Mini-revue
Hépatite B et chimiothérapie
anticancéreuse
(et autres traitements
immunosupresseurs)
Sophie Hillaire
Réseau Val de Seine, hôpital Foch, 40 rue Worth, 92 150 Suresnes
Chez les porteurs chroniques du virus de l’hépatite B, le risque de
réactivation virale est important du fait de la diminution de l’effi-
cience du système immunitaire, en particulier induite par la pres-
cription de traitements immunosuppresseurs et ou de chimiothéra-
pies anti-cancéreuses. Les épisodes de réactivation peuvent être
asymptomatiques mais aussi se compliquer d’insuffisance hépato-
cellulaire, voire du décès du patient. Les facteurs favorisant ces
épisodes sont liés à l’hôte, au traitement immunosuppresseur et à
l’activité virale B avant le traitement.
Il est donc primordial d’évaluer le risque de réactivation avant
l’introduction d’un traitement immunosuppresseur, car la prescrip-
tion d’un traitement antiviral permet de prévenir la survenue d’une
réactivation et de complications sévères.
Mots clés : réplication virale B, immuno-suppression, réactivation virale B,
traitement antiviral
L’hépatite chronique B concerne 300 à 400 millions de person-
nes dans le monde. La plupart de ces patients vivent ou sont
originaires d’Asie ou d’Afrique subsaharienne. Le risque de
passage à la chronicité est fonction de l’âge à la contamination. Les
patients contaminés à la naissance ou dans la petite enfance ont un risque
élevé (90 %) de devenir porteur chronique, alors que ceux contaminés à
l’adolescence ont un risque inférieur à 10 %. Ceci s’explique probable-
ment par l’immaturité du système immunitaire à la naissance, qui ne
reconnaît pas le virus B comme différent du soi. La phase d’immunotolé-
rance est longue chez les patients contaminés en période périnatale
(figure 1) et les épisodes de réactivation de l’hépatite B ont une fréquence
variable au cours de leur vie. Il est reconnu depuis 1975 que les
chimiothérapies anticancéreuses et les traitements immunosuppresseurs
favorisent les épisodes de réactivation chez les patients porteurs chroni-
ques du virus de l’hépatite B [1]. Ces épisodes de réactivation peuvent
passer inaperçus ou se compliquer d’ictère et entraîner le décès du patient
du fait d’une insuffisance hépatique [2]. Lors de l’épisode de réactivation
virale, la chimiothérapie anticancéreuse est le plus souvent arrêtée, au
risque de voir évoluer la maladie néoplasique et de diminuer les chances
de survie.
Hépato-Gastro, vol. 14, n°5, septembre-octobre 2007
Tirés à part : S. Hillaire
347
doi: 10.1684/hpg.2007.0119
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
Récemment, des progrès importants ont été accomplis
dans le diagnostic de l’activité de la maladie virale B
d’une part, et l’efficacité des traitements antiviraux sur
la réplication virale B d’autre part. Il est donc important
en 2007, de prendre en compte avant de débuter une
chimiothérapie anticancéreuse ou tout traitement immu-
nosuppresseur (greffe, polyarthrite rhumatoïde, colite
inflammatoire), le statut viral B des patients et d’adap-
ter le suivi.
Réactivation en cas de portage
chronique du virus de l’hépatite B
(Ag Hbs positifs)
La fréquence de la réactivation virale B au cours des
chimiothérapies chez les patients porteurs chroniques
du virus B (Ag Hbs positifs) varie de 19 à 48 % selon
les études. Elle va dépendre des caractéristiques de
l’hôte (âge, sexe, sévérité de l’atteinte hépatique ini-
tiale), du type de chimiothérapie (corticoïdes, durée,
nombre de cures) et de l’activité de la maladie virale B
avant la chimiothérapie (présence ou non de l’Ag HBe
et importance de la réplication virale évaluée par la
mesure de l’ADN viral).
Après le début du traitement immunosuppresseur, on
observe une augmentation progressive de l’ADN du
virus B. L’élévation des transaminases et la symptomato-
logie clinique surviennent plus tardivement, parfois
même à l’arrêt des traitements immunosuppresseurs lors
de la restitution immune qui entraîne une réponse de
l’hôte contre le virus B et une nécrose hépatocytaire [3]
.
La réactivation du virus de l’hépatite B a été rapportée
pour différents types de cancers [2]. Les premiers cas
ont été décrits chez des patients atteints de lymphomes,
recevant de fortes doses de corticoïdes. L’intensité et la
durée du traitement immunosuppresseur jouent aussi un
rôle. Les patients recevant des chimiothérapies systémi-
ques pour des carcinomes hépatocellulaires présentent
dans 40 % des cas une réactivation alors que lorsque
la chimiothérapie est administrée par voie transarté-
rielle, seuls 25 % des patients ont une réactivation.
Cependant, si des épisodes de réactivation ont été
décrits avec tous les types de tumeurs et toutes les
chimiothérapies (cytostatiques, cytotoxiques, anticorps
monoclonaux anti-lymphocytes B et T), il faut être
particulièrement vigilant lors de la prescription de
corticoïdes, d’anthracycline, et de rituximab (mab-
tera). Les traitements cytotoxiques (acide folique et
5-fluoro-uracyl) semblent moins immunosuppresseurs et
entraîner moins de réactivation. Les patients ayant subi
plusieurs cures semblent aussi plus à risque de déve-
lopper une réactivation virale B.
La sévérité de la réactivation va dépendre du terrain.
Chez un patient atteint de cirrhose, le risque d’une
réactivation virale symptomatique responsable d’une
insuffisance hépatocellulaire voire du décès, est plus
élevé.
La surveillance des épisodes de réactivation pourrait se
faire par le dosage mensuel de l’ADN du virus de
Charges virales élevées
Copies/ml
Charges virales intermédiaires
Charges virales indétectables
Guérison ?
Réactivation
1
10
102
103
104
105
106
107
108
Rupture de
tolérance
Arrêt de réplication
Portage inactif
Immunoélimination
Immunotolérance
Infection
occulte
Charges virales faibles
Figure 1.Schéma de l’évolution de la charge virale chez les porteurs chroniques du virus B.
Mini-revue
Hépato-Gastro, vol. 14, n°5, septembre-octobre 2007
348
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
l’hépatite B et de l’activité des transaminases. En effet,
l’augmentation de l’ADN sérique précède de plusieurs
semaines ou mois, l’augmentation des transaminases.
La figure 2 schématise pour un patient la cinétique des
transaminases et de l’ADN du VHB. Si l’on se contente
d’étudier l’ADN du virus B un jour donné, par exemple
à J52, l’ADN viral est très élevé et les transaminases
normales alors qu’au jour 73, les transaminases sont
très élevées mais la charge virale basse (restitution
immune). Seul, le suivi des cinétiques de l’ADN et des
transaminases permet le diagnostic de réactivation.
Si on attend l’augmentation des transaminases pour
débuter le traitement antiviral, le risque est d’être
inefficace sur la maladie virale B. De plus, en cas
d’anomalie du bilan hépatique, l’arrêt de la chimiothé-
rapie anticancéreuse est le plus souvent nécessaire. Par
ailleurs, chez ces patients polymédicamentés avec des
pathologies graves, il est parfois difficile de faire la
part des choses entre la réactivation virale B, la toxicité
médicamenteuse, l’infiltration tumorale du foie, la
maladie veino-occlusive, la péliose, etc. (figure 3).
Il conviendrait donc avant tout traitement immunosup-
presseur de faire un dépistage de l’Ag Hbs et chez les
porteurs chroniques de l’Ag HBs de faire :
un bilan viral, Ag HBe Ac anti-HBe, ADN du virus B ;
un bilan de sévérité de la maladie hépatique : NFS
plaquettes, transaminases, bilirubine, taux de
prothrombine, facteur V ;
une échographie hépatique à la recherche d’une
dysmorphie et de signe d’hypertension portale.
Des experts ont proposé
l’attitude pratique suivante
Il convient de commencer la chimiothérapie sous cou-
vert d’un traitement antiviral (si possible débuté
3 semaines avant le début de la chimiothérapie) [4].
Cependant, pour les patients ayant un ADN viral B
inférieur à 10
3
copies/mL, une surveillance mensuelle
de celui-ci pourrait être suffisante sans couverture anti-
virale si l’ADN viral augmente de 2 log, un traitement
antiviral devrait être institué.
Le traitement antiviral doit couvrir la durée du traite-
ment immunosuppresseur et être poursuivi3à12mois
après son arrêt. Une surveillance de l’ADN viral B doit
être effectuée tous les 3 mois. L’ADN du virus B et les
transaminases devront être surveillées après l’arrêt du
traitement. Certains patients (avec des maladies acti-
ves avant la chimiothérapie) devront bien entendu
continuer ce traitement).
Risque de réactivation
en cas d’infection occulte
(Ag Hbs négatif, Ac Hbc positif,
Ac Hbs positif ou négatif)
Le virus de l’hépatite B est un virus à ADN. Après un
premier contact, le virus reste à l’état quiescent chez les
patients. Même chez les patients « guéris », l’absence
8
6
5
4
3
2
1
0
7
350
300
250
200
150
100
50
0
52 73
1 10 21 31 43 63 84 91 148 155 162
Jours
A
L
A
T
A
D
N
V
I
R
A
L
L
O
G
ADN virus B Activité IU/ml
Cycle
1
Cycle
2
Cycle
3
Cycle
4
Figure 2.Cinétique des transaminases et de l’ADN du virus B chez un patient porteur chronique du virus B recevant une chimiothérapie
anticancéreuse et présentant un épisode de réactivation au cours de la chimiothérapie.
Hépato-Gastro, vol. 14, n°5, septembre-octobre 2007 349
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
d’Ag Hbs et d’ADN viral B ainsi que la présence
d’Ac Hbs et HBc traduisent l’efficacité du système
immunitaire contre la réplication virale (réponse immu-
nitaire par les lymphocytes T helper de type 1) [5].
Cependant, au cours de traitement immunosuppres-
seur, une réactivation de l’hépatite B est toujours pos-
sible, même si le risque est faible chez ces patients
« guéris » [1, 6]. Chez les patients porteurs occultes du
virus B (Ag Hbs –, Ac Hbs –, Ac Hbc + et ADN viral +)
[7-8], comme chez les patients Ag Hbs positifs, la
sévérité de la réactivation va dépendre des caractéris-
tiques du patient, du type de chimiothérapie et des
caractéristiques virales. Il semble que chez ces
patients, l’association rituximab et corticothérapie soit
particulièrement à risque.
Dans une étude récente [9]
, ayant suivi de façon
longitudinale 244 patients asiatiques Ag HBs négatifs
avant le début de la chimiothérapie, mais dont 61 %
avaient été en contact avec le virus B, une réactivation
est apparue dans 8 cas (3,3 %). Tous ces patients
ayant eu une réactivation avaient des anticorps anti-
HBs ou anti-HBc positifs et 75 % (6/8) avaient un ADN
viral B détectable en faible quantité (22-79 copies/mL)
dans le sang, par PCR en temps réel avant le début de
la chimiothérapie. La chimiothérapie de 7 patients sur
8 contenait l’association rituximab et corticothérapie et
le risque relatif de développer une réactivation virale B
était significativement plus important avec ce type de
chimiothérapie.
Le traitement antiviral
Il semble qu’il soit préférable de commencer un traite-
ment antiviral plutôt que d’attendre une élévation de
l’ADN du virus B chez les patients Ag HBs positifs [4]
.Le
traitement le mieux étudié est la lamuvidine qui présente
l’avantage par rapport à l’adéfovir d’entraîner une
diminution plus rapide de la charge virale. Cependant,
le risque avec la lamivudine est l’apparition de mutants
résistants au niveau du site YMDD de la polymérase
virale, avec une incidence de 24 % à un an et de 70 %
à 5 ans. Le risque de résistance ne semble cependant
pas un inconvénient majeur compte tenu des durées
relativement brèves de ces traitements préventifs. L’inté-
rêt de l’entécavir (du fait de son efficacité rapide sur la
charge virale et des risques de résistance plus faible) ou
d’autres molécules antivirales reste à évaluer.
Enfin, il ne faut pas oublier que la vaccination contre le
virus de l’hépatite B reste le moyen le plus efficace de
prévenir cette infection. Une vaccination préventive
pourrait en particulier être proposée aux patients ayant
des pathologies hématologiques, rhumatologiques,
digestives, ou des maladies de système pouvant néces-
siter dans le futur un traitement immunosuppresseur. De
la même façon, elle pourrait être proposée chez les
patients ayant des états précancéreux. Elle peut être
proposée même lorsque la chimiothérapie doit être
débutée rapidement chez les patients n’ayant aucun
marqueur viral B. Même si les chances de réponses
sont diminuées, elles ne sont pas nulles (57 %) [10].
POL
Chimiothérapie
anticancéreuse
Traitements
immunosuppresseurs
Diagnostic positif
ADN viral
et transaminases
Parfois difficile
à interpréter
sans cinétique
Diagnostic
différentiel
Toxicité
médicamenteuse
Infiltration tumorale
du foie
Péliose, MVO…
Diagnostic de gravité
Insuffisance
hépatocellulaire
Arrêt de la
chimiothérapie
Virus B
Figure 3.Risques de l’infection virale B au cours de la chimiothérapie anti-cancéreuse.
Mini-revue
Hépato-Gastro, vol. 14, n°5, septembre-octobre 2007
350
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
Références
1
. Wands J, Chura C, Roll F, Maddrey W. Serial studies of hepatitis
associated antigen and antibody in patients receiving antitumor chemo-
therapy for myeloproliferative and lymphoproliferative disorders. Gas-
troenterology 1975 ; 68 : 105-12.
2
. Yeo W, Johnson P. Diagnosis, prevention and management of hepati-
tis B virus reactivation during anti cancer therapy. Hepatology 2006 ;
43 : 209-20.
3
. Liaw Y. Hepatitis viruses under immunosuppressive agents. J Gastroen-
terol Hepatol 1998 ; 13 : 14-20.
4
. Lalazar G, Rund D, Shouval D. Screening, prevention and treatment
of viral hepatitis B reactivation in patients with haematological malignan-
cies. Br J Haematol 2007 ; 136 : 699-712 ; (Erratum in : Br J Haematol.
2007 ; 137 : 81).
5
. Chisari F. Cytotoxic T cells and viral hepatitis. JCI 1997 ; 99 : 1472-7.
6
. Onozawa M, Hashimoto S, Izumiyama K. Progressive disappea-
rance of anti-hepatitis B surface antigen antibody and reverse serocon-
version after allogenic stem cell transplantation in patients with previous
hepatitis B virus infection. Transplantation 2006 ; 79 : 616-9.
7
. Hillaire S. Infection occulte par le virus de l’hépatite B. Hépato-gastro
2006;2:87-90.
8
. Raimondo G, Pollicino T, Cacciola I, Squadrito G. Occult hepatitis B
virus infection. J Hepatol 2007 ; 46 : 160-70.
9
. Hui C, Cheung W, Zhang H, Au W. Kinetics and risk of de novo
Hepatitis B infection in HbSAg-negative patients undergoing cytotoxic
chemotherapy. Gastroenterology 2006 ; 131 : 59-68.
10
. Yu A, Cheung R, Keefe E. Hepatitis B vaccines. Infect Diseas Clin
North Am 2006 ; 20 : 27-45.
Hépato-Gastro, vol. 14, n°5, septembre-octobre 2007 351
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
1 / 5 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !