La pollution atmosphe´rique, cause de cancer bronchique

La pollution atmosphe
´rique, cause de cancer
bronchique ?
§
Air pollution, a cause of lung cancer?
Se
´rie « Pollution exte
´rieure » coordonne
´e par D. Charpin et
J.-C. Dalphin
J. Tre
´daniel
a,
*,C. Durand
b
, L. Teixeira
c
,L.Staudacher
b
,C.Beuzelin
b
,
J.-L. Jagot
b
,I.Stucker
d
,J.Robert
e
,S.Salmeron
b
a
Service de pneumologie, ho
ˆpital Saint-Joseph, universite
´Paris Descartes, 185, rue Raymond-
Losserand, 75014 Paris, France
b
Service de pneumologie, ho
ˆpital Saint-Joseph, 85, rue Raymond-Losserand, 75014 Paris,
France
c
Service d’oncologie me
´dicale, ho
ˆpital Saint-Antoine, 185, rue du Faubourg-Saint-Antoine,
75011 Paris, France
d
Inserm, UMR-S 1018, e
´quipe 6, e
´pide
´miologie environnementale des cancers, 16, avenue Paul-
Vaillant-Couturier, 94807 Villejuif cedex, France
e
Inserm unite
´916, institut Bergonie
´, universite
´de Bordeaux, 229, cours de l’Argonne, 33076
Bordeaux cedex, France
Disponible en ligne sur
www.sciencedirect.com
Summary
Much has been written about the short-term effects of air pollution on
health. In contrast, long-term effects, which are potentially very
important such as lung cancer, have been addressed in only a few
cohort studies. Long-term effects of air pollution on mortality have
been evaluated in three American and four European prospective
cohort studies. These studies consistently demonstrate associations
between ambient fine particulate air pollution and elevated risks of
both cardiopulmonary and lung cancer mortality. These studies
indicate that diesel exhaust especially contributes to the human
lung cancer burden, with a relative risk estimated to be about 1.5 in
most situations. Although individual health risks of air pollution are
relatively small, the public-health consequences of such exposure
are nevertheless important.
ß2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Keywords: Air pollution, Lung cancer, Diesel exhaust, Epidemiology
Re
´sume
´
Une litte
´rature abondante a e
´te
´consacre
´e aux effets a
`court terme de la
pollution sur la sante
´humaine, mais peu de donne
´es sont disponibles
sur les effets a
`long terme tels que la survenue d’un cancer bronchique.
Les effets sur la mortalite
´par cancer du poumon ont e
´te
´e
´value
´sdansle
cadre de sept e
´tudes prospectives de cohorte, trois ame
´ricaines et quatre
europe
´ennes. Ces travaux mettent en e
´vidence, de fac¸oncohe
´rente, une
association entre l’exposition aux polluants ambiants et des taux e
´leve
´s
de mortalite
´cardiopulmonaire et par cancer bronchique. Ce sont
essentiellement les particules e
´mises par les moteurs diesel qui sont
en cause avec un risque relatif (RR) qui est estime
´autour de 1,5 dans la
plupart des cas. Bien que le risque a
`l’e
´chelon individuel puisse sembler
relativement mode
´re
´, les conse
´quences a
`l’e
´chelle de la population,
dont tous les membres sont plus ou moins expose
´sa
`la pollution, ne
peuvent e
ˆtre ne
´glige
´es et justifient la poursuite des travaux sur ce the
`me
et la prise en compte de ce risque par les pouvoirs publics.
ß2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits re
´serve
´s.
Mots cle
´s:Pollution atmosphe
´rique, Cancer bronchique, E
´manations
diesel, E
´pide
´miologie
§
Ce texte correspond a
`une actualisation de l’article « Pollution atmosphe
´rique et cancer bronchique : donne
´es e
´pide
´miologiques », paru dans la Revue des
maladies respiratoires 2009, 26, nume
´ro 4, pp. 437–45.
*Auteur correspondant.
Environnement
290
1775-8785X/$ - see front matter ß2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits re
´serve
´s.
10.1016/j.admp.2011.02.010 Archives des Maladies Professionnelles et de l’Environnement 2011;72:290-296
© 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 17/02/2016 par Centre Hospitalier de Troyes / IFSI Troyes (446709)
Introduction
Le cancer du poumon est maintenant bien e
´tabli comme e
´tant
le cancer le plus fre
´quemment diagnostique
´dans le monde
(1,35 million de nouveaux cas reconnus en 2002) ; il est
e
´galement le pourvoyeur de la mortalite
´la plus e
´leve
´e
(1,18 million de de
´ce
`s attribue
´s en 2002) [1]. Les donne
´es
europe
´ennes font e
´tat, en 2006, de 386 000 nouveaux cas
de cancer bronchique (soit 12,1 % de l‘ensemble des diagnos-
tics de nouveaux cancers) et de 334 000 de
´ce
`s, ce qui fait
e
´galement du cancer bronchique la premie
`re cause de de
´ce
`s
par cancer en Europe [2]. C’est e
´galement le cancer le plus
meurtrier en France avec pre
`s de 28 900 de
´ce
`s attendus en
2010 ; 36 879 nouveaux cas sont attendus en France en 2010,
soit pre
`s de 10 % de l’ensemble des cancers incidents ce qui
situe le cancer du poumon au quatrie
`me rang des cancers les
plus fre
´quents en France [3]. Le tabagisme actif est univer-
sellement reconnu comme e
´tant le facteur e
´tiologique majeur
de cette tumeur [4] ; depuis 2002, l’Organisation mondiale de
la sante
´, par l’interme
´diaire du Centre international de recher-
che contre le cancer (CIRC), a e
´galement admis le caracte
`re
cance
´roge
`ne pour le poumon de l’exposition passive a
`la
fume
´e de tabac [5].A
`co
ˆte
´du tabagisme, agissant parfois
en synergie avec lui (comme c’est le cas, par exemple, de
l’exposition a
`l’amiante), plusieurs autres causes du cancer
bronchique ont e
´te
´soit admises, soit discute
´es et ont fait
l’objet de revues ge
´ne
´rales re
´centes [6,7].
Parmi ces e
´tiologies possibles, la pollution atmosphe
´rique a
e
´te
´l’une des premie
`res causes envisage
´es [8]. En effet,
lorsque l’e
´pide
´mie de cancer bronchique s’est de
´veloppe
´ea
`
la fin des anne
´es 1940 dans les pays anglo-saxons, il a tre
`s vite
e
´te
´remarque
´que les taux d’incidence de cette tumeur e
´taient
constamment plus e
´leve
´s en zone urbaine par comparaison
aux re
´gions rurales. Ainsi, des gradients ville–campagne ont
rapidement e
´te
´releve
´s au Royaume-Uni, dans les pays scan-
dinaves ainsi qu’aux E
´tats-Unis [9]. Revoyant les e
´tudes
ante
´rieures a
`1990, qu’elles aient e
´te
´effectue
´es en Europe,
au Japon ou en Australie, le CIRC mettait en e
´vidence des
donne
´es cohe
´rentes avec un ratio urbain versus rural allant
jusqu’a
`1,6 chez l’homme et 1,9 chez la femme [10]. Cela,
associe
´a
`la de
´tection de compose
´s cance
´roge
`nes dans
l’atmosphe
`re, constituait un socle solide pour retenir l’hypo-
the
`se d’un ro
ˆle de la pollution dans la gene
`se du cancer du
poumon [11], d’autant que l’exposition a
`la pollution ae
´rienne
ae
´galement e
´te
´relie
´ea
`une e
´le
´vation des scores de mortalite
´
globale [12,13], et notamment d’origine cardiovasculaire [14].
Qu’est ce que la pollution
atmosphe
´rique ?
La pollution atmosphe
´rique a e
´te
´de
´finie par la loi n
o
96-
1236 du 30 de
´cembre 1996 : « constitue une pollution atmos-
phe
´rique l’introduction par l’homme, directement ou indirec-
tement, dans l’atmosphe
`re et les espaces clos, de substances
ayant des conse
´quences pre
´judiciables de nature a
`mettre en
danger la sante
´humaine, a
`nuire aux ressources biologiques
et aux e
´cosyste
`mes, a
`influer sur les changements climati-
ques, a
`de
´te
´riorer les biens mate
´riels, a
`provoquer des nui-
sances olfactives excessives ». Bien que cette de
´finition fasse
explicitement re
´fe
´rence aux polluants d’origine humaine, il
faut e
´galement conside
´rer que certains polluants, comme le
radon, sont d’origine naturelle.
C’est aux effets a
`long terme de la pollution ae
´rienne exte
´-
rieure avec le risque de survenue d’un cancer bronchique
qu’est consacre
´e cette revue. Les effets aigus de cette exposi-
tion exte
´rieure ont e
´te
´e
´tudie
´s par ailleurs [15–18]. Cela ne doit
pas occulter le fait que la principale pollution ae
´rienne, celle
qui a les conse
´quences les plus se
´ve
`res sur la sante
´humaine
et en particulier sur le risque de cancer du poumon, est le
tabagisme, bien suˆr actif mais aussi passif [19–21]. Nous ne
traiterons donc pas de la pollution inte
´rieure bien qu’elle
puisse jouer un ro
ˆle important dans la gene
`se de certaines
tumeurs bronchiques, notamment dans les pays en de
´velop-
pement ou` les maisons sont pourtant ge
´ne
´ralement mieux
ventile
´es que dans les pays occidentaux ; l’exposition aux
polluants de
´gage
´s par les moyens de chauffage et de cuisson
(utilisation de re
´sidus ve
´ge
´taux, de bois ou de charbon) y est
malgre
´tout importante de
´gageant dans l’atmosphe
`re,
notamment de la cuisine, une concentration e
´leve
´e de pro-
duits cance
´roge
`nes qui a e
´te
´incrimine
´ea
`l’origine des cancers
bronchiques observe
´s chez des femmes qui restent encore
souvent non-fumeuses [22–25].
L’air exte
´rieur est pollue
´par une combinaison complexe,
variable d’un endroit a
`l’autre et d’un moment a
`un autre,
de diffe
´rents compose
´s gazeux et particulaires. Il est donc
difficile de de
´gager un sce
´nario critique d’autant que les
me
´canismes biologiques qui sous-tendent l’action des diffe
´-
rents polluants restent bien souvent de nature hypothe
´tique
[26]. Depuis quelques anne
´es, il faut admettre que le niveau
des e
´missions de polluants rejete
´s par les industries tradi-
tionnelles a eu tendance a
`diminuer dans les pays industria-
lise
´s (ce qui n’est pas le cas des pays en de
´veloppement
rapide, comme la Chine), de sorte que les concentrations
ambiantes de polluants traditionnels comme le dioxyde de
soufre ou les particules fines ont eu tendance a
`chuter.
Cependant, la pollution secondaire aux transports reste, dans
nos pays, un proble
`me constant, voire en augmentation.
Sche
´matiquement, il est possible de se
´parer les compose
´s
organiques volatils ou` pre
´dominent les benze
`nes et hydro-
carbures polycycliques aromatiques [27] et les particules fines,
compose
´es de substances organiques et mine
´rales et sur
lesquelles vont s’adsorber diffe
´rentes substances toxiques
comme les hydrocarbures et les me
´taux lourds. Pour des
raisons pratiques, les particules fines (PM : « particulate
matter ») sont habituellement subdivise
´es en particules inha-
lables (PM10), particules fines au sens strict (PM2,5) et parti-
cules ultrafines (PM0,1). Toutefois les caracte
´ristiques
La pollution atmosphe
´rique, cause de cancer bronchique ?
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physicochimiques individuelles de ces diverses cate
´gories,
responsables de leur toxicite
´, restent mal comprises.
La combustion des carburants est e
´galement a
`l’origine de
compose
´s aussi divers que l’arsenic, le chrome, le nickel ou des
radio-isotopes (radium, thorium, uranium, plomb), du 1-3 buta-
die
`ne et de divers alde
´hydes (comme, par exemple, le
formalde
´hyde ou l’ace
´talde
´hyde) [28]. Les polluants atmos-
phe
´riques les plus abondants en milieu urbain sont les parti-
cules diesel, les oxydes d’azote (NOx) et l’ozone (O
3
).
Dans les pays occidentaux, les e
´manations diesel sont en effet
conside
´re
´es comme la source la plus importante de la pollu-
tion ae
´rienne. Les compose
´s libe
´re
´s par les ve
´hicules diesel ont
fait l’objet de multiples travaux. Deux me
´ta-analyses inde
´-
pendantes confortent l’hypothe
`se que l’exposition profes-
sionnelle aux fume
´es issues de moteurs diesel est associe
´e
a
`un risque mode
´re
´ment e
´leve
´, de l’ordre de 33 a
`47 %, de
cancer du poumon [29,30], conclusion e
´galement retenue par
l’expertise collective de l’Inserm [31]. Une augmentation de la
mortalite
´par cancer du poumon a, par exemple, e
´te
´montre
´e
chez les chauffeurs professionnels en milieu urbain, comme
les chauffeurs de taxi [32].Re
´uni par le CIRC, un groupe
d’experts a classe
´les e
´manations diesel comme un probable
cance
´roge
`ne pour l’homme [33]. Toutefois, ces re
´sultats n’ont
pas toujours e
´te
´confirme
´s dans les e
´tudes plus re
´centes
[34,35]. La composition des gaz d’e
´chappement de moteurs
diesel est en fait un me
´lange complexe de plusieurs milliers de
gaz et de particules fines [36,37]. La composition pre
´cise du
me
´lange est, en outre, variable selon le moteur en cause, la
composition du fuel et ses conditions de fonctionnement. La
fraction gazeuse est compose
´e principalement de gaz de
combustions typiques comme le CO
2
, le CO, les NOx et de
soufre. Mais aussi d’hydrocarbures volatiles et d’hydrocarbu-
res polycycliques aromatiques. Certains de ces composants
gazeux (benze
`ne, formalde
´hyde, 1-3 butadie
`ne) sont bien
connus comme e
´tant des carcinoge
`nes reconnus ou suspecte
´s
chez l’homme. Les moteurs diesel e
´mettent des particules a
`
un taux environ 20 fois supe
´rieur a
`celui des moteurs a
`
essence. Plus de 90 % de ces particules ont un diame
`tre
infe
´rieur a
`un micron, ce qui leur permet d’atteindre les
re
´gions alve
´olaires du poumon. Or, des milliers de composants
issus de la combustion peuvent s’adsorber sur ces particules
et gagner ainsi le poumon profond.
Les NOx de
´signent un groupe de gaz hautement re
´actifs qui
contiennent tous, en proportions variables, de l’azote et de
l’oxyge
`ne. Le trafic routier est une source majeure de NOx.
L’O
3
est un gaz incolore et inodore qui se trouve a
`la fois dans
la partie supe
´rieure de l’atmosphe
`re terrestre ou` il joue un
ro
ˆle be
´ne
´fique en prote
´geant la surface du globe de la lumie
`re
ultraviolette du rayonnement solaire, mais aussi au niveau du
sol ou` il se forme a
`l’issue d’une re
´action chimique complexe a
`
partir de gaz pre
´curseurs e
´mis en particulier par les voitures.
A
`court terme, les fluctuations des diffe
´rents polluants atmos-
phe
´riques sont fonction des conditions me
´te
´orologiques loca-
les (notamment du vent) ; les concentrations des diffe
´rents
composants du me
´lange polluant sont corre
´le
´es entre elles de
sorte que l’e
´valuation d’un des compose
´s peut servir de
marqueur pour l’ensemble du me
´lange. Au contraire, sur le
long terme, des variations dans l ‘e
´mission des diffe
´rents
composants peut conduire a
`des modifications qualitatives
et quantitatives et cela est, bien suˆr, e
´galement vrai si l’on
compare des zones ge
´ographiques diffe
´rentes.
L’e
´valuation de l’exposition a
`la pollution
exte
´rieure pose des difficulte
´s
me
´thodologiques importantes
Les caracte
´ristiques me
ˆmes de la pollution atmosphe
´rique ont
pose
´des difficulte
´s conside
´rables dans l’e
´valuation de ses
effets a
`long terme. En effet, les renseignements obtenus
proviennent le plus souvent de stations de mesure fixes qui
sont donc suppose
´es repre
´senter l’ensemble d’une zone ge
´o-
graphique, ce qui fait que les donne
´es sont collecte
´es sur un
mode e
´cologique ; il est quasiment impossible d’e
´valuer la
variabilite
´des expositions inter- mais aussi intra-
individuelles ; enfin, il est encore plus difficile, s’agissant
d’effets a
`long terme de pre
´ciser re
´trospectivement le degre
´
d’exposition des sujets potentiellement victimes. Dans ce
contexte, la prise en conside
´ration des facteurs de confusion,
au premier rang desquels se trouve le tabagisme, s’ave
`re
difficile. Tout cela expose les conclusions des e
´tudes a
`de
nombreux biais ce qui peut conduire tant a
`une sous- qu’a
`une
sur-estimation des effets lie
´sa
`la pollution.
Pollution et cancer du poumon : les
e
´tudes e
´cologiques et temporelles
La pre
´sence de compose
´s cance
´roge
`nes parmi les polluants de
l’air est un argument fort en faveur de l’hypothe
`se d’une
responsabilite
´de la pollution dans la survenue d’un cancer
bronchique, voire me
ˆme d’autres tumeurs [9,10,38].
Les me
´thodes expe
´rimentales et e
´pide
´miologiques sont les
deux voies d’abord les plus utilise
´es pour l’e
´tude des effets sur
la sante
´de la pollution atmosphe
´rique. Cependant, l’approche
expe
´rimentale est limite
´e par son incapacite
´a
`prendre cor-
rectement en compte les effets chroniques d’une telle exposi-
tion, de sorte que s’agissant des maladies ne
´oplasiques, le
seul acce
`s possible repose sur les e
´tudes e
´pide
´miologiques
[39].
Les premie
`res e
´tudes e
´pide
´miologiques publie
´es ont e
´te
´des
e
´tudes ge
´ographiques qui comparaient l’incidence et la mor-
talite
´par cancer du poumon dans les zones urbaines et
rurales. Ces travaux sont particulie
`rement expose
´s aux biais
e
´voque
´s pre
´alablement, en particulier l’impossibilite
´de prise
en compte du tabagisme actif et passif. Ne
´anmoins, ces
comparaisons ont montre
´que le facteur « urbain » est associe
´
a
`une augmentation de 10 a
`40 % de la mortalite
´par cancer du
J. Tre´daniel et al. Archives des Maladies Professionnelles et de l’Environnement 2011;72:290-296
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poumon [40]. Des e
´tudes longitudinales peuvent e
´galement
de
´masquer des e
´volutions similaires. Ainsi, dans l’Utah,
l’exemple de l’installation d’une acie
´rie qui s’est traduit dans
le temps par une augmentation de la mortalite
´par cancer
bronchique [41].
Les e
´tudes cas–te
´moins
Les e
´tudes cas–te
´moins s’affranchissent en partie de ces
difficulte
´s et envisagent la question a
`l’e
´chelon individuel,
ce qui rend plus facile la prise en compte des facteurs de
confusion dont le tabagisme ou les expositions a
`des toxiques
professionnels. Plusieurs e
´tudes ont e
´te
´mene
´es selon ce
sche
´ma et nous ne pre
´senterons qu’une se
´lection des princi-
paux travaux. Dans une grande e
´tude conduite a
`Trieste
(Italie), 755 hommes de
´ce
´de
´s d’un cancer bronchique ont
e
´te
´compare
´sa
`755 te
´moins dont la mort relevait d’une autre
cause. Des informations ont e
´te
´obtenues de l’entourage des
sujets sur leur tabagisme, leur profession ainsi que leur lieu de
re
´sidence. Compare
´s aux sujets re
´sidant en milieu urbain, les
habitants des zones rurales e
´taient relativement prote
´ge
´s
comme en te
´moigne leur risque relatif (RR) de pre
´senter
une tumeur e
´gal a
`0,6 (intervalle de confiance a
`95 %,
IC95 % : 0,4–1,0), alors que ce RR e
´tait e
´value
´a
`1,5
(IC95 % : 1,0–2,2) pour les habitants du centre de la cite
´et
a
`1,4 (IC95 % : 1,0–2,1) pour ceux des zones industrielles [42].
Une e
´tude similaire a e
´te
´mene
´ea
`Stockholm (Sue
`de) chez
tous les hommes a
ˆge
´sde40a
`70 ans et ayant e
´te
´re
´sidents
stables de la ville de 1950 a
`1990. Les informations ont e
´te
´
obtenues soit des sujets eux-me
ˆmes, soit de leurs proches en
cas de de
´ce
`s. 1042 cas ont ainsi e
´te
´compare
´sa
`2364 te
´moins.
Une base des taux ambiants de NOx/NO
2
et SO
2
ae
´te
´
construite re
´trospectivement pour comparer les niveaux
d’exposition des sujets, respectivement, au trafic automobile
et aux divers polluants de
´gage
´s par les moyens de chauffage.
Apre
`s ajustement sur le tabagisme, le niveau socioe
´cono-
mique, l’exposition re
´sidentielle au radon ainsi qu’aux e
´ven-
tuels toxiques professionnels, il apparaıˆt que les sujets les
plus expose
´sauNO
2
dans les 20 anne
´es pre
´ce
´dentes ont un
RR e
´leve
´de pre
´senter un cancer bronchique : RR = 1,4 (IC95 % :
1,0–2,0). En revanche, il n’y avait pas, dans cette e
´tude,
d’association avec le SO
2
[43].
Niche
´e au sein de la cohorte europe
´enne European prospective
investigation on cancer and nutrition (EPIC), une e
´tude cas–
te
´moin a e
´te
´conduite chez 271 sujets atteints d’un cancer
bronchique nouvellement diagnostique
´et qui ont e
´te
´compa-
re
´sa
`737 te
´moins. Cependant, des donne
´es individuelles
d’exposition aux polluants n’e
´taient disponibles que pour
197 cas et 556 te
´moins apparie
´s sur le sexe, l’a
ˆge, le tabagisme,
le lieu de re
´sidence et le temps e
´coule
´entre le recrutement
dans l’e
´tude et le diagnostic. Une association non significative
ae
´te
´mise en e
´vidence entre le cancer du poumon et le fait
d’habiter pre
`s d’une voie automobile tre
`s fre
´quente
´e
(RR = 1,46 ; IC95 % : 0,89–2,40). L’exposition au NO
2
se tra-
duisait par une augmentation de 14 % du risque de cancer
pour chaque augmentation de 10 mg/m
3
(RR = 1,14 ; IC95 % :
0,78–1,67) qui atteignait 30 % (RR = 1,30 ; IC95 % : 1,02–1,66)
pour des concentrations supe
´rieures a
`30 mg/m
3
. Il n’y avait
pas d’association e
´vidente avec les autres polluants atmos-
phe
´riques [44].
Re
´cemment, une e
´tude cas–te
´moin conduite a
`Montre
´al a
e
´value
´la part respective des e
´missions provenant des ve
´hi-
cules a
`moteur essence ou diesel chez 857 hommes atteints
d’un cancer du poumon et qui e
´taient compare
´sa
`533 te
´moins
issus de la population ge
´ne
´rale ainsi qu’a
`1349 malades
atteints d’un cancer d’un autre type. Dans ce travail, aucun
lien n’a e
´te
´mis en e
´vidence entre l’e
´chappement des ve
´hi-
cules a
`moteur a
`essence et la survenue d’un cancer du
poumon. Au contraire une relation, qui n’est cependant retro-
uve
´e qu’avec les te
´moins sains, a e
´te
´mise en e
´vidence entre le
cancer bronchique et une exposition substantielle aux e
´ma-
nations diesel (RR = 1,6 ; IC95 % : 0,9–2,8) [35].
Les e
´tudes prospectives de cohortes
Les informations les plus pertinentes sont apporte
´es par les
e
´tudes prospectives de cohortes qui permettent de se libe
´rer
de la majorite
´des biais que nous avons envisage
´s. Trois de ces
e
´tudes ont e
´te
´conduites aux E
´tats-Unis. L’Adventist Health
Study of Smog Study (AHSMOG) a suivi une cohorte de
6338 adhe
´rents californiens, non-fumeurs, adeptes de l’E
´glise
des Adventistes du Septie
`me Jour de 1977 a
`1992. Le taux
ambiant des PM10 est re
´gulie
`rement analyse
´a
`travers toute la
Californie depuis 1987. Il apparaıˆt que les PM10, l’O
3
et le
SO
2
sont tous les trois significativement associe
´sa
`la morta-
lite
´par cancer du poumon chez l’homme ; les RRs e
´tant
respectivement calcule
´s, pour les expositions les plus e
´leve
´es,
a
`3,36 (IC95 % : 1,57–7,19), 4,19 (IC95 % : 1,81–9,69) et 1,99
(IC95 % : 1,24–3,20). Tant le SO
2
que le NO
2
e
´taient e
´galement
significativement associe
´sa
`la mortalite
´par cancer bron-
chique chez les femmes [45].
La cohorte dite des Six Cite
´s (Harvard Six Cities Study) a e
´te
´
pre
´sente
´e une premie
`re fois en 1993 [46]. Cette e
´tude a e
´value
´
la mortalite
´observe
´e, sur une pe
´riode initiale de 14 a
`16 ans,
chez 8111 sujets adultes. Les premiers re
´sultats montraient
avant tout que la mortalite
´e
´tait essentiellement lie
´eau
tabagisme des sujets ! Ne
´anmoins, une fois ce facteur pris
en conside
´ration, il restait une association forte entre la
pollution atmosphe
´rique subie et la mortalite
´, puisque le
rapport des taux de mortalite
´de la cite
´la plus pollue
´e par
comparaison a
`la moins pollue
´ee
´tait alors calcule
´a
`1,26
(IC95 % : 1,08–1,47). La pollution e
´tait en fait positivement
associe
´ea
`la mortalite
´cardiovasculaire ainsi que par cancer
du poumon, tandis qu’il n’y avait pas de lien avec les autres
causes de mortalite
´conside
´re
´es globalement. L’e
´tude de cette
cohorte a e
´te
´prolonge
´e pour une dure
´e supple
´mentaire de
La pollution atmosphe
´rique, cause de cancer bronchique ?
293
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huit ans. Les re
´sultats de ce travail, qui ont e
´te
´plus re
´cem-
ment publie
´s[47], confirment l’augmentation de la mortalite
´
corre
´le
´e ici plus pre
´cise
´ment avec une augmentation de
10 mg/m
3
du niveau des PM2,5 (RR = 1,16 ; IC95 % : 1,07–
1,26). L’exposition aux PM2,5 est associe
´ea
`la mortalite
´car-
dio-vasculaire (RR = 1,28 ; IC95 % : 1,13–1,44) ainsi qu’a
`la
mortalite
´par cancer du poumon bien que la liaison ne soit
plus statistiquement significative (RR = 1,27 ; IC95 % : 0,96–
1,69).
La troisie
`me et la plus ambitieuse de ces cohortes est celle de
l’American Cancer Society. Inte
´gre
´ea
`la Cancer Prevention
Study II (qui a enro
ˆle
´1,2 million d’adultes ame
´ricains en 1982),
une sous-cohorte a e
´te
´individualise
´e comprenant plus de
500 000 sujets dont le statut vital et la cause du de
´ce
`s
e
´ventuel ont e
´te
´relie
´es aux donne
´es de pollution ae
´rienne
dans les me
´tropoles ame
´ricaines ou` ils avaient ve
´cu. Apre
`s
ajustement sur un grand nombre de facteurs afin de de
´gager
l’effet propre de la pollution (a
ˆge, sexe, race, poids, taille,
tabagisme, niveau socioe
´ducatif, statut conjugal, alimenta-
tion, consommation alcoolique, expositions professionnelles),
il apparaıˆt que l’exposition aux particules fines et aux oxydes
de soufre est associe
´ea
`l’augmentation de la mortalite
´toutes
causes confondues, mais aussi plus spe
´cifiquement a
`la mor-
talite
´cardiopulmonaire ou par cancer bronchique. Chaque
e
´le
´vation de 10 mg/m
3
du taux de particules fines se traduit
par une e
´le
´vation de 4 %, 6 % et 8 % respectivement pour la
mortalite
´toutes causes confondues, par maladie cardio-pul-
monaire et par cancer bronchique [48].
Paralle
`lement, plusieurs cohortes ont e
´galement e
´te
´suivies
en Europe. Aux Pays-Bas, un groupe choisi de manie
`re ale
´a-
toire de 5000 sujets, a
ˆge
´sde55a
`69 ans, (qui e
´taient eux-
me
ˆmes inclus dans la Netherlands Cohort Study on Diet and
Cancer), a e
´te
´suivi de fac¸on prospective entre 1986 et 1994.
L’exposition aux polluants issus du trafic automobile (NO
2
et
« fume
´es noires ») a e
´te
´estime
´e en prenant en conside
´ration
l’adresse des sujets en 1986. 489 des participants de l’e
´tude
sont de
´ce
´de
´s durant cette pe
´riode, dont 60 d’un cancer
bronchique. Le re
´sultat le plus frappant de l’e
´tude est la mise
en e
´vidence d’un quasi-doublement de la mortalite
´cardio-
pulmonaire chez les sujets vivant a
`proximite
´imme
´diate
d’une voie routie
`re principale (RR = 1,95 ; IC95 % : 1,09–
3,52). Cependant, l’e
´tude ne disposait pas d’assez de puissance
pour e
´valuer correctement le risque de cancer bronchique en
liaison avec l’exposition au NO
2
(RR = 1,25 ; IC95 % : 0,42–3,72)
ou aux « fume
´es noires » (RR = 1,06 ; IC95 % : 0,43–2,63) [49].
La seconde e
´tude de cohorte europe
´enne a e
´te
´mene
´een
Norve
`ge. L’e
´tude a inclus en 1972/73 16 209 hommes, a
ˆge
´sde
40 a
`49 ans, vivant a
`Oslo. La pollution atmosphe
´rique
annuelle moyenne entre 1974 et 1998 a e
´te
´estime
´eau
domicile de chacun des participants. Durant la pe
´riode de
suivi de la cohorte, 418 hommes ont de
´veloppe
´un cancer du
poumon. Apre
`s avoir e
´te
´ajuste
´sur l’a
ˆge, le tabagisme et le
niveau d’e
´ducation, le RR de pre
´senter un cancer bronchique a
e
´te
´calcule
´a
`1,08 (IC95 % : 1,02–1,15) pour toute augmentation
de 10 mg/m
3
du niveau moyen de NOx a
`l’adresse des sujets ;
au contraire, la relation n’e
´tait pas significative pour l’aug-
mentation du niveau de SO
2
(RR = 1,01 ; IC95 % : 0,94–1,08)
[50].
L’e
´tude franc¸aise pollution atmosphe
´rique et affections res-
piratoires chroniques (PAARC) a e
´te
´conduite en 1975–
1976 dans 24 quartiers de 7 villes franc¸aises et avait pour
objectif premier d’e
´valuer l’effet e
´ventuel de la pollution
atmosphe
´rique sur les maladies respiratoires chroniques
[51]. Plus re
´cemment, les donne
´es a
`long terme de cette e
´tude
ont e
´te
´analyse
´es dans le but de rechercher un effet a
`long
terme sur la mortalite
´; ce travail confirme l’effet tardif de la
pollution subie dans les anne
´es 1970 puisque une majoration
de 10 mg/m
3
de NO
2
se traduit par un RR e
´gal a
`1,48 (IC95 % :
1,05–2,06) pour ce qui est du cancer du poumon et de 1,27
(IC95 % : 1,04–1,56) pour la mortalite
´cardiopulmonaire [52].
Dernie
`rement, 679 cas de cancer du poumon issus de trois
cohortes danoises prospectives ont e
´te
´compare
´sa
`3481 sujets
te
´moins issus des me
ˆmes cohortes. Leur exposition respective
aux NO
x
, conside
´re
´s comme marqueur du trafic routier, a e
´te
´
compare
´e. Le rapport d’incidence pour la survenue d’un cancer
bronchique est respectivement calcule
´a
`1,30 (IC95 % : 1,07–
1,57) et 1,45 (IC95 % : 1,12–1,88) pour des expositions a
`des
concentrations respectives de 30 a
`72 ou supe
´rieures a
`72 mg/
m
3
, en prenant pour re
´fe
´rence une exposition infe
´rieure a
`
30 mg/m
3
[53].
Conclusion
Alors que des pistes se de
´gagent pour la compre
´hension des
me
´canismes qui sous-tendent la liaison entre pollution
atmosphe
´rique et mortalite
´d’origine cardiovasculaire [54],
tel n’est pas encore pleinement le cas pour ce qui est du
cancer bronchique ; ne
´anmoins, une se
´rie de travaux re
´cents
explorent les atteintes de l’ADN provoque
´es par la pollution
ae
´rienne[55–57]. Les donne
´es re
´centes ame
`nent cependant a
`
un peu d’optimisme puisque la mortalite
´semble diminuer,
notamment dans l’est des E
´tats-Unis, concomitamment a
`
l’ame
´lioration de la qualite
´de l’air sous l’effet de le
´gislations
de plus en plus contraignantes[47,58]. Trop peu d’e
´tudes sont
ne
´anmoins disponibles en Europe, ce qui pose la question de
l’extrapolation des re
´sultats ame
´ricains (ou` les parame
`tres de
la pollution atmosphe
´rique sont largement diffe
´rents de ceux
releve
´s en Europe) a
`notre continent. Bien que le risque
individuel lie
´a
`la pollution atmosphe
´rique puisse e
ˆtre consi-
de
´re
´comme relativement faible (a
`l’instar, d’ailleurs, du
risque individuel secondaire a
`l’exposition au tabagisme pas-
sif), les conse
´quences de cette exposition a
`l’e
´chelle de la
population sont cependant importantes [59] et devraient
toucher tout particulie
`rement les travailleurs en milieu exte
´-
rieur [60,61] et les enfants avec la possibilite
´de conse
´quences
a
`long terme qu’il importe d’envisager [62,63]. Ainsi, dans
un rapport publie
´en 2005, l’Agence franc¸aise de se
´curite
´
J. Tre´daniel et al. Archives des Maladies Professionnelles et de l’Environnement 2011;72:290-296
294
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La pollution atmosphe´rique, cause de cancer bronchique

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