants qui
s’inscrivent dans un véritable programme de philosophie pour les enfants. Ces derniers
constituent les supports à partir desquels les enfants apprennent à faire confiance à leur
pensée. Ces petits romans visent un public allant de la maternelle au lycée et mettent en scène
des enfants du même âge, pour faciliter l’identification aux héros. Ces héros réfléchissent
ensemble sur des thèmes comme la liberté, la vérité, le bien et le mal…
Le premier roman de Lipman, « Elfie », raconte par exemple l’histoire d’une petite fille de
maternelle qui recherche le sens de tout et va apprendre à faire la différence entre l’apparence
et la réalité, l’un et le multiple, la permanence et le changement.
La méthode, décrite dans des livres du maître constitués de nombreux exercices et
pistes de réflexion collective, consiste à faire lire ou à lire un passage, de faire formuler des
questions de fond par les enfants, d’en choisir une démocratiquement et de l’examiner
ensemble.
Lipman s’est inspiré des méthodes actives de John Dewey, philosophe américain dont
la pensée pragmatique, le goût de la logique, ressort dans sa démarche.
Il s’est également appuyé sur les travaux de Piaget concernant les stades de développement de
l’enfant et sur une idéologie démocratique.
En 1974, il fonde l’Institut pour l’avancement de la philosophie pour les enfants
(IAPC)qui marque le début d’activités qui ont soulevé l’enthousiasme d’un nombre de plus en
plus élevé de gens à travers le monde. En l’an 2000, plus de soixante pays emploient le
matériel créé par Lipman. Cette méthode s’est largement développée dans les systèmes
scolaires de pays comme le Québec ou encore le Brésil.
En Europe, ce n’est qu’au début des années 1990 que ces pratiques sont apparues. Certains
professeurs s’en inspirent mais aussi la discutent ou proposent d’autres approches de la
pratique philosophique.
b/ Les pratiques pédagogiques françaises
En France, Michel Tozzi a été le premier à réaliser des recherches sur la didactique de la
philosophie, d’abord au lycée, puis avec des classes de l’école primaire. Il propose trois
repères essentiels pour permettre la réflexion philosophique lors d’un débat :
-
la problématisation des questions ou affirmations: se pose t-on des questions ? Doutet-on ?
la conceptualisation des notions: tente-t-on de définir ce dont on parle ?
l’argumentation rationnelle des réponses ou des objections.
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Ce didacticien de la philosophie, directeur du département des Sciences de l’Education à
l’Université de Montpellier, argumente depuis longtemps pour l’introduction de séances de
philosophie à l’école primaire. Selon lui, des éléments convergent aujourd’hui pour aider à la
généralisation de ces expériences encore marginales en France : la crise du sens à l’école,
l’introduction d’une éducation à la citoyenneté qui fasse appel au raisonnement, à
l’argumentation.
Michel Tozzi, grâce à ses recherches et aux praticiens qu’il a suivi, publie un ouvrage
faisant le point sur cette pratique de la philosophie à l’école, intitulé L’éveil de la pensée
réflexive à l’école primaire en 2001. Ce livre constitue pour les novices une source de pistes
méthodologiques pour s’initier à cette pratique.
La pratique d’Anne Lalanne, enseignante dans une classe de CP, est une des rares
expériences françaises en terme de philosophie pour les enfants ayant un recul de plusieurs
années. L’institutrice met en place des ateliers philosophiques dans sa classe et dans une
cohorte d’élèves qu’elle suit depuis le CP jusqu’au CM2, grâce à un décloisonnement. Elle
s’appuie sur un guidage cognitif fort pour garantir une tenue réflexive des débats en se
positionnant comme un animateur dans le groupe. Ses fonctions sont donc diverses : gérer la
parole, interroger, reformuler, synthétiser, recentrer, relancer…
Voici un exemple de discussion instaurée en CP par Anne Lalanne à propos du thème : aimer
(est-ce que j’aime mes parents de la même façon que j’aime les fraises ?)
-
J’aime le chien parce que c’est doux, il est gentil et j’aime les fraises parce que c’est
bon. (Salomé)
- On n’aime pas pareil parce qu’un chien ça se caresse et qu’une fraise ça se mange.
(Bastien)
- Le chien c’est un animal, on peut pas le manger. (Pauline)
- Si parce qu’en Chine, ils mangent les chiens. (Camille )
- Une fraise on l’aime avec le goût, un chien ça a pas de goût. (Cyril)
- Oui, c’est un animal, pas un aliment. (Agathe)
Maîtresse : un aliment on l’aime pour son goût. Est-ce que quand je dis à papa ou à
maman « je t’aime » c’est parce que je l’ai goûté ?
D’autre part, un courant français de philosophie avec les enfants d’orientation
psychanalytique a été développé par Jacques Lévine. Il propose dans un premier temps, au
moins, de laisser discuter les enfants entre eux, le maître étant en retrait du groupe, se
contentant de formuler la question du jour. Il s’agit de provoquer chez l’enfant la découverte
qu’il est capable de penser sur les grands problèmes grâce à une réécoute de la discussion et à
un débat.
Nous allons donc maintenant nous pencher sur les enjeux de cette pratique selon ces
praticiens pour tenter de comprendre pourquoi dans ces classes on discute philosophiquement.
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4/ Pourquoi philosopher?
On peut détailler plusieurs enjeux qui sont en accord avec les instructions officielles
de l’Education nationale.
a/ Construire sa personnalité
La finalité de la philosophie à l’école réside en l’éveil à la pensée réflexive, la mise en
mot de sa pensée autonome par l’enfant, la formation d’un esprit critique. On vise donc, par
cette pratique, le développement de l’autonomie intellectuelle de l’enfant. Il s’agit de
permettre à l’enfant de développer sa personnalité en le laissant s’exprimer, penser devant les
autres, avec les autres, sur des problèmes fondamentaux. Libre de s’exprimer, valorisé par
l’idée que la parole de chacun est importante, la philosophie pour enfants renvoie aux élèves
une image positive, une estime de soi renforcée.
De plus, l’enfant est amené à se poser des questions sur des sujets existentiels comme par
exemple la mort. Il parle en « je », ce qu’il n’a pas l’occasion de faire si souvent à l’école, et
peut ainsi exprimer ses émotions, ses choix, ses doutes, les mettre en mots, tenter de les
comprendre et peut-être de les dépasser.
b/ Apprendre à structurer sa pensée.
Participer à un débat philosophique implique d’apprendre à formuler sa pensée de
manière claire et structurée afin d’apporter à la discussion un argument, un exemple, une
objection… La possibilité de s’entraîner à travers ces débats à conserver un sujet de
discussion, un propos tout en avançant dans le cheminement de sa pensée est un effort
important mais très riche pour l’enfant.
C’est en parlant que l’on apprend à penser. Même les enfants les plus timides peuvent peu à
peu oser prendre la parole pour mettre en mots leurs pensées, par un climat d’écoute, de
bienveillance et de tolérance de la pensée de l’autre.
c/ Développer ses compétences langagières.
Réfléchir sur une question philosophique revient à mettre en mots sa pensée donc à
travailler la langue orale. Les instructions officielles insistent d’ailleurs sur la place de l’oral
dans la maîtrise du langage et de la langue française afin de permettre aux élèves d’acquérir
une progressive autonomie dans son travail intellectuel.
Le débat philosophique est en soi une situation de communication réelle où les élèves sont
amenés à interagir verbalement entre pairs, à se confronter, à rencontrer des conflits
sociocognitifs par l’exercice de l’argumentation.
Mais cela ne saurait se cantonner à apprendre à argumenter, comme le précise Michel Tozzi,
car cela serait réducteur. L’enfant va être amené également à définir les mots qu’il emploie, à
préciser les mots, les notions mais aussi à problématiser le sujet.
Il ne s’agit pas d’argumenter pour convaincre l’autre mais d’argumenter pour savoir si ce que
l’on dit est vrai et de chercher avec d’autres. La philosophie étant avant tout la recherche de la
vérité.
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d/ Eduquer à la citoyenneté
Le débat hebdomadaire est inscrit au programme de l’école primaire par les
instructions officielles. Selon ce texte, il s’agit avant tout de viser l’apprentissage d’un
comportement.
Le débat philosophique, comme tout débat, est un lieu d’expérimentation de la citoyenneté
pour l’élève. En effet, ce moment bien spécifique est régi par des règles clairement énoncées
et acceptées par tous. Le respect de l’autre, de sa parole et de sa pensée est la base de
l’activité. Ainsi, les élèves sont amenés à prendre conscience des autres, à les écouter, à
prendre en compte leur parole.
Il s’agit également d’ouvrir les élèves sur le monde en les faisant se poser des questions qui
concernent la majorité des individus et non plus d’ordre personnel. L’élève prend donc ainsi
conscience de son appartenance à la société et des préoccupations communes de celle-ci. On
favorise ainsi l’ouverture d’esprit des élèves.
Le débat philosophique est aussi une initiation à la vie démocratique. Chacun a le droit de
s’exprimer, est libre de s’exprimer, tant que la liberté des autres n’est pas compromise : on ne
monopolise pas la parole, elle doit être répartie de manière équitable. Les questions sont
choisies par vote des élèves, à la majorité. Chacun dans le débat a le même poids. Ainsi, la
parole du maître n’a pas plus d’importance que celle des élèves, d’où la nécessité qu’il ne
donne pas son opinion.
La seule exigence en philosophie étant la recherche de la vérité, il est important de ne pas
tomber cependant dans une dérive qui consisterait à donner raison aux plus nombreux : en
philosophie on peut avoir raison seul parce que l’on a plus réfléchi.
La philosophie pour les enfants apparaît donc riche d’intérêt pour les élèves et les
maîtres dans leur classe. De plus, il ressort des différents témoignages que la discussion
philosophique contribue à la motivation des enfants passant par la nature des contenus et
l’utilisation de l’oral. « Les enfants sont enthousiastes à l’idée d’entreprendre un débat car les
sujets les concernent et l’oral les libère » selon Fanny Lattes, dans sa contribution à l’ouvrage
de Michel Tozzi La discussion philosophique à l’école primaire. Se sentant concerné par les
questions posées, l’apprentissage prend alors tout son sens pour l’enfant. Celui-ci va ainsi
construire ses savoirs étant placé en position d’acteur dans le débat.
Après cette présentation générale de la définition et des enjeux de la philosophie pour
enfants, je vais m’attacher à décrire les pistes que j’ai explorées dans mon initiation à cette
pratique.
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II / Comment mettre en place le débat philosophique lors d’un stage en
responsabilité ?
C’est lors de mon premier stage en responsabilité que j’ai pu expérimenter cette
pratique sur une période de 3 semaines, fin novembre, et des séances plus espacées au mois de
janvier.
1/ Présentation du contexte et du projet.
a/ La classe
J’ai pu mettre en pratique le débat philosophique dans une classe de CE1/ CE2, à
l’école Henry Marc de Chevigny Saint Sauveur.
Il s’agissait de mener cette expérience sur une durée de trois semaines, en envisageant la
possibilité de poursuivre au-delà quelques séances.
Evidemment, il faudrait prévoir dans une classe fixe, un travail en philosophie sur l’année
afin de pouvoir observer pleinement l’évolution de l’activité, les progrès des enfants… Ayant
un nombre bien limité de séances possibles avec cette même classe, je n’ai pu observer cette
évolution que sur du court terme. Il m’a cependant été possible de prendre du recul sur ma
pratique d’une semaine sur l’autre afin de réajuster mes interventions.
L’activité se passant pendant un stage, le fait de ne pas connaître les élèves, leur
personnalité, mais aussi leurs habitudes de travail, a rendu plus difficile un travail d’analyse
qui ne saurait être trop ambitieux étant donné mon peu d’expérience en la matière.
La classe, composée de 21 élèves de deux cycles différents, cycle II et III, n’avait
jamais pratiqué le débat philosophique auparavant. J’ai donc décidé d’inscrire cette activité
dans l’emploi du temps sur la demi heure destinée au débat pour le cycle III.
Les élèves avaient occasionnellement pratiqué le débat, discutant sur les problèmes, les
conflits, les questions surgissant dans la classe ou l’école. Les règles de prise de parole et
d’écoute avaient donc déjà été évoquées mais le moment n’était pas spécifique dans la vie de
la classe.
b/ Le projet.
Lors de la première journée de prise en main de la classe, j’ai commencé par présenter
mes projets aux élèves et notamment le débat philosophique. Il me semblait important, dès le
début, qu’ils sachent ce que nous allions faire ensemble et pourquoi.
Le but était pour moi de créer une place réelle à cette activité dans l’emploi du temps et la vie
de la classe.
Je leur ai alors annoncé que nous allions, pendant les semaines que nous passerions
ensemble, pratiquer un activité nouvelle pour eux: le débat philosophique.
Il a fallu dans un premier temps redéfinir le mot « débat » et surtout s’attacher au second
terme : « philosophique ». Ce dernier, comme le mot « philosophie » était très vague pour les
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élèves. Je leur ai expliqué en quoi consistait le débat philosophique en prenant un exemple :
pourquoi va-t-on à l’école ?
Il a donc été défini avec eux qu’il serait question de parler, réfléchir, échanger nos idées pour
essayer de répondre à des questions que tous les hommes se posent ou, tout au moins, de
s’approcher de la vérité.
Après cela, je leur ai précisé que nous nous réunirions une fois par semaine et que
j’enregistrerai les discussions afin de réaliser moi-même un travail sur le débat philosophique.
c/ Les objectifs.
A court terme, le premier objectif de cette activité était de créer un moment de
réflexion et d’expression de ses pensées. En effet, cette classe de CE1/ CE2 m’avait été
présentée par la maîtresse titulaire comme une classe très « normale » avec ses éléments
moteurs, ses « timides », ses enfants à canaliser...
Le moment du débat philosophique pouvait donc être attendu comme un temps à part où
chacun pourrait choisir de s’exprimer ou de ne pas s’exprimer, sans être jugé et sans qu’une
« bonne » réponse soit attendue par la maîtresse.
Le deuxième objectif était par conséquent de donner plus de sens aux apprentissages
par un autre rapport aux savoirs. Travailler le langage oral, structurer sa pensée, comprendre
un album en réfléchissant, en écoutant les autres, en se questionnant sur ce que l’on sait, en
définissant des notions et non en écoutant la parole du maître.
Un troisième objectif d’éducation à la citoyenneté était poursuivi avec une
expérimentation des règles du débat. Respect et écoute sont les deux règles clés rendant
possible la discussion et qui ont été mises en place pour ce travail.
Enfin, il s’agissait de les initier à un mode de pensée, à visée philosophique, dans un
monde où l’individu à tendance à ne penser qu’à lui-même, à s’interroger sur des choses très
concrètes et matérielles.
2/ Quel dispositif choisir ?
a/ Les modalités de l’activité.
Le débat philosophique était inscrit à l’emploi du temps à raison d’une séance de 30
minutes environ par semaine, le jeudi après midi après la récréation, la plupart du temps.
Le choix du lieu de l’activité, la classe, s’est fait en partie pour des raisons de gestion
du temps. Une salle autre que la classe aurait été cependant préférable, selon moi, afin de
donner toute sa spécificité à ce moment de réflexion.
J’ai donc choisi de rester dans la classe mais de les installer d’une façon inhabituelle :
assis par terre, en cercle, dans le fond de la pièce.
Le mieux serait sans aucun doute de les faire asseoir de manière plus confortable sur des
banquettes ou des matelas par exemple dans la bibliothèque de l’école. Cependant, cette
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dernière n’offrait que des tables et des chaises dans une disposition trop proche de celle de la
classe.
Ce moment de philosophie se déroulait en classe entière, soit 21 élèves. Il me semblait
pourtant intéressant de partager les élèves en deux groupes afin de leur permettre de prendre
davantage la parole. Mais le peu de temps dont je disposais dans la semaine ne me laissait pas
la possibilité de dédoubler l’effectif. Il aurait été possible également de ne pas proposer la
discussion à toute la classe chaque semaine.
En ce qui concerne l’installation des élèves, j’ai choisi la disposition en cercle,
recommandée notamment par Michel Tozzi. Elle présente l’avantage de mettre tous les
participants au débat dans une même posture élèves comme enseignant.
Un bâton de parole a été introduit afin de régler le problème de la prise de parole. Cet objet a
été proposé lors de la première séance dans le cadre de l’élaboration des règles à respecter
pendant la discussion philosophique.
Voici les règles retenues par la classe :
-
Pour parler, il faut demander le bâton de parole en levant le doigt.
-
On ne parle que quand on a le bâton.
-
Tous les élèves écoutent celui qui parle.
-
On ne répète pas ce qu’a dit quelqu’un ou la maîtresse.
-
On ne se moque pas.
-
Personne n’est obligé de parler.
Celles-ci étaient reformulées à chaque début de séance, après un court moment de relaxation,
et ritualisaient véritablement le commencement de l’activité.
b/ Place et rôle de l’enseignante dans le débat.
La définition de la place et du rôle du maître est primordiale afin de permettre la mise
en place d’une attitude réflexive chez les élèves.
Après avoir considéré les différentes pratiques de philosophie pour enfants citées
précédemment, j’ai choisi de m’appuyer sur la définition du rôle d’animateur par Anne
Lalanne. Pour elle, comme pour Michel Tozzi, l’enseignant a un rôle à jouer dans l’atelier, il
est là pour guider les enfants dans leur réflexion même si il ne participe pas au débat : ne
donnant pas son avis, ne proposant pas d’argument.
Le rôle que je me suis donné peut donc être défini par les grandes lignes qui suivent et qui
constituent des exemples d’interventions pendant les débats menés en classe.
12
-
S’assurer de la bonne répartition de la parole et du respect des règles du débat.
-
Aider à l’établissement de critères.
-
Faire définir une notion : sur le thème de l’amitié « Qu’est ce que veut dire aimer pour
vous ? »
-
Faire reformuler : « Qui pourrait redire cela autrement, avec ses propres mots ? »
-
Reformuler pour le groupe : reprendre ce qui a été dit, mettre en évidence les éléments
qui vont permettre de faire avancer la réflexion. Cette reformulation est suivie d’une
question qui, soit relance la réflexion, soit introduit un élément nouveau, soit encore
montre une contradiction. Sur le thème de l’amitié par exemple, questionner pour
amener à la distinction entre aimer avec son cœur et aimer avec le goût : « On a dit
aimer, c’est deux choses : aimer d’amitié et aimer d’amour, c’est donc aimer des
personnes. Est-ce qu’aimer veut dire autre chose parfois qu’aimer avec le cœur ? »
-
Faire formuler des exemples : « Avez-vous des exemples ailleurs qu’à l’école ? »,
« Qui a un autre exemple ? »
-
Demander des opinions : « Qu’en pensez-vous ? », « Etes-vous d’accord avec…. »
-
Faire apparaître des contradictions : sur le thème de Loup rouge, par exemple « Loup
rouge est un chien, comment est-il devenu un loup ? » ou encore sur la distinction
copain/ ami : « Selon vous, c’est la même chose être copain et être ami ? »
-
Synthétiser au cours de la discussion : pour faire le point sur les idées émises,
recentrer l’attention sur le thème débattu, et donner du sens aux exemples en les
généralisant. Toujours sur le thème de l’amitié : « Et si l’on récapitulait, qu’est-ce
qu’un ami ? Qu’est-ce qu’un copain ? »
-
Synthétiser à la fin de la séance : pour retracer le cheminement de la discussion, la
progression de la réflexion. Par exemple, à la fin de la séance sur l’amitié : « Je
résume ce que l’on a dit. On a cherché ce qu’était un ami, et on a trouvé que ce n’était
pas la même chose qu’un copain. On a expliqué pourquoi. Ensuite, on a cherché à
comprendre ce que veut dire le mot aimer, les différents sens de ce mot. » Cette
synthèse peut servir de point de départ à une séance ultérieure.
Le guidage s’effectue dans l’action. Il ne peut être prévu, ce qui est la principale difficulté
pour le maître mais aussi en constitue l’intérêt, l’enjeu.
L’enseignant permet ainsi aux élèves de tisser des liens entre les différents apports personnels
et le cheminement collectif. Selon Michel Tozzi, « c’est grâce à ce guidage que l’enfant va
construire sa pensée pour parvenir à penser par lui même, c'est-à-dire opérer seul ces liaisons
dont la synthèse constitue la continuité du discours et du raisonnement. »(L’éveil de la pensée
réflexive).
13
c/ Les exigences intellectuelles du débat pour les élèves.
Lors des débats philosophiques, les élèves sont guidés par l’enseignant dans une
attitude réflexive qui implique d’être soi-même, de penser par soi-même, tout en étant dans le
groupe.
La prise de parole des élèves me semble dépendre des exigences que le maître forme lors
des débats. J’ai donc recherché à ce que les élèves visent à :
-
articuler leurs choix. En prenant la parole, ils réalisent des choix qu’ils doivent
argumenter, voire justifier. Le maître encourage pour cela à exprimer son opinion, à
fournir un exemple, à expliciter une réponse en utilisant des formules telles que : « Je
ne suis pas d’accord parce que… », « Je suis d’accord parce que… », « Je voudrais
rajouter…. », « Je voudrais rebondir sur ce qu’a dit… », « Par exemple… »…
-
ne pas répéter. Dire comme les autres, les élèves ou le maître, est la tentation
première des enfants. Une des règles du débat, clairement formulée, est donc de ne pas
répéter ce que quelqu’un d’autre a dit. Cela implique pour les élèves qu’ils écoutent et
se rappellent ce que les autres disent. L’enseignant peut cependant demander de
reformuler, la difficulté étant de redire autrement, avec ses propres mots.
-
se justifier. Le réflexe du pourquoi doit être assimilé et exigé. Le simple « parce que »
doit être banni des bouches ainsi que les réponses telles que « Parce que j’aime bien ».
L’enseignant ne se contente donc pas de ces réponses et incite à la justification. Sur le
thème de l’amitié par exemple :
M : Selon vous, c’est la même chose être copain et être ami ?
E : Ce n’est pas tout à fait la même chose.
M : Tu nous expliques pourquoi ?
E : Bah, parce qu’un copain c’est quelqu’un avec qui on est des fois et un ami on joue à
chaque récré, on l’invite à son anniversaire.
-
répondre à l’autre. Il s’agit pour les élèves d’écouter et d’entendre ce qui émerge des
autres afin de ne pas répéter, de comparer leur réponse à celles des autres et ensuite de
leur répondre si l’on n’est pas d’accord. Ainsi, les élèves prennent conscience de leurs
oppositions et peuvent se situer par rapport à leurs pairs.
14
3/ Quels sujets et quelle préparation pour le maître ?
La question du choix des sujets à traiter se pose après avoir défini le dispositif à mettre
en place. En effet, comment choisir les sujets ? Qui propose les thèmes ? Quels types de
sujets peut-on proposer aux élèves ? Quels supports a-t-on à disposition ? Pourquoi aborder
cette question et non une autre ? Peut-on aborder tous les thèmes ?
L’exigence première est, il faut le rappeler, la qualité philosophique du sujet, comme il en a
été question dans la première partie de mon développement.
Ainsi, toutes les questions pouvant avoir une réponse clairement identifiée, factuelle ou à
solution scientifique sont à exclure.
Ensuite, les sujets doivent être à la portée des élèves à qui ils s’adressent. Les termes doivent
être clairement identifiables.
Il existe différents types de sujets que j’ai plus ou moins utilisés et qui permettent, en
les alternant, d’expérimenter celui qui convient le mieux avec la classe en question, et de
varier les exercices. Bien entendu, toutes les classes ne réagiront certainement pas de la même
façon à tel type de sujet sur tel thème. Je m’attacherai dans cette partie à décrire ces différents
types de sujets tout en présentant ceux que j’ai proposés à la classe.
a/ Les types de sujets.
Les sujets de type notionnel : on recherche à définir une notion spécifique, comme
par exemple les questions que l’on a pu aborder : « Qu’est-ce que savoir ?» ou encore
« Qu’est ce qu’aimer ? ». Ces définitions notionnelles se retrouvent dans d’autres types de
sujets car la définition des termes permet d’être au clair sur les mots que l’on emploie et
d’avancer dans la réflexion. Par exemple, le débat sur la distinction ami/copain, réalisé dans
cette classe, à débouché sur la définition du terme « aimer ».
Les sujets portant sur un problème rencontré en classe ou sur une question
soulevée par la vie de la classe : il s’agit ici de sujets à départs contextualisés, dépendant
directement de la vie de la classe et qui peuvent être proposés par le maître ou initiés par les
élèves face à un problème. Le but est d’aboutir à une généralisation, on ne peut bien entendu
pas rester au stade de l’exemple. Le fait de réfléchir sur une considération très proche d’eux
est très impliquant et la recherche de la vérité, du sens, est profitable à tous. Elle permet de
faire évoluer certaines représentations.
Ainsi, dans la classe de CE1/CE2, Mathieu, un élève très agité m’a lancé un jour avec défi :
« De toute manière j’aime pas l’école, j’aime pas travailler ! » La discussion qui a suivi avec
le groupe classe a porté sur la question « A quoi sert l’école ? » En effet, pourquoi travailler et
l’école ne sert t-elle qu’à travailler ? Nous avons donc choisi de traiter cette question en
séance de philosophie pour tenter de réfléchir à tout cela.
A l’occasion des commémorations du 11 novembre, la question du devoir de mémoire a été
soulevée également : pourquoi se souvenir du passé ? Ce moment n’a pas été enregistré car
nous avons pris le temps ce jour là de nous arrêter pour y réfléchir. Il s’agit cependant bien
d’un moment de réflexion philosophique et il aurait été possible également que je diffère la
discussion à l’atelier.
15
Les sujets portant sur une distinction notionnelle : il s’agit de faire la différence
entre deux termes comme lors du débat 4(cf. annexe 1) ami/copain.
Les élèves sont amenés à rechercher les ressemblances, les différences, en élaborant des
critères. Le but étant de pouvoir utiliser ces termes à bon escient, avec précision.
Les sujets portant sur une question soulevée à partir d’un album ou d’un texte : à
la suite de la lecture par la maîtresse et d’un échange afin de s’assurer de la compréhension
globale de l’histoire.
En effet, de nombreux albums ont une portée philosophique. La présence d’une morale ou
tout simplement d’un thème pouvant être traité philosophiquement permet une exploitation
lors des séances de débat philosophique. Les albums traitent fréquemment de thèmes tels que:
la mort, la solitude, l’amitié , la tolérance, le courage, la différence…Il ne s’agit cependant
pas d’envisager cette exploitation philosophique avec tous les albums rencontrés, mais de
sélectionner certains d’entre eux dans un objectif précis de réflexion.
La difficulté pour les élèves consiste à parvenir à se détacher de l’histoire en elle-même, pour
en percevoir la portée générale du message. Au début, les références à des éléments purement
narratifs nuisent à la progression de la réflexion. Il est donc indispensable de leur rappeler que
le but n’est pas de raconter à nouveau l’histoire (phase cependant obligatoire avant le débat).
J’ai donc proposé trois albums aux élèves de cette classe trouvant que ce support,
assez attrayant, permettait une motivation importante et facilitait la prise de parole.
Mon choix a été aidé par l’ouvrage de Michel Tozzi, L’éveil de la pensée réflexive, qui
propose des albums selon les thèmes que l’on veut aborder.
La discussion peut être lancée par la question « Qu’en pensez vous ? » ou « Auriez vous fait
comme le personnage et pourquoi ? » Les élèves peuvent être amenés également à rechercher
plusieurs questions que l’on pourrait poser à partir de l’album puis le choix s’effectue par vote
à main levée.
Sept souris dans le noir, de Edouard Young, 1992, Milan. Cet album a été utilisé pour la
première séance, il aborde les thèmes de la connaissance et de la sagesse. Je l’ai choisi pour
commencer car il me semblait être à la portée des élèves et être très riche philosophiquement
malgré le peu de texte. La question de départ a été « Que pensez vous des différentes façons
de procéder des souris ? » et a conduit à réfléchir à la morale et à la signification du
mot « savoir » ( cf. annexe 1 débat 1).
7 souris font une étrange découverte : chacune de son côté cherche à identifier la
chose : pour l’une c’est une corde, pour l’autre, une falaise, pour une troisième un
serpent…En fait, il s’agit d’un éléphant, et c’est la dernière souris, qui découvre la clé
de l’énigme en ne se contentant pas d’un fragment de la chose mystérieuse, mais en
l’explorant dans son entier. « Savoir est un peu mieux que rien, mais le sage ne
connaît vraiment que ce qu’il a vu en entier. »
Loup rouge, de Friedrich Karl Waechter, L’école des loisirs, 1998. Cet album a été proposé
dans un second temps, car plus difficile et surtout traitant de thèmes plus délicats tels que la
mort, la liberté et l’identité. Ne voulant pas imposer une question plutôt qu’une autre, j’ai
donc décidé de demander aux élèves quelles questions philosophiques nous pourrions aborder
après la lecture de cet album. Ceux-ci ont proposé les questions suivantes :
16
-
Loup rouge est-il un chien ou un loup ?
Pourquoi la petite fille accepte t elle mieux la mort de son ami ?
Pourquoi peut-on dire que loup rouge a eu une belle vie ?
Pourquoi chasse t-on ?
La dernière question a été rejetée car après réflexion, les élèves ont conclu qu’elle n’avait pas
un caractère philosophique. Le choix a donc été fait entre les trois premières propositions et la
question sur l’identité du loup a été choisie ( cf. annexe1 débat 3).
Loup rouge est en réalité un petit chien. Mais un jour où il a été abandonné par ses
maîtres à cause de la guerre, il est recueilli et élevé par une louve. Il devient donc un
loup. Mais un autre jour, des chasseurs tuent sa mère louve. Il est recueilli cette fois
par une petite fille et redevient chien… A la veille de mourir, il se repasse le fil de sa
vie et la trouve belle et bien remplie.
Cousin Ratinet, Claude Boujon, L’école des loisirs, 1994. Il s’agit du dernier album proposé,
il traitait de la différence et de la tolérance. J’ai choisi ce thème en raison de l’actualité du
moment : l’anniversaire de la libération des camps de concentration. Cela permettait, sans
aborder directement le sujet, de réfléchir au droit à la différence.
Trois rats vivaient heureux dans des tuyaux abandonnés, sur un terrain vague.
Jusqu’au jour où ils reçoivent la visite de Ratinet, un cousin éloigné. Ratinet est plutôt
pâle et propre. Pas facile d'accepter les différences des autres. Mais, heureusement,
dans l'épreuve, certaines différences s'effacent.
b/ La préparation des débats.
Le choix des sujets rentre en compte dans le travail de préparation du maître. Il se fait
de différentes manières, en fonction :
-
de l’actualité,
-
des questions / problèmes rencontrés dans la vie de la classe,
-
de l’émergence d’une nouvelle question soulevée par les élèves lors de la conclusion
d’une séance,
-
ou bien encore d’un thème choisi par l’enseignant de façon plus arbitraire.
Après avoir déterminé le sujet qui fera l’objet de la prochaine séance de discussion
philosophique, il s’agit de préparer, ou plutôt d’essayer de prévoir, quelques pistes de
réflexion que les élèves pourraient évoquer. Il est bien entendu impossible de prévoir une
17
véritable trame de la discussion à venir, mais la préparation doit cependant viser à réfléchir à
plusieurs éléments:
-
les notions qui seront incontournables. Par exemple, pour l’album 7 souris dans le
noir, les notions de savoir, sagesse, connaissance, ont fait l’objet d’une recherche
particulière.
-
les pistes possibles de réflexion des élèves et comment faire progresser cette réflexion
en pensant à des questions de relance. Pour l’album cité précédemment, les idées
suivantes pouvaient ressortir : « Il ne faut pas croire ce que les autres disent. », « Il
faut aller voir par soi-même. », « Il faut bien observer et toucher. », « Les autres
peuvent nous aider à comprendre. », « Pour savoir, il faut apprendre à l’école. »…
-
les concepts philosophiques mis en question.
La possibilité de débattre quelques minutes avec un autre adulte peut être très utile afin
d’ouvrir notre réflexion à d’autres idées.
La pratique de la discussion philosophique demande de déterminer clairement quel
dispositif on souhaite mettre en place et nécessite des choix pédagogiques aidés par les
différents modèles de la philosophie pour enfants.
Il s’agissait pour moi, dans cette deuxième partie, de faire part des réflexions et des choix que
j’ai effectués pour l’expérimentation de la philosophie dans cette classe de CE1/CE2.
Je vais maintenant m’attacher à analyser cette expérience en m’appuyant sur les
retranscriptions des débats jointes en annexes.
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III/ Analyse de la pratique
1/ Du point de vue des élèves :
a/ De la motivation
Les élèves ont toujours été enthousiastes à l’idée d’entreprendre un débat, et ce pour
différentes raisons.
La disposition pendant l’activité, moins scolaire, en fait un moment spécifique que
chacun reconnaît et apprécie. C’est un moment convivial, où tous les élèves sont à égalité, où
la maîtresse s’installe comme eux, par terre.
Mais surtout, c’est le mode de communication privilégié qui est un élément de
motivation important : les élèves ont la parole, ils se sentent écoutés sans être jugés. Ils
peuvent s’exprimer en utilisant l’oral et ne sont donc plus obsédés par l’écrit.
Ainsi, même les élèves qui sont les moins à l’aise dans les activités à l’écrit ont l’occasion de
« faire leurs preuves » en mettant en œuvre leurs connaissances, en exprimant leur pensées.
J’ai remarqué que les membres les plus actifs, ne sont pas les élèves les plus en réussite, mais
souvent l’inverse : les « bons élèves » sont plus réservés dans l’expression de leurs pensées,
alors que les autres se sentent comme libérés.
Autre raison de la motivation : la nature des sujets abordés et l’implication des élèves
dans le choix des sujets en eux-mêmes, comme l’explique Fanny Lattes dans La discussion
philosophique à l’école primaire.
En effet, la nature des sujets est déterminante dans l’implication des élèves. L’école, le savoir,
les amis, l’identité, la différence, sont des sujets qui même si certains sont plus abstraits, les
concernent pleinement. Les élèves parviennent à faire le lien avec leur quotidien en
recherchant des exemples et les albums utilisés rendent accessibles certaines notions
abstraites.
Par exemple, pendant la séance sur l’album Loup rouge, nous avons abordé le thème de
l’identité, notion abstraite que les enfants ne pouvaient pas définir sans l’intermédiaire de
l’histoire. Cependant, la question « Loup rouge est-il un chien ou un loup ? Pourquoi ? » était
une question venant d’eux et répondant à une vraie interrogation des élèves (tous n’étant plus
très sur). Cela a permis de dépasser la réponse en terme de race et de faire réfléchir à ce qui
forme notre identité, ce qui fait que l’on est soi et unique.
Le débat sur la distinction ami/copain a été très intéressant car les enfants se sont impliqués
affectivement dans la discussion. Ils ont parlé de quelque chose qu’ils connaissent bien et qui
régit leurs rapports avec leurs camarades, mais qu’ils ne sont pas forcément amenés à définir.
b/ Des difficultés
Pendant les discussions philosophiques mises en œuvre dans la classe et en
m’appuyant sur les retranscriptions de leurs enregistrements, plusieurs difficultés me sont
apparues.
19
Certains élèves ont des difficultés à se décentrer. Surtout au début, il s’agit d’un
véritable effort à fournir pour les élèves. On remarque qu’ils ne se répondent pas, mais
juxtaposent leurs monologues, recherchant à répondre individuellement à la question posée.
L’égocentrisme naturel chez l’enfant à tendance à prendre le dessus et à transformer
l’exercice de la discussion en une exposition stérile des opinions.
Exemple 1: cf. annexe1 débat 3, Loup rouge.
-
M : Loup rouge est-il un chien ou un loup ? Et qu’est-ce qui vous fait dire cela ?
E1 : Parce que le chien, il est petit et le loup il est grand.
E2 : En fait, c’est un loup parce qu’il a été élevé par les loups.
On constate dans cet exemple que le deuxième élève ne prend pas en compte l’intervention
précédente. Pourtant, il n’est apparemment pas d’accord et énonce une idée différente. Il
expose sa pensée sans faire de lien avec celle de l’autre.
Exemple 2 : cf. annexe1 débat 4, Qu’est-ce qu’un ami ?
-
E1 : En fait, quand on est très bons amis, eh bah, quand on est copain des fois on se
pardonne.
E2 : Aussi un ami, c’est un peu un copain.
E3 : Quand on est copain, ami, on se pardonne.
Cet autre exemple illustre également cette difficulté à se décentrer. On constate clairement ici
que la réflexion ne progresse pas : les liens entre les différents propos ne sont pas faits.
L’étayage du maître devient indispensable dans ce cas précis. Nous l’envisagerons
ultérieurement en considérant les interventions du maître dans le débat.
Argumenter est également une opération difficile et ne constitue pas un souci
systématique pour les élèves. Or, dire pourquoi on avance telle idée est une exigence
indispensable à la réflexion philosophique : on tente de prouver ce qu’on avance pour savoir
si ce que l’on dit est vrai.
Exemple : cf. annexe1 débat 3, Loup rouge.
-
E : Moi, je pense qu’au début il était un chien et quand il a grandi il était un loup…
M : Pourquoi ? Explique nous.
E : Parce que, euh, je sais pas comment dire.
Cet élève est donc dans une position délicate. Il ne parvient pas à argumenter son idée.
Trouver un argument à son affirmation demande un effort important qui nécessite un temps de
réflexion. La plupart du temps, les enfants ne réussissant pas à donner une justification,
étaient ceux qui ne prenaient pas le temps de réfléchir avant de prendre la parole.
Cependant, face à mon insistance à demander des arguments, un certain nombre d’élèves font
l’effort de se justifier comme dans l’exemple suivant.
20
Exemple : cf. annexe1 débat 3, Loup rouge.
-
E : C’était un chien et après vu qu’il a été élevé par les loups, il a eu l’habitude. Il a été
presque comme si c’était un loup mais c’était quand même un chien.
M : Qu’est-ce qui te fait dire qu’il est comme un loup ?
E : Parce qu’au début, il était un chien et maintenant, il est devenu un loup. Parce que
avant il était élevé par des hommes et avec la louve il est devenu un loup. Il s’est battu
avec les louveteaux, il a appris à chasser, à manger…
Passer de l’exemple à la définition, c'est-à-dire, généraliser est également une chose
difficile pour les élèves. Souvent, ils tentent de définir un mot, une notion, en donnant un
exemple mais ne généralisent pas, ne donnent pas une définition.
Exemple 1: cf. annexe1 débat 2, Pourquoi va-t-on à l’école ?
-
M : Ça veut dire quoi apprendre ?
E : On va apprendre à conduire.
-
M : Ça veut dire quoi être bête ?
E : Ça veut dire, par exemple, que l’on ne comprend pas tout.
Exemple 2 : cf. annexe1 débat 4, Qu’est-ce qu’un ami ?
-
E1 : Aimer, ça veut dire autre chose, par exemple, qu’on aime un jeu.
E2 : Aussi, on peut dire, j’aime bien lire, on aime bien faire quelque chose.
E3 : Par exemple, j’aime le chocolat, la nourriture qu’on aime bien, qu’on préfère…
Cela s’explique sans doute par la difficulté d’abstraction chez de si jeunes enfants.
L’abstraction est cependant possible mais se fait le plus souvent en deux temps : tout
d’abord, l’exemple tiré de leur vécu, contextualisé, puis la généralisation aidée par l’étayage
du maître.
Enfin, une des grandes difficultés pour les élèves est d’interroger les choses, de se
poser des questions. En reprenant les transcriptions, on se rend compte du peu de questions
formulées. Les élèves sont essentiellement concentrés sur une recherche de réponses et non
sur l’expression d’interrogations.
Or, la philosophie, comme elle a été définie précédemment, consiste à interroger le monde, les
choses, afin de s’approcher de la vérité. C’est grâce à cette problématisation que le débat
progresse véritablement.
La plupart du temps, la problématisation est réalisée par le maître qui relance à partir des
propos des élèves :
21
Exemple : cf. annexe 1débat 4, Qu’est ce qu’un ami ?
-
E : Les amis, on se dispute moins souvent car ça fait longtemps qu’on se connaît,
tandis que les copains, par exemple, on les connaît que depuis cette année.
M : Mais est-ce que l’on ne peut pas se disputer entre amis ?
Exemple : cf. annexe 1débat 2, Pourquoi va-t’on à l’école ?
-
M : Si on ne va pas à l’école est-ce que l’on est bête comme vous dites ?
E1 : Quand on ne va pas à l’école, on n’est pas obligé d’être bête mais ils sont
intelligents.
E2 : Ils ont qu’à demander à leurs parents, mais si eux aussi ils sont pas allés à
l’école…
M : Tu crois qu’ils ne savent rien du tout ?
E2 : Si, ils savent quand même des choses.
La discussion philosophique avec les élèves de l’école primaire n’est donc pas si
évidente pour eux, chose à laquelle je m’attendais. Et cela constitue tout l’enjeu de l’activité :
les faire s’essayer à une nouvelle pratique, à une nouvelle forme de réflexion en groupe,
exigeante et difficile.
Il est donc important d’envisager maintenant les progrès que l’on a pu remarquer chez ces
élèves pendant les six séances de débat philosophique.
c/ Les progrès.
Bien entendu, cette analyse ne saurait être très poussée car le peu de séances réalisées
ne m’a pas permis d’observer sur le long terme leurs progrès. D’une séance sur l’autre, il m’a
été possible de constater plusieurs évolutions des comportements, liées sans doute à
l’intégration des règles et des exigences de l’activité.
Dans un premier temps, j’ai pu remarquer à la relecture des transcriptions des progrès
en ce qui concerne l’aisance à l’oral.
Alors qu’au premier débat seulement dix élèves sur 21 s’étaient exprimés, presque la
totalité parlait dans le dernier débat. La règle « Personne n’est obligé de parler » a
certainement joué un rôle dans cette évolution. Les élèves étaient totalement libres dans ce
domaine et à aucun moment ils n’ont été jugés par les autres ou moi-même. Ainsi, Thomas,
élève de CE1 n’intervient qu’à partir du quatrième débat mais il l’a fait de manière active ce
jour là.
L’aisance à l’oral se remarque également en observant la longueur des interventions. Au fur et
à mesure, en plus d’une simple affirmation, les enfants ont eu le souci de se justifier ou de
préciser leur idée.
Il faut souligner également la présence d’élèves pour qui la prise de parole est très facile.
Ceux-ci interviennent de nombreuses fois dans une même discussion et assez longuement à
chaque fois.
22
Ainsi, Morgane, élève de CE1, était très active pendant les débats et à chaque prise de parole,
en plus de prendre en compte les propos des autres, relançait souvent la discussion. Elle a
donc joué un rôle de moteur dans le groupe. Mais, j’ai dû également la freiner afin qu’elle ne
monopolise pas la parole et qu’elle vise l’essentiel.
Des progrès sensibles sont également apparus au niveau de la dimension
communicationnelle de l’activité. La nécessité d’instaurer un climat d’écoute, de respect et
de dialogue a été comprise par les élèves.
L’écoute est donc une compétence qui a été travaillée pendant les séances. Les élèves ont
compris l’importance d’une écoute active, c'est-à-dire , de ne pas seulement faire le silence
pour entendre, mais d’écouter pour savoir ce que les autres pensent et pouvoir réagir à leurs
propos, dire si ils sont d’accord ou non. De plus, la règle « On ne répète pas ce qu’a
dit quelqu’un ou la maîtresse», a joué un rôle dans ce sens.
A la relecture des débats, je me suis aperçue n’avoir eu à intervenir qu’une fois en moyenne
par séance pour demander le silence. Cela montre la qualité de l’écoute et la disponibilité des
élèves pendant l’activité.
En effet, mon ressenti sur le moment n’était pas marqué, comme je le pensais avant de
commencer, par le souci de ramener le calme. Le climat d’écoute m’a paru satisfaisant et n’a
pas été difficile à instaurer. Il s’est établi comme naturellement.
Cependant, il me paraît indispensable d’adapter la durée de la séance à la capacité de
concentration des élèves.
Le respect de l’autre et de la parole de l’autre clairement instauré par les règles du débat a
été sans cesse réaffirmé au début de chaque séance. Pour pouvoir s’exprimer en toute sécurité,
il était indispensable de le faire sans être jugé. A aucun moment je n’ai eu à intervenir pour
rétablir le respect de ces règles.
Les progrès dans ce domaine ont été remarqués en différé : un climat de respect et d’écoute a
été instauré en général dans la classe. Il me semblait que les élèves étaient plus soucieux du
respect de ces règles en classe. D’ailleurs, à plusieurs reprises, quand un problème surgissait,
ils n’ont pas hésité à m’en parler et à demander à ce que l’on en discute ensemble.
Les élèves ont progressé en ce qui concerne la prise en compte de la parole de
l’autre. Bien que ce soit quelque chose de difficile, on remarque que certains élèves
parviennent à se décentrer et répondent à leurs camarades, réagissent à un propos.
A partir du quatrième débat, les élèves emploient régulièrement les formules suivantes qui
montrent la prise en compte de la parole de l’autre : « Je suis d’accord avec… », « Je ne suis
pas d’accord », « Je veux réagir à ce qu’à dit… », « Je veux compléter ce qu’à dit… »,
« Comme disait… ». Ces amorces ont été introduites par le maître qui les utilise pour relancer
les élèves pendant la discussion. Les élèves intègrent leur sens et les réutilisent peu à peu lors
de leur prise de parole.
Ces formules témoignent également du souci de ces élèves de préciser la place de leur propos
dans la discussion: est-ce que je suis d’accord ? Est-ce que je m’oppose ? Est-ce que je
précise ? Est-ce que je donne un exemple ?
Ainsi, Dylan dans le cinquième débat à partir de l’album Cousin Ratinet, utilise des formules
précises à chacune de ses interventions:
-
E : Je voudrais rebondir sur ce qu’à dit Julie parce que comme elle dit, on peut être
différent mais jouer ensemble. Je pense aussi que c’est pas parce qu’un enfant il est
noir, et que nous non, qu’on est différents.
23
-
E : Je veux compléter ce qu’a dit Jérémy. Les gens handicapés ils sont pas comme
nous par exemple, mais faut pas avoir peur d’eux, faut leur parler.
Ces progrès sont donc très minces mais comme le témoigne Anne Lalanne dans l’ouvrage de
Michel Tozzi, L’éveil de la pensée réflexive, au fil des séances dans une pratique suivie,
l’écoute mutuelle se renforce au travers d’un dialogue plus direct entre les enfants : « Tu dis
que… mais qu’est-ce que ça veut dire pour toi ? »
Des progrès concernant leur capacité à « philosopher » sont à noter également,
même si ils sont très discrets.
Dans certains cas, les élèves parviennent à généraliser sans l’aide de l’adulte, comme le
montre les deux interventions suivantes dans lesquelles les enfants tentent de définir des
notions.
Exemple : cf. annexe1 débat 4, Qu’est-ce qu’un ami ?
-
M : Qu’est-ce que ça veut dire aimer pour vous ?
E 1:Ça veut dire que c’est celui que l’on préfère le plus et qu’on aime bien. Et y’a
deux aimer : un aimer qu’on aime beaucoup en amour, et un aimer bien, c’est l’amitié.
Un peu après :
-
E2 : L’amitié, c’est souvent quand on aime les gens plus que d’autres, parce qu’ils ont
quelque chose en commun …
Quelques élèves sont également parvenus à problématiser, à s’interroger ou à exprimer un
doute, ce qui est assez difficile pour eux. Voici deux exemples :
Débat 1 cf. annexe 1: Sept souris dans le noir.
-
E1 : Parce que c’est pas toujours juste.
E2 : Et comment on sait si c’est juste ?
M : Quelqu’un veut-il essayer de répondre ?
Débat 3 cf. annexe 1: Loup rouge.
-
E : Il est p’être pas un loup. Il redevient pas un chien comme les autres parce qu’il est
loup, il peut pas redevenir chien.
Des progrès sont importants dans le domaine de l’argumentation des propos. Ainsi pour
Giovanni, élève de CE2, la progression entre le premier débat et le troisième est frappante:
Exemple : cf. annexe1 débat 1, Sept souris dans le noir.
-
M : Tu penses que les autres vont t’aider à comprendre ?
24
-
E : Non.
M : Pourquoi ?
E : Parce qu’il faut pas tout le temps les écouter.
M : Explique-nous pourquoi…
E : Parce que c’est pas toujours juste.
Débat 3, Loup rouge.
-
M : Qu’est-ce que tu en penses Giovanni ? Tu es d’accord ?
E : Il est moitié loup et moitié chien, c’est parce qu’il se jette de la falaise, ça veut dire
qu’il est toujours un loup. S’il se jette pas ça veut dire qu’il est un chien.
Ainsi on peut même constater que les arguments d’un autre peuvent être reformulés, voir
même précisés.
Exemple 1: cf. annexe1 débat 4, Qu’est ce qu’un ami ?
-
E1 : On a le droit de se disputer entre amis, mais en fait un ami, ça se lâche pas, parce
qu’on veut toujours se réconcilier parce qu’on s’aime beaucoup…
E2 : Moi, je suis d’accord avec Morgane, parce qu’un ami, c’est quelqu’un qu’on
connaît plus qu’un copain, on ne le voit pas qu’à la récré, à l’école, et c’est plus fort.
Exemple 2 : cf. annexe1 débat 3, Loup rouge.
-
E1 : C’est ce qu’il pense, il pense qu’il est à moitié loup et à moitié chien. Il se jette
dans le ravin parce qu’il aimait la louve.
E2 : Oui, il voulait retrouver la louve parce que c’est sa mère d’adoption, elle l’a
sauvé.
Après avoir analysé la pratique du point de vue des élèves, je vais maintenant me
situer du point de vue de l’enseignant ou plus exactement de l’animateur, fonction que j’ai
exercée pendant les séances.
2/ Du point de vue de l’enseignant
Animer une séance de discussion philosophique est un exercice d’improvisation
exigeant pour le maître. Il m’a semblé, en effet, très éprouvant sur le moment pour cette
même raison. De plus, j’ai rencontré différentes difficultés auxquelles je n’ai pu remédier que
partiellement. Celles-ci m’ont cependant amenées à approfondir ma réflexion dans le but
d’améliorer la qualité de mes interventions.
a/ Les difficultés rencontrées dans le rôle d’animateur
25
Avant de commencer ces séances, je m’étais attachée à définir le rôle et la place que je
m’accorderai dans la discussion ( cf. II 2 b), dans le but de me donner une ligne de conduite et
d’éventuelles amorces pour mes interventions.
La fonction d’animateur est, malgré cela, une tâche très complexe et demande une
grande réactivité afin de parvenir à intervenir de la manière la plus propice à faire évoluer la
réflexion.
Voici les principales difficultés rencontrées lors des discussions. Il s’agissait de
réussir à intervenir de manière pertinente sur les points suivants.
Favoriser la conceptualisation : comme je l’ai expliqué dans la partie précédente, les
élèves ont des difficultés pour passer de l’exemple à la définition et donc à conceptualiser. Il
est donc indispensable que le maître apporte une aide active en amenant les élèves à faire des
distinctions notionnelles, à dégager des points communs. Bien entendu, pris dans le vif du
débat, cette aide n’est pas si évidente à fournir. Par exemple, dans le premier débat, les élèves
cherchaient à différencier savoir et avoir raison, différenciation que je n’avais pas prévue et
qui m’a déstabilisée. Je n’ai pas réussi à les guider faute de réflexion personnelle et
également de maîtrise suffisante des concepts.
-
-
-
E1 : Savoir, pour moi, c’est avoir raison sur quelque chose.
E2 : Savoir, c’est …euh…ah ! Je sais plus…
E3 : Pour moi, savoir, c’est quand on a appris quelque chose et que on peut le dire aux
autres.
M : Donc, pour toi, tu sais quelque chose parce que tu l’as appris.
E3 : Avoir raison, c’est un peu comme dit Julie, on sait quelque chose, on peut le dire
à nos parents, on apprend des choses à nos parents parce qu’il y a des choses qu’ils
oublient.
M : Est-ce que c’est pas autre chose encore savoir ?
E2 : Pour moi savoir et avoir raison c’est pas la même chose, parce que savoir quelque
chose, c’est apprendre, mais avoir raison c’est pas la même chose. C’est que t’es
vraiment sur que c’est vrai.
M : Je récapitule ce que vient de nous dire Morgane. Tu nous dis, savoir c’est différent
d’avoir raison. Quand je sais quelque chose, c’est par exemple comme a dit Julie, c’est
que je l’ai appris. Par contre quand j’ai raison, c’est que je suis sûre que ce que je dis
est vrai. Donc ce n’est pas tout à fait pareil.
Faire le lien entre certains monologues : c’est également une nécessité pour
l’animateur car beaucoup d’enfants ne prennent pas en compte la parole de l’autre et se
contentent d’exposer leur opinion. Ce lien réalisé par l’adulte doit permettre d’avancer dans la
réflexion, ce qui n’a pas toujours été le cas.
Exemple : cf. annexe 1débat 1, Pourquoi va-t-on à l’école ?
- E1 : Ça sert à apprendre des choses, parce que si on va pas à l’école y en a qu’ont 80 ans
et qui savent pas écrire.
- E 2: Pour apprendre à lire, à écrire, sinon on écrirait mal, on saurait pas lire…
- E 3 : Si on va pas à l’école, on a pas de métier et on gagne pas de sous.
26
- M : Donc, si je récapitule ce que vous avez dit, Mathieu et Jessica, on va à l’école pour
apprendre, par exemple à lire, à écrire, et toi, Jérémy, on va à l’école pour plus tard avoir
un métier. Est-ce que pour vous c’est la même chose ?
La relation que j’ai faite entre les deux idées aurait pu être intéressante si elle avait permis
de faire réfléchir à une troisième idée, non évoquée jusque là et qui était pourtant très
importante. En effet, l’école sert à autre chose qu’à apprendre et à avoir un métier, elle sert à
rencontrer les autres et à apprendre à vivre ensemble. A la relecture de la discussion, cela m’a
semblé évident de relancer ainsi, mais sur le moment, cela ne m’est pas venu à l’esprit, prise
dans le flot du débat.
Heureusement, les interventions de ce type permettent la plupart du temps de faire avancer les
élèves dans leur réflexion comme dans l’exemple suivant, même si elles ne sont pas parfaites.
Exemple : cf. annexe 1 débat 3, Loup rouge.
-
M : Loup rouge est-il un chien ou un loup ? Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?
E1 : Parce que le chien, il est petit et le loup il est grand.
E2 : En fait, c’est un loup parce qu’il a été élevé par les loups.
M : Romain, il nous dit, d’accord Walid, il est petit donc il ressemble à un chien, mais
vu qu’il a été élevé par les loups, tu penses que c’est devenu un loup. Tu penses qu’il
est plus loup que chien. Pourquoi ? Qu’en pensez vous ?
Faire des synthèses pertinentes : à la fin de chaque séance, il est souhaitable que
l’animateur synthétise la réflexion qui a été menée sur le sujet afin de faire un lien entre tout
ce qui a été dit. Il s’agit également, je pense, d’insister sur le fait que la question n’a pas été
résolue, mais que l’on a avancé dans notre réflexion et que chacun peut continuer d’y penser.
Or, je ne l’ai pas suffisamment fait lors des synthèses qui d’ailleurs ont été souvent brutales,
rapides, « bâclées ». Les élèves étaient plus agités voyant que la fin était proche et n’ayant
pour ainsi dire plus la parole.
Exemple : cf. annexe 1 débat 4, Qu’est-ce qu’un ami ?
- M : Je résume tout ce que l’on a dit. On a cherché ce qu’était un ami, et on a trouvé que ce
n’était pas la même chose qu’un copain et on a expliqué pourquoi. Ensuite, on a cherché à
comprendre ce que veut dire le mot aimer, et on a vu les différents sens de ce mot.
Peut-être qu’une synthèse finale, pendant laquelle les élèves seraient actifs, permettrait de
mettre en valeur ce moment. Cependant, récapituler prend énormément de temps avec les
élèves, il conviendrait donc de raccourcir la discussion afin que les élèves restent concentrés
sur cette dernière étape.
L’écoute des enregistrements, d’une semaine sur l’autre, oblige à se remettre sans
cesse en question afin d’améliorer sa pratique. Malgré les difficultés que j’ai pu rencontrer, il
me semble indispensable de renouveler cette expérience en raison de la richesse de ces
moments de classe. Et, comme pour les élèves, mener un débat s’apprend à force de s’essayer.
Cependant, certaines questions concernant les interventions du maître me sont venues à
l’esprit et me font m’interroger sur le rôle d’animateur.
27
b/ Les questions que je me pose toujours sur le rôle de l’animateur
Le rôle d’animateur que j’ai occupé est celui défini par Anne Lalanne : il pose des
questions, donne la parole, synthétise… Or, Michel Tozzi précise que cette forme de débat
tend à glisser vers ce qu’il appelle un entretien philosophique de groupe. Selon lui, une
seconde forme de débat est à rechercher de préférence : une véritable discussion
philosophique au sein du groupe, où le rôle principal de l’adulte est de mettre en relation les
élèves.
Ainsi, à la lecture des discussions, on s’aperçoit très vite que la communication passe
essentiellement par moi sans beaucoup d’interactivité entre les élèves malgré mon souci de les
mettre en relation. Cela m’amène à me demander si mes interventions n’ont pas été trop
nombreuses et si elles n’ont pas limité la discussion entre les élèves.
Mais, jusqu’où laisser parler sans intervenir ? Il me semble exclu de laisser dire tout et
n’importe quoi. Par exemple, dans le débat Pourquoi va-t-on à l’école ?, un élève a déclaré
qu’en Allemagne, il n’y avait pas d’écoles. Je lui ai expliqué que ça n’était pas le cas mais
qu’en effet il existait des pays où il y a peu d’écoles ou alors que peu d’enfants y avaient
accès. Je ne pouvais pas laisser passer un exemple erroné.
De même, jusqu’où guider la réflexion des élèves ? Ne les influence t-on pas,
particulièrement sur des sujets tels que le racisme, le respect des différences ? Les élèves
cherchent naturellement à répondre ce que le maître attend d’eux.
Doit-on chercher à tout prix à faire venir les élèves sur une piste non encore explorée
malgré les résistances de ceux-ci ? Ainsi, pendant la séance sur Pourquoi va-t-on à l’école ?,
j’ai tenté à plusieurs reprises d’amener les élèves à réfléchir à une autre fonction de l’école
que l’apprentissage de savoirs et savoir-faire et la possibilité d’avoir un métier, celle
concernant l’apprentissage du vivre ensemble. Or, je n’ai pas explicitement introduit l’idée et
les élèves ne l’ont pas proposée. De plus, un élève a alors soulevé une question intéressante
que l’on ne pouvait laisser passer : est-on bête parce que l’on ne va pas à l’école ? J’ai donc
choisi de laisser poursuivre dans cette voie.
La solution que j’ai trouvée, le lendemain, a été de refaire une synthèse de la séance en
m’appuyant sur l’écoute du débat, de leur dire que j’avais été surprise en réécoutant que l’on
n’ait pas parlé de quelque chose de très important et que j’aimerais que l’on cherche de quoi il
s’agit. Nous avons donc réfléchi précisément à ce que l’école représente pour les enfants, et
assez vite, ils ont parlé d’un lieu de jeu, de vie, avec la maîtresse, leurs camarades, les gens de
la cantine…
La question de la remédiation se pose alors. Comment pallier aux difficultés, aux oublis ?
En ce qui concerne les exigences intellectuelles du débat (définir, conceptualiser, argumenter,
problématiser, débattre, comprendre), est-il possible de les travailler autrement que dans ces
moments de débat sans risquer de rentrer dans un exercice artificiel ? Il me semble important
de s’entraîner à débattre en situation réelle et que l’enseignant ne recherche pas quelque chose
de « parfait ».
D’autre part, les énoncés oraux sont marqués par de nombreuses hésitations, des
phrases non achevées, un vocabulaire allusif ou encore par des tournures syntaxiques
erronées. Quel étayage le maître doit-il opérer ? J’ai choisi de ne pas m’attacher à reprendre
les élèves, excepté dans de rares cas (« énormité » ou emploi d’un mot inventé ou vulgaire,
cf. débat 4), pour ne pas trop intervenir et ne pas bloquer les élèves dans leur prise de parole.
Cependant, on pourrait opposer à cela l’idée que cela ne permet pas de progresser dans la
28
maîtrise de la langue orale. Je pense cependant que l’objectif recherché n’est pas de travailler
les tournures syntaxiques mais de s’entraîner au maniement de la langue et de ses fonctions
discursives.
J’ai donc été amené dans cette expérience à réfléchir à mon rôle et par conséquent à
mon poids sur la réflexion des élèves, mettant en avant les difficultés, les exigences, de la
fonction d’animateur.
Enfin, il est possible d’envisager des prolongements pour continuer ce travail de discussion
philosophique sur une année, mais aussi de réfléchir à la mise en place de ce genre d’activité
avec des enfants plus jeunes, comme il m’a été permis d’observer dans une classe de GS.
3/ Prolongements
a/ L’évolution possible du dispositif
Il aurait été possible, si les séances avaient été poursuivies, d’introduire une nouvelle
façon de choisir le thème : l’utilisation d’une boîte à questions.
Il s’agit d’une boîte dans laquelle sont déposées des questions imaginées par les élèves entre
deux séances.
La veille de la séance de débat philosophique, les questions peuvent être dépouillées, lues à la
classe, et l’on vote pour savoir laquelle sera soumise à discussion le lendemain.
Cela nécessite donc, pour que les élèves soient en mesure de choisir, que la définition de ce
qu’est une question philosophique ait été clairement identifiée et comprise. Un débat dont le
thème serait, Qu’est-ce que philosopher ?, pourrait avoir été réalisé également. Les questions
non philosophiques doivent pouvoir être rejetées ou renvoyées à un autre moment. Il s’agit
donc d’un dispositif à envisager dans un second temps, afin que les élèves aient déjà une
expérience répétée du débat philosophique.
On pourrait envisager de reprendre un sujet déjà traité lors des premières séances ou
l’année précédente, dans le cas d’un décloisonnement, afin de poursuivre la réflexion. En
effet, avec du recul, de la maturité, les élèves peuvent aller plus loin dans leur réflexion,
celle-ci étant enrichie de l’expérience qu’ils acquièrent au fil des débats.
Par exemple, le thème de l’amitié peut faire l’objet d’un approfondissement à partir de la
distinction ami/copain établie lors de la séance Qu’est-ce qu’un ami ?, comme l’explique
Michel Tozzi dans L’éveil de la pensée réflexive. Selon lui, « c’est parce que les enfants
établissent plus facilement des distinctions, qu’ils peuvent fonder de façon plus pertinente leur
argumentation. »
Réécouter certains débats avec les élèves est possible afin de faire préciser la pensée,
de faire approfondir la réflexion. On viserait précisément la construction de la pensée
individuelle comme j’ai eu l’occasion d’expérimenter dans une classe de grande section de
maternelle.
Cela m’amène a aborder un point encore non évoqué jusque là. Et en maternelle, peut-on
discuter philosophiquement ?
29
b/ Et en maternelle ?
Les difficultés rencontrées par les élèves de cycle 2 peuvent nous faire penser que cela
serait difficile avec des enfants encore plus jeunes.
Pendant mon deuxième stage en responsabilité, je m’étais donc fixé comme objectif de tenter
l’expérience afin d’essayer de me faire une idée sur le sujet.
Lors de ma prise de contact avec la classe, j’ai eu cependant la surprise d’apprendre que le
groupe de GS participait une fois par semaine à des séances de « réflexion philosophique »
avec des intervenants du R.A.S.E.D.
Il m’a donc été permis d’assister à ces séances pendant les 3 semaines de stage. J’ai décidé,
par conséquent, de ne pas mettre en place moi-même des séances, ne souhaitant pas
surcharger les élèves. L’activité occupait environ 1h30 le mardi après-midi, la classe étant
divisée en deux groupes pris successivement par les intervenants sur des sujets différents. Je
me suis donc située en tant qu’observateur extérieur ce qui m’a permis également d’avoir un
autre point de vue.
Deux types de dispositifs ont été expérimentés en ma présence.
-
Un premier dont le lanceur est une question choisie par l’enseignant, soumise aux
élèves, comme par exemple, Qu’est-ce que grandir ? Dans un premier temps, les
enfants prennent la parole à tour de rôle, pour dire dans le micro ce qu’ils pensent, ce
qu’ils savent sur cette question sans que l’adulte n’intervienne. Les propos sont
enregistrés, puis dans un second temps, on réécoute entièrement en s’arrêtant sur
certaines interventions. L’animateur cherche alors à faire préciser la pensée à l’enfant
qui était intervenu puis aux autres.
-
Un second dispositif est basé sur la lecture d’un extrait d’un conte traditionnel comme
Le petit poucet. Suite à cette lecture, nécessitant une écoute active dont la consigne est
« Vous devez bien écouter l’histoire car je vous demanderai après de me dire ce dont
vous vous rappelez. », les élèves prennent la parole et le même procédé que
précédemment est mis en place: écoute de l’enregistrement et approfondissement de la
pensée.
Voici des extraits d’une séance, avec le premier dispositif, sur le thème Qu’est-ce qui
s’apprend ? ( cf. annexe 2) :
Il s’agit du second temps de l’activité où le maître revient sur les propos des enfants.
-
M : tu disais, on ne t’a pas appris mais tu sais. Comment ça se fait ?
E1 : Parce que j’ai essayé.
M : Tu as fais comment ?
E1 : J’ai glissé.
M : On sait tout de suite comment faire ?
E1 : J’ai refait, je suis tombée. Après je suis pas tombée parce que j’ai pris un autre
chemin.
M : On fait toujours pareil si ça va pas ?
E2 : Non, on fait autrement.
30
-
E : Quand on apprend à faire des couronnes, il faut s’exercer, car sinon on va pas y
arriver.
M : Ça veut dire quoi s’exercer ?
E : Ça veut dire, faut essayer un peu pour faire des choses, après, on le fait pour de
vrai et après, on peut le faire tout le temps.
On remarque à travers la retranscription de ces séances que tout passe par le maître. Les
élèves n’interagissent pratiquement pas entre eux en raison du dispositif qui vise avant tout la
construction de la pensée individuelle.
Les synthèses intermédiaires et finales permettent cependant de faire le lien entre tout ce qui a
été dit. En voici un exemple dans la même séance :
-
M : Qu’est-ce qu’on apprend ?
E1 : A allumer le gaz.
E2 : Mettre la table.
E3 : Mettre le bois dans le poêle.
M : Donc, on peut apprendre, à la maison, à l’école, dehors…On apprend partout.
On se rend compte, cependant, que dans un premier temps, et cela est encore plus vrai à un si
jeune âge, les débats prennent d’avantage l’aspect de ce que Michel Tozzi désigne sous le
nom d’entretien philosophique de groupe que d’une discussion philosophique où le maître
cherche essentiellement à faire le lien entre les idées des élèves.
Au niveau des interventions des élèves de maternelle, il s’agit essentiellement d’exemples
tirés de leur vie quotidienne. La généralisation, aidée par le maître, comme dans l’exemple
précédent est tout de même possible. Ainsi, le terme « s’exercer » a été défini à partir de
l’exemple de la fabrication des couronnes.
La réflexion philosophique est donc possible avec des exigences et un guidage de la part du
maître adaptés à l’âge des élèves.
31
Conclusion
La discussion philosophique est une pratique riche d’intérêt pour les élèves, pour le
maître et pour la vie de la classe en général.
En effet, outre les joies éprouvées dans l’expression de leurs pensées et la liberté de
parole, les enjeux en terme d’acquisition de compétences sont nombreux pour les élèves.
Travail de la langue, structuration de la pensée , apprentissage du rôle de citoyen,
entraînement à l’abstraction, à la conceptualisation sont visés à travers cette activité qui
modifie le rapport au savoir des élèves et la place de l’enseignant.
Les élèves sont mis en position d’acteur dans la construction de leurs savoirs. L’enseignant
n’est plus celui qui apporte les connaissances. Les élèves sont amenés à remettre en question
leurs représentations, confronter leurs idées, s’appuyer sur leurs expériences pour définir des
concepts, faire des distinctions.
La construction de la personnalité est visée par la possibilité d’exprimer leurs émotions, de les
mettre en mots mais aussi par la nécessité, en tant qu’individu et citoyen, de s’affirmer par
l’expression de leur pensée personnelle tout en prenant en compte, en respectant, la parole de
l’autre.
L’enseignant éprouve également beaucoup de plaisir dans l’animation du débat même
si chaque séance est un « défi » en raison des difficultés du rôle d’animateur. Cette
expérience, m’a permis d’avoir un regard critique sur ma pratique et sur mes difficultés liées
surtout à mon manque d’expérience dans la conduite d’un débat et une maîtrise approximative
de nombreux concepts philosophiques.
Cependant, comment ne pas apprécier un moment où les élèves, manifestement, sont
intéressés, très actifs, font des progrès même minimes et n’attendent que le moment de
recommencer ?
Je me pose cependant certaines questions. Peut-on traiter de tous les sujets ? Le thème
de la mort est celui qui me paraît le plus délicat. En choisissant de travailler sur l’album Loup
rouge, j’ai pris le risque de l’aborder mais non sans craintes. Pour cette séance, voulant voir la
réaction des élèves face à l’évocation de la mort, j’ai délibérément permis aux élèves de
choisir la question que l’on traiterait. La réaction d’un des élèves m’a marquée : « Moi, j’aime
pas parler de la mort ! » La question sur ce thème n’ayant pas été choisie, j’ai alors ressenti un
grand soulagement. Je n’aurai pas pu forcer cet enfant à parler de la mort, et, il n’aurait
sûrement pas été le seul. D’ailleurs, seulement huit élèves sur vingt et un souhaitaient traiter
cette question.
Les élèves ont-ils perçu le sens de l’activité ? En revenant dans la classe de CE1/ CE2 pour
les quelques séances après mon stage, je leur est demandé ce qu’était pour eux un débat
philosophique. Certains élèves ont eu comme réflexion : « Ah ! Oui ! On s’enregistre ! » Pour
eux, le but de nos discussions n’était pas perçu et s’arrêtait à un élément matériel du
dispositif. Pour d’autres, la majorité, il s’agissait de « beaucoup parler pour expliquer des
choses ou des livres », ce qui reste assez vague. Certains ont cependant fait remarquer qu’il
fallait « beaucoup réfléchir, penser, pour répondre aux questions ».
Les enseignants sont, comme l’exigent les Instructions officielles, amenés à pratiquer
régulièrement le débat dans leur classe. Ces discussions souvent débouchent sur des sujets à
portée philosophique. Prendre de petits moments, ne serait-ce que de manière ponctuelle, en
raison d’un évènement ou d’une question soulevée dans la classe me paraît important pour
32
faire une place réelle aux intérêts des élèves, à leurs réflexions et ainsi enrichir le vécu de la
classe. Une formation des enseignants pour animer des débats à visée philosophique serait très
utile. Elle permettrait de leur donner des outils et de les encourager à laisser les élèves
exprimer leurs questions, leurs réflexions qui souvent sont au contraire immédiatement
rejetées.
33
Bibliographie
Ouvrages :
LAURENDEAU Pierre, Des enfants qui philosophent, Les éditions logiques, 1996.
LALANNE Anne, Faire de la philosophie à l’école élémentaire, ESF éditeur, 2002.
LEVINE Jacques, Je est un autre, ESF éditeur.
TOZZI Michel, L’éveil de la pensée réflexive à l’école primaire, Hachette édition, 2001.
TOZZI Michel, La discussion philosophique à l’école primaire, CNDP, 2002.
Ministère de l’Education Nationale, Qu’apprend-t-on à l’école élémentaire ? Les nouveaux
programmes officiels, XO Editions, 2002.
Articles :
LALANNE Anne, « La philosophie à l’école élémentaire : mission impossible ? », in Les
cahiers pédagogiques, n° 386, septembre 2000.
« Esprit critique es-tu là ? », in Les cahiers pédagogiques, n° 386, septembre 2000.
BARROUX Rémy, « La philo n’attend pas le nombre des années », in Le monde de
l’éducation, avril 2001.
Dossier « Philosopher, c’est apprendre à grandir », in JDI, n°7, mars 2000.
34
ANNEXE 1
Retranscription du débat 1 : à partir de l’album Sept souris dans le noir,
classe de CE1/ CE2, 21 élèves.
Qu’est-ce que vous avez compris de cette histoire ?
E 1: C’est 7 souris dans le noir qui croivent avoir vu des objets, mais la dernière souris
découvre ce que c’est.
Mathieu, tu peux nous en dire plus ?
E 2: Elles découvrent quelque chose de nouveau et elles se disputent, et la souris blanche elle
grimpe et elle constate que c’est un éléphant.
Les souris, est-ce qu’elles ont toutes vues que c’était un éléphant au début ?
E3 : Non, elles croivent que c’est d’autres animaux, des armes.
Et, pourquoi ?
E 3: Elles disent ça parce qu’elles étaient aveugles.
E1 : Parce que ça prenait la forme de quelque chose.
Qu’est ce qui prenait la forme ?
E1 : Par exemple, la trompe de l’éléphant.
Est-ce qu’elles ont toutes vu l’éléphant en entier ? Quelqu’un veut nous expliquer ?
E4 : Chacun ils ont vu un p’tit bout de l’éléphant.
Et qu’est ce que vous en pensez ? Elles ont eu raison de voir qu’un pt’it bout de l’éléphant ?
E 4: Non.
Pourquoi ?
E 4: Parce que normalement, elles auraient du voir tout l’éléphant.
Tu nous expliques, Morgane, pourquoi ?
E 4: Les souris, elles voulaient voir chacun leur tour. et la souris blanche, elle s’est dit que
c’était pas bien de voir qu’un p’tit bout pour mieux comprendre, alors elle a grimpé jusqu’au
sommet, elle a bien regardé partout et elle a vu que c’était un éléphant.
35
Elle vient de nous dire Morgane, que la p’tite souris blanche elle avait tout regardé et
grâce à cela, elle a pu découvrir que c’était un éléphant. Alors qu’avant, les garçons
nous avaient expliqué que les autres souris avaient vu un morceau de la chose et qu’elles
s’étaient faites une idée.
E4 : Oui, la queue c’est une corde…
Non, vous vous asseyez comme il faut, chacun à sa place.
Quelle souris à eu la bonne manière de faire, selon vous, pour savoir ce qu’était la
chose? On demande le bâton…
E 2: C’est la souris blanche.
Tu nous expliques pourquoi ?
E 2: Elle a attendu le dernier moment pour voir et elle s’est inspirée de ce que ses copines ont
dit pour, après, découvrir la chose avec tous ces indices.
Si je comprends bien ce que tu viens de nous dire, la petite souris blanche, elle a bien
écouté les autres et après elle a voulu se faire son idée, c’est ça ?
Dites moi, si on arrête un peu de ne penser qu’à l’album, est ce que vous pensez que c’est
une bonne idée que de ne pas se fier seulement qu’à ce que les autres pensent ?
E5 : Oui.
Pourquoi ?
E5 : Parce que des fois, c’est mieux de ne pas écouter tout le temps les autres, parce qu’ils ont
pas tout le temps raison.
Qui veut réagir ?
E 4: En fait, ce qu’il vient de dire c’était intéressant parce qu’en fait, il a dit que chaque
souris, et ben, la souris blanche elle a bien écouté les autres. Par exemple, si les enfants de la
classe disent un truc et qu’ils donnent tous un indice, et ben, moi, j’aurai bien écouté et peut
être que j’aurai trouvé.
Tu penses que les autres vont t’aider à comprendre ?
E4 : Non.
Pourquoi ?
E 4: Parce qu’il faut pas tout le temps les écouter.
Tout à l’heure, on a dit faut les écouter, maintenant, tu nous dis, faut pas tout le temps
les écouter. Explique nous pourquoi tu penses cela.
E 4: Parce que c’est pas toujours juste.
36
E5 : Et comment on sait si c’est juste, si on a raison ?
Quelqu’un peut il essayer de répondre ?
E 6: Quand on a raison, ça veut dire, euh, ça veut dire…
Réfléchis, prends le temps de penser à ce que tu veux dire pour nous expliquer. Tu veux
qu’on demande à quelqu’un et tu réfléchis, tu pourras nous dire ensuite. Rémy ?
E 7: Les souris elles avaient faux et à la fin la souris blanche pour qu’on save…
Est-ce que tu réponds à la question ?
E 7: Non.
E8 :…..
Je vais répéter ta phrase pour qu’on l’entende sur la cassette. Tu nous dis : pour savoir
qu’on a raison, il faut écouter la maîtresse. Mais comment savoir si la maîtresse a
raison ?
E6 : Bah, oui…
E4 : En fait, pour avoir raison, il faut bien regarder et bien toucher, parce que si on regarde
qu’un truc et qu’après on passe et bien, on sait pas si on a vrai ou faux. On regarde tout et on
peut savoir ce que c’est.
Mais qu’est ce que ça veut dire savoir ?
E 2: Savoir, pour moi, c’est avoir raison sur quelque chose.
E 1: Savoir, c’est… euh…ah ! Je sais plus…
E9 : Pour moi, savoir, c’est quand on a appris quelque chose et que on peut le dire aux autres.
Donc, pour toi, tu sais quelque chose parce que tu l’as appris.
E4 : Avoir raison, c’est un peu comme dit Julie, on sait quelque chose, on peut le dire à nos
parents, on apprend des choses à nos parents, parce qu’il y a des choses qu’ils oublient.
Est-ce que c’est pas autre chose encore savoir ?
E 4: Pour moi, savoir et avoir raison c’est pas la même chose, parce que savoir quelque chose,
c’est apprendre, mais avoir raison c’est pas la même chose. C’est t’es vraiment sûre que c’est
vrai.
Je récapitule ce qu’elle vient de nous dire Morgane. Tu nous dis, savoir, c’est différent
d’avoir raison. Quand je sais quelque chose, c’est par exemple, comme a dit Julie, c’est
que je l’ai appris. Par contre, quand j’ai raison, c’est que je suis sûre que ce que je dis
est vrai. Donc c’est pas tout à fait pareil.
37
E 10: Par exemple, si il y a un avion là bas, et que quelqu’un dit que c’est un oiseau…
Qu’est-ce qui te permets de savoir que c’est faux ce qu’il dit ?
E 10: Parce que l’avion, tu peux le voir aussi.
E 11: Un avion ça vole plus haut qu’un oiseau.
E7 : Si on veut savoir, il faut aller voir.
Donc tu penses que pour savoir, il faut regarder les choses. Est-ce qu’il est possible
autrement de savoir ?
E 1: On peut demander à quelqu’un.
Est-ce que cela va suffire ?
E3 : Il faut écouter ce que les autres disent, apprendre ce qu’ils disent.
E 11: En fait, faut faire des expériences, comme en science, sur l’eau, pour savoir avec quoi
elle se mélange.
Si je résume ce que vous avez dit, savoir, c’est connaître des choses, parce que l’on a
appris des choses, ou encore parce que j’ai essayé, j’ai testé, j’ai fait des expériences.
Et si je dis, je sais lire. Quel genre de savoir c’est ?
E 10: Pour savoir lire, il faut lire des livres.
E 11: C’est savoir faire quelque chose.
C’est être capable de faire quelque chose, de lire.
Je récapitule tout ce que vous avez dit car il va être temps d’arrêter. On s’est demandé
si les souris avaient eu raison de faire comme cela et on a dit que c’était la souris blanche
qui s’y était le mieux pris car il vaut mieux tout regarder et ne pas se fier qu’à ce que
disent les autres. Ensuite, on a réfléchi à ce que veut dire savoir. On a dit que c’est avoir
appris quelque chose, et c’est aussi être capable de faire quelque chose, par exemple lire.
On a également parlé de ce que veut dire avoir raison et que ce n’est pas tout à fait
pareil que savoir.
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Débat 2 : Pourquoi va-t-on à l’école ? Classe de CE1/CE2, 21 élèves
Pourquoi va-t-on à l’école ?
E1 : Ça sert à apprendre des choses. Parce que si on va pas à l’école y en a qu’ont 80 ans et
qui savent pas écrire.
C’est intéressant. Tu penses qu’on va à l’école pour apprendre.
E2 : Pour apprendre à lire, à écrire, sinon on écrirait mal, on saurait pas lire…
E3 : Si on va pas à l’école, on a pas de métier et on gagne pas de sous.
Donc, si je récapitule ce que vous avez dit, Mathieu et Jessica, on va à l’école pour
apprendre, par exemple à lire, à écrire, et toi Jérémy, on va à l’école pour plus tard
avoir un métier. Est-ce que pour vous c’est la même chose ?
E4: Parce que l’école ça sert à écrire, à lire, à compter. Si on travaille pas à l’école, et ben, on
peut pas faire de métier parce que si on sait pas écrire, si on veut faire docteur, et ben, on peut
pas.
E2 : Il faut faire des études… (Sans avoir demandé le bâton)
Non, vous n’avez pas le droit de parler et de couper la parole à Morgane.
E4 : Parce que si on a pas été à l’école…
Tu es d’accord donc avec les garçons…
E4 :…
Alors pour vous, on est à l’école pour apprendre. Ça veut dire quoi apprendre ?
E1 : C’est savoir faire des choses…
Par exemple…
E1 : Par exemple, on a une leçon à apprendre et si on l’apprend par chœur, et on les connaît.
Alors selon toi, apprendre c’est connaître des choses. Est-ce que c’est pas autre chose
apprendre ?
E5 : Quand on apprend, il faut qu’on sache ce que cela veut dire, et il faut savoir, si tu veux
faire un métier et bien, il faut que tu te rappelles quand t’étais petit.
Donc si j’ai bien compris ce que tu nous as dit, ce que l’on a fait à l’école va nous servir
plus tard.
E6 : On va apprendre à conduire.
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E7 : Mais ça c’est à l’auto-école…
E8 : Quand on était petit si on a pas voulu apprendre, eh bien les parents ils vont nous dire les
choses et on va pas tout comprendre.
Ça nous rappelle ce que l’on a dit l’autre fois : qu’il faut apprendre par nous même et ne
pas se contenter de ce que les autres nous disent.
E6 : Ma maman, elle avait pas fini ses études alors elle s’est dit qu’elle pouvait continuer.
Les adultes aussi peuvent aller à l’école. Mais est-ce que tout le monde va à l’école ?
E2 : Non.
Tu as des exemples ?
E2 : Quand on est grand on va plus à l’école.
Pourtant Inès nous a dit tout à l’heure que sa maman avait repris ses études.
Est-ce que partout dans le monde tous les enfants vont à l’école ?
E9 : Des fois, y’en a qui n’y vont pas parce qu’ils n’ont pas assez de sous par exemple.
Il faut payer pour aller à l’école.
E10 : En Afrique, on peut pas y aller parce qu’ils sont tous pauvres.
E7 : Y’a des écoles en Afrique, tu dis n’importe quoi. (Sans demander la parole)
Demande le bâton et ne t’énerve pas.
E7 : En Afrique, on peut y aller parce qu’il y a des écoles gratuites.
Tous les enfants ne peuvent pourtant pas y aller même si il y a des écoles gratuites.
E11 : Par exemple, en Allemagne, peut être qu’y a pas d’école…
C’est un mauvais exemple, il y a des écoles en Allemagne.
E2 : Ceux qui n’y vont pas ils savent rien. Ils peuvent pas apprendre ce que nous on apprend.
Qu’est-ce qu’ils font alors ?
E12 : Ils travaillent chez eux.
Tu penses que c’est bien pour eux qu’ils n’aillent pas à l’école ?
E12 : Non, parce que tu peux être bête.
Qu’en pensez-vous ?
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E4 : Y’en a qui savent déjà des choses mais on peut pas être bête parce qu’on est pas allé à
l’école.
Ça veut dire quoi être bête pour vous ?
E2 : Qu’on est gogol !
On emploie des mots qui sont permis à l’école.
E6 : Ça veut dire par exemple…
E4 : Quand on va pas à l’école, on n’est pas obligé d’être bête mais ils sont intelligents.
E13 : Ils ont qu’à demander à leurs parents mais si eux aussi sont pas allés à l’école…
Tu crois qu’ils savent rien, rien du tout ?
E13 : Si, ils savent quand même des choses.
E3 : Ils savent pas lire. (Sans avoir demander la parole)
Tu ne respectes pas les règles !
Je récapitule ce que vous avez dit. On va à l’école pour apprendre des choses, à faire des
choses. On a parlé des enfants qui n’allaient pas à l’école et qu’ils n’étaient pas bêtes
pour autant, qu’ils savent d’autres choses que l’on n’apprend pas à l’école.
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Débat 3 : à partir de l’album Loup rouge, classe de CE1/ CE2, 21 élèves.
Loup rouge est-il un chien ou un loup ? Qu’est ce qui vous fait dire ça ?
E1 : Parce que le chien, il est petit et le loup il est grand.
E2 : En fait, c’est un loup parce qu’il a été élevé par les loups.
Romain, il nous dit, d’accord Walid, il est petit donc il ressemble plus à un chien, mais
vu qu’il a été élevé par des loups, tu penses que c’est devenu un loup. Tu penses qu’il est
donc plus loup que chien. Pourquoi ? Qu’en pensez-vous ?
E3 : Moi, je pense qu’au début il était un chien et quand il a grandi, il était un loup.
Pourquoi ? Explique-nous.
E3 : Parce que, euh, je sais pas comment dire.
Je repose la question. Tu t’assieds, Mathieu, si tu ne te calmes pas, je te renvoie à ta
place…compris !
Qu’est-ce qui fait qu’il est devenu un loup ?
E4 : Déjà, le loup, il a des oreilles pointues.
Tu n’as pas compris ce que l’on voulait dire. Tu es d’accord que le personnage est un
chien. On cherche à comprendre pourquoi il est devenu un loup, comme un loup.
E5 : Moi, je crois peut-être que c‘est un loup parce qu’au début on le voit petit…
Donc, tu penses que d’avoir été éduqué comme un loup, élevé comme un loup, petit,
qu’il est devenu loup ?
E5 : Parce qu’il est élevé dès petit par les loups.
E6 : C’était un chien et après vu qu’il a été élevé par les loups, il a eu l’habitude.
E7 : Il a été presque comme si c’était un loup mais c’était quand même un chien.
Qu’est-ce qui te fait dire qu’il est comme un loup ?
E7 : Parce qu’au début, il était chien et maintenant, il est devenu un loup. Parce que avant, il
était élevé par des hommes et avec la louve, il est devenu un loup. Il s’est battu avec les
louveteaux, il a appris à chasser, à manger…
Excuse-moi, Julie, mais j’avais prévenu Mathieu.
Tu vas t’asseoir, tu prends ton livre et ton cahier et tu copies. Si je vois que tu es calme,
je te ferai peut être revenir.
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Continue Julie.
E7 : Il a appris à chasser, à manger comme les loups.
E3 : Comme elle a dit, plus il a été élevé par les loups plus il est devenu un loup.
Quand loup rouge retourne vivre vers les hommes, est ce qu’il redevient chien ? Qu’estce que vous en pensez ?
E6 : Il est p’être pas un loup…Il redevient pas un chien comme les autres parce qu’il est loup,
il peut pas redevenir chien.
Mais qu’est-ce qui fait dans sa tête qu’il ne redevient pas un chien comme les autres ?
E8 : Parce qu’en fait, c’est un chien loup. Au début, c’était un chien et après il a appris à
chasser donc c’était devenu un loup. Donc, c’est toujours un loup et en plus, il a envie à la fin,
quand il est mort, de se jeter là où il y a les loups qui sont morts.
Si je comprends bien, tu penses qu’il reste un loup du fait qu’il veut mourir avec les
loups ?
Qu’est ce que tu en penses, Giovanni ?
E9 : Il est moitié loup et moitié chien, c’est parce qu’il se jette de la falaise. Ça veut dire qu’il
est toujours un loup. Si il se jette pas, ça veut dire qu’il est un chien.
Quand tu dis ça, tu parles de son physique ou de ce qu’il pense dans sa tête ?
E9 : C’est ce qu’il pense. Il pense qu’il est à moitié chien et à moitié loup.
E10 : Il se jette dans le ravin parce qu’il aimait la louve.
Tu penses qu’il voulait donc retrouver la louve ? Pourquoi ?
E10 : Parce que c’est sa mère d’adoption, elle l’a sauvé.
E7 : A la fin, elle est morte la louve et tous les autres veulent la retrouver.
J’aimerais que l’on se détache un peu de l’histoire et que l’on parle plus en général.
Selon vous, qu’est-ce qui fait que l’on devient soi, que l’on se construit sa propre
identité ?
E11 : On a pas tous été élevé par la même mère.
E12 : On a pas tous le même nom de famille.
Est-ce que c’est ça le plus important ?
E3 : On a pas tous la même famille.
Et ça change quoi selon toi ?
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E3 : Par exemple, Loup rouge, il a eu une maman mais il a été élevé par la louve, mais il était
pas comme les louveteaux.
Qu’est-ce qui fait que l’on est soi et pas un autre ?
E7 : C’est la vie, la vie qu’on a.
La vie que nous menons, c'est-à-dire…
E7 : Bah, c’est ce que l’on va faire, où on va vivre, les choses que l’on aime, ou pas, qui font
qu’on est différent des autres. On a pas tous les mêmes goûts.
Il va être temps d’arrêter. On a donc réfléchi à la question « Loup rouge est-il un chien
ou un loup ? » et vous avez fini par dire qu’il est à moitié loup et à moitié chien. On a dit
aussi qu’il reste loup dans sa tête et qu’il meurt comme un loup. Et on a terminé en
disant, que ce qui fait que l’on est soi, c’est la vie que l’on a eu, tout ce que l’on a pu
faire, les gens que l’on a rencontrés, les expériences que l’on a vécues, comme Loup
rouge qui a vécu avec les hommes et les loups.
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Débat 4 : Qu’est-ce qu’un ami ? Classe de CE1/CE2, 21 élèves.
Qu’est-ce qu’un ami ?
E1 : Un ami, c’est quelqu’un qui joue avec nous.
E2 : Un ami, c’est quelqu’un où on peut faire confiance. Un bon ami, il nous trahit jamais.
Quelqu’un d’autre veut compléter ce qu’a dit Julie ?
Si vous êtes d’accord avec elle ou non ?
E3 : Je suis tout à fait d’accord avec Julie. Parce que quand on a un ami, on ne l’embête pas,
on lui demande si il veut , par exemple, jouer et si il veut pas, on ne l’embête pas trop parce
que comme c’est notre ami, on ne veut pas qu’il se mette en colère pour plus avoir de copain.
Parce que, sinon, notre copain, il va se dire qu’on est plus en plus méchant, alors il nous laisse
et on a plus de copain.
E4 : En fait, quand on est très bons amis, eh ben, quand on est copain, des fois, on se
pardonne.
E5 : Aussi, un ami, c’est un peu un copain.
E2 : Quand on est copain, ami, on se pardonne.
Selon vous, c’est la même chose être copain et être ami ?
E5 : C’est pas tout à fait la même chose…
Tu nous expliques…
E5 : Bah, parce qu’un copain, c’est quelqu’un avec qui on est des fois et un ami, on joue
chaque récré, on l’invite à son anniversaire.
Alors, qu’est-ce qui change ?
E6 : C’est pareil !
Vous pensez que c’est pareil ? Expliquez pourquoi ceux qui pensent ça.
E7 : Un copain, c’est pas du tout pareil ! En fait, un copain, si il dit : « je suis plus copain avec
toi », il se trouve un autre copain.
Et un ami ?
E5 : Non, un ami, il fait jamais ça !
E7 : Un ami, c’est on peut le rester toute la vie.
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Selon toi, quand on est ami avec quelqu’un, ça peut durer toute la vie.
E7 : …
Si on se dispute avec notre ami, selon plusieurs d’entre vous, il est possible de se
pardonner, de se reparler et Julie nous avait dit, un ami ça ne nous trahit jamais.
E8 : Si, ça se peut…
Des fois, oui…
E5 : Les amis, on se dispute moins souvent, car ça fait plus longtemps qu’on se connaît.
Tandis que les copains, par exemple, on les connaît que depuis cette année.
Mais est-ce que l’on ne peut pas se disputer entre amis ?
E8 : De temps en temps, mais après on se remet toujours ensemble.
Est-ce que vous êtes d’accord avec Morgane ?
Plusieurs élèves : Oui !
Pourquoi ?
E9 : On a droit de !!!
Plusieurs élèves : Oh !
Tu vas redire ta phrase en employant un mot qu’on a le droit de prononcer à l’école,
allez…
E 9: On a le droit de se disputer entre amis, mais en fait un ami, ça se lâche pas, parce qu’on
veut toujours se réconcilier parce qu’on s’aime beaucoup…
E 10: Moi, je suis d’accord avec Morgane, parce qu’un ami, c’est quelqu’un qu’on connaît
plus qu’un copain, on ne le voit pas qu’à la récré, à l’école, et c’est plus fort.
A l’école, par exemple, ce que tu veux dire c’est que vous êtes plutôt quoi ?
E10 : Des amis, des copains…
Oui, il y a des amis, mais surtout vous êtes des copains, des camarades.
Et si on récapitulait : qu’est ce que c’est qu’un ami et qu’est ce que c’est qu’un copain ?
E7 : Un ami, c’est quelqu’un qu’on connaît depuis très, très longtemps.
E11 : J’voulais dire comme elle.
E5 : Avec un ami, on essaye de se réconcilier.
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E12 : On le connaît depuis la maternelle.
C’est ce que l’on a déjà dit, tu es d’accord ?
E1 : On fait des activités, des jeux avec lui et assez souvent.
E7 : Les amis, nous abandonnent jamais.
Normalement…
E13 : On peut lui dire des secrets, tous ses secrets.
Et pas un copain, pourquoi ?
E13 : Non, pas tous. Parce qu’il y a des secrets qu’on aime garder pour soi.
E14 : Y’en a qu’on préfère garder pour nous. Par exemple, ceux de la famille, on aime pas les
dire.
Pourquoi dit-on des secrets certaines fois à nos amis ?
E13 : On peut dire un secret à un copain si c’est quelque chose entre nous deux. Et comme
l’avait dit Nicolas, je rajoute un peu quelque chose, si en fait, tu vois, si c’est un secret à
propos de nos parents, si c’est entre grands, on a pas le droit de le dire, parce que c’est entre
adultes et… voila !
Et alors, quand vous choisissez quelqu’un pour lui dire un secret, pourquoi vous le
choisissez lui ?
E6 : Je sais !
Ne dit pas « je sais ! », il n’y a pas de bonne réponse…On a tous une petite idée.
E6 : En fait, celui qu’on a choisi, c’est celui qu’on préfère le plus, c’est celui avec qui l’on est
tous les jours.
Celui que l’on préfère. Qu’est-ce que cela veut dire ?
E6 : Celui qu’on préfère le plus, ça veut dire que c’est celui qu’on préfère quand on joue.
Tu ne nous as pas plus expliqué, tu vois, tu as réemployé l’expression « préfère ».
Quelqu’un peut essayer de nous expliquer ce que veut dire préférer quelqu’un?
E5 : En fait, c’est notre ami.
E7 : En fait, les secrets, on les confie aux amis en qui on a confiance.
E5 : Comme nos amis, c’est ceux qui sont le plus avec nous, c’est à eux que l’on va dire nos
secrets.
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E14 : Un ami, c’est celui qu’on préfère, avec qui on joue le plus.
E7 : C’est celui qu’on adore.
E14 : Qu’on aime.
Qu’est ce que ça veut dire aimer ?
E7 : Ça veut dire que c’est celui que l’on préfère le plus et qu’on aime bien. Et y’a deux
aimer : un aimer qu’on aime beaucoup en amour, et un aimer bien, c’est l’amitié.
Morgane, elle nous a dit, on peut aimer d’amour et d’amitié. Notre ami ce serait lequel ?
E 14 : On l’aime d’amitié.
Soit vous arrêtez de discuter entre vous, soit on arrête tout de suite…
Alors vous écoutez Julie, elle a demandé la parole.
E5 : L’amitié, c’est souvent quand on aime les gens plus que d’autres, parce qu’ils ont
quelque chose en commun avec nous, qu’ils aiment des jeux qu’on connaît ou qu’on connaît
pas mais, il nous les apprend. On se connaît depuis longtemps.
Notre ami, c’est quelqu’un qui peut nous apprendre des choses et à qui on peut
apprendre aussi des choses selon toi. Comment ça s’appelle ?
E6 : C’est s’échanger des choses !
Ça y est ça discute !
On a dit aimer, c’est deux choses. Aimer d’amitié et aimer d’amour. C’est donc aimer
des personnes.Est-ce que l’on emploie le mot aimer pour autre chose ?
E15 : Aimer, ça veut dire autre chose, par exemple, qu’on aime un jeu.
E5 : Aussi, on peut dire, j’aime bien lire, on aime bien faire quelque chose.
E6 : Par exemple, j’aime le chocolat, la nourriture qu’on aime bien, qu’on préfère…
Alors qu’est ce que ça veut dire à ce moment là ?
(…)
C’est une préférence, un goût.
E7 : C’est la saveur qu’on aime…
Quand on donne un fruit à quelqu’un, c’est plein d’amour, quand on donne quelque chose à
quelqu’un.
Il va être temps de conclure. On résume tout ce que l’on a dit aujourd’hui. On a cherché
ce qu’était un ami, et on a trouvé que ce n’était pas la même chose qu’un copain et on a
expliqué pourquoi. Ensuite, on a cherché à comprendre ce que veut dire le mot
« aimer », et on a vu les différents sens de ce mot.
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ANNEXE 2
Séance 1 : Qu’est-ce qui s’apprend ? Groupe de GS n°1, 8 élèves.
A/ Réponses données par les élèves à cette question.
(Il ne s’agit que de notes et non des phrases prononcées par les élèves)
12345678-
Travailler
Les lettres de l’alphabet.
Les jours de la semaine
Conduire des voitures.
A l’école, à lire, à écrire, à faire les jours de la semaine, à compter.
Dessiner, les coloriages.
Ce que l’on n’a jamais appris mais que l’on sait faire comme le patin à roulettes.
Ecrire son prénom.
B/ Discussion à partir de l’écoute des réponses des élèves.
(Écoute)
Tu nous as dit, quand on était petit on apprend les jours de la semaine. Quand c’était ?
E3 : Quand était bébé.
Qui nous apprend ?
E3 : Les parents ou tout seul.
Et maintenant, vous n’êtes plus bébé. Ça veut dire que vous n’apprenez plus rien ?
E1 : Si.
Vous apprenez encore des choses.
E4 : On apprend à conduire les voitures.
A quel âge ?
E4 : 11 ans.
E5 : 18 ans.
Il a raison, c’est à 18 ans quand on est majeur, adulte.
(Écoute)
Tu disais, on ne t’a pas appris, mais tu sais.
Comment ça se fait ?
49
E7 : Parce que j’ai essayé.
Tu as fait comment ?
E7 : J’ai glissé.
On sait tout de suite comment faire ?
E7 : J’ai refait, je suis tombée. Après je suis pas tombée parce que j’ai pris un autre chemin.
On fait toujours pareil si ça va pas ?
E8 : Non, on fait autrement.
(Écoute)
Tout ce que vous avez dit que l’on peut apprendre, on l’apprend au même endroit ?
E5 : On apprend à monter à cheval au cours de cheval.
E8 : On apprend à lire en CP.
Tu crois que tu apprends déjà un peu ?
E8 : Un petit peu parc’ qu’la maîtresse, elle nous apprend, elle a des dictionnaire.
Je croyais qu’on apprenait des choses qu’à l’école. C’est vrai ?
E7 : Non, à la maison.
E5 : Ma maman, elle m’amène au cheval.
E8 : On apprend dehors aussi.
Ça veut dire quoi ?
E8 : Dans la cour de récré : à courir, à marcher.
C’est maintenant que tu apprends à marcher ?
E8 : Non.
(Écoute)
Qu’est-ce qu’on apprend à la maison?
E1 : A allumer le gaz.
E7 : A mettre la table.
E1 : A mettre du bois dans le poêle.
50
Donc, on apprend, à la maison, à l’école, dehors…On apprend partout.
Comment on fait pour apprendre ?
E6 : Quand on apprend à faire des couronnes, il faut s’exercer, car sinon on va pas y arriver.
Ça veut dire quoi s’exercer ?
E6 : Ça veut dire, faut essayer un peu pour faire des choses, après, on le fait pour de vrai et
après, on peut le faire tout le temps.
E8 : Hier, maman, elle savait pas comment faire le « i » en belle lettre.
Comment elle a fait ?
E8 :…
Est-ce que tu crois qu’elle peut apprendre ?
E8 : Oui, si je lui montre.
Et moi, et la maîtresse, on peut apprendre encore ?
E7 : La maîtresse, elle apprend tout le temps.
Comment ça se fait que je sais des choses ?
E6 : Tu as appris quand t’es petite.
E8 : Maintenant, t’apprends plus en plus de choses.
Et, chaque jour, vous aussi, vous apprenez plein de choses nouvelles.
51
Séance 2 : Qu’est-ce qui fait qu’on devient grand ? Groupe de GS n°2, 9 élèves.
A/ Réponses données par les élèves à cette question.
12345-
La soupe.
La sieste.
J’suis pas sûre de moi, ça peut être le cerveau.
Ce qui fait costaud, j’m’en rappelle plus.
Le lait.
Le maître a reformulé la question de la manière suivante : « Qu’est ce que vous ne saviez pas
faire quand vous étiez petit et que vous savez faire maintenant ? »
6- Quand on était petit, on savait pas faire du skate et du roller.
7- Quand j’étais bébé, je savais faire du skate.
8- Ce qui fait grandir, aussi…
9- Quand j’étais petit, je savais pas faire du vélo, car papa m’a assis sur le siège.
10- Je savais pas faire du vélo.
11- Quand j’étais petit, je savais pas faire de la patinoire.
12- Je restais à la maison avec maman et papa.
13- Je savais faire tout.
14- Manger, boire, faire caca, faire pipi dans le WC, m’habiller.
15- Du ski, du roller.
16- J’allais pas à l’école.
17- Je savais pas faire de la balançoire.
18- Je savais pas faire du vélo et du skate.
19- Des dessins, je faisais des grabouillons.
Le maître demande ensuite de réfléchir à ce que l’on saura faire quand on sera grand.
20- Je saurai lire
21- On peut faire du roller, du patin. On pourra lire, écrire en attaché, passer son permis.
22- Construire sa maison, aller à la guerre, mettre des cassettes, dormir avec ses copains.
23- Quand je serai grande, je saurai apprendre à lire, à faire des devoirs.
24- Je fera la vaisselle, la peinture.
25- Je saurai tout faire, mais je saura pas allumer le feu.
26- Je vais savoir faire mes devoirs, d’abord en CP, j’vais apprendre à lire. Je saura tout
faire et quand je sera papa, je saura faire la vaisselle, acheter une balançoire.
27- Tout écrire.
B/ Discussion à partir de l’écoute des réponses des élèves.
(Écoute)
« Le cerveau », qu’est-ce que tu veux dire par là ?
E1 : Ça nous fait bouger, réfléchir.
52
Ça fait réfléchir, qu’est-ce que vous en pensez ?
E2 : Si à un avion, on lui met un cerveau, il peut savoir où il va.
Comment ça peut faire grandir le cerveau ?
E1 : Comme il nous fait bouger, ça fait grandir les os.
On ne parlait pas de la taille mais de l’âge.
Qu’est-ce qui fait grandir ?
(Écoute)
Est-ce que le fait de savoir faire du vélo, ça te fait grandir ?
E3 : Non.
(Écoute)
Pourquoi tes parents t’interdisent de faire du feu ?
E4 : Il peut se brûler.
(Écoute)
« On savait pas faire du skate. » Et maintenant ?
E5 : Je sais toujours pas, mais je suis entrain d’apprendre.
Voilà ce qui change : avant on ne sait pas, après on sait, mais entre temps, on apprend.
(Écoute)
Qui t’as appris à faire du vélo ?
E6 : Papa.
E4 : On a appris avec les roulettes.
E6 : Quand j’avais 5 ans, j’apprendais et je m’entraînais et j’ai ôté les roulettes.
On dit « j’apprenais ». Ça veut dire quoi s’entraîner ?
E6 : Apprendre.
C’est pour apprendre qu’on s’entraîne ?
Est-ce qu’on le fait plusieurs fois ?
E5 : Plein de fois avant d’y arriver.
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E3 : Ma sœur, elle va bientôt m’apprendre.
Il faut quelqu’un pour apprendre ?
E6 : Mon papa, il m’a expliqué. Je m’entraînais, je me laissais glisser.
Est-ce qu’en vous asseyant au CP, vous allez savoir lire ?
E8 : On va regarder avec nos yeux.
Est-ce que ça prend du temps ?
(….)
(Suite non enregistrée)
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LE DEBAT PHILOSOPHIQUE A L’ECOLE PRIMAIRE
Faire « philosopher » les élèves est une pratique qui commence à apparaître dans
les classes. Pourquoi avoir des discussions à visée philosophique et comment
mettre en place ce type de débat ? En analysant ces séances, on perçoit les
difficultés de cette pratique mais aussi ses enjeux, dans les domaines de la
langue, de la citoyenneté, de la construction de la pensée et de la personnalité.
MOTS CLES : philosophie ; débat ; pensée ; langage ; réflexion.
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