Ensuite, lorsqu’il est allé à Médine et que, de là, il a combattu les Mecquois, il a d’abord reçu
l’appui des tribus juives, puis il y a eu des provocations et finalement il a rompu avec les
juifs et les chrétiens parce qu’il n’a pas supporté que ceux-ci ne rejoignent pas son message.
Ils avaient de bonnes raisons de ne pas le rejoindre puisque – il le dit même dans le Coran –
ils avaient déjà ce message qu’il leur «apportait». C’est qu’en fait Mahomet avait en vue une
sorte de grande union. Et il est dit clairement que si certains énoncés sont formulés par des
juifs, dans une tradition juive, non coranique, ils sont faux, tandis que s’ils sont formulés
dans le cadre du Coran, et plus tard de sa tradition, ils sont justes. C’est bien une question
d’appartenance identitaire. À partir de là, les dernières sourates, qui sont des sourates de
Médine, sont agressives essentiellement contre les gens du Livre, les juifs et les chrétiens.
Le corps du Coran est donc constitué d’une masse de sourates au début plutôt pacifiques –
bien qu’hostiles aux idolâtres – et qui, vers la fin, deviennent une sorte de fer de lance direc-
tement dirigé contre les traîtres, les «kafirines», c’est-à-dire ceux qui ont déjà reçu le
message et pourtant le refusent.
Donc, pour simplifier, il y a dans le Coran une partie paisible et une partie agressive. Cela ne
veut pas dire qu’«il y a une chose et son contraire», mais que ce sont deux choses diffé-
rentes.
Il est normal que cette partie agressive, des individus qui la lisent, qui l’ânonnent, qui la
chantent et qui l’aiment – l’arabe est une langue très harmonieuse – veuillent la mettre en
actes. C’est bien ce à quoi on assiste aujourd’hui. D’autant que maintenant les moyens tech-
niques y sont, et cela compte. La partie agressive du Coran est prise en charge et mise en
actes par des personnes, des groupes, bien armés sur le plan technique et idéologique.
Ainsi, ce qu’a fait Ben Laden, c’est un djihad: il a voulu appliquer les appels guerriers du
Coran contre les traîtres et les infidèles aux «Croisés» – c’est-à-dire aux Américains – et aux
Juifs.
Aujourd’hui, la grande masse des musulmans (qu’on ne saurait évaluer) que l’on dit
modérés est gênée par cette mise en œuvre de la partie agressive du Coran, et elle met en
avant la partie paisible. Le problème, c’est qu’ils la mettent en avant par une opération de
déni: ils pensent que citer les parties paisibles efface les parties violemment agressives du
Livre, qui disent qu’il faut combattre les juifs et les chrétiens jusqu’à ce qu’ils se fassent tout
petits, qu’ils donnent l’impôt de leurs mains etc. Certains versets sont très violents. Il faut
ajouter que la partie violente du Coran se trouve au début, c’est-à-dire que la présentation
éditoriale du Coran a placé les dernières sourates, donc les plus agressives, en tête, et les
premières en date seulement après, ce qui provoque un certain trouble.
Toujours est-il que là, on est dans le déni, dans le «il n’y a pas». Et pour dire «il n’y a pas»
d’appel à la violence dans le Texte, on met en avant les aspects paisibles du Coran. C’est une
contradiction difficile à tenir; mais elle tient quand on a le pouvoir, ou que les autres sont
réduits au silence.
HISTOIRE &LIBERTÉ
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JANVIER 2015
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