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Les plantes exotiques envahissantes
tiques envahissantes, ou invasives, des espèces introduites par l’homme,
volontairement ou non, sur un territoire où elles n’existaient pas, pro-
duisant souvent de nombreux descendants fertiles pouvant être disper-
sés à des distances considérables des pieds mères, avec la capacité de
recouvrir de grandes surfaces et de menacer les plantes indigènes et leurs
habitats (Richardson et al., 2000).
Nous discuterons ici les activités humaines à l’origine de l’introduc-
tion de plantes dans de nombreux pays, puis les mécanismes aboutissant
à une invasion. Nous verrons ensuite les conséquences de cette dernière
sur la biodiversité, et enfin les moyens de lutte et les frontières de la
connaissance en écologie des invasions.
COMMENT UNE PLANTE EST-ELLE INTRODUITE?
Les activités humaines jouent un rôle crucial dans l’introduction et la
dispersion des plantes. Les introductions sont pour la plupart volon-
taires, mais certaines espèces franchissent clandestinement les frontières
et empruntent des chemins insoupçonnés. Selon son intérêt, ornemental,
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médicinal ou agricole, une plante va être propagée plus ou moins rapi-
dement, l’homme étant le vecteur le plus efficace pour rompre l’isolement
géographique.
Les plantes ornementales, beautés fatales
Le marché des plantes ornementales est actuellement la source la plus
importante d’introduction de belles créatures parfois envahissantes.
L’industrie végétale, aujourd’hui en pleine expansion, propose à travers
les hypermarchés, les jardineries et les pépinières un choix considérable
d’espèces, variétés ou cultivars, sans se soucier du potentiel invasif que
présentent certaines d’entre elles. Ce commerce vert entraîne des flux de
plantes venant des quatre coins du monde; des milliers d’espèces, avec
ou sans fleurs, sont introduites officiellement, en vertu d’un fâcheux
libre-échange dicté par l’Organisation mondiale du commerce. Il est facile
de commander et de recevoir par Internet des graines en provenance du
Japon, d’Australie, d’Amérique ou d’Afrique. En Europe, aucune loi n’em-
pêche la circulation de graines par colis postal. Peut-être avez-vous déjà
ramené de vos voyages, pour votre jardin, des fruits, des graines ou des
boutures? Chez combien de passionnés de plantes succulentes, palmiers,
bambous ou orchidées, ce geste est-il devenu une obsession ? Mimosa,
buddleia, berce du Caucase, herbe de la pampa, rhododendron, griffe de
sorcière en Europe, Cryptostegia, Thunbergia, tamaris ou troène en
Australie, chèvrefeuille, clématite vigne blanche, genêt à balai ou passi-
flore-banane en Nouvelle-Zélande, lantana, jacinthe d’eau, tulipier du
Gabon, longose dans les régions tropicales: toutes ces espèces sont deve-
nues des «beautés fatales» dans leur pays d’introduction.
L’agriculture, source d’introductions
La diversification agricole a entraîné la culture à grande échelle de
nombreuses plantes introduites à valeur économique ; débarrassées de
leurs ennemis naturels, elles fournissent des récoltes rentables. Certaines
d’entre elles, devenant prolifiques, échappent à la domestication, enva-
hissent les espaces naturels et menacent la survie des plantes indigènes.
Les Légumineuses fourragères ou antiérosives détiennent le record du
nombre d’espèces envahissantes. Des paysages évoquant la Bretagne,
dominés par l’ajonc d’Europe, Ulex europaeus, sont apparus en Amérique,
en Afrique, à la Réunion, en Asie, en Indonésie, en Australie, en
Nouvelle-Zélande et au Japon. Dans les années 1930, le service américain
de protection des sols a multiplié et vendu aux agriculteurs des millions
Histoire des invasions
et mondialisation
« The history of weed is
the history of man. »
Anderson (1952)
La dérive des continents et les
barrières géographiques – océans,
lacs, montagnes, déserts, îles –
ont permis, au cours de l’évolu-
tion, l’apparition et la diversifica-
tion des espèces. La mondialisa-
tion actuelle, avec les échanges
internationaux et les introductions
multiples de plantes, entraîne une
sorte d’évolution inversée ou de
dérive des continents à rebours.
Des espèces éloignées les unes
des autres pendant des millions
d’années se trouvent à nouveau
réunies. Ces rapprochements
subits des flores ne sont pas sans
conséquences: les barrières étant
rompues, les espèces les plus
compétitives déploient leurs stra-
tégies d’établissement et colonisent,
avec l’aide de l’homme, de nou-
veaux territoires. Pour survivre, de
nombreuses espèces indigènes se
réfugient dans des sanctuaires de
végétation originelle ou, ne pou-
vant résister à l’envahisseur, elles
disparaissent.
Au cours de l’évolution, «toutes
les espèces sont ou ont été des
envahisseurs à un moment de leur
histoire» (Gouyon et al., 1989).
Nous connaissons mal les paléo-
invasions, mais il est certain que
les invasions biologiques sont
naturelles et ont toujours existé. Si
le tamarin des Hauts, Acacia hete-
rophylla, est endémique de la
Réunion, son ancêtre est arrivé
sur l’île depuis l’Australie, sous la
forme de graines transportées par
un cyclone ou bien par des cou-
rants marins; sur les hauteurs de
l’île, les graines ont pu germer,
puis se différencier en une
nouvelle espèce. Comme de nom-
breux acacias, il a probablement
colonisé d’importants espaces
vierges avant de trouver un
équilibre entre 1200 et 2300 m
d’altitude, où il forme actuelle-
ment une forêt indigène typique.
À l’heure actuelle, le rythme des
migrations de plantes assistées par
l’homme s’accélère et celui des
invasions aussi. À la Réunion,
avant l’arrivée de l’homme il y a
300 ans, un genre s’installait tous
les 5000 à 6000 ans, et la radia-
tion évolutive des genres a produit
833 espèces indigènes. Le taux
d’introduction actuel est 50000 à
60000 fois plus rapide.