Aujourd’hui, les preuves paléon -
tologiques de l’évolution figurent
parmi les plus spectaculaires. Les
fossiles – les restes d’organismes anciens
conservés dans les sédiments – sont devenus
pour le grand public l’image même de la
réalité de l’évolution. Le paradoxe historique
est qu’ils n’ont pas toujours été interprétés
dans une perspective évolutionniste.
La première étape pour installer la science
des fossiles dans les sciences de l’évolution
est de concevoir la notion d’espèce éteinte
et son corollaire, l’extinction. C’est
définitivement fait en 1778 lorsque Buffon
admet que de grosses molaires découvertes
en 1739 en Amérique du Nord, au bord de
la rivière Ohio, appartiennent bien à une
« espèce perdue » (autrement dit, éteinte).
La deuxième étape consiste à archiver,
illustrer, expliquer l’histoire des faunes et
des flores. C’est l’affaire du XIXesiècle avec
notamment les travaux de l’anatomiste
Georges Cuvier. Allant plus loin que ses
prédécesseurs en matière d’anatomie
compa rée appliquée aux fossiles, Cuvier
décrit un nombre impressionnant d’espèces
éteintes. Cependant, pour que le fossile
devienne vérita blement acteur de l’évolution,
il convient de s’abstraire, à l’instar de Lamarck,
du dogme de l’immutabilité des espèces.
La troisième et dernière étape est donc
l’organisation des descriptions d’organismes
selon des schémas de filiation, appelés
d’abord arbres généalogiques (selon une
analogie que l’on comprend aisément) puis
arbres phylogénétiques (étymolo gique ment :
genèse des groupes), où les espèces actuelles
figurent en compagnie d’espèces éteintes.
Le saut est franchi avec Charles Darwin et
son Origine des espèces. Les premiers schémas
évolutionnistes intégrant la paléontologie
remontent à 1866 avec les travaux du
paléontologue darwinien Albert Gaudry
sur les mammifères fossiles. La paléon to -
logie entre dans la modernité de façon
irréversible.
L’ENTRELACS DU PASSÉ ET DU PRÉSENT :
BALEINES ET ÉLÉPHANTS
Les études paléontologiques, sur quelque
groupe que ce soit, sont toutes en elles-
mêmes des preuves de l’évolution. Les trois
milliards d’années (et plus) d’histoire de la
vie sur Terre sont jalonnées de fossiles de
toutes sortes, même si, par définition, les
archives sont fort lacunaires. La difficulté
du problème des hiatus, pour autant, ne doit
pas être surestimée.
L’exposition « Incroyables cétacés », orga -
nisée en 2008-2009 par le Muséum national
d’Histoire naturelle, a fait découvrir au grand
public le squelette des cétacés du temps
où ces animaux étaient encore de vrais
tétra podes* au sens fonctionnel du terme,
c’est-à-dire des animaux munis de membres
antérieurs et postérieurs faits pour marcher
sur la terre ferme.
La découverte en 1994, au Pakistan, dans
des terrains de 47-48 Ma, d’Ambulocetus, un
cétacé amphibie muni de deux paires de
membres adaptés à la vie terrestre, a concré -
tisé ce que les paléontologues recher chaient :
un « cétacé-à-pattes ». Ambulocetus pagayait
dans l’eau avec ses membres de tétrapode et,
à terre, se déplaçait un peu comme uneotarie.
Aujourd’hui, rien ou presque n’est obscur
dans la différenciation des cétacés, avec
notamment la description du squelette
de Pakicetus (voir p. 3) et d’Ichthyolestes
(50 Ma), cétacés dont le mode de vie
s’appa rentait à celui du cerf d’eau asiatique
actuel (Hydropotes), petit animal coureur-
sauteur qui aime se réfugier dans l’eau. Ces
deux genres ont un squelette extrêmement
proche de celui des artiodactyles (dans la
nature actuelle, les cerfs, girafes, antilopes,
sangliers, etc.). En particulier, la mor pho -
logie de l’astragale (l’os de la cheville qui
s’articule avec le tibia et avec la deuxième
rangée des os du tarse) est en « double
poulie », disposition exclusivement connue
chez les artiodactyles. La conclusion est
claire : les cétacés actuels, aussi divergents
que soient la baleine bleue et le cachalot,
sont des artiodactyles adaptés à la vie
aquatique. De la sorte, le grand groupe
comprenant ces animaux est nommé :
cétartiodactyles.
Le plus ancien crâne connu de proboscidien, celui de Phosphatherium escuilliei (© J. Tassy)
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DOSSIER
Les fossiles et l’évolution