Revue Clonage des mammifères par greffe du noyau somatique et

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Clonage des mammifères
par greffe du noyau
somatique et remodelage
épigénétique
de la chromatine
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
Andràs Pàldi
Ecole Pratique des Hautes Etudes, Généthon, 1 bis rue de l’Internationale, 91002 Evry
<[email protected]>
Les scandales à répétition autour du clonage des mammifères font souvent oublier que les
embryons clonés constituent principalement un modèle expérimental. Les problèmes fondamentaux de la biologie qu’on peut étudier grâce à ce modèle sont très loin de ce qui occupe
en général le grand public : fantasmes sur la fabrication d’individus identiques ou de cellules
« miracles » qui peuvent être utilisées comme « pièces de rechange » pour guérir des maladies. En revanche, le transfert nucléaire est une excellente approche expérimentale pour
étudier certains mécanismes à l’œuvre au cours du développement comme le remodelage et
l’activation du génome au cours des stades initiaux, ou encore l’importance de la régulation
génique. L’étude des clones permet également de revisiter certaines questions fondamentales,
comme celle de la totipotence, de la différenciation ou de l’hérédité épigénétique.
Mots clés : hérédité épigénétique, expression aléatoire, canalisation, variation
L
Tirés à part : A. Pàldi
268
e fait que l’introduction du
noyau d’une cellule différenciée
dans un ovocyte dont les chromosomes sont enlevés, permette un développement normal, soulève plusieurs questions. D’une part, les
cellules différenciées spontanément
ne se dédifférencient pas ou seulement très rarement. Le processus de
la différenciation au cours duquel le
potentiel de la cellule se restreint de
plus en plus est le plus souvent
considéré comme irréversible. Bien
qu’il existe des observations qui démontrent que certaines cellules différenciées sont capables de changer
leur phénotype, ces exemples sont
largement débattus [1]. L’état différencié d’une cellule est caractérisé par
l’expression restreinte d’une fraction
des gènes et une répression d’expression d’autres gènes. Si les cellules dif-
férenciées ont des difficultés à se dédifférencier, c’est parce que la
répression des gènes non exprimés est
difficile à surmonter. Mais le succès du
clonage démontre sans ambigüité que
le noyau d’une cellule somatique est
capable de reexprimer les gènes qu’il
exprimait aux stades précoces de son
développement. Le processus qui restreint la capacité d’exprimer n’importe quel gène est donc réversible.
Comment l’ovocyte est-il capable de
lever la restriction ? Comment le
noyau de la cellule donneuse « se
dédifférencie-t-il » ? Ces questions
sont étroitement liées à la compréhension de la régulation génique mais
aussi au développement et à la différenciation, et l’étude des fœtus clonés
peut apporter des explications.
D’autre part, il est clair que le processus qui permet de lever la restric-
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tion qui contraint une cellule somatique à un répertoire
restreint de phénotypes est très peu efficace. Seul un petit
nombre d’ovocytes dans lesquels un noyau de cellule
somatique a été greffé se développent normalement. Le
développement préimplantatoire se déroule plus au moins
normalement, bien que le nombre de cellules dans les
blastocystes soit généralement plus faible [2]. Les blastocystes s’implantent dans l’utérus, mais seulement très peu
d’entre eux survivent jusqu’au terme. La mortalité périnatale est aussi très importante. De plus, les clones qui
survivent sont souvent anormaux et ont des malformations
plus au moins importantes. Les causes de ces anomalies
ne sont pas tout à fait claires. Néanmoins, il est établi que
l’expression d’un grand nombre de gènes est dérégulée.
Même chez les animaux clonés qui ne souffrent apparemment pas de malformations, on observe une telle dérégulation [3, 4]. Il est à noter que le génotype et l’état de
différenciation de la cellule donneuse sont importants
pour le succès du développement. Plus la cellule donneuse est éloignée des stades précoces du développement, plus elle s’est engagée vers une différenciation
terminale, moins l’ovocyte greffé de son noyau est capable
de parcourir un développement normal. Le greffe d’un
noyau d’une cellule souche embryonnaire (cellule ES)
permet un taux de succès de 20 à 40 % [5]. Ce chiffre
tombe à 1 à 3 % si la cellule donneuse est une cellule de
cumulus [6]. Les taux sont encore plus bas si un lymphocyte T ou B est utilisé comme donneur [7]. Néanmoins, il
est difficile de tirer des conclusions sans ambiguïté dans ce
domaine, car les différents laboratoires n’utilisent pas toujours les mêmes techniques et même des détails apparemment sans importance peuvent influencer l’efficacité. Par
exemple, les ovocytes greffés d’un noyau somatique gardent certaines caractéristiques de la cellule donneuse au
cours de leur développement préimplantatoire. Quand ils
sont cultivés dans un milieu de culture conçu pour les
cellules somatiques, les ovocytes clonés se développent
mieux et produisent des blastocystes avec une fréquence
plus élevée que dans le milieu de culture optimisé pour les
embryons préimplantatoires [8].
Il est généralement admis que le développement et la
différenciation cellulaire dépendent de l’expression différentielle et ordonnée des gènes au cours du développement. Toutes les observations faites sur l’expression des
gènes sur les embryons, fœtus ou animaux adultes clonés
convergent vers la conclusion que l’expression des gènes
chez ces animaux ne suit pas le cours normal. En fonction
du degré de la dérégulation, l’embryon cloné se développe plus au moins normalement. La grande variabilité
de l’expression génique chez les animaux clonés qui ne
montrent aucune malformation apparente suggère que le
processus du développement est plus plastique qu’on
pourrait le penser, très robuste, et peut tolérer des écarts
importants d’expression génique tout en maintenant le
phénotype proche de la normale [5]. Cette observation est
assez surprenante, car on pense généralement que l’expression des gènes au cours du développement est très
strictement régulée et qu’aucun grand écart n’est possible.
Visiblement, ce n’est pas le cas et l’expression désordonnée d’un grand nombre de gènes peut être compensée par
le réseau complexe d’interactions qu’ils forment. Néanmoins, malgré cette grande capacité à canaliser la variabilité, l’écrasante majorité des clones meurent très tôt.
Seuls les embryons survivants peuvent être étudiés, ce qui
suggère que l’expression génique dans la majorité des
embryons clonés doit être plutôt chaotique que simplement « dérégulée » ce qui rend leur développement normal impossible. La corrélation qui émerge est simple : plus
l’expression génique est désorganisée, moins les embryons clonés sont capables de survivre. La question est de
savoir pourquoi cette dérégulation ?
Pour aborder cette question, il est nécessaire de comprendre comment les gènes sont régulés. L’opinion la plus
répandue est que la régulation génique est une affaire de
facteurs spécifiques de régulation [9]. C’est l’interaction
des séquences régulatrices d’un gène avec des facteurs de
transcriptions spécifiques qui permet la régulation de l’expression. Mais l’ADN ne se trouve pas à l’état libre dans le
noyau cellulaire, il est organisé en chromatine. C’est une
structure composée de protéines et d’ADN. L’unité structurelle de base de la chromatine est le nucléosome formé
par un octamère d’histones et un segment de l’ADN
enroulé autour de ce noyau. La chromatine est composée
d’une succession de nucléosomes sur le fil de l’ADN,
comme un collier de perles. Ce complexe nucléoprotéique est très stable, il peut même se former spontanément
in vitro quand on mélange une solution d’ADN et des
histones dans un tube d’essai. Aucune transcription n’est
possible sans que les nucléosomes ne soient déplacés, car
l’ADN dans la chromatine n’est pas accessible aux autres
protéines. Nous savons que la chromatine n’a pas exactement la même structure partout. Les histones, ainsi que
l’ADN sont sujets à des modifications covalentes, qui
modifient leur conformation, leur charge électrique et leur
capacité à interagir entre eux et avec d’autres protéines
nucléaires. Ces modifications, qui portent le nom de
« modifications épigénétiques », sont des modifications
covalentes, qu’on retrouve couramment sur de nombreuses protéines : la phosphorylation, l’acétylation, la méthylation, la polyADP-ribosylation etc. L’ensemble de ces
modifications sur une région chromosomique a une influence majeure sur la structure générale de la chromatine. La présence ou l’absence de certaines modifications
peut être corrélée à l’activité transcriptionnelle des gènes
de la région. Ainsi, on peut parler d’une « signature épigénétique » qui caractérise la chromatine lorsqu’elle est
potentiellement compétente pour la transcription. Ce type
de chromatine porte le nom d’euchromatine et est caractérisé par une abondance d’acétylations ou de polyADPribosylations des histones et par une absence de méthyla-
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tion de l’ADN et des histones. En revanche, la chromatine
inactive du point de vue de la transcription, qui porte le
nom d’hétérochromatine, a une signature épigénétique
opposée : pas ou peu d’acétylation ou de polyADPribosylation et une abondance de méthylation de l’ADN
sur les CpG-s des séquences régulatrices. La probabilité
pour un gène d’être exprimé ou réprimé dépend grandement des différences de modifications épigénétiques affectant la chromatine dans ces deux types de régions. Un
gène a toutes les chances de rester inactif transcriptionnellement, même en présence des facteurs de transcriptions
nécessaires pour sa transcription, s’il se trouve dans une
région hétérochromatique qui rend ses séquences régulatrices inaccessibles. En revanche, l’activation d’un gène
est possible s’il se trouve dans une région euchromatinique [1]. Les modifications épigénétiques contribuent
également à l’organisation de la structure globale de la
chromatine. Les chromosomes occupent des territoires
distincts dans le noyau d’une cellule interphasique.
L’organisation des sous-régions actives et inactives à
l’intérieur de ces territoires corrèle également avec la
nature des modifications épigénétiques [10].
Les réactions qui conduisent à ces modifications ainsi
que les réactions opposées de démodifications sont catalysées par des enzymes. Le même type de modifications
peut être catalysé par plusieurs enzymes différents. Mais
ce sont des enzymes différents qui catalysent les modifications opposées. Le degré de modification de la chromatine dépendra donc à chaque instant de l’équilibre entre
les deux types de réactions opposées. Tout changement de
l’état physiologique de la cellule qui modifie l’équilibre
des réactions épigénétiques peut influencer l’état épigénétique de la chromatine et, par suite, induire des changements d’expression génique [11]. Les différentes modifications épigénétiques génèrent des interactions synergiques
ou antagonistes entre les différents composants de la chromatine, renforçant ainsi la formation de l’euchromatine ou
de l’hétérochromatine. La structure globale de la chromatine est très dynamique et change au cours de la différenciation cellulaire en parallèle avec l’activation et l’inactivation des groupes de gènes.
Mais les mécanismes épigénétiques remplissent également un autre rôle essentiel. En plus de déterminer la
structure de la chromatine, les modifications « épigénétiques » jouent le rôle de « mémoire ». En effet, c’est grâce
aux mécanismes épigénétiques que la structure de la
chromatine est conservée et que l’état d’activité des gènes
est transmis au cours des divisions cellulaires. Un gène qui
n’a pas été exprimé depuis des générations porte des
modifications typiques de l’hétérochromatine (acétylation
réduite et méthylation élevée) et ne peut être réactivé
facilement. Grâce à la transmission de l’état de la chromatine, la cellule « garde en mémoire » les gènes dont l’activité n’est pas indispensable à son fonctionnement. En
revanche, les gènes actifs avant la division conservent les
modifications typiques de l’euchromatine (acétylation
augmentée et méthylation de l’ADN réduite), ce qui permet au gène de rester actif ou facilement activable après la
division cellulaire. D’une certaine façon en permettant à
la cellule de « garder en mémoire » son parcours, les
mécanismes épigénétiques sont à la base de l’unidirectionnalité du processus de différenciation car la différenciation se produit plus facilement que la dédifférenciation.
Cette « mémoire » ne prédestine pas la cellule à un phénotype différencié donné, elle ne fait que rétrécir les
possibilités de la cellule en fonction de son parcours
antérieur en rendant le retour en arrière moins probable.
Néanmoins, comme l’ont montré les expériences de clonage, le retour reste possible, car l’inhibition via les mécanismes épigénétiques est réversible.
L’établissement d’un profil épigénétique dans un
noyau cellulaire se fait en étroite « collaboration » avec le
cytoplasme. Dans une cellule normale c’est par le cytoplasme que l’influence de l’environnement se transmet,
c’est dans le cytoplasme que les enzymes qui catalysent
les réactions épigénétiques et leurs substrats sont synthétisés. Les processus biochimiques dans le noyau, y compris les modifications épigénétiques, sont donc conditionnés par le cytoplasme et vice versa, car l’expression des
gènes à son tour modifie la composition du cytoplasme. Le
cytoplasme façonne le noyau qu’il façonne. Cette complémentarité dynamique est bien illustrée par la fusion de
deux cellules différentes. L’hétérocaryon qui en résulte, en
plus d’exprimer des gènes caractéristiques des cellules
initiales, commence à exprimer aussi des gènes nouveaux
qui n’étaient exprimés dans aucune des cellules parentales [12]. La greffe du noyau somatique dans un ovocyte, et
même la fécondation naturelle de l’ovocyte, montrent
certaines analogies avec la fusion expérimentale des cellules. Dans les deux cas, la chromatine subit un remodelage extensif.
En règle générale, l’ovocyte fécondé peut être considéré comme la seule cellule véritablement totipotente,
c’est-à-dire, capable de se différencier en n’importe quelle
type cellulaire, car le zygote est à l’origine de toutes les
cellules de l’organisme. Cela peut apparaître comme une
évidence. Mais, si on considère que ni l’ovocyte, ni le
spermatozoïde dont la fusion crée le zygote ne sont capables de se diviser et de se développer séparément, la
question apparaît moins évidente. En effet, on peut considérer les gamètes mâles et femelles comme des cellules
différenciées, dont la seule fonction est de féconder ou
d’être fécondées.
Le spermatozoïde, en plus d’apporter dans le zygote le
jeu de chromosomes paternels, induit des changements
importants dans l’ovocyte, qu’on désigne le plus souvent
par le terme « d’activation » [13]. En réalité, l’ovocyte
n’est pas inactif, il se maintient dans un état d’équilibre
dynamique qui nécessite de l’investissement en énergie
produite par le métabolisme de la cellule. S’il semble être
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inactif, c’est parce qu’il est arrêté en métaphase de la
deuxième division méiotique avec ses chromosomes
condensés et organisés en fuseau métaphasique. L’activation par le spermatozoïde, lequel peut être remplacé par
un stimulus électrique ou chimique artificiel, déclenche
une série de changements cytoplasmiques rapides [13]. En
réponse, l’ovocyte termine sa division, ses chromosomes
se décondensent et forment un noyau interphasique : le
pro-noyau maternel qui ne renferme que les chromosomes maternels. Les chromosomes paternels apportés par
le spermatozoïde ont un autre parcours. L’ADN paternel a
une organisation très compacte qu’on ne retrouve que
dans les spermatozoïdes. Il est associé à des protamines,
des protéines basiques qui remplacent les histones sur les
chromosomes au cours de la maturation des gamètes
mâles. Les protamines permettent l’empaquetage de
l’ADN dans un volume aussi petit que la tête du spermatozoïde. Donc, au moment de la fécondation, la chromatine paternelle n’a pas une structure nucléosomique. Les
protamines sont rapidement dégradées par l’ovocyte après
son activation et remplacées par des histones déjà présentes dans le cytoplasme. Un deuxième noyau est formé, le
pro-noyau paternel avec le génome paternel qui a acquis
une structure nucléosomale. Le génome paternel subit
donc un remodelage profond qui efface la majorité des
marques épigénétiques préexistantes [14]. On peut suivre
ces changements si on visualise les différentes protéines
de la chromatine ou la méthylation de l’ADN avec des
techniques d’immunohysochimie. On observe une diminution rapide de la méthylation de l’ADN, probablement
le résultat de l’action d’une enzyme encore non identifiée
[15]. Parallèlement, on voit l’accumulation de l’histone
H4 hyperacétylé ou encore de la protéine de l’hétérochromatine HP1b [16, 17]. Ces protéines sont normalement
déjà présentes dans le pronoyau maternel. Le remodelage
du génome continue tout au long du développement
préimplantatoire. Par exemple, la forme méthylée
MeK9H3 de l’histone H3 est présente sur les chromosomes de l’ovocyte, mais s’accumule sur les chromosomes
paternels seulement au cours du deuxième et troisième
cycle cellulaire [18]. Le génome maternel ne subit pas un
remodelage épigénétique aussi intensif, néanmoins il est
détectable. Les changements épigénétiques se poursuivent pendant toute la durée du développement préimplantatoire. Au cours des cycles cellulaires successifs, la méthylation des CpGs dans le génome est redistribuée entre
les différentes régions génomiques et son niveau global
baisse [19].
La cinétique du processus de remodelage est variable
selon les espèces [20], mais ses conséquences sont similaires : il efface la plupart des traces de mémoire épigénétique déposée sur les chromosomes dans les gamètes
rendant ainsi possible l’activation de la transcription de
nombreux gènes. En un premier temps, l’expression du
génome embryonnaire semble plutôt chaotique. On ob-
serve l’expression désordonnée d’une multitude de gènes
réprimés auparavant [21, 22]. Mais autour du stade de
morula, un profil d’expression ordonnée commence à
émerger et l’embryon entre dans la première phase de
différenciation de sa vie. Le blastocyste qui en résulte est
composé de deux types cellulaires, les cellules de la masse
interne et le trophectoderme.
Il est logique de penser qu’un noyau de cellule somatique introduit artificiellement dans un ovocyte doit subir
des transformations similaires pour rendre le zygote reconstitué capable de se développer. En effet, le noyau d’un
thymocyte fusionné avec un ovocyte subit des transformations et acquiert une ultrastructure ressemblant à un pronoyau [23]. Curieusement, ses transformations n’ont lieu
que si la fusion est effectuée avant l’activation de l’ovocyte. Après l’activation, l’ovocyte perd rapidement sa
capacité à remodeler un noyau, y compris celui du spermatozoïde [24].
Les analyses moléculaires détaillées ont démontré que
les changements épigénétiques que le génome somatique
greffé dans l’ovocyte subit, sont de nature similaire au
génome zygotique. Le processus de remodelage du génome somatique est souvent qualifié de « reprogrammation » [4]. L’utilisation de ce terme est certainement un
abus de langage car il est difficile d’imaginer que la
réorganisation épigénétique se produise selon une séquence d’actions prédéterminées que l’ovocyte ferait subir au noyau. Quel que soit le terme utilisé, il est clair que
les interactions dynamiques entre le noyau somatique
greffé et le cytoplasme de l’ovocyte induisent une petite
« révolution » épigénétique qui rend possible l’expression
d’une multitude de gènes qui n’étaient pas exprimés dans
la cellule donneuse.
Néanmoins, ces changements sont le plus souvent
incomplets et les traces de la « mémoire épigénétique » du
génome somatique persistent, la « dédifférenciation » du
noyau greffé reste incomplète. L’étude de la méthylation
de l’ADN dans les embryons bovins ou murins clonés en a
apporté la preuve [25-27]. La cinétique globale de la
déméthylation est altérée [25] et la méthylation de diverses séquences répétées est différente de la normale [26],
tandis que d’autres séquences suivent un cours normal de
changements. La méthylation du génome des clones devient une véritable mosaïque du profil somatique et zygotique [28]. La conséquence en est que l’expression du
génome de l’embryon cloné est très perturbée. La grande
variabilité de l’expression génique qu’on observe même
chez les animaux clonés qui ne montrent aucune malformation apparente est probablement la conséquence des
traces épigénétiques non effacées au stade préimplantatoire du développement. Si la majorité des embryons
clonés ne sont pas capables de se développer normalement, c’est parce que l’expression de leur génome est trop
désordonnée.
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L’une des plus importantes leçons que l’étude des
clones nous réserve est qu’elle attire l’attention sur l’importance longtemps sous-estimée des mécanismes épigénétiques. Ces mécanismes assurent à la fois la stabilité et la
capacité de changer l’expression du génome et gardent
encore la majorité de leur secret. Nous n’avons à présent
que des outils rudimentaires pour influencer ces mécanismes, ce qui limite l’utilisation du clonage pour autre chose
que l’expérimentation. Ce qui n’est pas négligeable,
car, comme modèle expérimental, les clones permettront
d’étudier bien des problèmes fondamentaux de la
biologie.
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