Document 1 : La pensée est omniprésente dans les religions chrétiennes, même si elles ont voulu
considérer la magie - sous la qualification de sorcellerie - comme l’attribut des religions païennes ou des
déviances (sorciers et sorcières influencés par le diable.
La croyance à la sorcellerie était étroitement liée au traitement médiéval de la démence.
La Bible dit : «Tu ne laisseras point vivre la magicienne» (Exode XXII, 18). En se basant
sur ce texte et sur d'autres, Wesley soutenait que «ne plus croire à la sorcellerie, c'est ne
plus croire à la Bible». Je pense qu'il avait raison. Tant que les hommes ont cru à la Bible,
ils ont fait de leur mieux pour mettre en pratique ses ordres au sujet des sorcières. Les
chrétiens libéraux de notre temps, qui continuent à soutenir que la Bible a une grande
valeur morale, ont tendance à oublier de tels textes, et les millions de victimes innocentes
qui sont mortes dans les supplices parce que les hommes de jadis réglaient
effectivement leur comportement d'après la Bible. Bertrand Russell (1872 - 1970)
Science et religion, 1935
Document 2 : Une des origines de la magie en tant que besoin : pour faire face à l’adversité du monde.
La magie chasseresse, avec sa croyance à l’enchantement, est la racine de toute
philosophie et de toute religion. C’est là qu’est sa signification pour l’évolution de la
pensée humaine. Elle est plus ancienne que toute forme du culte des ancêtres et de
croyance aux esprits, et, par cela, sans doute la plus antique expression du sentiment
religieux. Le sens de toute magie étant la domination des forces secrètes de la nature, la
signification de son expression supéropaléolithique était la volonté d’acquérir une
emprise sur l’animal, dont dépendait l’existence pénible de la communauté.
Kurt Lindner (1906 - 1987)
La chasse préhistorique
Document 3 : La pensée magique n’est pas une pensée “irrationnelle”, c’est une pensée rationnelle
construite à partir de prédicat faux.
La magie se relie aux sciences, de la même façon qu’aux techniques. Elle n’est pas
seulement un art pratique, elle est aussi un trésor d’idées. Elle attache une importance
extrême à la connaissance et celle-ci est un des ses principaux ressorts ; en effet, nous
avons vu, à maintes reprises, que, pour elle, savoir c’est pouvoir. Mais, tandis que la
religion, par ses éléments intellectuels, tend vers la métaphysique, ma magie que nous
avons dépeinte plus éprise du concret, s’attache à connaître la nature. Elle constitue, très
vite, une sorte d’index des plantes, des métaux, des phénomènes, des êtres en général,
un premier répertoire des sciences astronomiques, physiques et naturelles. [...]
Dans les sociétés primitives, seuls, les sorciers ont eu le loisir de faire des observations
sur la nature et d’y réfléchir ou d’y rêver. Ils le firent par fonction. On peut croire que c’est
aussi dans les écoles de magiciens que se sont constituées une tradition scientifique et
une méthode d’éducation intellectuelle. [...]
Si éloignés que nous pensions être de la magie, nous en sommes encore mal dégagés.
Par exemple, les idées de chance et de malchance, de quintessence, qui nous sont
encore familières, sont bien proches de l’idée de la magie elle-même. Ni les techniques,
ni les sciences, ni même les principes directeurs de notre raison ne sont encore lavés de
leur tache originelle. Il n’est pas téméraire de penser que, pour une bonne part, tout ce
que les notions de force, de cause, de fin, de substance ont encore de non positif, de
mystique et de poétique, tient aux vieilles habitudes d’esprit dont est née la magie et dont
l’esprit humain est lent à se défaire.
Ainsi, nous pensons trouver à l’origine de la magie la forme première des représentations
collectives qui sont devenues depuis les fondement de l’entendement individuel.
Marcel Mauss (1872 - 1950)
Sociologie et Anthropologie, 1950
Association ALDÉRAN © - Conférence 1600-023 : “La pensée magique, pensée primaire de l’homme” - 17/05/1995 - page 5