Changer d’avenir par les territoires I. Le territoire : monstre à deux têtes ? - La première met en avant un territoire comme un espace de concurrence généralisée, une sorte de plate-forme off-shore de la mondialisation : une telle conception correspond au développement de la financiarisation de l’économie dans les années 80 et 90, véhiculant des « valeurs » de court terme, de rentabilité financière, de généralisation de la concurrence à toutes les activités de la Société. Dans ce cas, le territoire n’est plus qu’un prétexte à la mondialisation et se vide de sa substance, se désagrège jusqu’à être épuisé et donc délaissé par une mondialisation en recherche de compétitivité. - La seconde consiste à considérer le territoire (quel qu’il soit, bassin d’emploi, agglomération, région, etc.) comme un espace collectif, complexe, qui se construit ; l’accent est alors mis sur la prise en compte de la diversité des acteurs, la coopération entre ces derniers, une prise en compte du long terme. Ici, les valeurs humanistes peuvent constituer un formidable levier de développement pour tous. Le territoire se présente ici face à la mondialisation, non plus comme un terrain de jeu, mais comme un partenaire qui a ses propres spécificités et atouts, tout en étant capable de les défendre et de les valoriser dans une logique de mondialisation positive qui ne renie pas les hommes sur lesquels elle s’appuie. Le choix par un territoire de la première conception le conduit à des comportements de soumission aux forces de la mondialisation et en particulier aux stratégies d’implantation des grands groupes mondiaux ; le choix de la seconde conduit un territoire à de donner les moyens, dans un environnement ouvert, à maîtriser son développement : territoire passif contre territoire projet. Dans la plupart des pays européens, les territoires ont acquis une expérience réelle depuis plus de deux décennies et les pouvoirs-publics progressent dans la territorialisation des politiques publiques. Au-delà de l’intérêt humaniste des territoires, c’est leur pertinence économique qui est démontrée. II. Le territoire dans l’économie mondiale : l’un des quatre leviers de développement Nous pouvons considérer que l’économie mondiale s’est organisée progressivement, ces dernières décennies, autour de quatre échiquiers : • Un échiquier mondial, où les acteurs sont les grands groupes internationaux (dont les échanges inter-filiales constituent près de 60% du commerce mondial), les organisations internationales (FMI, OMC, Banque mondiale, BIT, etc.) qui tentent de donner un cadre à l’économie mondiale, sachant que la dérégulation de la sphère financière a favorisé le développement des flux issus de la criminalité économique • Un second concernant les grandes zones économiques, plus ou moins intégrées : Union européenne (la plus intégrée), Alena, Asie du sud-est le moins intégrée. Ces zones se constituent de par les échanges entre pays de proximité. Ainsi, les pays européens réalisent en moyenne plus de 60% de leurs échanges commerciaux au sein de la zone européenne. • L’échiquier des Etats : ceux-ci développent des stratégies d’intérêt national, fondées en grande partie sur des politiques de recherche, d’éducation, d’innovation, d’orientation de leurs spécialisations industrielles respectives, de commercialisation. Et ce, aussi bien dans les pays développés (Allemagne, Japon, pays scandinaves, Etats-Unis, Corée du sud par exemple), qu’au sein des pays émergents comme la Chine ou le Brésil. On notera que face à la bipolarisation qui s’annonce entre la Chine et les Etats-Unis, une Europe forte à tout intérêt à se montrer solidaire pour jouer tantôt un rôle d’arbitre, tantôt un rôle de troisième voie. Rappelons que l’Union européenne est en 2011 la première puissance économique mondiale avec 25 % du PIB mondial. • Enfin, l’échiquier territorial, qui se constitue depuis plusieurs décennies au sein des pays industrialisés par exemple ; les acteurs territoriaux deviennent des acteurs à part entière du développement économique. C’est à ce niveau que se jouent en grande partie l’encrage des entreprises, les coopérations entre acteurs, les relations rechercheentreprises, la qualité de vie, l’organisation du marché du travail, etc. Chacun de ses quatre échiquiers, pour son propre développement, a besoin de tisser des liens avec les autres. Les territoires doivent nécessairement prendre en compte leur environnement, les stratégies des acteurs, l’influence des forces à l’œuvre. III. Les territoires seront incontournables dans le développement économique Les territoires constituent les laboratoires de l’indispensable transition d’une économie de la quantité qui a marqué nos économies ces cinquante dernières années, vers une économie de la qualité et des services rendus. La nécessaire réindustrialisation dans une perspective de développement durable passe à la fois par l’innovation dans les activités matures (automobile, agroalimentaire, biens d’équipement, etc.) et le développement de nouvelles activités (santé, mobilité, urbanisme, éducation, information, etc.). Pour cela la constitution de réseaux productifs (industrie et services liés), d’écosystèmes innovants, de renouvellement de notre tissu productif, des relations plus équilibrées entre grandes entreprises et PME se jouent largement à l’échelle des territoires. L’agir ensemble est désormais au cœur de la performance des entreprises et du développement durable des territoires. De plus en plus, les entreprises iront là où les personnes veulent vivre. Le binôme agglomération/région est une clé fondamentale du développement des territoires, en combinant leurs actions de l’amont vers l’aval : recherche, formation, innovation, accompagnement des entreprises. Bien entendu, une relation de confiance entre l’Etat, les entreprises et les territoires est indispensable. En conclusion, le développement des territoires peut contribuer, notamment en France, mais aussi dans de nombreux pays, à résoudre trois maux qui pénalisent le développement de nos sociétés : • Une oligarchie suffisante, auto-satisfaite et conformiste qui capte les lieux de pouvoir ; • Un système trop centralisé qui produit de la procédure, faisant de l’inflation législative un cache misère du renouvellement des idées qui lui fait défaut ; • Une distance grandissante entre le système politico-administratif et la société qui crée une fracture dans le projet commun que doit porter une nation. Jean Louis LEVET