War and Peace: the Role of Science and Art. - Beck-Shop

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Beiträge zur Politischen Wissenschaft 159
War and Peace: the Role of Science and Art.
Bearbeitet von
Soraya Nour, Olivier Remaud
1. Auflage 2010. Taschenbuch. 290 S. Paperback
ISBN 978 3 428 13092 4
Format (B x L): 15,7 x 23,3 cm
Gewicht: 380 g
Weitere Fachgebiete > Medien, Kommunikation, Politik > Internationale Beziehungen
> Konflikt- und Friedensforschung, Rüstungskontrolle
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L’humanité dans l’animalité :
Kant et l’anthropologie du bien et du mal
Diogo Sardinha
On trouve, dans l’Anthropologie de Kant, une voie engageante pour approcher
le rôle de la science et de la philosophie dans le jeu de la guerre et la paix, qui
concerne ce que l’on pourrait appeler de manière quelque peu générale un penchant de l’homme pour la violence ou, si nous voulons être plus précis, une inclination de l’homme au mal. Il n’est bien entendu pas possible, dans les limites d’un
simple exposé, de reprendre en détail tout le développement de ces concepts. C’est
pourquoi nous nous en tiendrons à quelques réflexions sur l’usage qu’en fait Kant
dans la dernière section de son ouvrage, section intitulée « Der Charakter der Gattung », et de laquelle est extrait le passage suivant :
Même dans une constitution civile, qui représente le développement artificiel le plus haut
des bonnes dispositions de l’espèce humaine pour la fin dernière de sa destination, l’animalité est, dans ses expressions, antérieure et au fond plus puissante que la pure humanité,
et ce n’est que par affaiblissement que la bête apprivoisée est plus utile à l’homme que la
bête sauvage. La volonté propre est toujours prête à se répandre en aversion contre son
prochain, et à tout moment elle s’efforce, dans sa prétention à une liberté inconditionnelle,
d’être non seulement indépendante, mais encore d’être maître d’autres êtres qui par nature
lui sont égaux ( . . . ). (Kant, Anth. : 327; trad. : 165 – 166.)1
[In einer bürgerlichen Verfassung, welche der höchste Grad der künstlichen Steigerung der
guten Anlagen in der Menschengattung zum Endzweck ihrer Bestimmung ist, ist doch die
Thierheit früher und im Grunde mächtiger als die reine Menschheit in ihren Äußerungen,
und das zahme Vieh ist nur durch Schwächung dem Menschen nützlicher, als das wilde.
Der eigene Wille ist immer in Bereitschaft, in Widerwillen gegen seinen Nebenmenschen
auszubrechen, und strebt jederzeit, seinen Anspruch auf unbedingte Freiheit, nicht blos unabhängig, sondern selbst über andere ihm von Natur gleiche Wesen Gebieter zu sein ( . . . ).]
Avant de commenter ces lignes, soulignons tout d’abord que nous nous intéresserons ici au rôle des sciences et, plus exactement, de cette science anthropologique qui prend chez Kant une forme incontestablement spéculative, à l’horizon de
laquelle il faut toujours pressentir son interrogation « qu’est-ce que l’homme ? ».
Pour en venir maintenant à la citation elle-même, remarquons combien elle témoigne de l’intérêt de Kant pour ce qui semble être une anthropologie de la violence.
Il faut entendre par là une recherche sur ce qu’est l’homme en tant qu’être chez qui
1
Comme dans le cas présent, la traduction de Foucault pourra être modifiée.
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Diogo Sardinha
l’abus de pouvoir est non seulement une capacité inscrite dans sa structure premièrement et fondamentalement animale, mais encore une tentation constante qui le
pousse à enfreindre les limites de sa liberté comme de celle de ses égaux. Kant ne
pourrait être plus explicite lorsqu’il affirme que « même dans une constitution
civile », dans un régime constitué par des citoyens et qui simultanément permet à
ces derniers, entendus de manière universelle comme genre humain, de développer
leurs dispositions pour le bien (leur gute Anlage), « l’animalité est, dans ses expressions, antérieure et au fond plus puissante que la pure humanité ». Autrement dit,
même là où les conditions politiques et civiles sont réunies pour que les bonnes
dispositions de l’homme se développent, une tension prodigieuse demeure toujours, à l’intérieur de ce dernier, entre l’humanité et l’animalité, tension qui semble
ici se résoudre de façon immédiate en faveur de l’animalité, qui dans ses manifestations est à la fois première et plus puissante. Il est donc possible de dire que
Kant nous propose une anthropologie de la violence ou encore une anthropologie
de l’abus de la force, en ce sens qu’il inscrit la condition de possibilité de cet abus
dans le caractère premier et fondamental du genre humain.
Il est par conséquent naturel que l’Anthropologie d’un point de vue pragmatique
mette en valeur la violence propre à l’homme lui-même, en ce que l’on pourrait
appeler, par renversement de l’expression précédente, une violence de l’anthropologie. Ce mot renferme alors un double sens : en premier lieu, il y va de la violence commise par un homme contre son voisin, ou d’une violence entre hommes.
L’image qu’en donne Kant n’est peut-être pas très éloignée, à certains égards, de
l’état de nature, en ceci que dans les deux cas survient à tout moment un choc entre
les prétentions de différents individus à une liberté sans bornes, avec les tentatives
qui les accompagnent d’exercer sur les autres un pouvoir dominant. Tout se passe
comme si, même dans la forme constitutionnelle la plus aboutie (en ce qu’elle est
la plus humaine au sens où elle convient le plus parfaitement à la réalisation de la
« pure humanité » de l’homme), le caractère animal ou encore sauvage de l’être
humain portait toujours avec lui un résidu de nature, et même comme si l’animalité
première et plus puissante véhiculait toujours un excès de nature à l’intérieur de la
société civile.2
Il y a pourtant un second sens dans la notion de violence de l’anthropologie.
C’est qu’il devient nécessaire, pour prévenir le double empiétement de l’animalité
sur l’humanité et de la liberté des uns sur celle des autres, de mettre en œuvre une
troisième force, un autre pouvoir, à nouveau exercé par l’homme sur l’homme, rien
moins que la force d’apprivoisement. « Ce n’est que par affaiblissement, souligne
Kant, que la bête apprivoisée est plus utile à l’homme que la bête sauvage ». Aussi
2 Cette idée appelle à la confrontation d’une part avec Rousseau et d’autre part avec Hobbes, qui nous procurent deux perspectives divergentes de l’état de nature comme de la bonté
ou de la méchanceté originaires de l’homme. Ce n’est pas un hasard si Kant prend le temps
d’écrire sur Rousseau et la figure du bon sauvage dans des pages de l’Anthropologie contiguës à celles dont nous nous inspirons. Un autre ouvrage de Kant également important pour
le traitement de ce sujet est La Religion dans les limites de la simple raison.
L’humanité dans l’animalité
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sera-t-il nécessaire d’apprivoiser l’être humain, de le rendre moins farouche, plus
familier au sens strict – apte à la vie en famille – et au-delà de la famille plus
sociable – capable de vivre pacifiquement en société – pour en faire précisément
ce qu’il est, à savoir un homme. En d’autres termes, afin de dilater chez l’homme
(Mensch) l’espace de sa propre humanité (Menschheit), il faut affaiblir l’animalité
(Thierheit) en lui, le domestiquer et le cultiver. La culture commence par la
domestication : toutes deux sont un affaiblissement du caractère sauvage de l’humain. Rien d’étonnant donc à ce que le travail de Kant sur le caractère du genre
débouche sur une pensée de l’éducation, concernant notamment les liens étroits
que celle-ci entretient avec la discipline (la Zucht, la Disciplin) (Kant, Anth. : 323).
De cette éducation, il ajoute un peu plus loin qu’elle « est salutaire, mais rigoureuse et sévère » (heilsam, aber rauh und strenge) (Kant, Anth. : 328). Or comment
ne pas remarquer la nouvelle violence qu’accompagne cette procédure ? Dans sa
traduction, Foucault y a été sensible, peut-être même un peu trop sensible, par
exemple lorsqu’il a hardiment rendu Zucht non pas par discipline, mais par répression (trad. : 163). Il n’était pourtant pas nécessaire de solliciter aussi fortement le
texte de Kant pour lui faire dire que l’anthropologie noue des relations évidentes
avec la violence, et ceci par trois voies au moins : d’abord parce que la violence se
trouve au cœur de son objet (c’est-à-dire au cœur de l’homme) sous la forme
de l’animalité première et plus puissante dans ses expressions, caractéristique du
genre humain ; ensuite, parce que la violence de l’animalité est notamment celle
susceptible d’être exercée par chacun d’entre nous sur tout autre, cela même dans
la société qui à la fois représente et promeut le développement le plus haut des
bonnes dispositions de l’espèce ; enfin, parce que la manière de déjouer cette propension au débordement met elle-même en branle une autre force – l’éducation associée à la rigueur et sévérité de la discipline – assez proche encore d’un
affaiblissement par domestication. Pour favoriser la culture et la civilisation il est
donc nécessaire à l’homme d’user de force sur les autres hommes, comme le fait
l’éducateur, dans une sorte de paradoxe qu’exprime Kant en expliquant que l’éducateur « doit produire chez l’autre ce dont lui-même a besoin » (Kant, Anth. : 325 ;
trad. : 164). De surcroît, l’homme achevé ne peut exister qu’en tant que résultat de
cet usage de la force, de cet apprivoisement et de cette discipline. L’anthropologie
rend ainsi visible une violence triple, celle de l’animalité dans l’homme (violence
première), celle des débordements de chacun contre ses voisins (violence toujours
possible), celle enfin de l’éducation par la discipline (violence nécessaire). C’est
seulement en ce point d’intersection que naît l’homme. Kant aurait eu la vertu de
nous le faire voir, en nous menant au cœur de la violence anthropologique entendue
comme lieu de rencontre d’une anthropologie de la violence avec la violence de
l’anthropos.
Et pourtant, aussi cohérente que puisse paraître cette lecture, elle n’en est pas
moins problématique. Car on ne trouvera pas, dans ces pages, un mot qui réunisse
les différents aspects ramassés ici sous le nom de violence. Kant procède autrement
dans la dernière section de l’Anthropologie d’un point de vue pragmatique : il y
distingue une « disposition innée » [angeborne Anlage] pour le bien et une « incli-
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