La pensée sociale de l’Église : approche historique (du XIXe à Vatican 2)
1 Avant Rerum Novarum
2 1890/1930, dans la lancée de Rerum Novarum
3 Après guerre
Introduction :
- Qu’est ce que la pensée sociale de l’Église ? Différentes termes, cf. doctrine sociale,
enseignement social, pensée sociale voire évangile social des expressions qui ne sont
pas synonymes mais qui toutes expriment toutes la volonté de l’Église catholique
d’avoir une parole fondée et mobilisatrice sur la question sociale. Ce n’est pas une
idéologie soit un système de pensée organisé pour justifier un type de pouvoir, ce
n’est pas non plus un modèle alternatif entre capitalisme et marxisme.
- Quand ? dès les premiers siècles, positionnement sur les problèmes de société, écrits
de St Basile, St Ambroise ou St Jean de Chrysostome mais l’enseignement social en
tant que réflexion globale portée sur les réalités sociales naît à la fin du XIXe siècle
avec Rerum Novarum. Réflexion qui trouve ses fondements dans la méditation de la
Bible, nourrie des écrits des Pères de l’Eglise et de l’expérience de tous ceux qui ont
essayé d’adapter le message chrétien aux réalités sociales, à la fois en combattant des
pratiques inhumaines et des structures sociales d’oppression et en proposant d’autres
rapports sociaux fondés sur le respect de la personne, sur la dignité de l’homme.
D’où une approche qui va essayer de présenter la genèse de ce positionnement de
l’Eglise et ses répercussions.
1 Les chocs de la modernité
1.1 Les ruptures
Ruptures début XIXe sur différents plans pour l’Église qui avant la Révolution
Française avait le sentiment de contrôler tous les secteurs de la vie humaine et qui
voit un monde se constituer en de hors d’elle. La RF introduit une rupture socio-
politique. Fin de la monarchie absolue, le pouvoir du Roi s’appuie sur des bases
théologiques, par le sacre le Roi est l’élu de Dieu, théorie de Bossuet sur la
monarchie de droit divin. Rupture sociale, fin de la société d’ordre immuable
chaque corps a une fonction pré déterminée qui le positionne dans la hiérarchie
sociale, le clergé premier ordre a pour finalité sociale de veiller au salut de la Nation,
ce qui lui vaut un statut privilégié. La RF oppose à cela les notions d’égalité, de
liberté affirmées dans la déclaration des droits de l’homme : libertés politiques
(contrat entre souverain et citoyens), d’opinion (religieuse), sociale (possibilité de
mutation sociale).
A cela s’ajoute pour l’Eglise en France et ailleurs la privation de ses biens matériels
avec la nationalisation des biens du clergé. Nécessité de se repositionner.
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A ces changements conjoncturels, s’ajoutent des évolutions qui ont joué à plus long
terme. Impact des Lumières au XVIIIe siècle qui opposent Raison et Foi, s’attaquant
à l’Eglise présentée comme un soutien des pouvoirs autoritaires, contraires aux droits
de la personne humaine, succès du déisme. Le XIXe siècle avec le positivisme, le
scientisme va dans le même sens. Pour Auguste Comte, l’âge de la religion est
terminé, laissant place aux sciences dont le progrès est présenté comme infini.
Sur ce progrès des sciences s’appuie l’évolution économique avec la révolution
industrielle et urbaine, passage d’une économie agricole fondées sur un ordre social
« immuable » à une économie qui fait triompher de nouveaux concepts de rentabilité,
de profit, de concurrence. Émergence de nouveaux acteurs sociaux avec d’un côté
une bourgeoisie industrielle et de l’autre un monde ouvrier.
1.2 Quelles adaptations ?
- tentative de restauration : le Congrès de Vienne en 1815 entreprend de restaurer
l’ordre ancien : le pape retrouve ses États. Le tsar Alexandre I, l’Empereur d’Autriche
et le Roi de Prusse , qui représentent les trois confessions chrétiennes, s’engagent au
nom de la Ste Trinité à prendre comme règle les principes chrétiens et à se porter aide
et assistance. S’en suit une restauration politique fondée sur l’alliance du trône et de
l’autel (Charles X se fait sacrer à Reims…) et une reconstruction religieuse :
réorganisation des séminaires, multiplication des paroisses en milieu rural,
multiplication des congrégations, Pie VII reconstitue les Jésuites. , élan religieux très
marqué par le romantisme, piété christocentrique (dévotion au Sacré Coeur et à
l’Eucharistie, adoration perpétuelle en 1837), culte marial qui donne naissance à de
nombreuses confréries ( le Rosaire vivant en 1830, la Médaille miraculeuse en
1830…)
- prise de conscience progressive des effets néfastes de l’industrialisation : misère
ouvrière, incapacité des villes à accueillir ces nouveaux arrivants. Différents
événements jouent le rôle de vélateurs ; les premières révoltes ouvrières dont celles
des canuts en 1831 et 34, l’épidémie de choléra en 1832. Impact aussi des révolutions
de 1830 qui à partir du soulèvement parisien de juillet 1830 vont embraser toute
l’Europe, : en France on dénonce le despotisme de Charles X mais on s’en prend
aussi à l’archevêché qui est saccagé, aux prêtres ailleurs libéralisme et
nationalisme sont souvent liés c’est le cas en Belgique, dans l’Empire et en Italie ,
soulèvement des états pontificaux. Dès 1831 l’ordre est rétabli : monarchie
constitutionnelle et libérale en France c’est l’ordre bourgeois, ailleurs retour à
l’autoritarisme et Grégoire XVI est intervenu en sa faveur (contre le soulèvement
polonais). A partir de là, questionnements, retournement. C’est le cas de Lamennais,
prêtre engagé auparavant dans une reconquête religieuse et politique en France, or
révélation en 1830 de la nécessité de faire triompher la liberté, liberté régénérée par
Dieu, en octobre 1830 il fonde avec Lacordaire et Montalembert un journal L’Avenir
qui porte en exergue Dieu et la liberté, il s’intéresse aux peuples en lutte pour leur
indépendance, propose un renouveau de l’Eglise et de la société fonsur la liberté
qui passe aussi par la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Désapprouvés par les
évêques, Lamennais et Lacordaire portent l’affaire devant le pape qui répondra
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indirectement par l’encyclique Mirari Vos qui condamne les revendications libérales
et les remises en cause de l’ordre social.
- Mouvement des socialistes dits utopistes, le mot socialiste apparaît en 1830, défini
comme voulant réformer la société. Nombreux puisent dans l’Évangile des raisons,
des principes de changements, c’est le cas de St Simon (1761-1825) qui veut
remplacer un ordre social fondé sur la tradition et qui exalte des « fainéants » par un
ordre social valorisant les producteurs, dans Le Nouveau Christianisme (1825) il
appelle à un nouveau christianisme basé sur le principe moral de la fraternité, qui se
donne pour but l’amélioration du sort des plus pauvres., ce sont aussi les partisans de
Buchez dit socialistes chrétiens, christianisme affectif débarrassé des dogmes. Il
dénonce la concurrence industrielle, l’exploitation de l’homme et prêche
l’établissement pacifique de l’égalité réalisé par l’association ouvrière de production,
qu’il rapproche des premières communautés chrétiennes. La question soc est pour
eux une question avant tout morale à laquelle répond l’idée chrétienne de dignité
humaine. On pourrait citer aussi P Leroux qui fonde une colonie fondée sur des
principes égalitaires et démocratiques inspirés du Christianisme.
Parallèlement aux penseurs, des catholiques s’engagent sur le terrain par le biais de
l’action caritative, avec pour objectif d’évangéliser des milieux en perdition :
nombreuses œuvres, cf. Société de charité maternelle, action à Lyon de la
Congrégation des Messieurs. C’est dans ce mouvement que s’inscrivent au début les
Conférences de St Vincent de Paul créées à Lyon par Ozanam, mais appel à dépasser
la charité « la charité ne suffit pas, car si elle soigne les plaies, elle ne prévient pas
les coups qui les produisent. » Outre la visite des pauvres à domicile, les conférences
ont pour objectif de faire passer les bourgeois privilégiés « aux barbares » il veut en
faire des médiateurs .
Tous ces gens vont se retrouver dans la révolution de 1848, révolution politique,
mais qui d’une part va embraser l’Europe et d’autre part porter au pouvoir ce
christianisme social. En France, alliance du trône et de l’autel, les prêtres bénissent
les arbres de la liberté, tandis que la nouvelle République proclame toutes les libertés,
le Suffrage Universel. Lacordaire devenu dominicain, Ozanam et l’abbé Maret
fondent l’Ère nouvelle qui veut travailler au rapprochement de la démocratie et des
catholiques. La révolution gagne l’Italie où beaucoup d’espoirs sont mis dans le
nouveau pape Pie IX, libéral, en qui on voit le futur chef de l’Italie unifiée. Chant du
cygne de ces tentatives d’ouverture des Catholiques car dès l’été la répression
l’emporte. En France, c’est l’insurrection de juin 1848 qui inspire à Marx sa théorie
de lutte des classes, Mgr Affre est tué en prêchant la conciliation. En Italie, Pie IX
s’enfuit de Rome et ce sont les troupes de LN Bonaparte qui en 1849 le réinstalleront
à Rome.
Véritable tournant, les événements de 48 (révolution, affaire de Rome) rejettent
Eglise, catholiques et notables dans le camp conservateur. Rejet par l’Eglise des
élans des catholiques sociaux, ce qui l’emporte désormais est une gestion caritative
de la question sociale, à partir des années 1850 c’est le triomphe du paternalisme.
Cependant la situation diffère selon les états, en Allemagne l’essor industriel est plus
tardif, les catholiques en ont mieux compris les enjeux, pour eux la question sociale
ne se résume pas à la charité, mais nécessite une réorganisation économique et une
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intervention de l’Etat. Mgr Ketteler (1811-1877) en est le principal représentant, peu
libéral, il a la nostalgie des corporations médiévales mais envisage des réformes de
structures, cf. La question ouvrière et le christianisme (1864), il souhaite une
organisation corporative mais avec un Etat qui intervient pour légiférer sur la
condition ouvrière. Un autre prêtre allemand Kolping crée des foyers de jeunes
ouvriers pour conduire les ouvriers à s’organiser entre eux.
rupture, Rendez-vous raté, dans un contexte de peurs sociales, dans un contexte
où la papauté est empêtrée dans les questions d’unification italienne.
Les années 1850/1870 sont un temps de reconquête religieuse, dans un sens
réactionnaire et ultramontain. A Rome, recentrage autour de l’autorité pontificale qui
s’impose face aux dérives contemporaines : 1854 : dogme de l’Immaculée
Conception de la Vierge/ 1864 : Syllabus qui en 10 chapitres condamne les erreurs du
monde moderne :
I. Panthéisme, naturalisme et rationalisme absolu [...]
II. On doit nier toute action de Dieu sur les hommes et sur le monde. [...]
II. Rationalisme modéré
XI. L'Église [...] ne doit, dans aucun cas, intervenir contre la philosophie [...].
III. Indifférentisme, latitudinarisme
XV. Il est libre à chaque homme d'embrasser et de professer la religion qu'il aura
réputée vraie d'après la lumière de la raison. [...]
XVIII. Le protestantisme n'est pas autre chose qu'une forme diverse de la même vraie
religion chrétienne [...].
IV. Socialisme, communisme, sociétés secrètes, sociétés bibliques, sociétés clérico-
libérales
Ces erreurs sont à plusieurs reprises condamnées dans les termes les plus graves par
l'encyclique Qui pluribus, du 9 novembre 1846 [...] ; par l'encyclique Notis et
Nobiscum, du 8 décembre 1849 ; [par d'autres encycliques]
V. Erreurs relatives à l'Église et à ses droits
XX. [...] il appartient au pouvoir civil de définir quels sont les droits de l'Église et les
limites dans lesquelles elle peut les exercer. [...]
XXIV. L'Église n'a pas le droit d'employer la force ; elle n'a aucun pouvoir temporel
direct ou indirect. [...]
XXXVIII. Les nombreux actes arbitraires des Pontifes romains ont poussé à la
division de l'Église orientale et occidentale. [...]
VI. Erreurs relatives à la société civile, considérée soit en elle-même, soit dans ses
rapports avec l'Église
XXXIX. L'État, étant l'origine et la source de tous les droits, jouit d'un droit qui n'est
circonscrit par aucune limite. [...]
XLII. En cas de conflit légal entre les deux pouvoirs, le droit civil prévaut. [...]
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XLVII. La bonne constitution de la société civile demande que les écoles populaires
[...] soient affranchies de toute autorité de l'Église [...].
LV. L'Église peut être séparée de l'État, et l'État séparé de l'Église
VII. Erreurs concernant la morale naturelle et chrétienne
LXIII. Il est permis de refuser l'obéissance aux princes et même de se révolter contre
eux. [...]
VIII. Erreurs concernant le mariage chrétien
LXVI. Le sacrement du mariage n'est qu'un accessoire du contrat [...].
IX. Erreurs sur le pouvoir temporel du Pontife romain
LXXVI. L'abrogation du pouvoir temporel dont le Saint-Siège est en possession
servirait, même beaucoup, à la liberté et au bonheur de l'Église. [...]
X. Erreurs qui se rapportent au libéralisme moderne
LXXVII. À notre époque, il n'est plus utile que la religion catholique soit considérée
comme l'unique religion de l'État [...].
LXXX. Le Pontife romain peut et doit se réconcilier et faire un compromis avec le
progrès, le libéralisme et la civilisation moderne. "
Et 1870, concile Vatican 1 définit le dogme de l’Infaillibilité pontificale. Opposition
des Gallicans en France dont Mgr Dupanloup (évêque d’Orléans) mais aussi de
Ketteler.
Dans ce contexte, s’opère un réveil religieux autour du culte du Sacré Cœur, du culte
marial ( Lourdes début en 1858, La Salette, Paray le Monial) spiritualité très
affective et emplie du sentiment d’expiation, de repentance. Vitalité des
congrégations, de la pratique dans certaines régions. Mais s’élabore une contre-
société qui ignore des milieux sociaux en déperdition, thème de la ville nouvelle,
Babylone, déprise religieuse. Impact de la méconnaissance d’un clergé rural, pas
d’adaptation ni même de réponse matérielle, le cadre paroissial reste inchangé. Il en
résulte une chute de la pratique et un succès des traditions anticléricales, tant dans les
milieux ouvriers et artisans que bourgeois voltairiens. Essor des sociétés de Libre-
Pensée, essor aussi du Marxisme (1864 : 1
ère
AIT).
2 1880/1930, dans la lignée de Rerum Novarum
2.1 Le contexte
Les choses évoluent dans les années 1880 : seconde révolution industrielle qui
impose le cadre usinier et une rationalisation du travail plus poussée. Maturation du
mouvement ouvrier, qui a profité un peu partout d’une législation plus favorable :
1864 en France droit de grève, 1884 droit syndical. Ce mouvement ouvrier se nourrit
du marxisme qui joue le rôle de contre-eglise : doctrine du soc scientifique, vision
eschatologique avec ses pères fondateurs (Marx, Engels) ses prophètes, cf. Guesde en
France.
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