Famille et individualisation

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agrégation de sciences économiques et sociales
préparations ENS 2006-2007
fiches de lecture
Famille et modernité occidentale
De Singly (2001) : Etre soi d’un âge à l’autre. Famille et
individualisation II
Fiche de lecture réalisée par les agrégatifs des ENS Ulm et Cachan
De Singly, Frnaçois (dir.) (2001), Etre soi d’un âge à l’autre. Famille et
individualisation, tome 2, Paris, L’Harmattan, 233 p.
Notes :
- pratiquement tous les conférenciers sont membres du CERLIS. Pas de surprise donc à ce qu’aucun
d’entre eux ne dévie vraiment de la doxa singlienne de base, qui se décline en deux types de
discours : relectures globalisantes du processus d’individualisation (Cf. contribution de Chaland) et
études interactionnistes du couple ou du groupe familial.
- certaines contributions semblent vraiment vaines. Je ne les fiche pas parce que ni mon temps ni le
vôtre ne méritent d’être perdus.
- Franchement FDS commence à me gonfler.
Intro de FDS :
Explique à partir notamment de Pontalis que l’identité personnelle n’a rien de substantiel, qu’elle est une sorte de
puzzle en perpétuel recomposition, que cela peut être lu en partie comme une incidence de la dérigidification
normative propre aux sociétés modernes. Tout cela contribue à réhabiliter non seulement la socialisation secondaire,
mais plus largement l’ensemble des expériences par lesquelles sont produites des reformulations de l’identité. Cf.
Libres ensemble : loin d’être une unité donnée une fois pour toutes, l’identité est le produit d’un mouvement de « vaet-vient », même s’il ne faut pas tomber dans une conception totalement mobiliste de la personnalité : le va-et-vient
identitaire laisse subsister un noyau relativement stable (il y aurait donc quand même quelque chose comme un
primat de la « socialisation primaire », de « l’habitus », du « pattern de personnalité », ou de qq autre terme que l’on
veuille bien employer).
Pour un usage sociologique de la double généalogie de
l’individualisme (K. Chaland)
Intro et première partie (Autonomie et indépendance, deux dimensions de
l’individualisme) :
Il faut distinguer dans l’individualisme la dimension de l’indépendance, qui renvoie philologiquement à Leibniz, et la
dimension de l’autonomie, qui est celle que l’on peut tirer de Kant et Rousseau. L’individualisme des Lumières,
égalitariste et universaliste, renvoie de manière privilégiée à la dimension de l’autonomie. Mais ce qui est intéressant
est de constater que la notion d’individualisme peut sans contradiction prêter à l’accentuation de l’une ou de l’autre
dimension, et dans cette combinaison donner lieu à une diversité de pratiques et d’éthiques : centration sur l’ego ou
valorisation humaniste de chaque individu. Pourtant, autonomie et indépendance ne génèrent pas les mêmes
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conséquences : pour Renaut (ok, c’est Renaut), la valorisation de l’indépendance porte en elle via l’accentuation
unilatérale de la constitution indépendante de l’individu le principe d’une désocialisation, d’une subjectivité sans
intersubjectivité, ce qui ne serait pas le cas de l’autonomie.
2. Relire des travaux en sociologie de la famille à la lumière de la distinction
entre autonomie et indépendance :
Intéressant dans la mesure où c’est un des aspects soulignés par De Singly de manière récurrente (notamment sur les
définitions de la jeunesse).
Certains individus accèdent aux deux dimensions alors que d’autres les vivent sous un régime de dissociation ; ainsi
tous les individus des sociétés contemporaines ne sont pas au même titre des « individus individualisés » ; ces
décalages recouvriraient moins des différences socioéconomiques que des différences de génération et de genre ; Cf.
Beck : thèse selon laquelle la première modernisation, modernisation simple, a affecté les hommes, et que la seconde,
modernisation complexe, inclut les femmes dans son mouvement. Chaque modernisation correspond à une
affirmation de l’individualisme. Mais ce qu’on peut reprocher à Beck est d’inclure justement de lanière trop
monolithique les femmes dans la seconde modernisation ; différencier selon les groupes, c’est ce que va permettre la
distinction entre autonomie et indépendance.
Etre autonome sans être indépendant :
La situation des jeunes est comparable à celle des femmes avant-guerre. Ils vivent le rapport entre autonomie et
indépendance comme une dissociation, au sein d’une époque qui enjoint d’être un individu individualisé de manière
pleine et entière. L’étudiant qui ne vit plus chez ses parents est à la fois dépendant d’eux et autonome au sens de
l’auto-prescription de ses règles. Cela permet de poser la question des implications de la dépendance. La dépendance
est d’autant plus forte qu’elle est redevable d’une seule personne ou instance (état), même si toutes choses égales par
ailleurs les dépendances par rapport aux personnes sont plus contraignantes que les dépendances par rapport aux
institutions. L’autonomie sera donc moins entamée lorsque la dépendance est « lointaine ».
Le dosage est différent chez l’adolescent : mélange de dépendance, d’hétéronomie et d’autonomie. En général la
soumission aux règles découlant de la dépendance est redoublée par des espaces plus autonomes ; mais la soumission
elle-même peut être modulée selon le degré d’adhésion aux règles ou de participation à leur élaboration.
Les femmes au foyer illustrent aussi le découplage entre autonomie et indépendance. Cf. FIFM : l’autonomie n’est
pas l’apanage des femmes « autogestionnaires » ou égalitaires, c'est-à-dire actives ; les « femmes ménagères »
peuvent aussi avancer des revendications d’autonomie avec succès : elles maîtrisent l’espace qui leur est dévolu et
peuvent y revendiquer de la responsabilité. Il y a donc à distinguer l’autonomie des « autogestionnaires » « par
désengagement » et l’autonomie des « femmes ménagères » « par renforcement », même si bien sûr toutes les
femmes au foyer n’accèdent pas à cette deuxième forme : elle n’est ni donnée d’avance ni accordée une fois pour
toutes.
L’autonomie par renforcement apparaît assez clairement dans Le Cœur à l’ouvrage : appropriation par ritualisation
des tâches ménagères, base d’une nouvelle valorisation de celles-ci. Il s’agit alors de faire de l’espace ménager un
espace personnel.
Etre autonome et indépendant :
Contrairement aux « renforcées », les autogestionnaires sont à la fois autonomes et indépendantes. Certaines
cumulent l’autonomie par renforcement et par désengagement : dans certaines configurations de travail à temps
partiel par exemple. L’autonomie, par désengagement est ici utilisée de manière synonyme à l’indépendance
économique. Tout cela ne doit pas occulter le caractère quelque peu indépassable de la dépendance affective,
relationnelle, et ses contraintes, vécues différemment par les individus. L’idéal valorisé est la combinaison de
l’indépendance, de l’autonomie et du lien « avec ».
Les célibataires (économiquement indépendants) offrent une combinaison plus radicale de l’autonomie et de
l’indépendance. Mais contrairement au modèle « avec » ce modèle est peu valorisé voire stigmatisé ; Cf. Kaufmann
sur les « solos » : celles qui assument (les solos « volontaires ») et celles qui n’assument pas (les solos « par défaut »).
Les assomptrices exigent de la vie « avec » un véritable plus ; les autres sont prêtes à renoncer à puisque tout pour la
chaleur conjugale ; ces autonomes par défaut subissent leur mode de vie.
La question se pose de manière encore plus accrue pour les femmes seules non-indépendantes (non actives), allant
jusqu’à des formes difficiles à vivre d’individualisme négatif, selon les termes de Kaufmann reprenant Castel. Les
solitaires par défaut se trouvant aspirées dans des trajectoires qui ne prennent sens qu’à l’autre pôle.
Ainsi on a bien opéré des distinctions dans le groupe des femmes à l’aide de la différence entre autonomie et
indépendance. ON comprend ainsi mieux la complexité du processus d’individualisation. Entre autres : l’individu
individualisé ne saurait être pensé sans sa relation à des autruis significatifs. La difficulté de l’individualisme
contemporain est de parvenir à un équilibre entre autonomie, indépendance et relation à l’autre. Sur ce dernier point,
voir la thématique de la relation pure de Giddens.
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Le sens retrouvé du mariage ? Vers une nouvelle perspective
théorique (C. Cicchelli-Pugeault)
Dans un arcl intitulé « le sens perdu du mariage », l’anthropologue JF Gossiaux se demandait « Cela s’appelle encore
le mariage, cela a certaines apparences du mariage, mais est-ce vraiment le mariage ? ». Cela révèle une assimilation
entre déshérence du mariage assigné par les familles et jouant une fonction claire de rite de passage et disparition
pure et simple du mariage. Le recul des formes traditionnelles s’inscrit en fait dans un mouvement de diffusion du
processus d’individualisation qui forme les cadres sociaux d’expériences toujours plus personnalisées et privatisées.
Bozon, Sociologie du rituel du mariage, INED 1992 : la cérémonie peut ne plus être considérée comme rite de
transition tout en continuant à être considérée comme une fête majeure, qu’il est normal de célébrer ». Segalen fournit
une interprétation convergente.
les limites des travaux disponibles :
Trois difficultés :
-
tendance à se référer au traditionnel pour qualifier d’innovation radicale les formes présentes. Gossiaux interprète ainsi le
mariage comme « une oeuvre d’art rituel ». C’est aussi la biais de Segalen, qui repère dans le mariage contemporain une
double exigence festive et d’affirmation du groupe des pairs : ce sont les amis qui vont véritablement marier les époux.
L’interprétation en termes de nouveauté réifie les catégories sociologiques de tradition et de modernité, sans pénétrer le
sens intrinsèque du second
-
si le mariage se comprend par rapport à une norme d’individualisation, il faut-il en conclure qu’il est totalement soustrait à
des formes de contrôle collectif ? Comment comprendre dans ce cadre la relative permanence des formes rituelles
traditionnelles ? On peut alors se demander pourquoi les formes de personnalisation des noces n’ont pas envahi le mariage ;
cf. le rituel d’enterrement de la vie de célibataire : une logique d’intronisation continue à jouer ; le mariage reste donc un
rite de passage : sinon pourquoi simuler la possibilité de se refuser au mariage, avec l’enterrement de la vie de célibataire
comme lieu symbolique de la possibilité de ce refus de l’union au profit de la logique de développement individuel ?
-
Les interprétations sont conduites en termes de manque. On décrit les mariés comme des adultes qui ne souhaitent que faire
la fête. Pourtant, le mariage est aussi l’occasion d’un rapport de force entre générations et entre familles : peut-on parler de
dédramatisation ? Segalen évoquant ce rapport de forces entre générations le résout par des considérations de force
statutaire relative : dans qle mesure sont-ils en position d’imposer leur vision des choses ? On touche ici au postulat le plus
problématique : ce sont les conjoints qui contrôlent le mariage du fait de leur autonomie. Or de là il est difficile
d’interpréter ce qui érode cette autonomie, sinon la pure contrainte économique du financement du mariage, ce qui est une
interprétation réductrice et discutable. Cela aboutit à différencier statutairement les mariés, selon que leurs ressources
statutaires leur permettent ou pas de se présenter comme « adultes » dans la négociation des modalités du mariage.
L’interprétation a donc des implications discriminantes puisqu’elle à considérer que soit l’individu est achevé et impose sa
définition du mariage, soit qu’il est inachevé et reste un être sous tutelle. Le refus théorique du mariage comme passage est
cohérent avec cette position qui considère que le passage s’opère dans une autre sphère. La thèse de l’individualisation
ainsi interprétée exclut le mariage comme rite, donc ses dimensions collectifs, dès lors que pour être conforme aux attentes
il faut être totalement acteur de son mariage. Or, en tant que doublement arrimé à la communauté et aux familles, le
mariage ne doit-il pas être considéré comme un passage ?
Il faut donc se garder d’interprétation les mariages contemporains comme des répliques inversées des formes
traditionnelles, donc en particulier de poser que les enfants remplacent les parents dans le rôle de codification de la
définition du mariage. Pour cela, il faut conjoindre la dimension festive et la ritualisation du passage matrimonial
dans des formes nouvelles, non traditionnelles, qui rappellent et activent des liaisons sociales.
Le mariage comme source d’effets de déconstruction sociale de la réalité :
Berger / Kellner, Le mariage et la construction de la réalité, Dialogue, 1988 : donne une définition idéal-typique du
mariage dans les 60’, moment où la conjugalité implique le mariage. « Le mariage, dans notre société, est un acte
dramatique dans lequel deux étrangers se rencontrent et se redéfinissent »Les mariés sont « étrangers » car à la
différence des sociétés traditionnelles ils ne sont pas unis par un passé commun transgénérationnel, ils s’unissent sur
la base de relations interpersonnelles partagées. « Notre société est généralement exogame en ce qui concerne les
relations nomiques ». Dans ce contexte, le mariage est saisi comme impliquant une « rupture nomique « , quand bien
même les mariés se pensent dans la continuité de ce qu’ils étaient, ne ressentent pas les modifications normatives et
identitaires induites par la vie conjugale. Le mariage est une construction sociale de la réalité fournissant aux
individus la médiation actualisée leur permettant de faire du monde « leur » monde, c'est-à-dire de se l’approprier
identitairement de manière stable. Cette construction appelle la validation de groupes adjacents, au premier rang
desquels la famille et les amis. Cette validation effectuée les conjoints deviennent l’un pour l’autre les autruis
significatifs primordiaux.
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L’analyse de B et Culture reste actuelle, même s’il faut prendre en compte que la cohabitation devenant la norme, les
conjoints peuvent plus difficilement être considérés comme des étrangers, ils sont déjà l’un pour l’autre l’ « autre par
excellence ». Les acteurs du mariage « sont déjà précédés par leurs ombres conjugales », la redéfinition des relations
significatives a déjà été opérée. Mais si la rupture nomique ne garde pas le même sens, elle n’est pas pour autant
effacée. En mettant les relations de chacun en contact, le mariage rappelle aux conjoints qu’ils furent des étrangers,
mise à jour potentiellement déstabilisante. « Les affiliations anciennes peuvent agir comme un boomerang identitaire
par l’entremise de la confrontation de cercles relationnels distincts. Se profile alors la possibilité d’une déconstruction
sociale de la réalité impliquant moins un anéantissement qu’une déstabilisation de l’ordre conjugal préétabli ».
L’obsession de la fête réussie se comprend alors comme tentative de contrôle du risque identitaire. La fête réussie
prend alors le sens quasi-divinatoire de conjuration de la possibilité de l’échec du mariage.
Le mariage comme concurrence :
De façon idéal-typique on considérera que l’acteur qui se marie cherche à maximiser sa satisfaction personnelle mais
sous contrainte relationnelles spécifiques : contraintes familiales, contraintes conjugales, contraintes liées aux pairs.
L’individu cherche à réassurer les relations qui lui procurent un soutien identitaire. Il cherche à ajuster ses
préférences individuelles et ces pressions relationnelles. Ce sont moins des ressources monétaires que relationnelles
qui sont mobilisées dans le mariage. C’est pourquoi le financement par les parents n’est pas la contrainte
primordiale : le financement parental n’implique pas nécessairement un sentiment d’hétéronomie. Le mariage offre
alors un cas de concurrence organisée entre groupes habituellement séparés. Dans le mariage communautaire, les
différents cercles sociaux partageaient tout au moins un cadre culturel et normatif. Ce n’est plus forcément le cas dans
le mariage contemporain. Il faut donc le saisir comme concurrence pour l’affirmation de sous-groupes concurrents.
Les mariés doivent donc négocier (au double sens de tractation et d’approximation pratique) une définition acceptable
de leur mariage, et par là secondairement une définition d’eux-mêmes. Le mariage peut donc aussi bien conforter que
déstabiliser le regard porté sur soi et la définition de soi afférente.
L’efficacité symbolique du mariage :
On accède ainsi à une autre interprétation des mariages contemporains ; l’épreuve identitaire n’a pas de raison
d’exclure la réactivation de traits rituels traditionnels, l’important étant de saisir à qles conditions le mariageévénement peut former une ressource d’identité et d’ajustement avec les groupes qui soutiennent l’identité des mariés
en particulier. C’est dans cette perspective que le mariage continue de marquer un passage, comme moment
particulier d’articulation de l’autonomie des individus et de leur encastrement dans un univers de soutien identitaire.
Le blues de la mariée :
Il se comprend en référence à l’attente de confirmation des liens, même si elle est souvent déniée par les acteurs. Le
mariage est potentiellement déstabilisant car il est une forme d’auto-évaluation.
Recomposer le sens du lien de filiation. De l’individualisme éthique
au processus d’individualisation (V. Cicchelli)
Généalogies de l’individualisme : problèmes de méthode :
Jusqu'où faire remonter l’individualisme ? C’est un exercice un peu vain que la recherche des origines : Cf. Elias.
Cependant, si l’on comprend qu’il ne s’agit pas de trouver le passage où l’individu hors du monde passe au centre du
monde, la généalogie de l’individualisme garde un intérêt : il s’agit alors de dégager la façon dont au cours du temps
cette valeur s’est combinée avec des valeurs opposées. La genèse de l’individualisme, ce n’est pas l’histoire d’une
conquête qui laisserait les autres valeurs au bord de la route.
Individualisme, individualisation : Dumont : idée d’hybridation des valeurs. Il est malaisé de qualifier
l’individualisme de moderne et le holisme de traditionnel, il faut plutôt regarder comment l’individualisme induit une
remodelage des valeurs holistes ; le holisme appartient aussi à la modernité, il faut comprendre comment il a été
reformulé pour donner naissance à une configuration de valeurs sui generis, tout comme les éléments de culture
individualiste font appel à des éléments holistes pour être opérationnels. FDS : comment atteindre son identité
présuppose un travail relationnel impliquant les proches ; Taylor : la fidélité à soi présuppose un horizon de sens
partagé qui transcende l’individu et implique autrui. L’individualisme se comprend alors comme processus de
recomposition du sens du rapport entre individu et institution. Ici exemple des rapports entre parents et enfants
étudiants.
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Des querelles anciennes sur les effets de l’individualisme éthique sur le lien de
filiation :
Les affres de l’individualisme éthique : Trois raisons chez les socgs classiques de se pencher sur la famille pour
comprendre le développement de l’individualisme : 1) la famille cstuait le pilier d’un monde disparu fondé sur la
transmission de la propriété 2) est-ce que la nouvelle famille conjugale peut continuer de structurer le lien social ? 3)
opposition de la primauté du lien familial sur l’anthropologie individualiste, qui est celle d’une philosophie politique
contractualiste et d’une philosophie politique communautariste. La question sous-jacente : comment la nouvelle
société horizontale, fraternelle et égalitaire, par opposition à une société patriarcale, verticale et autoritaire, peut-elle
se maintenir ?
On peut distribuer les positions selon que les auteurs considèrent que le changement porte une potentialité de
décadence ou qu’ils se servent du développement de l’individualisme comme un paradigme herméneutique du
changement social.
La crainte de la fin de l’autorité et de l’éloignement des générations : Bonald, Démonstration philosophique du
principe constitutif de la société (1830) ; congruence fondamentale entre ordre familial, ordre politique monarchique
et ordre cosmique. Il existe donc des pouvoirs absolus : du monarque, du père. Pas d’harmonie sans respect de ces
principes architectoniques.
Ces idées influencent Le Play, même s’il est abusif d’affirmer avec Nisbet qu’il ne fait « qu’exprimer en termes
scientifiques les idées formulées par Bonald ». Son objectif est de formuler la forme familiale adéquate à la stabilité
sociale dans une société industrielle. La solution est un mixte de tradition et de modernité : la « famille-souche », par
différence avec la famille patriarcale et la famille instable. La commune résidence des générations est source de
continuité du nom et de la propriété, les aspirations individuelles restant secondaires par rapport au souci du groupe.
Mais empiriquement, il déplore la montée en puissance de la famille instable, source de souffrance individuelle et
collective. Donc il faut renforcer les autorités tutélaires, assurer au père une autorité qui apprendra à l’enfant l’amour
de l’ordre, l’obéissance…
La découverte d’une nouvelle gestion des sentiments entre parents et enfants : Tocquevile inaugure une autre
tradition. L’individualisme a rapproché les générations sans les confondre et a développé l’affection de parents à
enfants. Le facteur déterminant est la transformation du régime successoral : quand la transmission est indivise, la
famille se confond avec la possession de la terre qui garantit sa perpétuation ; quand elle ne l’est plus la chaîne des
générations disparaît des esprits, « on songe à l’établissement de la génération qui va suivre et rien de plus ». dans les
sociétés démocratiques, le jugement personnel remplace la tradition comme guide de la conduite. A une autorité
paternelle formelle et légale se substitue une relation fondée sur les sentiments.
Pour lui comme pour Durkheim, l’individualisme est au fondement de l’avènement de la famille conjugale. Là où le
communisme domestique domine, l’individu n’a pas d’existence propre, mais dans la famille conjugale, « chacun de
ses membres qui la composent à son individualité, sa sphère d’action propre » (La famille conjugale), y compris
l’enfant, sur lequel le père a des droits correctionnels limités. L’enfant acquiert une identité propre en s’émancipant
du père. « La solidarité domestique devient toute personnelle. Nous sommes attachés à notre famille parce que nous
sommes attachés à la personne de notre père, de notre mère, de notre femme, de nos enfants ». L’autorité de droit n’a
plus de sens dans les sociétés modernes : « il faut des raisons à ma raison pour qu’elle s’incline devant celle d’autrui.
Le respect de l’autorité n’a rien d’incompatible avec le rationalisme pourvu que l’autorité soit fondée
rationnellement » (L’individualisme et les intellectuels, in La science sociale et l’action). Mais Durkheim émet tout
aussi bien des réserves sur l’individualisme, quant à ses capacités à socialiser l’individu notamment ; la famille
conjugale serait un horizon étroit de socialisation, c’est pourquoi à la recherche d’un groupe de son plus large
Durkheim s’exprimera en faveur du groupe socioprofessionnel (DTS). A la différence de Tocquqeville pour qui
l’individualisme est potentiellement destructeur de l’ordre public, chez Durkheim ce sont ses effets sur la vertu
intégratrice de la famille qui est en jeu.
Fustel de Coulanges : La cité antique : a mis dans une position centrale dans les débats intellectuels la figure du
paterfamilias romain ; on comprend qu’en référence à ce modèle les pères du 19ème apparaissent bien faibles.
L’individualisation du lien de filiation :
Considérer avec cette seconde tradition l’individualisme comme une source de recomposition du sens du lien de
filiation permet d’éviter deux écueils 1) écarter les discours sur la démission parentale et la juvénilisation de la
société 2) assimiler individualisation, isolement, désolidarisation sans nier la profonde reformulation des valeurs
holistes qu’il induit. Pour montrer comment l’individualisation induit une reformulation des rapports entre
générations, il faut montrer comment ces liens changent avec les étapes de l’individualisation de l’enfant, en
surpassant la difficulté théorique venant du fait que plus les interactions s’individualisent, moins l’unité d’observation
peut être réduite à l’acteur isolé (goffmanien). Donc comprendre l’individualisation par rapport aux formes concrètes
des dépendances qui lient les acteurs familiaux.
Derrière la construction et la redéfinition des interdépendances : soi moral et soi humanitaire : Les études
supérieures sont une période où est recherchée une définition de soi moins dépendante des parents par la demande
d’une indépendance financière et résidentielle et d’un auto-gouvernement de soi (Cf. Libres ensemble). Ce terrain
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permet de mettre à l’épreuve les mécanismes de l’individualisation. Etude de la façon dont les parents établissent les
clauses du contrat de cette période, comment les étudiants y réagissent, la façon dont ces clauses sont reformulés.
Les soi humanitaire est celui qui prend directement en compte autrui dans les principes générateurs de son
comportement ; le principe fondamental est que chacun entend répondre de ses engagements et attend des autres une
règle similaire. Une seconde forme de reconnaissance réclamée par les individus est celle de leur humanité profonde
par leurs autruis significatifs. « Les interdépendances se tissant par cette double reconnaissance supposent donc le
respect d’un individu abstrait et concret ».
Les ressorts des échanges entre générations : Les parents n’oint pas renoncé à édicter des règles ; la règle d’échange
implicite pour les étudiants est financement contre application et résultats scolaires. La circulation des ressources
financières est donc un ressort de l’inculcation de la responsabilité. Bref, plus les jeunes continuent d’être dépendants,
plus ils doivent exhiber les signes de la maturité. A contrario les comportements d’assisté, de rentier signent pour les
parents l’échec de leur rôle pédagogique, donc une blessure identitaire (ils se croient purement instrumentalisés). Les
parents demandent à être, respectés comme des personnes à part entière, pas seulement comme des pourvoyeurs de
ressources.
Les étudiants se rapportent à cette norme de façon concrète dans leur comportement. Exprimer sa gêne ou sa
satisfaction à être pris en charge dépend d’une double évaluation, des montants qu’ils reçoivent et de l’approbation
parentale de l’usage qu’ils en font. La désapprobation parentale peut originer un malaise identitaire quand ils restent
dépendants des parents pour leur définition de soi (quand ils sont indépendants de ce point de vue ils s’en foutent
positivement).
Vers une égale dignité des parents et des jeunes adultes : Cette notion a le mérite de permettre de penser à la fois
l’asymétrie de statuts et les efforts pour la dépasser. L’objectif n’est pas d’accéder à une égalité juridique formelle
mais à une égalité dans l’estime que chacun doit à l’autre. Dans les sociétés démocratiques il existe des politiques de
dignité basée sur cette idée d’égale dignité à opérationnaliser, par opposition à une politique de l’honneur qui renvoie
à une hiérarchie des statuts (Taylor). Chacun reconnaît la place de l’autre à condition qu’elle ait été négociée. Ici on
peut évoquer les nouveaux sens des termes autorité et confiance. Les parents abandonnent une position de juge pour
démontrer que l’autorité se fonde sur l’attention portée à autrui. L’autorité doit sécuriser sans étouffer. D'autre part
l’objectif des enfants est d’obtenir une confiance comme gage de la reconnaissance de leur humanité. Les un veulent
être dignes de la confiance, les autres dignes de l’autorité.
Conclusion : il faut considérer la dynamique des liens de filiation comme une configuration originale de valeurs
holistes et de valeurs individualistes. Les valeurs individualistes ont tellement remanié les valeurs holistes que cellesci ne peuvent plus apparaître à l’état pur. Comme principes, les échanges intergénérationnels renvoient à une culture
des droits et libertés personnels comme produits de l’individualisme éthique. En tant que pratiques, ilos renvoient au
processus d’individualisation qui consiste à découvrir la nature profonde de soi et de l’autre derrière les règles.
Derrière les normes familiales, il y a donc des soubassements affectifs et moraux, parce que le souci de soi et le souci
de l’autre sont profondément intriqués.
L’individualisme dans la culture suédoise. La récupération du privé
par la sphère publique (M. Jarvin)
Suède offre deux images : d'une part, celle d’un peuple marqué par un fort esprit collectif, et les modalités concrètes
qu’il prend : le dessaisissement par l’état des fonctions de solidarité traditionnellement dévolues à la famille et aux
réseaux personnels ; d'autre part, une société individualiste avec peu d’interactions sociales, où l’individu est source
de ses choix.
Ici on va éclairer le versant individualiste à travers les processus d’autonomisation et d’émancipation des jeunes par
rapport au foyer familial. Ces principes de responsabilité et d’autonomie sont inculqués par la famille elle-même,
l’école et l’éducation civique.
Participation de l’Etat-providence à l’émancipation par rapport à la famille1 :
Le soutien financier : les inégalités de distribution des ressources se traduisent en inégalités de capacité d’action ; le
rôle du Caring State est de réguler cette injustice. En Suède, bien que légitime, cette politique de redistribution prend
des allures de contrainte pour les plus aisés, qui financent le système.
Une bonne partie de la politique sociale suédoise vise à subvenir aux besoins des enfants ayant dépassé la limite
obligatoire d’âge de scolarité, afin d’en enlever la charge aux familles. Des allocations d’étude sont données à tous,
sans prise en compte de critères sociaux, et les études supérieures sont gratuites (bref tous les Suédois sont
normaliens).
1
Pourra servir d’exemple aux thèses de Schultheis, par exemple telles que reprises dans La femme seule et le Prince
charmant.
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C’est ici qu’un premier glissement de la sphère familiale à la sphère sociale peut être observé. Ce que cherche à
supprimer l’Etat-providence suédois est la dépendance envers les proches, non seulement dans une perspective
d’autonomie individuelle, mais de justice sociale : les possibilités d’aide par les proches sont inégalement distribuées.
Pour certains jeunes, le recours à l’aide familiale est en outre vécu comme une défaite personnelle, comme un
manque de responsabilité et d’autonomie. Ces réactions renvoient à une culture qui trouve dans l’individu son point
d’ancrage primordial – même si (conformément au principe méthodologique posé ci-dessus par Cicchelli) toute
culture, y compris la culture suédoise, associe des valeurs individualistes et des valeurs holistes, parfois de manière
non séparable. L’idéologie suédoise souligne la subordination des configurations sociales à l’individu et à son
intégrité. Les politiques de soutien de l’autonomie de l’Etat-providence sont une application de cette idéologie.
Cependant, ceci implique d’avoir recours à l’Etat-providence, ce qui peut être vu comme une récupération de la
sphère privée par la sphère publique.
L’encouragement à l’indépendance : l’idée d’intégrité personnelle est formulée comme droit absolu à jouir de son
libre-arbitre. L’éducation renforce consciemment ce sentiment d’intégrité personnelle. Un enfant de plus 12 ans a le
droit de choisir chez lequel de ses parents divorcés il vivra. Encouragement au sentiment de responsabilité.
Cependant, cet esprit individualiste peut aller jusqu'à mettre entre parenthèses la famille ; à la limite on considère que
l’état a ultimement la charge des enfants. Au début du siècle dernier avait été mis en place sur grande échelle une
politique de retrait des enfants à leur famille indigne. De même aujourd'hui l’école ne fait pas référence à la famille
dans son ambition de socialiser l’enfant à la responsabilité.
L’autonomisation du jeune encouragée par la famille :
Les principes de l’éducation et de l’enseignement : l’autorité et la hiérarchie sont des valeurs désuètes. On voit dans
la rébellion des jeunes l’expression positive de leur socialisation à l’indépendance. On considère que le choix des
études est un choix personnel de l’enfant.
Un 3ème élément joue de manière centrale dans cette culture individualiste : le sentiment de culpabilité (!). l’intégrité
personnelle est un sentiment ressenti intimement, sans médiation du groupe d’appartenance ; cela suppose le
développement d’une compétence psychologique d’introspection, qui est aussi à l’oeuvre dans le sentiment de
culpabilité (enfin c’est ce qu’elle a l’air de vouloir dire).
Mais si l’autonomisation des jeunes est reconnue, comme condition de leur intégration harmonieuse à la société, elle
reste discutée. On se demande si cette quête d’indépendance ne sape pas le lien entre les générations.
La privatisation des relations familiales : Famille recomposée. En dépit de l’individualisation, cela ne rime pas avec
famille dissoute ; c’est aussi l’occasion d’un développement sur des bases plus électives des relations familiales et des
moments de cette relation (là ça sent un peu l’idéologie des « moments rares mais tellement intenses »). C’est ainsi
que l’on peut parler de privatisation des relations familiales, au sens où elles ne dérivent plus de contraintes
premières, mais plutôt d’un choix volontaire.
Conclusion : l’exemple suédois incite à penser qu’une culture individualiste mène à des relations plus libres et
volontaires avec les proches ; ces liens sont cependant bien sûr conditionnés par une atmosphère familiale
satisfaisante.
Le paradoxe est celui de la conciliation de « l’esprit collectiviste » et de la notion d’individualisme. L’Etatprovidence offre aux individus de s’émanciper de l’appartenance familiale, mais en retour l’individu devient plus
dépendant de l’Etat-providence ; cette alliance, c’est « le sang et la race » du modèle suédois.
Une jeunesse en quête de sens (G Bajoit)
Jeunesse comme modalité particulière de la tension entre exigences sociales et exigences de l’épanouissement
personnel, donc il y a chez les jeunes développement d’une logique de sujet particulière basée sur la capacité à gérer
cette tension. Mais en même temps l’univers culturel où ils sont susceptibles de puiser leurs références identitaires est
plus incertain, reflet d’un mouvement global de complexification des références culturelles.
Une tension entre l’individu et la société :
Une identité acceptée doit combiner reconnaissance sociale, sentiment d’autoréalisation, cohérence existentielle.
C’est ce sentiment d’harmonie que est devenu difficile à atteindre aujourd'hui. L’accord de soi à soi devient un bien
rare. Il y a là le signe d’une défaillance de la socialisation comme mode de production des subjectivités : il y a un
divorce entre réussir socialement et réussir tout court. Le message que la société envoie aux jeunes est « tout est
permis rien n’est possible ». D'un côté la légitimité de la compétition appelle au choix, à la liberté, à
l’autoréalisation ; d'un autre côté, les obstacles à la réalisation sont présentés comme grands voire insurmontables. Il
y disharmonie entre valorisation des capacités d’action autonome et repères identitaires susceptibles de stabiliser un
individu autonome. Il faut faire des choix sans guide social.
Agrégation de sciences économiques et sociales / Préparations ENS 2006-2007
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Les visages de l’incertitude :
4 visages de l’incertitude :
-
l’insécurité matérielle, et l’absence de représentation de l’avenir rend inutiles les modèles parentaux
-
un « système » discrédité ; on ne peut plus donc se servir des institutions qu’en les instrumentalisant
-
un monde de compétition ; quand le pacte de l’Etat-providence se dissout, chacun est seul ; d’où la conviction de
l’universalité du calcul et des intérêts,et réciproquement le repli sur la sphère « expressive », même si le monde familial est
lui-même dgrx.
-
Des « socialisateurs » incertains : que ce soit les références culturelles, les représentations sociales, les rôles sociaux et les
institutions qui les légitiment
→ donc nécessité angoissante du libre-arbitre = Originalité de la structure du risque social aujourd'hui par rapport
périodes précédentes. Bien sûr ensuite les jeunes vivent la tension en fonction de leur différentiel de capitaux.
→ « la société qui les appelle à rêver n’a pas les moyens de réaliser leurs rêves »
les logiques du sujet :
3 grandes conceptions de la réussite dans la vie :
- ceux qui choisissent de faire ce que la société attend d’eux, même s’ils savent que ce n’est pas là la valeur centrale
- ceux qui privilégient l’autoréalisation, même s’ils savent qu’ils risquent l’acccusation d’individualisme
- ceux qui voudraient concilier et échouent.
Chaque dimension comporte des variantes, défensive et offensive. , ce qui recoupe le niveau et la structure des
capitaux.
En croisant vision de la réussite et moyens on obtient deux modes de gestion relationnelle de soi, deux mode de
construction de l’identité personnelle, deux modes d’artculation de l’individuel et du social :
Deux modes de recherche de la reconnaissance sociale :
-
logique de mobilité : accumuler les signes de statut social ; mais les entretiens montrent bien qu’ils ont conscience de faire
l’impasse sur les « valeurs »
-
logique d’intégration : on peut chercher la cohérence dans l’affirmation surconformiste de « valeurs sûres » (renv religieux
comme réponse à une demande de sentiment de sécurité)
Deux modes de recherche de l’autoréalisation personnelle :
-
logique autotélique : fusion d’une logique de vocation et d’une logique d’autonomie personnelle
-
logique hédoniste : par opposition assumée à « ce monde pourri » (à l’époque de Renaud, on faisait le rebelle pour signifier
cela : société tu m’auras pas)
Deux modes de recherche de la consonance existentielle :
-
logique pragmatique
-
logique anomique
→ autant d’éléments qui se combinent dans une logique du sujet comme mode de construction identitaire
De modèles culturels différents :
« Un modèle culturel est un ensemble de principes ultimes de sens qui, dans un temps et en un lieu donné, fondent la
légitimité des pratiques sociales dans les différents champs relationnels qui composent une société ». Les modèles
culturels sont des structures générées et génératrices de repères, bref ils ont leur efficace en tant que « boussoles
sociales ».
On peut renvoyer les logiques du sujet à deux modèles culturels ainsi entendus
Le modèle culturel industriel :
S’y réfèrent les logiques qui privilégient la reconnaissance sociale (logique de mobilité et d’intégration. Pourtant les
jeunes qui y adhèrent regrettent le temps où ce principe d’action sociale était pleinement légitime. Bref ils savent
qu’ils obéissent à un modèle dépassé. De fait l’incertitude transforme les modes de reconnaissance statutaire.
Ce modèle culturel repose sur 5 croyances :
-
croyance au progrès
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-
croyance en la raison
-
croyance au devoir
-
croyance à l’égalité
-
croyance en sa propre universalité (c’est pour ça que c’est un modèle bourgeois).
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Le modèle culturel identitaire :
La réussite est d’abord ne question d’autoréalisation (logiques hédonistes et autotélique). Ce n’est pas qu’une
décomposition du modèle industriel, cela se base aussi sur des principes de sens propres. Tension aussi parce que
l’individualisme reste une valeur culpabilisante.
Principes de sens
-
appel à a qualité de vie reposant sur une vision critique du progrès
-
appel à l’indépendance individuelle fondé sur une vision critique de l’homo democraticus
-
un appel à l’autoréalisation identitaire fondé sur une critique du devoir
-
un appel à l’équité fondé sur une critique de l’égalité comme fondement du pacte social
-
un appel au respect des particularités, fondé sur une critique de l’universalisme (les jeunes d’aujourd'hui sont
heideggeriens)
→ persistance d’un modèle ancien et d’un modèle à la légitimité encore mal assurée
Tensions dans les institutions et la personnalité contemporaine
Chapitre 10 – La maison familiale comme lieu d’expérimentation
identitaire pour le jeune adulte (Elsa Ramos)
Comment les jeunes développent des stratégies de construction et de protection d’espaces personnels qui leur
permettent d’accroître leur marge d’autonomie ? L’espace le plus représentatif est la chambre, mais ce peut être aussi
la maison toute entière quand les parents ne sont pas là, on assiste alors à la transformation d’un « chez soi chez ses
parents » en un « chez soi ». Ce passage met en valeur une dimension importante de la construction de soi qui est
l’usage de l’espace domestique. Les jeunes peuvent alors devenir maîtres de leur rythme de vie, l’analyse de cette
situation permet alors d’approcher le décalage entre deux situations, celle où il faut composer avec les parents et celle
où l’usage du temps est à la guise des jeunes. Cette situation leur permet de tester leur définition du monde dans la
souplesse identitaire permise par cette expérience, ouverte à l’innovation. Cette expérience est centrale pour la
compréhension de la construction identitaire des jeunes adultes cohabitants.
Transformer un « chez soi chez ses parents » en un « chez soi » :
En l’absence des parents le domaine personnel s’étend, à l’opposé d’une organisation de l’espace où le personnel est
concentré dans la chambre. Cela permet aussi l’adoption de rythmes de vie différents. Enfin les pratiques peuvent
s’organiser sans la contrainte de les négocier, c'est-à-dire de gérer l’écart des pratiques avec les normes de la vie
familiale. Ces trois relâchements définissent le chez soi par opposition au chez soi chez ses parents. La disposition
indépendante de l’espace apparaît comme un symbole de toutes les autres formes d’indépendance. L’indépendance
spatiale provisoire signale un accroissement de l‘autonomie.
L’ordre ménager comme stratégie de transformation d’un espace familial en
espace personnel :
Quand la mère n’est plus là pour ranger, c’est « l’injonction » qui prend le relais, c'est-à-dire la construction sociale
qui produit le cadre d’évidence poussant à l’action (en l’occurrence, faire le ménage). La différence est que dans
l’injonction la motivation de l’action n’est plus la contrainte exercée par la mère mais la référence à une définition de
soi comme autonome. Faire le ménage est une façon de s’approprier l’espace, c’est une stratégie de transformation de
l’espace familial en espace personnel.
L’absence d’obligations familiales :
Etablir ses propres règles de vie sans négocier l’écart avec les règles communes. Les obligations familiales font
primer la définition par la filiation sur les autres définitions (par exemple, par le couple) ; par contraposée, cela pose
l’indépendance résidentielle comme condition de la réalisation totale de son identité.
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Difficile d’être soi-même en présence des parents :
On reçoit moins les amis par exemple : difficulté à concilier la définition par la filiation et la définition par le groupe
de pairs. L’une ne peut s’exprimer totalement qu’en dehors de l’autre. Réciproquement, l’absence des parents permet
de recevoir et de mobiliser d’autres faces de l’identité. Les jeunes conjuguent alors l’intense sociabilité propre à leur
groupe avec la sociabilité de réception plus caractéristique de la sociabilité de couple. Ils disposent ainsi d’un espace
de jeu qui leur permet de se mettre en scène dans une situation d’indépendance virtuelle. D'un côté ils reproduisent
lez modèle de l’invitation propre à leurs parents et ils innovent dans la mesure où ils s’adonnent à des tâches pour eux
inhabituelles, donnent un nouveau cadre à leurs relations amicales ou amoureuses. L’utilisation différentielle de
l’espace devient un vecteur d’expérimentation de leur définition d’eux-mêmes : vivre différemment permet de se
vivre différent.
Se différencier : le discours de l’autonomie :
Le repas étant une des obligations familiales centrales, manger à son heure est vécu comme signe d’autonomie.
Les jeunes décrivent la différence en comparant une situation où ils sont « enfants de » et une situation où ils se
donnent leurs propres règles, mettent en pratique leur vision du monde.
les contraintes de la vie quotidienne : le discours de la ressemblance :
Pour mettre en pratique sa vision du monde il faut prendre en charge la quasi-totalité des activités quotidiennes.
L’échappement aux contraintes du réel n’est donc que relatif, il se paye de nouvelles charges. Les contraintes
domestiques établissent donc une sorte de continuité entre la vie solo et la vie familiale. Pour se montrer responsables
il faut reconduire dans ses grandes lignes l’Les contraintes domestiques établissent donc une sorte de continuité entre
la vie solo et la vie familiale. Pour se montrer responsables il faut reconduire dans ses grandes lignes l’hygiène
parentale. Donc leur vie ressemble par certains côtés à celle de leurs parents. Pas de changement radical.
L’ambiguïté des différences :
Malgré le discours de l’autonomie, il n’est pas évident de rester cohérent dans l’affirmation de la différence. Il y a
tension entre deux ordres de réalité : l’idéal d’une vie en solo qui se distinguerait de la vie en famille et les contraintes
de la vie quotidienne qui donnent à la vie solo un goût de déjà-vu. Deux registres de la construction de la réalité : se
projeter dans l’avenir permet de s’individualiser en se distinguant des parents ; les contraintes matérielles qui lissent
la différence. Le travail de construction de soi nécessite une conciliation entre les deux. Si l’on ne peut nier l’héritage
de la socialisation sur ses propres façons de vivre, l’existence d’un soi personnel s’affirme dans le décalage avec le
modèle parental.
Conclusion :
Les jeunes adoptent dans leurs expériences de solo des attitudes qui sont en grande partie les mêmes que quand les
parents sont là. La vie en solo est une situation d’innovation limitée. Les jeunes adultes vont devoir agencer
références familiales et aspirations personnelles tout en les adaptant aux contraintes de la vie quotidienne.
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